
J'ai continué à écouter les disques Neuma envoyés du Minnesota par
Philip Blackburn qui en a d'ailleurs enregistrés sept, lui-même, en marge des 700 qu'il a produits sur innova et Neuma depuis trente ans.
ORDO, son plus récent, double CD de 2023, expose une tentative d'ordonner le chaos. Pour
Weft Sutra,
Nirmala Rajasekar à la veena se pose sur un nuage composé de six guitaristes électriques à l'archet. On la retrouve avec le chanteur
Ryland Angel sur le texte
Why You Want a Physicist at Your Funeral d'Aaron Freeman avec Blackburn pour un drone cosmique électronique. Plus d'électricité ni d'électronique pour
The Song of the Earth, mais l'une des harpes éoliennes du jardin de Blackburn et
Patti Cudd au vibraphone. Ce sont des musiques de recueillement comme
The Sound of a Going in the Tops of the Mulberry Trees où le compositeur dirige le NO EXIT New Music Ensemble, ou
Lilacs and Lightning avec le pianiste
Emanuele Arciuli et des rythmes programmés.
Albi est interprété par le
Quatuor Mänk,
A Cambridge Musick: solve et coagula par le
Trio Galan (clavecin, violon, violoncelle),
Dimitris Kountouras au flageolet et Dimitris Azorakos au tambour, où l'on retrouve le propos initial de la mise en ordre.
Over Again, avec l'enregistrement de la voix du pilote de chasse
Warren Ward pendant l'
Opération Tempête du désert en Irak et deux percussionnistes, les
Quey, est dédié à
Harry Partch, sur lequel Blackburn a rédigé
Enclosure Three: Harry Partch pour lequel il a été primé. Sur
More Fools than Wise huit cornes de brume accompagnent la soprano
Carrie Henneman Shaw sur un texte d'Orlando Gibbons. Sa
Sonata Homophobia exige un dispositif incluant la flûte de
Zachery Meier, un discours haineux d'extrême-droite et des contrôles cérébraux ! Huit improvisateurs accompagnent la voix de Chris Mann sur
Unearthing ou pour
Stuck l'UCCS Creative Music Ensemble celle d'une automobile !! Plus simplement,
Gunnar Owen Hirthe à la clarinette et
Nicholas Underhill au piano jouent
Air: Air, Canary, New Ground d'après Purcell. Le bonus est une mise en scène où une lettre enregistrée en italien par
Kenneth Gaburo pour son maître
Goffredo Petrassi est accompagnée à l'orgue par Gary Verkade sur une seule note. L'ensemble tient à la fois du minimalisme et du drone avec de nombreuses références à la musique baroque et à la musique contemporaine, interrogeant le rapport au passé pour espérer un avenir meilleur.

Dans de nombreuses créations nord-américaines on retrouve l'influence grandissante du minimalisme, même lorsqu'il s'agit de jazz. Pour
Arkinetiks le batteur
Dan Kurfirst a d'abord enregistré en trio avec le bassiste
Damon Banks et
Alexis Marcelo au Fender Rhodes. Il a ensuite ajouté le tabla de
Roshni Samlal et enfin il a demandé au trompettiste-saxophoniste-flûtiste
Daniel Carter d'improviser sur l'ensemble qui sonne un peu comme du jazz-rock qui aurait flashé sur l'Inde, méditation comprise ! Les parties que je préfère sont celles où l'on entend des extraits de la conférence
You don't know what you want because you have it already d'
Alan Watts. Je remarque aussi qu'il y a souvent des voix parlées sur les disques du label...
Et un calme olympien, ou du moins la recherche d'un certain bien-être, que l'on retrouve encore dans l'album
Radiance Within de
Phillip Schroeder, qu'il soit seul au piano ou accompagné par sa femme, la violoniste Margaret Jones ou les gongs d'Alan Zimmerman. Le minimalisme américain est fortement lié aux
transcendantalistes qui ont inspiré tous les retours à la terre. Les grands espaces états-uniens n'y sont pas pour rien. C'est le bon côté de ce pays qui s'est construit sur un génocide et a assuré son hégémonie sur le reste du monde en ne cessant jamais d'y faire la guerre. La résistance s'y est plus souvent exprimée par un repli vers la nature que par des mouvements revendicatifs révolutionnaires. Quand ce fut le cas ils furent durement réprimés, mais on a la mémoire courte.
Du texte récité encore sur
Woolf at the Door de Duncan & Woolf.
Emily Duncan interprète à la flûte des compositions de
Randall Woolf. S'y joignent le comédien
Rinde Eckert sur un texte de
David Foster Wallace, la voix échantillonnée de Sara Wendt, un quintet à cordes ou la voix enregistrée et manipulée du compositeur récemment disparu
Scott Johnson, fortement influencé par les premières pièces de Steve Reich. Intéressante rencontre du beatbox de la flûtiste avec les cordes sur
Native Tongues.
Emphatic Now de l'Ewart Asplund Ricks Trio est un disque d'improvisations plus proche de ce qui se pratique aujourd'hui en Europe, surtout par des polyinstrumentistes.
Douglas R. Ewart joue des bois, du didgeridoo, des percussions, du texte (!) ;
Christian Asplund est au violon alto et au piano ;
Steven Ricks passe du trombone aux instruments électroniques. Le jeu se focalise sur les timbres plutôt que sur la mélodie et le rythme, ce qui est typique de ce genre de rencontres.

En fait, j'avais été surtout impressionné par les albums
Borderless Flows du PAN Project Ensemble, et
DVXNS de Dan Roman and Cuarteto Latinoamericano, que m'avait signalés Blackburn, mais qui ne figuraient pas dans le paquet-poste, en plus de The Noonan Trio, Hypercube jouant Louis Andriessen, Jeannine Wagar, tous les trois sélectionnés par hasard sur mon premier article consacré au label Neuma. Le Pan Project Ensemble réunissant ici des artistes américains (dont
Ned Rothenberg et
Jeff Roberts), coréens, indien et iranien, le résultat est forcément surprenant, d'autant qu'ils utilisent des instruments traditionnels (piri, saenghwang, guqin, shakuhachi, sarangi, gayageum, qanun) en plus de leurs voix. Ils montrent tout simplement la possible universalité de la musique. Quant à
DVXNS, j'adore l'énergie de ce quatuor à cordes qui me rappelle évidemment le Kronos jouant du Reich ou d'autres minimalistes énervés.
Dan Román est un compositeur portoricain né en 1974, mais le quatuor est mexicain et il revendique l'influence du son trash du groupe de heavy metal Metallica !