70 Musique - juin 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 23 juin 2021

Un Drame Musical Instantané sur Antène 1 en 1983


Le film avec Un Drame Musical Instantané, tourné le 10 avril 1983 par Emmanuelle K pour la chaîne de télévision libre Antène 1, est en ligne sur DailyMotion. Nous étions tous réunis dans la cave de mon loyer de 48 qui nous servait de studio et dans laquelle on pénétrait par une trappe au milieu de la cuisine rouge, noir et or (les canisses !), très chinoise. Les soupiraux du 7 rue de l'Espérance, qui donnaient directement sur la Place de la Butte aux Cailles, étaient fermés par des clapets équipés d'aimants pour pouvoir aérer lorsque je souhaitais rendre son statut de salon à notre antre. Nous y "répétions" tous les jours. Je devrais écrire "jouions" puisqu'il s'agissait le plus souvent de compositions instantanées que nous enregistrions soigneusement, formant un corpus étonnant sur cette époque. Bernard Vitet joue ici du cor de poste, de la trompette à anche et de l'accordéon, Francis Gorgé de la guitare et du frein, une contrebasse à tension variable construite par Bernard, je commandais mes synthétiseurs (ARP 2600 et PPG) et l'on me voit à la trompette de poche et à la flûte basse, encore un instrument de la lutherie Vitet comme les autres flûtes et les trois trompes en PVC terminées par un entonnoir.


À l'origine, Emmanuelle K, aujourd'hui passée à la poésie, nous avait demandé d'interpréter une partition de John Cage, mais nous avions réfuté sa paternité en nous insurgeant "contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague". Le film était tourné à deux caméras, dont une paluche, prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, que Gonzalo Arijon tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. Je ferai la connaissance de Gonzalo des années plus tard lorsque je réalisai Idir et Johnny Clegg a capella et participai à l'aventure Chaque jour pour Sarajevo à Point du Jour. En 1975, j'avais moi-même joué avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée pour mes essais expérimentaux intitulés Remember My Forgotten Man...


Le film dure 21 minutes 35 secondes. Il est présenté ici en deux parties. En juin 2008, il fut diffusé en boucle lors de la seconde édition du festival Filmer la musique au Point Ephémère. C'est l'un des rares témoignages vidéographiques de la période "instantanée" du Drame.

Article du 27 août 2008

mardi 22 juin 2021

La séduction du biidoro


Lors de mon passage à Kyoto, j'avais acheté deux copies d'une sorte de criquet en verre de l'ère Edo que je reconnus plus tard sur une carte postale reproduisant la gravure du célèbre artiste Kitagawa Utamaro. Le biidoro (ビードロ), du portugais vidro, verre, est constitué à un bout d'un petit tube dans lequel on souffle et à l'autre d'une sphère sur laquelle est tendue une membrane qui se tend et se détend lorsque l'air pulsé vient déplacer un petit cylindre placé à la moitié du tube. Le son rappelle celui de nos criquets en métal, mais c'est l'extrême fragilité du verre, unique constituant du jouet, qui surprend lorsque la membrane se bombe. L'instrument était utilisé par les courtisanes, les geishas, pour attirer les hommes !
Le peintre fut mis en scène par Mizoguchi Kenji dans son magnifique Cinq femmes autour d'Utamaro, édité par Carlotta lors de la première publication de cet article en septembre 2008, mais vendu maintenant à prix d'or. Les licences valdinguent et aujourd'hui on trouve essentiellement un coffret de 8 films publiés en DVD et Blu-Ray par Capricci comprenant Les Contes de la lune vague après la pluie, L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés, Miss Oyu, Les Musiciens de Gion, Une femme dont on parle, L’Impératrice Yang Kwei-fei et mon préféré, son dernier, La rue de la honte. Mizoguchi est, avec Max Ophüls, un des cinéastes qui sut le mieux filmer les femmes, même s'il fut lui-même victime en 1925 d'une blessure au dos infligée par les coups de couteau de son amante Yuriko Ichijo, rencontrée dans un club de nuit. Ou peut-être cela lui servit-il de leçon, car ses films, souvent pessimistes, sont fondamentalement féministes.

lundi 21 juin 2021

Jean-Jacques Birgé et Lionel Martin en fictions, portfolio de Christophe Charpenel dans Citizen Jazz


En publiant sur Citizen Jazz un portfolio de ma rencontre avec le saxophoniste Lionel Martin, le photographe Christophe Charpenel m'a fait penser que son tir groupé était une sorte de shrapnel. Wikipedia en donne d'ailleurs cette définition : "Shrapnel, du nom de son inventeur Henry Shrapnel, est le nom désignant l'« obus à balles ». Le terme « shrapnel » a souvent été utilisé, de manière extensive, pour désigner des petits fragments projetés par une explosion, quelle que soit leur origine." Choisie méticuleusement parmi les prises réalisées le 10 mai dernier au Studio GRRR, chacune est bien un fragment projeté produisant une explosion de bonheur, rencontre inattendue entre deux musiciens qui ne se connaissaient qu'au travers de quelques enregistrements. Christophe suivant Lionel dans toutes ses activités en vue d'un reportage à publier sur un prochain vinyle du saxophoniste, notre session représentait une étape éminemment plus sympathique que l'usage absurde et suicidaire de n'importe quelle arme létale. La violence reste l'énigme fondamentale devant laquelle je reste sans réponse lorsque je tente de comprendre l'humanité. Heureusement la musique adoucit les mœurs. Je fais abstraction de la militaire dont le kitsch égale la pauvreté du formatage. Les Fictions de Borges qui inspirèrent nos compositions instantanées sont d'un réel autrement plus passionnant que ce qu'on essaie de nous vendre sous le concept de réalité.
Christophe Charpenel ouvre sur la fresque d'Ella & Pitr qui orne ma façade et dont le héros se nomme Bientôt. Si nous tendons ensuite l'oreille au bruit du monde, nous les interprétons avec nos instruments. Je fume ainsi The Pipe des Russes de Soma sur Ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum. Quelle phrase exprime mieux le rôle de l'artiste ? En français : De sorte que rien de ce que nous entendons ne peut être redit avec les mêmes mots ? Tandis que Lionel Martin surveille le cochon volant que m'avait offert Ève Risser, ma main caresse les touches veloutées de mon clavier 5D. Chacun a beau posséder sa version du recueil de nouvelles, nous sommes branchés sur la même longueur d'ondes. Ces images enjôleuses me permettent d'attendre patiemment le long article promis qui saura me surprendre... Car il existe encore des hommes et des femmes qui savent écouter, regarder, sentir, toucher et jouer avec les mots...

→ Le portfolio de Christophe Charpenel sur Citizen Jazz
→ L'album Fictions, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org
→ Les deux articles du blog relatifs à cette rencontre illustrés d'autres photographies de Christophe Charpenel : 1 / 2
P.S.: Fictions est sorti en vinyle sur Ouch! Records

mardi 8 juin 2021

Dans la famille "Musiciens", je demande le père, la fille et le fils...


La biographie de ma fille Elsa s'ouvre par des mots qui m'ont surpris la première fois que je les ai lus : "Née dans une famille de musiciens...". Comme ce n'est pas mon cas, il m'a fallu un temps pour me rendre compte que sa mère et moi l'avions bercée dans les mélodies et les bruits du monde. On dit souvent que les chiens ne font pas des chats. J'espère aussi que les chats ne font pas des chiens, mais ça c'est une autre histoire ! Avec Bernard Vitet, nous avons écrit une douzaine de chansons pour Elsa qu'elle a enregistrées lorsqu'elle avait 6 ans, 9 ans et 11 ans. Vingt ans après ¡ Vivan las utopias !, Jean Rochard lui a demandé de participer aux Chroniques de résistance de Tony Hymas et récemment elle enregistrait Petite fleur avec Ursus Minor sur nato, son excellent label. Elsa a beaucoup plus joué avec sa maman, Michèle Buirette, en particulier dans le spectacle Comment ça va sur la Terre ?. Si elle a hérité de son talent mélodique, je retrouve quelques traces de mes facéties bruitistes dans les spectacles de Söta Sälta qu'elle joue ces jours-ci au Théâtre Dunois avec Linda Edsjö, Comme c'est étrange ! et J'ai tué l'amour, ou avec le Spat' sonore également au Dunois en juin. Ce n'est pas seulement le père qui vous encourage à réserver les dernières places disponibles, mais l'amateur d'émotions fortes et d'évènements extra-ordinaires...

Récemment j'ai été tout aussi ému par deux disques où une fille a convoqué son père, et où père et fils se sont retrouvés sur les mêmes références. La pianiste et chanteuse Macha Gharibian a réuni son père Dan, guitariste et chanteur co-fondateur du célèbre groupe Bratsch, l'accordéoniste Aret Derderyan, le joueur de kamantcha Gérard Carcian et Artyom Minasyan aux doudouk, clarinette, shevi, zurnz, pekou, pour des Papiers d'Arménie qui diffusent un délicieux parfum. Si la musique arménienne distille souvent une grande tristesse, plainte renforcée par le génocide dont ce peuple a été victime au début du XXe siècle, Guenats Pashas célèbre la vie et la joie d'être ensemble. En 1994 j'avais assuré la direction artistique du CD Haut-Karabagh, musiques du front enregistré sur place, dans les tranchées, par Richard Hayon. L'atmosphère y était terrible, bouleversante. Heureusement il n'y a pas que les larmes dans ce nouvel album, et même si les évènements récents ont de quoi révolter les Arméniens, on y chante, on y danse. C'est un disque chaleureux, lyrique et entraînant.

Dans un genre radicalement différent, le guitariste Richard Pinhas a produit ses Sources en se joignant à son fils Duncan, aux synthétiseurs analogiques et à la guitare, pour un rock alternatif dont le courant rappelle les envolées psychédéliques du meilleur Heldon. Les sons électroniques de Duncan Pinhas peignent des paysages sonores au dessus desquels s'envolent la guitare de son père. Sur Puissances infectées et Le Gritche la batterie d'Arthur Narcy renforce le son années 70 de leurs vertigineux rituels aux accents pinkfloydiens des débuts. Les oscillateurs encouragent aussi les drones planants que l'on retrouve sur les morceaux plus calmes, connotés des mêmes années. Là encore, la complicité favorise la transmission.

Ce ne sont évidemment pas les seuls exemples de familles d'artistes où la musique exprime tendresse filiale et parentale, mais ce sont ceux qui tournent sur ma platine cette semaine. Ces chroniques m'ont été dictées par un article de 2008 où je réalisais que ma fille était l'avenir de mes gènes, mais que le mien obéissait à des forces qui m'étaient propres, considération en marge de l'amour que nous pouvions ressentir les uns pour les autres... Cela n'empêche pas Elsa de faire régulièrement des apparitions dans mon travail, le plus récent étant sa participation à l'album de mon Centenaire avec une chanson écrite en collaboration avec sa maman...

UN PÈRE ET MANQUE
Article du 10 juillet 2008


Ma fille a repris le train et ça me rend triste. Ce n'est pas facile d'être père, ou mère, lorsque les enfants grandissent. Ils volent de leurs propres ailes, même si l'on est toujours là pour les coups durs. On a fait notre travail. Il leur reste à inventer leur vie. On met toute la sienne à savoir qui on est et pas de qui on naît. Les parents sont des fardeaux dont il est crucial de se défaire. Cela n'empêche pas les sentiments tendres. On reviendra vers eux, plus tard, si ce n'est pas trop. Après l'enfance fusionnelle, vient l'adolescence rebelle, puis la confiance en soi rapproche les générations, et il reste encore l'épreuve parentale. Mais le cycle n'est pas terminé. Il faut apprendre à vieillir. Savoir profiter de chaque instant de son âge, lâcher sans renier, persister sans ridicule, recommencer sans cesse. Il faut encore et encore réapprendre l'indépendance.

→ Papiers d'Arménie, Guenats Pashas, CD Meredith Records, dist. Socadisc
→ Richard & Duncan Pinhas, Sources (extrait sur Bandcamp), LP/CD Bam Balam, dist. Clear Spot et La Face cachée, exclusivité "DISQUAIRE DAY" 12 juin 2021
→ Söta Sälta, Comme c'est étrange !, CD Cie Sillidill/Victor Mélodie (Grand Prix de l'Académie Charles Cros), spectacle jeune public (à partir de 5 ans) au Théâtre Dunois, du 7 au 18 juin 2021 (voir les horaires)
→ Söta Sälta, J'ai tué l'amour, spectacle au Théâtre Dunois, 11 juin à 19h uniquement
→ Spat' sonore, Des madeleines dans la galaxie, spectacle tout public (à partir de 5 ans) au Théâtre Dunois, samedi 19 juin à 19h - dimanche 20 juin à 11h et 16h

lundi 7 juin 2021

L'électro organique du Chinois Howie Lee


Je n'ai pas entendu la vingtaine d'albums qui a précédé 7 Weapons du Chinois Howie Lee, mais le mélange de sources m'a tout de suite accroché, comme les mix des Danois Den Sorte Skole, des Marseillais Chinese Man ou des Californiens Shabazz Palaces auxquels j'ai immédiatement pensé. Je me retrouve évidemment chez ces lointains cousins encyclopédistes. Les percussions traditionnelles sont ici mélangées à des chants tibétains, la zurna anatolienne, des basses profondes et des soli de synthé ringards dont le jazz rock est friand. En s'expatriant à Londres, le Pékinois nous fait revivre le voyage de Marco Polo rapportant à Venise épices (cannelle, galanga, muscade, safran, poivre blanc, poivre noir, cubèbe, gingembre, clou de girofle), étoffes et pierres précieuses aux couleurs éclatantes, des armes plus puissantes que la poudre ! Le soft power assure seul la pérennité des victoires.


Sur son dernier album, Birdy Island, Howie Lee ne se contente pas de sampler, il joue de tous les instruments : clavier et piano préparé, yang qin, guitare, basse, batterie. percussion, accordéon, flûte, guan zi. Les voix, dont la sienne, les chœurs, participent à la volière électro. Je me suis souvenu qu'un des premiers disques asiatiques que j'avais acheté était East Wind du Japonais Stomu Yamashta, dont les rythmes rappellent les rituels bouddhistes en même temps qu'ils poussent à la danse. La musique de Howie Lee représente un nouvel exotica venu de l'Orient.

→ les disques de Howie Lee sur Bandcamp

vendredi 4 juin 2021

L'espoir du chien en céramique de Marc Ribot et les fantômes de Paul Jarret


Après des mois d'isolement sanitaire, le trio Ceramic Dog du guitariste Marc Ribot avec le bassiste-claviériste Shahzad Ismaily et le batteur-électronicien Ches Smith est revenu en studio pour évacuer leur amertume sur la situation politique désespérante. Moins revendicatif que les précédents albums, Hope est certainement plus réaliste, et la musique s'en trouve encore meilleure tant les trois musiciens sont heureux de se retrouver. Ces folk songs de Ribot sont vraiment des chants de résistance où le rock fait bouger les hanches et lever le poing, où l'enthousiasme fait la balance avec la colère d'être manipulés comme des pions par des politiciens véreux et incapables. Après Trump, les Américains reviennent de loin, même si, pour nous, leur impérialisme couvre toujours la Terre d'une chape de plomb fondu. Ribot prend ses distances, il regarde la planète depuis la lune, une sphère minuscule au centre de la pochette. Mais elle occupe toute la surface du disque. La métaphore est claire. Sur le papier, l'enveloppe est naze, mais, surprise, à l'intérieur la musique offre une source d'espoir, grandiose. Après des chansons où les leitmotivs sont "Oh what will [Bruno] Latour and [Slavoj] Zizek think of next? Vegetables are people in a Flat Ontology, isn't it amazing, it's just amazing? I'm just amazed", ou "I refuse, I resist" dans The Activist, la guitare bluesy cède la place au sax free de l'altiste Darius Jones. Deux longs morceaux, The Long Goodbye ou Maple Leaf Rage, offrent des plages de rock 'n roll et de jazz aérien avant la reprise héroïque de Wear Your Love Like Heaven de Donovan.


J'ai enchaîné avec les Ghost Songs du guitariste Paul Jarret accompagné par son héros Jim Black à la batterie, Jozef Dumoulin au Fender Rhodes et synthé basse, Julien Pontvianne au ténor. Son jazz mélodique est très agréable avec ses échappées free, ses arpèges planants et ses ritournelles popisantes. Cette musique printanière me plaît plus que pas mal de disques dont la presse se fait un écho glorieux, mais qui me tombent des mains et des oreilles (oubliez donc l'âge du capitaine !). Ça tourne rond. Ça plane pour moi.

→ Marc Ribot's Ceramic Dog, Hope, CD Yellowbird, dist. L'autre distribution, sortie le 25 juin 2021
→ Paul Jarret, Ghost Songs, CD Neuklang, sorti le 28 mai 2021

mardi 1 juin 2021

Exotica par Birgé-Corneloup-Deschepper


Exotica, c'est un peu vite dit. Une des compositions instantanées enregistrées le 27 mai dernier avec le saxophoniste François Corneloup et le guitariste Philippe Deschepper m'a fait penser à ce courant musical américain des années 50. En écoutant mes camarades jouer sur le son des batraciens pourquoi ai-je pensé à Lex Baxter ou Arthur Lyman, mais c'est évidemment avec les inventions de Raymond Scott que j'ai le plus d'affinités. J'utilise souvent des sons de claviers à percussion comme le marimba, le vibraphone, le Morpheus, le hang, les cloches de verre, et puis tous les sons électroniques que j'essaie d'humaniser, ou de naturaliser, autant que possible. Je cherchais un titre court et j'avais demandé à Philippe de m'envoyer des photos de ses sculptures, ses premières amours vers lesquelles il revient ces derniers temps, pour la pochette de notre trio improvisé.

Philippe Deschepper est là, au Studio GRRR, 21 ans après avoir participé à Machiavel, la dernière mouture d'Un Drame Musical Instantané, en 2000 avec Bernard Vitet et DJ Nem, et au CD éponyme en 1998, avec Benoit Delbecq et Steve Argüelles. La même année il jouait sur la musique du film 1+1 une histoire naturelle du sexe que nous avions enregistrée à l'INA avec Yves Robert et Éric Échampard, et dans Birgé Hôtel avec Alain Monvoisin, Argüelles et Vitet. Sans compter la plus belle remise de prix que j'ai jamais vue, au Théâtre Antique d'Arles alors que j'étais directeur musical des Soirées. Avec le clarinettiste basse Denis Colin nous accompagnions Élise Caron en Mistress of Ceremony qui avait fait scandale à cause d'un odieux traducteur machiste qui commentait ce qu'elle racontait pour faire rigoler les anglophones audiocasqués. Élise était extrêmement drôle, mais la moitié du public riait à contre-temps sans que nous comprenions pourquoi. Cet ancien militaire qui avait déjà sévi les années passées a heureusement fini par être viré. J'avais adoré tous les projets auxquels Philippe avait participé. Il a une manière incroyable de se fondre dans la musique, de nous emmener sans que nous nous en apercevions, avec une finesse rare.

Quant à François Corneloup, il accompagnait ma fille Elsa, qui avait 11 ans, dans le mémorable ¡ Vivan las utopias ! du Drame sur l'album Durruti de nato en 1996 et enregistra la musique d'un film institutionnel que nous avions composée avec Bernard Vitet en 2007 (index 7), mais jamais nous n'avions joué ensemble. Il est venu avec son baryton, mais plutôt que favoriser la puissance rythmique comme il le fait avec Ursus Minor par exemple, il nous a gratifié de merveilleuses mélodies, du grave à l'aigu. Un son chaud, exotique en cette fin de printemps. J'ai forcément pensé à Gerry Mulligan. C'est lui qui avait eu l'idée d'appeler Philippe avec qui il avait souvent joué dans le passé. J'avais trouvé l'idée formidable. C'est dire si j'étais excité et impatient.


Nous nous sommes bien amusés. Nous avons dégoisé aussi sur les collègues qui le méritent. Trois langues de p..., mais quelle rigolade ! Rien d'étonnant à ce que nous tombions chaque fois d'accord. Cela s'est retrouvé lorsque nous nous sommes saisis de nos instruments. Mes deux amis ont choisi de se lancer sans thématique, juste le plaisir de nous retrouver après de longs mois d'abstinence. Le matin nous avons enregistré deux longues pièces que j'ai gardées dans leur intégralité, 31 et 21 minutes. Pour midi j'avais cuisiné un jarret de porc choucroute. Après le déjeuner nous sommes passés à des pièces plus courtes. Pour une fois je me suis concentré sur le clavier, ce qui ne m'a pas empêché de rendre hommage à Tex Avery dans Fuzz Toon à grand renfort d'harmonica, Tenori-on, kazoo, varinette et anche, ou d'utiliser mes deux synthés russes sur Uncut 2. Et puis ces fameuses références à l'Exotica sur Palm Beach et Exotica. Pour Side Story Philippe m'a demandé de convoquer l'orchestre symphonique dont je lui avais fait la démonstration la veille, et pour finir j'ai cartonné sur Full Metal Packet. Le tout a été mixé ce week-end, et comme d'habitude cela est allé très vite parce que tous les musiciens invités m'ont toujours mâché le travail en maîtrisant leurs interventions à l'enregistrement.

→ Birgé Corneloup Deschepper, Exotica, GRRR 3107, 91 minutes en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org