70 Pratique - septembre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 26 septembre 2023

Un aventurier hors du temps


Le grand livre, épais et riche en couleurs, ne s'achète pas. Il se donne, se partage, pour peu qu'on le trouve au détour d'un marché cévenol. Mika, son auteur (anonyme dans l'ouvrage ou sous le pseudo d'Écureuil), en avait laissé une pile en dépôt au magasin bio du coin. Pas de publicité. Il faut simplement le demander. Romuald, un aventurier comme lui, qui vit de peu mais s'active comme un fou, nous l'avait montré avec des yeux émerveillés. [J'écris cet article le 4 août 2011. J'apprends seulement aujourd'hui qu'il s'appelle Mickaël Raimbault, qu'il est diplômé de l’ ENSP (école nationale supérieure du paysage) de Versailles, félicité jadis par le jury.] C'est l'histoire d'un jeune homme qui décide de vivre autrement, en construisant ses habitacles, ses véhicules, réinventant perpétuellement sa vie comme un gamin qui traîne les pieds pour grandir à son rythme. Il en existe quantité comme lui dans les Cévennes, enfants de celles et ceux qui ont quitté la ville dans les années 60 pour vivre proches de la nature. On les croise les jours de marché, comme ce matin-là à celui de Florac. À leur tour leurs choix déboussolent leurs parents qui n'avaient pas prévu que le déracinement allait laisser germer leurs graines sur des planètes improbables. Comme leurs aînés ils portent les cheveux longs et la barbe, les filles semblent danser dans la couleur.


Mika ou Écureuil a choisi de raconter son aventure en publiant un livre bourré de photos et de dessins pleine page. Et de l'offrir à celles et ceux qui voudraient partager son rêve. Il raconte librement les siens. Le récit est impudique. Les lettres de ses parents sont étonnantes. Il ne voudrait rien cacher, de ses émotions fragiles, de ses rencontres magiques, de la gestion de son héritage anticipé. Les 6379,20 kg que constitue le tirage de 5000 exemplaires a coûté 41000 euros. Dépensant entre 100 et 200 euros par mois, il lui en reste encore plus de 100000. Qu'ils soient rentiers ou n'aient pas un sou devant eux l'argent n'est pas le moteur de ces jeunes gens. Ils veulent vivre en respirant l'air pur. Si certains sont RSAstes, ils ne chôment pas. Ce sont des castors insatiables, des constructeurs, des bricoleurs imaginatifs. Cela ne les empêche pas de traverser les mêmes tourments sentimentaux ou métaphysiques que n'importe qui, mais ils n'ont de comptes à rendre à personne...


Comme tous les aventuriers l'auteur est égocentrique. La famille ou l'âme sœur tenues à distance il se répand dans un mysticisme de pacotille, plus kitsch tu meures ! On sautera les pages où le Grand Tou lui fait pondre des vers de mirliton pour admirer ses astuces de bâtisseur, sa fantaisie de jouisseur et son kaléidoscope en technicolor.


L'ouvrage est aussi sympathique que son auteur. Il nous fait retomber en enfance, lorsque nous construisions des cabanes dans les arbres, des ponts de cordes au dessus des rivières, des embarcations de fortune. Les siens ont atteint la taille adulte. Ce n'est pas sans risque, mais vivre comme nous le faisons, sur une terre bitumée à 98%, dans les gaz et la poussière, aux ordres des pandores, sous un ciel sans étoiles et au rythme d'un soleil bègue qui a ses heures d'été et d'hiver, c'est franchement moins folichon.

P.S.: Mickaël Raimbault ne s'est pas arrêté là. Il a récemment construit un bateau en trois mois en Haute-Vienne pour traverser l'Atlantique. Et il donne des conférences sur le paysage...

lundi 4 septembre 2023

La douloureuse


La mauvaise nouvelle de vendredi est arrivée par mail. Six mille euros d'impôts fonciers que je croyais avoir étalés en mensualités, mais qui sont à payer à échéance. Je comprends que plusieurs voisins soient obligés de vendre leur maison pour s'acquitter des charges afférentes. Encore faut-il trouver acquéreurs alors que les banques refusent actuellement quatre prêts sur cinq. L'inflation (due essentiellement à la hausse des bénéfices des entreprises, selon une étude du FMI parue cet été !) est catastrophique. Les prix des denrées de première nécessité ont flambé (ceux des œufs, de l'huile d'olive ou du cacao vont par exemple continuer à grimper). Aucun petit appartement ne se vend plus. Seuls les riches peuvent encore s'offrir de grandes maisons puisqu'ils n'ont pas besoin d'emprunt. Ma chance est d'avoir acheté la mienne en 1999, avec mes droits d'auteur. Une bouchée de pain en comparaison des prix actuels. À cette époque le fuel était à 23 centimes le litre et il y a une dizaine d'années mes taxes foncières ont fait un bond gigantesque suite à une réévaluation. Cela ne s'améliore pas, on ponctionne les classes moyennes quand les pauvres sont exsangues. Mes impôts fonciers ont augmenté de 25% depuis que la taxe d'habitation a disparu. Belle arnaque ! La facture bagnoletaise était déjà très élevée, surtout avec le boulet des emprunts toxiques et la construction de la nouvelle mairie façon Gugenheim Museum d'une précédente mandature. Il faut bien éponger les dettes des mauvaises gestions successives, et la moitié des ménages y ont des revenus si faibles qu'ils ne payent pas d'impôts. La municipalité fait donc casquer les plus riches. Or les vrais riches n'en paient pas, ils ont fait évader leurs bénéfices vers des paradis fiscaux. Le Capital est bien organisé avec le soutien de nos gouvernements. Lorsqu'on a une grande maison comme la mienne, cela revient tout de même à un loyer mensuel de 500 euros auxquels s'ajoutent les frais d'entretien et les dépenses énergétiques. Par exemple cette année j'ai fait isoler le toit et il a fallu réparer les linteaux et traiter le bois contre les termites et capricornes qui avaient fini par s'installer dans la charpente. Des voisins ont le leur qui s'est écroulé. Tant que je peux payer tout va bien, mais j'envisage sérieusement de déménager vers une contrée plus arborée et moins polluée. Or comment concilier mon désir de nature et des liens sociaux de proximité ? C'est le beurre et l'argent du beurre. Salé, bien évidemment. Je ne souhaite pas revenir non plus à la course automobile. J'ai pris goût à la marche à pied et à la bicyclette.
Je ne me plains pas, je témoigne. Comme on dit, tant qu'on a la santé ! Pour la conserver, il est nécessaire d'avoir des activités excitantes. L'abandon de la libido, entendre le désir, c'est la mort assurée. Le renoncement est ce qui m'attriste le plus chez mes congénères. Mûrir c'est s'épanouir. Ressasser "La vieillesse est un naufrage" est d'une rare imbécilité. De Gaulle employa cette phrase à propos de Pétain, cela s'explique. Chaque année qui passe est une bénédiction et une victoire. On apprend à gérer l'adversité, ce que l'on ignorait lorsque nous étions plus jeunes. Quant aux impôts, je repense à ma mère, qui avait traversé bien de grandes difficultés financières, me rappelant que "plaie d'argent n'est pas mortelle". Grâce à la persévérance et à la solidarité, on trouve toujours des solutions. Il faut relever ses manches et ses bas de pantalon. J'enfourche mon vélo, il paraît que trente minutes d'exercice intensif par jour rallongent les télomères !