Jean-Jacques Birgé

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mercredi 13 septembre 2023

Anouk Grinberg, peintre de Mon cœur


Chère Anouk,

Je me permets de vous appeler par votre prénom, comme nous nous sommes brièvement croisés plusieurs fois autour d'autres prénoms, d'abord Michel grâce à Jean-André, puis Barbara où Simon avait appelé sa poupée de celui de ma fille Elsa, enfin Raymond et Dominique chez qui vous exposiez vos broderies. Les films, et même les pièces, ce n'était pas vous, mais les rôles que vous endossiez.
Or chaque matin je me réjouissais de contempler l'une de vos encres sur FaceBook. Et puis voilà que je découvre un recueil de vos bouleversantes images. Contrairement à mes habitudes je l'ai acheté de seconde main, comme s'il fallait qu'il ait vécu, que d'autres yeux aient caressé ces pages, ou, puisqu'un autre ou une autre ne voulait plus les voir, il me semblait juste de leur redonner vie. Je l'ai d'abord survolé, affolé d'autant d'émotions produites à chaque tourne. Je suis allé faire un peu de musique dans le studio. Cela avait à voir. J'y reviendrai. Quelques heures plus tard, je me suis allongé, conscient que je ne pourrais profiter de chaque dessin, peinture, broderie, qu'en en choisissant une seule à la fois. Mais j'ai tout lu. Mon insatiable appétit, et ma curiosité, transforment trop souvent le gourmet en gourmand. Ils coexistent. Nous sommes plusieurs. Ce survol a conforté la très forte impression ressentie devant mon petit écran. L'abîme crée le vertige. De reconnaître aussi mes propres gestes, la recherche infinie de l'innocence, la force de ne pas savoir, la nécessité d'inventer. Celles et ceux qui vous évoquent citent ceux qui m'ont fait. Certains du moins, qui me sont si chers. Goya, Hugo, Michaux, Vercors et tous les inconnus qui ont glissé leurs œuvres sous le lit de l'institution que les hébergeait.

Dans vos paroles je reconnais le besoin d'amateurisme, étymologiquement du verbe aimer, loin des calculs égoïstes de la profession. Tout ce qui vous anime me rappelle comment je ne fais que ce que je peux en musique. Cocteau critiquait ceux qui s'amusent sans arrière-pensée. Derrière notre tête se cache un coquin marionnettiste qui guide nos mains et canalise nos pensées rebelles. Personne n'en parle dans les beaux textes qui accompagnent vos œuvres, mais j'ai toujours été épaté par votre technique. Vous me répondrez peut-être que vous n'en avez pas. C'est justement. Quels que soient le support et les outils je suis sidéré par votre maîtrise. C'est probablement qu'on n'a pas le choix. Il faut le faire. Je ne peux m'empêcher de penser que si animisme vient de l'âme, tout vibre, que nous soyons animaux dénaturés ou d'autres bestioles, l'encre et le papier, comme l'air quand je joue. En vous regardant j'ai entendu plus d'une musique que j'avais enregistrée, ou sa cousine. Quelqu'un de la famille. De celle que l'on se crée.

Ainsi j'imagine que je pourrais m'inspirer de quelques unes de vos encres ou de vos pastels pour improviser, je les appelle des compositions instantanées, avec d'autres musiciennes et musiciens. C'est pour moi l'intérêt de la musique, car j'aime plus que tout le partage dans l'acte créatif comme dans le quotidien. C'est plus compliqué dans les arts plastiques ou en littérature. Le cinéma ou le théâtre peuvent s'y prêter également. Musiciens et comédiens sont les seuls à continuer à jouer, préservant leur part d'enfance. Je vous enverrai quelques témoignages sonores qui, j'espère, expliqueront mieux que ces lignes pourquoi j'ai eu envie de vous faire signe.

Un grand merci. Continuez comme ça !
Jean-Jacques

→ Anouk Grinberg, Mon cœur, Actes Sud, 55,90€

jeudi 7 septembre 2023

L'Encyclopaedia Glaçonnica, objet difficile à ramasser


La semaine dernière j'ai reçu par la poste un drôle de livre, soit le volume 1 de l'Encyclopaedia Glaçonnica. J'en connaissais l'origine, car le compositeur et metteur en scène François Sarhan, dont j'admire le travail, m'avait annoncé l'arrivée imminente d'un colis et je connaissais le pseudonyme qu'il utilise parfois, signant ici et là Henry Glacon Sarhan, Professor Glaçon ou d'autres déclinaisons propres à la fantaisie provocatrice de son auteur. Comment se fier à un homme qui s'inspire ou collabore avec Jacques Roubaud, Jan Švankmajer, William Kentridge, Lewis Carroll, Ulrike Meinhoff ou le Marquis de Sade ? Ou comment ne pas considérer avec le plus grand sérieux un compositeur joué par des orchestres comme l'Ensemble Modern ou l'Ensemble Isctus ? Il m'apparaissait aussi comme une évidence qu'il ait rédigé une encyclopédie, certes avec une vingtaine de prête-noms imaginaires aux surprenantes compétences scientifiques, ayant remarqué sur ma propre fiche Wikipédia que j'étais assimilé aux encyclopédistes, sorte de mouvement dont nous ferions partie sans l'avoir cherché avec Charles Ives, İlhan Mimaroğlu, Frank Zappa, René Lussier, Jonathan Pontier ou John Zorn ! En 2016 j'avais surtout écrit l'article François Sarhan, entre rock inventif et musique contemporaine évoquant ses CD, ses vidéos et son blog.


Je comprends d'autant mieux les pseudos ou le "ils" se substituant malicieusement au "je" que j'en usai moi-même en signant des œuvres inavouables, créant des fakes virtuoses ou composant mon propre centenaire. Je crois aussi me souvenir que Marcel Carné se faisait passer pour son majordome en changeant de voix lorsqu'il répondait au téléphone ! C'est sans compter les facéties d'Orson Welles, Romain Gary, Jorge Luis Borges ou Joan Fontcuberta. De même le célèbre Adagio d'Albinoni est aujourd'hui connu pour avoir en fait été composé au XXe siècle par le musicologue Remo Giazotto alors que certains prétendent qu'il ne fut pas le seul acteur de la supercherie, Maurice Roche y aurait trempé probablement !


Comment alors évoquer ce volume de l'Encyclopaedia Glaçonnica consacré à la musique et aux poissons, ouvrage de 320 pages 21x28cm fortement illustré, premier de douze se revendiquant comme une référence pour contenir des informations imaginaires dans tous les domaines de la connaissance et si possible d'une manière incompréhensible ? Notez que François Rabelais utilisa le premier en français le terme encyclopédie, dans le chapitre 20 de Pantagruel. Je ne vois pas d'autre manière que d'ouvrir le grand livre au hasard et de le feuilleter au petit bonheur la chance. L'Encyclopaedia Glaçonnica me sembla un puits sans fond où un pont s'enfuit, les synapses se dissipant dès que je tentais de rapprocher une idée d'une autre, aussi abracadabrante. J'avais commencé par les chansons-seconde, l'interdiction de certains mots pendant les rêves, les ombres sonores, et combien d'artistes fictifs plus brintzingues les uns que les autres... Comme dans toute encyclopédie on finit par s'y perdre, corps et âme. Puisque j'avais déjà trouvé une vidéo relatant ce travail de titan, Sarhan m'indiqua une autre de ses productions récentes, son journal de voyage tenu sur plusieurs mois au gré de ses déplacements européens, encore inédit. Comme sa pièce L'Nfer composée en 2006, il s'agit d'une création radiophonique de deux heures, riche et inventive, qui ravirait les fans de l'ACR...
Sur le site glaconpublishing consacré à Henry-Jacques Glaçon et son Encyclopædia, les deux premiers volumes sont en vente pour 50€ chacun (bilingues, signés et tirés à 100 exemplaires, évidemment à compte d'auteur, quel éditeur se risquerait à publier un truc si bizarre ? La banalité paye toujours mieux que l'originalité), mais pour l'instant, en attendant leur impression, le troisième monte à 2000€ et le quatrième à 4000€ (un seul exemplaire entièrement fait à la main). "Objet difficile à ramasser" est la façon dont Cocteau considérait son œuvre. Le terme convient parfaitement à toute celle de François Sarhan.

mardi 29 août 2023

Des mouches à feu


L'intérieur de mon nouveau CD, Pique-nique au labo 3, est le détail d'un tableau de mc gayffier qui en a réalisé la pochette. Lucioles est une huile et impression sur panneau de 60x70cm, d'après une photo de l'Américaine Lora Webb Nicols (1883-1962). L'idée des lucioles (lampyridae) lui serait-elle venue du Tombeau des lucioles, l'époustouflant film d'animation d'Isao Takahata ? Une bombe incendiaire était tombée sur le ville de Kōbe. Deux enfants y sont livrés à eux-mêmes. Métaphore de notre monde moderne où nos enfants luttent contre la désintégration de notre planète en se soulevant de la Terre ? Et bien non, c'est Pier Paolo Pasolini qui s'y colle ! mc gayffier rend là hommage à Pasolini (1922-1975) dont l'article sur les lucioles fut publié dans le journal Corriere della Sierra du 1er février 1975 (il sera assassiné dans la nuit du 1ᵉʳ au 2 novembre) sous le titre Il vuoto del potere in Italia (Le vide du pouvoir en Italie), repris dans son livre Écrits corsaires, et analysé par Georges Didi-Huberman dans Survivance des lucioles aux Éditions de Minuit en 2009 ! Alors que la plasticienne avait tablé sur l'aspect pique-nique des deux premiers volumes en jouant sur l'herbe et les petites bêtes qui s'y promènent, la musique de ce troisième volume, dans l'ensemble plus sombre et menaçante, lui a cette fois peut-être inspiré le sujet du laboratoire des Curie avec la radioactivité qui leur colle à la peau jusqu'à l'issue fatale...


Son tableau me rappelle une photographie de 2007 de Michel Séméniako dont il m'avait offert un tirage pour mon soixantième anniversaire. Tirée de la série Lettres d'amour des mouches à feu, il représente une pause d'environ un quart d'heure lors d'une nuit italienne. On peut le constater à la traînée de lumière laissée par les étoiles. Michel Corbou avait souligné ce "moment de poésie, une parenthèse de goût, loin du bruit et de la fureur. Réalisées dans le Piémont avec la complicité d’un entomologiste, ces images s’attachent à l’infiniment fragile et tutoient amoureusement l’invisible. Les signaux lumineux émis par les lucioles (mouches à feu), dans leur recherche du partenaire amoureux, sont de l’ordre de l’indicible. Un quantième de seconde qu’il faut savoir appréhender avec toute l’humilité nécessaire afin d’ÉCOUTER ces lettres d’amour. »


Il est amusant de noter que mes visiteurs imaginent que cette photographie est un tableau tandis que celles ou ceux (doit-on écrire cielles ou ciels ?) qui ouvrent l'album CD pensent que le tableau de mc gayffier est une photographie. Comme le suggérait Seurat à son ami Signac depuis Honfleur : "Allons nous soûler de lumière, ça console." J'ajouterai qu'en ce qui me concerne que c'est plus souvent de la musique que me vient la consolation lorsque je n'ai plus assez de larmes. Son ou lumière, caresses ou mets délicieux, chacun cherche dans le bon sens qui ne saurait mentir et trouve les mouches à feu qui l'apaisent ou lui font retrouver le sourire. Dans tous les cas rêve d'une enfance perdue et retrouvée.

lundi 21 août 2023

çà et là


Les livres graphiques ne sont pas simples à commenter avec ses propres mots, sans montrer la mise en pages ni les images qui ont suscité la prose poétique ou une poésie qui n'a pourtant rien de prosaïque. Depuis les calligrammes d'Apollinaire et le coup de dés de Mallarmé on sait qu'il n'y a que l'objet qui fasse sens. çà et là est un ouvrage collaboratif entre deux plasticiennes : les notes photographiques de Laurence Garnesson ont inspiré les notes de mc gayffier. La première traque les signes dans la ville, elle les dé-couvre ; la seconde colle aux sujets comme des décalcomanies spatiales, réflexions aussi graphiques que sémantiques. Quand le sable brouille les pistes, le texte efface ses traces. Les pavés épousent les formes. Les familles créent des listes. Les colonnes penchent dangereusement sous les obliques. Si la pliure ne s'était pas jouée du calque, le texte aurait intégralement recouvert les différents espaces, fausse description d'une réalité qui ne peut exister. Entre les Notes photographiques et les Notes sur Notes photographiques se dessine un cadavre exquis dont la beauté tient à cet incessant va-et-vient. Devant des dalles brisées le long d'un trottoir trimballant UN BLOC SE
_____DÉCALE
________SE DÉCROCHE se fracasse
Mais ce n'est qu'un petit bout de papier découpé tel un marque-page. Après la tourne, un bristol révèle les coordonnées GPS de chaque photographie illustrée par une pastille miniature constituant le "cheminement visuel et contextuel", évocations tantôt comiques, tantôt dramatiques. Je n'en attendais pas moins de la nouvelle collaboration de mc gayffier à qui je dois le travail graphique de la série de CD Pique-nique au labo dont le volume 3 vient de paraître !

→ Laurence Garnesson & mc gayffier, çà et là, livre de 97 pages, 19 x 25 cm, édité par l’École Estienne, Paris.

mercredi 31 mai 2023

Tintin voyage sans passeport


[Je suis tombé] sur deux fascicules que l'on ne pouvait évidemment trouver que dans un pays où les originaux n'existent pas. Les éditions du Monde, de Libération ou du Figaro y sont toutes des photocopies agrafées. Y a-t-il seulement un livre qui ne soit pas copié et broché sur place dans le sud-est asiatique ? Les DVD coûtent 1 dollar, pirates en vente le lendemain où les blockbusters sortent aux États Unis, lorsque ce n'est pas quelques jours avant ! Si l'industrie culturelle américaine reçoit la monnaie de sa pièce, impérialisme oblige, le manque à gagner peut s'avérer crucial pour les éditeurs qui produisent des œuvres ayant rapport direct avec ces pays. De même qu'aucun CD de musique arabe produit en France n'est vendu dans le Maghreb, aucun film de Rithy Panh n'existe au Cambodge autrement que sous cellophane à 1 euro. Les héritiers de Hergé étant réputés pour leur âpreté, il était logique de trouver des détournements de Tintin dans l'un de ces pays défavorisés qui se moquent des droits d'auteur. Les éditions Farang (étranger en thaï) offrent ainsi deux inédits savoureux, Tintin en Irak et Tintin en Thaïlande. Là où cela devient délirant, c'est que ce sont elles-mêmes des copies des pirates originaux. Tintin en Irak, à l'origine en couleurs, est reproduit ici en noir et blanc. Même les pseudos de Youssouf avec l'aimable collaboration de NQP et Victor ont disparu. Idem avec Tintin in Thailand, pirate anglophone de la parodie de Bud E. Weyzer. Véritable histoire d'arroseur arrosé.


Paru en 2000, l'album en Thaïlande est une excellente analyse critique du tourisme sexuel où Tintin retrouve Chang, on pouvait s'en douter. C'est aussi un pied de nez permanent aux ayant-droits de Moulinsart fustigés à longueur de pages. Les dessins en noir et blanc rappellent parfois l'art brut et l'aventure est savoureuse, fidèle représentation des us et coutumes locales.




Tintin en Irak est beaucoup plus intéressant dans son propos. Détournement de vignettes extraites de différents albums parmi les 24 autorisés (il en existe une foule d'illégaux), l'album se moque allègrement de l'incohérence de la politique française et du cynisme de l'impérialisme américain. On est proche des détournements situationnistes.

Article du 15 mars 2011

mardi 16 mai 2023

Œuvres interactives épinglées comme des papillons


En 2008, j'eus le plaisir d'annoncer la mise en ligne de quelques uns des modules interactifs réalisés avec Frédéric Durieu sur le [défunt] site LeCielEstBleu. En 2009, Fred mit quelques exemples linéaires de l'inédit FluxTune, notre serpent de mer que [j'espérais] voir éditer. Mon coéquipier réitère l'expérience en proposant des démos linéaires de quelques unes de nos œuvres communes dont certaines sont inédites ou épuisées, tel Alphabet, notre hit de 1999 salué par une quinzaine de prix internationaux et souvent considéré "comme le plus beau et le plus abouti Cd-Rom de la courte histoire des Cd-Rom culturels".


Le jardin des délices et Planet Circus sont restés à l'état de prototype tandis que l'iMac Show est tel qu'il fut conçu. J'ai sonorisé ce dernier avec ma voix, mais les animaux du cirque sont tous bien réels. Le jardin des délices présenté ici n'est qu'un extrait du pilote pour lequel nous avions réalisé toute l'introduction et un tableau de chacun des trois panneaux du triptyque.


Alphabet est une adaptation d'un livre de l'illustratrice tchèque Květa Pacovská [disparue le 6 février 2023], réalisé en trio avec Murielle Lefèvre. La graphiste du jardin des délices, inspiré de Jérôme Bosch, est la Colombienne Veronica Holguin. Thierry Laval est celui de Planet Circus. On trouvera les génériques complets sur la page YouTube de chaque film.


Tous les liens donnés ici permettent de se faire une petite idée de notre travail, mais il est important d'avoir en tête que toutes ces œuvres sont destinées à se laisser apprivoiser par leurs utilisateurs. Chacun peut se les approprier comme le font les gamers des jeux vidéo.


[Depuis l'évolution/régression des outils multimedia on ne peut plus jouer avec ces œuvres interactives. Cette période où fleurirent nombreuses créations extraordinaires constitue un trou de mémoire absurde et douloureux à l'image de notre monde amnésique et révisionniste... L'article original datait du 16 février 2011, mais la plupart des CD-Rom s'échelonnent entre 1995 et 2000, suivis pendant quelques années d'œuvres sur la Toile à une époque où 80% du contenu d'Internet était du domaine artistique. Le commerce et les services ont ensuite englouti intelligence et sensibilité.]

mardi 18 avril 2023

Tintin


Enfant, je suivais mes héros en feuilleton, une double page après l'autre, dans le journal Tintin. Nous étions tenus en haleine, comme aujourd'hui les gosses avec leurs séries télévisées. Enfin, pas que les gosses ! Mes préférés étaient Blake et Mortimer, mais j'aimais aussi les personnages de Hergé, et aussi Chick Bill. Je m'étais fait offrir les albums des histoires que je voulais relire souvent. Plus tard, longtemps après la mort de Hergé, j'ai acquis leurs aventures complètes pour les jours de pluie en Bretagne. Alors j'ai fait cadeau de toute ma collection d'hebdos à un ami, sans en connaître la valeur, je ne sais combien de paquets ficelés [et le copain a disparu avec son break chargé à bloc !]... Je ne lisais pas Spirou, mais c'est tout de même un original de Gaston Lagaffe dessiné par Franquin, époque Idées noires, qui est accroché dans le studio ! [Franquin nous avait envoyé un magnifique dessin de circonstance pour décliner notre invitation à faire la pochette d'un disque du Drame, la grande classe !]
Mon père avait reçu en service de presse quatre 33 tours 30 cm de Tintin, Les cigares du pharaon, Le lotus bleu, Objectif Lune et On a marché sur la lune, ainsi que, définitivement mes préférés, La Marque Jaune et Le secret de la Pyramide d'après E.P. Jacobs. "Minuit sonne dans le ciel d'Angleterre tout alourdi de pluie. Au bord de la Tamise sur le fond du ciel sombre, la Tour de Londres découpe sa dure silhouette médiévale. À l'abri de ses murs crénelés une ronde du Royal Fusiliers inspecte les sentinelles qui montent la garde autour de Wakefield Tower. Wakefield Tower, la tour où sont gardés les bijoux de la Couronne. Soudain...". Comme Elsa connaîtrait par cœur les dialogues et les chansons des Demoiselles de Rochefort, je finis par me souvenir à jamais du texte de ce disque, Grand Prix de l'Académie Charles Cros [Grand Prix qu'Elsa recevra à son tour pour le CD Comme c'est étrange ! de Söta Sälta]. J'imagine que l'évocation radiophonique eut une influence considérable sur mes compositions musicales. J'ai tellement écouté les aventures sonores de Buffalo Bill, Le courrier de Denver City, que le 25 cm est complètement usé. La présentation de William Cody par lui-même apparaissait comme un modèle au petit garçon de cinq ans que j'étais, j'ignorais alors le tueur de bisons qui avait participé en cela à l'anéantissement des nations indiennes. Des Pieds Nickelés à Bibi Fricotin, les héros de bande dessinée auxquels je m'identifiais ouvraient un champ imaginaire plus large que les acteurs de cinéma. En enlevant des paramètres à la réalité on aborde des rivages poétiques par ailleurs inaccessibles.

Article du 30 septembre 2010

mardi 11 avril 2023

Pirouette Cacahuète


À propos de ma chronique d'hier lundi sur Thomas Demand en une de Mediapart, mc.gayffier a ajouté sur Instagram, avec son habituelle répartie, "la maison est en carton, les escaliers sont en papier", extrait de la comptine Pirouette Cacahuète. Comme une idée en produit souvent une autre, telle la concaténation du Marabout, je me suis souvenu de mon article du 31 juillet 2010 intitulé Laissez parler les p'tits papiers en hommage à la chanson de Régine que lui a écrite Gainsbourg.

Les collègues de Marie-Laure lui [avaient] offert un magnifique livre pour son départ du collège où elle enseignait [jusqu'alors]. Dès qu'elle me l'a montré j'ai su que c'était le cadeau idéal pour [ma nièce] Estelle dont [c'était] l'anniversaire. Papercraft est un recueil d'objets design et d'œuvres d'art réalisés en papier, rivalisant tous d'invention et renouvelant l'émerveillement à chaque page. Aux 258 pages s'ajoute un DVD avec une partie Rom et nombreuses animations. L'édition anglaise étant essentiellement constituée d'illustrations, les non-anglophones seront peu pénalisés [...].


C'est le genre d'ouvrage que l'on peut ouvrir à n'importe quelle page pour s'entendre s'esclaffer comme si l'on assistait à un feu d'artifices. Je le feuillette pour citer les artistes ou designers que je préfère, mais c'est si varié que la sélection est absurde. La double page ci-dessus montre les performances d'Akatre à Mains d'Œuvres, mais je suis tout autant fasciné par les dentelles de Bovey Lee, les livres taillés dans la masse de Brian Dettmer, les mises en scène de Thomas Allen, les films d'Apt & Asylum, les théâtres de Swoon, les fumées d'Adam Klein Hall, le mobilier de Tokujin Yoshioka, l'univers rose et blanc de Kerstin Zu Pan, les costumes de Polly Verity, etc. [...].

mardi 7 février 2023

Květa Pacovská rejoint les étoiles


Encore une triste nouvelle avec la disparition de Květa Pacovská à l'âge de 94 ans. En 1999, avec Frédéric Durieu et Murielle Lefèvre nous avions passé une année fabuleuse à adapter son Alphabet en CD-ROM pour lequel nous avions reçu 15 prix internationaux. Dans le domaine du multimédia c'est certainement mon chef d'œuvre. Les images de Květa se prêtaient à nos élucubrations interactives.


Je ne me souviens pas si elle avait son musée au Japon, mais c'est la NHK-Educational qui avait produit notre Alphabet.

jeudi 2 février 2023

Design sonore des grands espaces


Depuis cet article du 29 juin 2010, j'ai eu la chance de travailler un an en 2015 sur l'étude du métro du Grand Paris, le Grand Paris Express (GPE), avec le designer Ruedi Baur. Tenu contractuellement au secret pendant cinq ans, je n'ai donc pas raconté ce passionnant projet et, depuis, j'ai un peu oublié ses tenants et aboutissants. Je tenterai de retrouver les documents s'y référant. Cela a pour moi une grande importance, car il est plus que probable que nos suggestions ne seront pas suivies ! Pour des projets financièrement importants, la loi exige que les responsables d'une étude n'en soient pas les opérateurs. Soi-disant pour éviter certaines manœuvres monopolistes ou corruptrices, elle frustre les premiers et encombrent le seconds. Je me souviens que l'idée qui m'avait guidé était de laisser penser aux usagers du métro, qui vont passer une journée souvent pénible, "chic je vais prendre le métro !". J'avais imaginé le son des parvis extérieurs devant les gares, des espaces commerciaux du premier niveau, des couloirs au second niveau, des quais cinquante mètres sous terre, et des rames des trains, en adéquation avec les étonnants choix graphiques de Ruedi Baur et en bonne intelligence avec le développeur Olivier Cornet...
Plus récemment, pendant la période du déconfinement liée à la crise du Covid, j'ai eu la chance de créer les annonces nudge de la SNCF pour le Transilien. L'idée était formidable, enregistrer des messages vocaux qui détendent l'atmosphère tout en étant utiles, provoquant la surprise pour attirer l'attention des voyageurs qui n'écoutent plus ce qui est diffusé mécaniquement et sans humanité par les haut-parleurs. Cette brillante initiative a été reprise par les agents des centres opérationnels qui créent maintenant leurs propres annonces nudgées !

Création par les sons d'espaces imaginaires

La transformation des espaces urbains selon l'heure ou l'époque m'a toujours passionné. En 1979, suite à une commande de Dominique Meens, Un Drame Musical Instantané avait inauguré cet aspect de notre travail à Arcueil avec "La rue, la musique et nous". En 1981, j'avais sonorisé le Parco della Rimembranza qui surplombe Naples en cachant des haut-parleurs dans les arbres. Le premier soir la nature ressemblait à une autre planète avec atterrissage d'une soucoupe volante et tempête sidérale ; le lendemain je diffusai simplement les sons de la journée pendant la nuit produisant un effet bien plus étrange que la veille. En page 7 de la plaquette du Drame, imprimé au-dessus du plan de Paris réalisé par Turgot, nous annoncions la "Création par les sons d'espaces imaginaires, une métamorphose critique d'un espace livré à l'illusion".
Mes projets d'installations sonores se réfèrent toujours au passé ou à l'avenir. J'aime recréer les temps oubliés en faisant remonter des archives les sons disparus ou les réinventant autant qu'imaginer la cité du futur en la rendant palpable. Le chronoscaphe est mon instrument favori. En 1995, je bénéficiai de moyens considérables pour créer de toutes pièces une fête foraine sous la Grande Halle de La Villette. 70 sources sonores différentes et simultanées, avec plus de 200 haut-parleurs, sans compter les orgues de foire et le bruit des manèges, sonorisèrent "Il était une fois la fête foraine" pendant quatre mois, une thématique populaire pour un univers à la John Cage. Je reproduisis l'illusion au Japon pour “The Extraordinary Museum” et “Euro Fantasia” grâce au scénographe Raymond Sarti, également en charge de "Jours de cirque" en 2002 au Grimaldi Forum à Monaco. Entre temps, Michal Batory m'avait demandé de sonoriser l'exposition “Le Siècle Métro” à la Maison de la RATP pour laquelle j'avais dû imaginer, entre autres, Paris en 1900 et en 2050. Cet aller et retour entre l'analyse critique du passé et l'anticipation du futur est une constante de mon travail. Il fera même l'objet d'une œuvre qui me tient à cœur depuis plusieurs années et que je réaliserai enfin en 2011. [Le disque de mon Centenaire paraîtra finalement en 2018.]
L'installation sonore idéale consisterait pour moi à remplacer tous les sons d'un quartier, d'un complexe commercial, d'un lieu urbain qu'il soit, en analysant les besoins des usagers pour se débarrasser des conventions formatrices. J'adore le travail que fit, par exemple, Rodolphe Burger, pour le tramway de Strasbourg en faisant dire aux autochtones le nom des stations avec leurs accents locaux. La fusion des racines et de la technologie moderne répond parfaitement au besoin des voyageurs. J'ai du mal à apprécier la plupart des installations sonores contemporaines dont l'espace de monstration est en opposition avec l'œuvre (je reviendrai sur celles qui m'ont plu, [Je suis nettement moins fan du travail sur le tramway de Paris où les musiques sont plaquées, les voix décalées par rapport aux noms des stations, etc.]). Le design sonore en tant qu'art appliqué me semble ici plus adapté aux nécessités que l'expression intime de l'artiste qui s'épanouira mieux en spectacle ou sur support enregistré. Sauf à tout insonoriser par isolation phonique, le son déborde toujours du champ où il est prétendument circonscrit. Et puis surtout, on ne peut pas écouter n'importe quelle musique à n'importe quel moment n'importe où !

Photo : Brassaï

vendredi 6 janvier 2023

La mutation d'une ville


Comme je vis depuis 22 ans au même endroit, je peux apprécier cette histoire dans sa réalité quotidienne. Dans mon quartier jadis populaire, les vieux sont morts les premiers, puis leurs femmes ont vendu à des jeunes de milieux aisés, essentiellement des artistes, des médecins, des Parisiens qui désiraient plus d'espace et de meilleures conditions de vie. Nous sommes juste de l'autre côté du Périphérique, il fallait faire le saut, mais Paris est au bout de la rue. La moitié des commerces ont disparu, mais il en reste suffisamment pour que nous n'ayons pas besoin de voiture pour faire nos courses. Les industries ferment les unes après les autres, mais les restaurants sont encore pleins à midi. La Mairie de Bagnolet a favorisé les projets immobiliers qui rapportent des taxes foncières permettant d'éponger l'énorme dette dont la ville s'est affublée de manière délirante. Il n'y a aucun souci d'urbanisme. Cela part dans tous les sens. Il y a même un endroit où les balcons face à face se touchent presque. Notre quartier, préservé, est aujourd'hui très recherché. C'est le futur vingt-et-unième arrondissement ! Le laisser-aller a des avantages comme nous laisser peindre nos façades de couleurs vives, ensoleillant la grisaille. Les habitants ont végétalisé leur environnement autant que possible. Et comme dans le livre chroniqué le 2 mai 2010, le Périphérique a été recouvert par des jardins...

Tôt ce matin-là j'ai grimpé sur une échelle pour photographier les huit planches d'un classique de l'illustration daté de 1976 que j'avais étalées par terre. Chaque planche de 85x31cm de La pelle mécanique ou La mutation d'une ville montre les changements architecturaux d'un quartier de 1953 à 1976 tels qu'imaginés par Jörg Müller à partir de 800 diapositives réalisées à Hanovre, Zurich, Bienne, etc. L'étude urbanistique qui traverse les saisons met en scène une foule de petites scènes anecdotiques offrant au lecteur une forme originale de bande dessinée où l'enfant peut découvrir comment la vie des habitants suit celle de leur ville. Au fur et à mesure des années, les travaux s'accélèrent, une ligne de métro est creusée et un échangeur d'autoroute finit par tout envahir à l'exception d'une maison typique transformée en Grill Corner. Ce sont évidemment les innombrables détails qui donnent tout son piment à l'entreprise, souvent critiques, tendres ou amusants, là où ma photo ne fait que survoler le plan moins bien que Google Earth !
L'idée m'est venue lorsque Marie-Laure m'a appelé hier soir pour savoir si je pouvais lui prêter quelques ouvrages ayant trait à la ville. Elle cherchait les films Metropolis, L'homme à la caméra, West Side Story, Play Time, et la musique de Gershwin, Un Américain à Paris, où l'on entend quatre klaxons de taxis parisiens. Je lui conseillai également les CD City Life de Steve Reich, Fenêtres sur villes de Louis Dandrel, le magnifique coffret sur l'avant-garde russe où figurent entre autres la Symphonie du Dombass de Dziga Vertov et la Symphonie de sirènes d'Arseny Avraamov, ainsi qu'une bande dessinée sur l'architecture éditée par l'ESA. Pouvoir répondre à mes amis à la recherche de tel ou tel document justifie le temps passé à accumuler tous ces trésors. Mes archives que j'assimile à des instruments prennent ainsi tout leur sens.

jeudi 22 décembre 2022

Une histoire populaire de l'empire américain


La prolifération de bandes dessinées politiques à contenu historique fait penser aux illustrés de propagande avant l'avènement des actualités cinématographiques et de la télévision. Je tiens ainsi de mon père un exemplaire de 1912 de L'Alsace heureuse de Hansi qui n'est pas piqué des doryphores. Il est de véritables chefs d'œuvre tel Maus d'Art Spiegelman (Prix Pulitzer 1992), des sagas autobiographiques tel Persepolis de Marjane Satrapi, des reportages impliquant directement des journalistes tels Le photographe de Didier Lefèvre (décédé prématurément en 2007) ou Gaza 1956 de Joe Sacco, des enquêtes pamphlétaires tel L'affaire des affaires de Denis Robert, etc. Certains sont des adaptations de livres existants tel Une histoire populaire de l'empire américain de Howard Zinn (disparu le 21 janvier 2010), les autres ayant été pensés à l'origine dans leur format actuel. Les meilleurs réunissent un dessin original qui colle au propos, un scénario digne des meilleurs romans et une mise en page tenant compte des tournes, tandis que les pires joueront le rôle de vulgarisateurs auprès de jeunes lecteurs qui ne sont pas encore passés à la lecture proprement dite. J'en fais momentanément partie.
Le volume 2 du livre de Denis Robert me donna envie de continuer mes recherches sur le Net ou dans d'autres ouvrages, et je finis par comprendre grâce à lui comment fonctionnent le blanchiment de l'argent sale et les pouvoirs limités des États entre les mains des maîtres-chanteurs de la finance. Le résumé illustré de Howard Zinn, réalisé en collaboration avec le dessinateur Mike Konopacki et l'historien Paul Buhle, tient plus du livre d'histoire en bandes dessinées, mais il a le mérite de révéler des pans cachés ou méconnus de l'histoire américaine, depuis le massacre des Indiens à Wounded Knee jusqu'en 1980 lors de la chute du Shah d'Iran. On reconnaît avec effroi que la politique expansionniste américaine n'a pas changé depuis sa fondation, s'appuyant toujours sur le crime, le parjure, l'injustice, la guerre et le colonialisme. Étouffer ces pages d'Histoire, c'est la reproduire éternellement jusqu'à la catastrophe inévitable, puisque tous les empires finissent toujours par s'effondrer dans la honte et la déchéance. Il est passionnant de découvrir les révoltes des esclaves et le mouvement des Noirs contre le racisme et pour les droits civiques, la résistance des ouvriers et des syndicalistes contre le Capital, le combat des femmes contre le patriarcat, les guerres incessantes de Cuba aux Philippines, du Vietnam à la péninsule arabe, les ingérences en Amérique du Sud comme dans tous les pays du monde. Même si l'on est vaguement au fait de tout cela, l'ouvrage nous éclaire sur maint détail à nous en laisser pantois. Aucun doute n'est permis sur les méthodes monstrueuses et illégales des gouvernements américains successifs depuis des décennies. Les complots fomentés par la CIA sont légion et qui en doute peut se poser la question de son utilité sinon ! Leurs archives ont le mérite d'être déclassifiées plus rapidement qu'en France... Savoir enfin que la résistance existe toujours où que s'exercent l'horreur et la répression est facteur d'espoir. À condition de vivre debout.

Article du 29 avril 2010

jeudi 15 décembre 2022

Je rêve


Je rêve d'un film en 5.1 où les sons diffusés derrière les spectateurs les inciteraient à tourner la tête pour qu'ils ratent ce qui se passe sur l'écran, rajoutant du suspense, de la frustration et du désir. Je rêve d'un film en 3D où les images viendraient vous chercher sur votre fauteuil en vous chatouillant le nez, des personnages qui sortiraient de l'écran pour venir vous susurrer des choses à l'oreille, comme une traversée du miroir. Je rêve d'une chaîne de télévision généraliste où toutes les émissions seraient en direct, mettant en scène le réel et ses aléas. Je rêve d'un spectacle en public où chaque représentation serait radicalement différente, on appellerait cela improviser. Je rêve d'un disque dont on aurait envie d'accrocher la pochette au mur comme un tableau. Je rêve d'un orchestre qui accompagnerait les informations en direct, analysant la fiction à l'œuvre dans le 20 heures par une dramatisation épique des événements. Je rêve que les speakers se mettent à chanter pour casser leur immuable et uniforme prosodie. Je rêve de danses qui poussent à se toucher. Je rêve de livres tels que l'on ne puisse s'empêcher de les lire à haute-voix. Je rêve que les villes trouvent chacune leur style d'urbanisation sonore, que leurs murs se parent de couleurs, que les objets du quotidien devenus customisables rivalisent de fantaisie. Je rêve que l'on apprenne à se servir des merveilleux outils qui sont les nôtres. Je rêve de trouver chaque jour une nouvelle idée pour pouvoir continuer à écrire. Je rêve de choses plus graves et d'autres plus légères. Je rêve d'avoir toujours la patate pour aborder les premières. Je rêve de prendre le temps de profiter des secondes. Je rêve que les capitalistes aient une autre solution que la guerre pour sortir de la panade. Je rêve que les populations les renversent avant la catastrophe.

Diapo-montage, 1965.

Article du 30 mars 2010
Cette fois, pas d'autre choix que de revenir sur ces souhaits toujours d'actualité, une grippe carabinée me rendant incapable de faire quoi que ce soit, même de dormir, ainsi ces rêves me requinquent un peu...

mardi 29 novembre 2022

Faut que ça bouge !


Éteint, Gerridae ressemble à un four encastré au design élégant. Il est assorti à mon réfrigérateur noir mat et au cadre d'Un son qu'Éric Vernhes m'avait offert il y a exactement dix ans. Allumé, un collectionneur avancerait qu'il se marie bien avec mes Gayffier, mes Yip, mon Séméniako, mon Clauss ou mon Rothko. Sauf que je n'ai pas de Rothko. Alors personne ne dira rien. On écoutera le son des pattes d'araignée qui irrite Elsa, mais qui me rappelle les percussions varésiennes de mes nuits sarajéviennes quand les flammes sortaient des canons. Je m'endormais aussitôt, doucement, comme on compte les moutons. C'est léger, délicat. On ne peut qu'admirer les formes et les couleurs qui bougent sans cesse jusqu'à ce qu'apparaissent des lettres, puis des mots, enfin des phrases.


Effleurer la ligne de métal. Et la machine d'Éric distille son poème. Chaque fois un nouveau : "le destin joue avec les mots et les images / un voile dans ton ciel / le dément chasse en trois saisons / et ose poser la question directement / leur narration n'avance pas." Tout s'efface aussitôt qu'on l'a lu. Et les lignes de texte de s'entrechoquer encore et encore. De temps en temps je baisse le son pour varier la bande son. Une voiture passe dans la rue. Le chat miaule pour sortir. Le téléphone sonne. Des voix. De la musique. Pas celle de l'écran. Une autre, que j'aurais choisie, par exemple. Là un solo de guitare de Tatiana Paris extrait de son album Gibbon. Par hasard ? Cela m'étonnerait. Un coup de dés...


La contemplation des ronds dans l'eau est fascinante. Les caractères s'entrechoquent. Les lignes sont faussement solidaires. Les ricochets cinétiques font exploser les bulles légères. À cette étape les phrases ne tiennent pas. Il faut attendre qu'elles se stabilisent. Je pique du nez. Trois à cinq heures de sommeil ne suffisent pas. Voilà plus d'un mois que ça dure ! Je vais manger un fruit.


Depuis deux jours je recopiais quatre terras de sons sur un minuscule disque SSD externe pour accélérer les temps de chargement lorsque je joue. Ouf, c'est réussi. Regarder la jauge qui se remplit, comme du temps où les ordinateurs étaient beaucoup plus lents, n'est pas palpitant. Je préfère me laisser hypnotiser par le psychédélisme cinétique de l'œuvre d'Éric. Et la musique. Ma musique. Celle dont j'ai une vague idée dans la tête et qui devient réelle dès que mes doigts se posent sur le clavier. En fait je n'y comprends rien. Je n'y ai jamais rien compris, même après l'avoir analysée, quasiment autopsiée puisqu'à ce moment-là elle ne peut qu'avoir été. Or chaque fois que j'y plonge elle me dépasse, comme si mes mains étaient celles d'Orlac, comme si un autre m'animait, que j'étais une marionnette. Même sensation lorsque je compose. Un autre pense à ma place. J'exécute. La création artistique serait-elle une forme de schizophrénie ? En tout cas, c'est une échappatoire, un moyen de supporter le réel, si toutefois il existe. C'est peut-être pour cela que j'aime Gerridae. Comme toutes les œuvres qui bougent, elle entre en résonance avec mon ciboulot. En perpétuel mouvement, elle livre ses oracles. N'est-ce pas ce que j'attends de toute création de l'esprit, qu'elle oriente mes choix ?

lundi 14 novembre 2022

Deep Me de Marc-Antoine Mathieu


Deux solutions s'ouvrent à vous, lecteurs, lectrices. Soit vous foncez acheter la nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu, un nouveau petit chef d'œuvre, sans me demander pourquoi, juste parce que vous avez pris l'habitude de me faire confiance, soit vous regardez la vidéo ci-dessous. Le mieux serait évidemment de la découvrir après, tant la narration réserve de surprises vertigineuses. J'avoue être un fan de cet auteur qui, pour moi, a pris le relais de Francis Masse qui n'écrit plus beaucoup, se consacrant à la sculpture. Lui se revendique plutôt de Windsor McKay, Fred et Kafka, avec raison. Dans cette colonne je me suis fendu d'articles sur quelques unes de ses œuvres précédentes, en particulier 3", Le décalage, Sens, Le livre des livres... J'aurais aussi bien pu évoquer l'inventeur de la non-case, arpenteur du grand rien, ses sept volumes de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, le coffret 3 rêveries. Marc-Antoine Mathieu joue avec la physique et la métaphysique en interrogeant le medium et sa forme, poussant la bande dessinée dans ses retranchements. Cette fois, avec le thriller Deep Me on avance les yeux fermés, du moins ceux de son héros, qui se découvre s'appeler Adam. Mais je préfère vous laisser tourner les pages pour cette plongée dans l'inconnu plutôt que divulgâcher l'objet, car tous les livres de Mathieu sont aussi des objets, incopiables, impossibles à dématérialiser, des œuvres expérimentales qui tiennent du rêve, de la science-fiction, de l'anticipation, de l'interrogation pure. À mon avis la bande-annonce ci-dessous en dit trop. À vous de choisir !


→ Marc-Antoine Mathieu, Deep Me, Ed. Delcourt, 120 pages, 19,99€

jeudi 27 octobre 2022

L'objet perdu


"L'objet perdu" était le sujet de mon deuxième exercice cinématographique lors de mes études à l'Idhec en 1972. Comme je devais tenir la caméra et faire jouer un comédien épouvantable du cours Simon, j'avais écrit un scénario de filou en filmant l'histoire d'un garçon qui au réveil se regarde dans la glace, perd aussitôt ses lunettes et là tout devient flou ; comme il n'y voit plus rien, il se cogne dans les meubles et chute ; la suite qui se passe dans le noir est suggérée par une partition sonore abracadabrante. Mes choix étaient faits !
Hier midi j'ai perdu mes lunettes de presbyte sur la ligne 11 du métro. Mauvais plan, car j'étais parti pour faire des photos et enregistrer le son au Musée du Louvre. Heureusement, je conserve dans mon porte-feuilles une loupe en plastique mou de la taille d'une carte de crédit qui m'a permis [...] de choisir un onctueux nattō pour me remettre de mes émotions. J'étais complètement désorienté de ne rien y voir, mais l'objet de fortune me permit tout de même de cadrer et de voir les vu-mètres.
Comme j'enregistre la foule des visiteurs dans la salle de la Joconde, je suis surpris de constater qu'au bout d'une demi-heure les commentaires reviennent en boucle, comme si les tableaux suscitaient cycliquement les mêmes réactions, les mêmes mots. Les similitudes finissent par m'angoisser, jusqu'à ce que je comprenne que je suis passé en mode lecture et qu'en réalité j'écoute les voix captées il y a trente minutes et qui, par un semi-hasard, coïncident parfaitement avec les images qui se déroulent sous mes yeux. Je me suis aperçu du subterfuge car, si l'action des visiteurs colle, je ne trouve nulle part autour de moi les lèvres qui expriment synchroniquement leurs dialogues.


En rentrant je demande au guichet de la station Mairie des Lilas si quelqu'un a retrouvé ma paire verte et violette, mais je fais chou blanc. Une base de données peut y être interrogée jusqu'à 19h, ensuite on a encore 48 heures pour tenter les objets trouvés de la rue des Morillons, mais, dans mon cas, j'en serai réduit à en voir de toutes les couleurs, sauf celles-là. Le soir, je découvre mes photos et constate que mon enregistrement remplace magnifiquement le son des Noces de Cana comme l'a suggéré Pierre-Oscar Lévy et qu'il se mélange parfaitement avec la musique du XVIème siècle que j'ai composée pour quatuor à cordes la semaine dernière.
"L'objet perdu" et la disparition récente de Séverin Blanchet dans un attentat à Kaboul me font penser à un autre disparu. Le chef opérateur Dominique Chapuis m'avait demandé comment j'avais réussi à obtenir la lumière étonnante de mon film suivant, "Idhec 72, nouveau scandale financier", un reportage sur un pot où régnait l'ébriété, monté sur "America Drinks and Goes Home", le dernier morceau de l'album "Absolutely Free" des Mothers. J'avais avoué avoir confondu de la pellicule 4X avec de la PlusX, mais que le laboratoire avait rattrapé miraculeusement le coup en faisant une autre erreur ! Chapuis s'impatientant m'avait demandé ce qu'indiquait la cellule. Comme je le provoquai en répondant que la caméra était déjà assez lourde pour mes frêles épaules, pourquoi m'encombrer d'une cellule que j'aurais dû tenir avec l'autre main, je l'écœurai définitivement. L'année suivante je choisis l'option montage plutôt que lumière qui rassemblait deux fois plus d'étudiants. Nous comprenions mal pourquoi, sachant que le montage est l'école de la réalisation.

Article du 2 mars 2010

mardi 4 octobre 2022

Un manuel du graphiste


C'est presque toujours à l'occasion de ses vernissages que j'ai le plaisir de croiser mon cousin Michel Bouvet (nos grands-pères étaient frères, mais j'avais tardivement identifié notre cousinage alors que j'étais directeur musical des Soirées des Rencontres d'Arles depuis plusieurs années et qu'il en était le graphiste attitré !), un des plus célèbres affichistes français. Mercredi dernier était inaugurée l'exposition Un manuel du graphiste à la librairie Eyrolles, boulevard Saint-Germain. J'y croisai Anita Gallego, sa compagne, Étienne Robial (connu, entre autres, pour les éditions Futuropolis et l'identité graphique de Canal+ ; et puis il a racheté la maison de Bernard Vitet rue Charles Weiss et l'a entièrement rénovée), le duo M/M (connu entre autres pour sa longue collaboration avec Björk), Yann Legendre (dont je viens de dévorer sa nouvelle bande dessinée, Vega)... Pas vu Michal Batory que j'avais découvert lorsque nous travaillions sur l'exposition Le métro a 100 ans, Ruedi Baur avec qui j'ai bûché un an sur l'étude du métro du Grand Paris... Il y avait beaucoup de monde dans la petite galerie. Ils sont tout de même soixante à avoir participé au livre réalisé par Michel Bouvet et Fanny Laffitte !
Ce Manuel est un très bel objet broché de 192 pages avec plus de 80 œuvres graphiques commentées, 17 entretiens avec des professionnel/le/s (Sandrine Maillet, Cléo Charuet, Alain Le Quernec, Morgane Vantorre, Silvia Dore, Francis Laharrague, Nicolas Massadau, François Hébel, Alain Arnaudet, Marc H. Choko, Daniel Lefort, Diego Zaccaria...) et de nombreux travaux d'étudiant/e/s. Michel Bouvet y répète que "le graphisme est partout", souvent invisible mais absolument nécessaire, il aborde aussi le volet pédagogique de son activité, le processus de création et les coulisses de la production. Je n'ai pas encore tout lu, c'est copieux. J'ai eu la chance de travailler avec de formidables graphistes comme Étienne Mineur ou Étienne Auger, des artistes qui ont illustré mes pochettes de disques comme Jacques Monory, Jean Bruller (Vercors), Mattioli, Raymond Sarti, Kvèta Pacovská, Valérie Moënne, Marie-Christine Gayffier... Là je découvre ou redécouvre Jan Bajtlik, Florence Bamberger, Jean-Paul Goude, Mono Grinbaum, Mitsuo Katsui, Keizo Matsui, Henning Wagenbreth, Garth Walker, Maja Wolna... Au travers de sa propre expérience, Michel Bouvet évoque les mérites de la contrainte et le cassage des codes, la relation avec les commanditaires, la mise en forme des idées, la transformation de l'information en communication, sa lisibilité... Si c'est un bel objet, l'aspect didactique du Manuel est fondamental. Je vais donc m'y replonger ces jours-ci, alors que la pile automnale de mes lectures grandit de jour en jour, comme les disques à écouter et les films à regarder. Ce ne doit jamais être aux dépens de mes compositions musicales dont l'organisation remplit le planning des prochaines semaines.

→ Michel Bouvet & Fanny Laffitte, Un manuel du graphiste, avec plus de 60 invité/e/s du monde entier, Ed. Eyrolles, 26€
→ Exposition "Vive le graphisme !" chez Eyrolles 55 bvd Saint Germain à Paris jusqu'au 22 octobre

vendredi 1 juillet 2022

Le scratch vidéo interactif MACHIAVEL en téléchargement gratuit sur OSX et PC


Le 22 janvier 2010 j'annonçai qu'Antoine Schmitt avait mis à jour le scratch vidéo interactif Machiavel pour les Mac OS X et les PC récents. L'application est offerte en téléchargement gratuit, avec tout de même un bouton PayPal si l'envie [vous en prenait] de soutenir nos efforts. Nous testions ainsi [avec très peu de succès] cette nouvelle pratique qui [consistait] à compter sur la solidarité des amateurs plutôt qu'une diffusion commerciale. [...] De la même manière, la refonte de mon propre site propose une flopée de morceaux du Drame inédits en mp3, soit les [90] albums qui n'auraient jamais vu le jour autrement, répertoire mythique d'Un Drame Musical Instantané comme les manuscrits de Blaise Cendrars oubliés dans des banques sud-américaines ou le film de Josef von Sternberg, A Woman at the Sea (Sea Gulls), séquestré par Charlie Chaplin et probablement perdus à jamais !
Sorti en 1998 sous la forme d'un CD-Rom couplé avec un CD-audio d'Un Drame Musical Instantané, Machiavel, qui avait fait l'unanimité de la critique (revue de presse), n'a pas pris une ride. Bien au contraire, l'objet comportemental me semble n'avoir jamais été aussi réactif. Les versions successives du système OS m'avaient probablement fait oublier comment Machiavel réagit au plaisir et à l'ennui. Nous l'appelions "l'effet clébard" : lorsque l'on ne joue pas assez ou mollement, Machiavel vient mettre son museau sur votre cuisse et si cela ne suffit pas il ira vous lécher la figure ! Idem si l'on est excité comme un pou, réactions imprévisibles en perspective... J'ai vu des DJ scratcher sur les murs. Des virtuoses ! Passé les premiers contacts où vous pouvez zapper / scratcher parmi 111 très courtes boucles vidéo, je crois que la plupart tournent autour de 2 secondes, Machiavel prend la main et se joue de vous à son tour. Le son a été réalisé à partir des vinyles du Drame et à chaque séquence correspond un son propre, mais les images et les sons n'ayant pas la même durée des effets de sens apparaissent grâce aux répétitions successives qui rappellent le zoom du photographe du film d'Antonioni, Blow-Up. L'autre dédicataire est Ferdinand Khittl dont le film étonnant La route parallèle [est enfin sorti] en DVD. Il a certainement inspiré les relations qu'entretiennent tous ces "très courts métrages" entre eux et leur rapport avec le "spectacteur".
Étienne Auger, qui avait à l'époque assuré la direction graphique de l'album, a repris le rouge sang pour la page Internet abritant l'application. Inspiré par une lecture poétique du Monde Diplomatique, Machiavel exerce un regard critique et sensible sur la planète et pour peu que l'on se laisse prendre au jeu il nous renvoie à nos propres fantasmes, nos espoirs et nos craintes ! Gérard Pangon dans Télérama avait su déceler l'objet freudien derrière la fantaisie technologique. Nabaz'mob (2006) et [...] Mascarade (2010) représentent deux autres chapitres de ma collaboration avec Antoine. Sur le livret nous avions écrit Machiavel réagit très différemment à des gestes lents ou rapides, tendres ou brutaux. Certains comportements permettent de l’apprivoiser, d’autres le contrarient. Mais qui manipule qui ?

mercredi 15 juin 2022

Le Light Book


J'avais d'abord rédigé un article, le 1er janvier 2010, sur le Light Book publié en 1973. Deux ans plus tard, le 6 octobre 2012, j'étais tombé par hasard sur une page web de l'Imprimerie Union reproduisant les douze images du Light-Book, mais également quantité de lettres de remerciements à Louis Barnier, l'imprimeur, ainsi qu'un tract raturé de H Lights conçu par mes soins, et une carte écrite de ma main illustrée par Antoine Guerreiro attribuée par erreur à Jack Renaud.

[J'avais commencé par citer] trois phrases que Louis Barnier avait mises en exergue sur la page de garde du Light Book auquel j'avais participé avec mes camarades de L'Œuf hyaloïde, dernière réincarnation d'H Lights avant houleuse dissolution. La dernière page indique : " Cette plaquette, qui reproduit avec le maximum de sympathie et - hélas ! - le minimum de fidélité des images de Michaëla Watteaux, Luc Barnier, Jean-Jacques Birgé, Philippe Danton, Thierry Dehesdin, Antoine Guerreiro du groupe de l'Œuf hyaloïde (ex-H Lights et ex-Despotes éclairés), a été achevée d'imprimer le 31 janvier 1973 par l'Imprimerie Union à Paris. Strictement hors commerce elle a été tirée à 777 exemplaires numérotés : les exemplaires 1 à 555 étant réservés à l'Imprimerie Union ; les exemplaires 556 à 777 étant réservés à l'Œuf hyaloïde. " La plupart de mes images (diapositives brûlées, acides bleus, polarisations) avaient été réalisées en 1969. S'y ajoutèrent le remix de Thierry avec la photo d'Isabelle (ci-dessus), ses cristallisations, deux acides rouges de Michaëla et un liquide séché d'Antoine (ci-dessous), plus un de Luc qui servit également à la couverture. Le père de Luc dirigeait la célèbre Imprimerie Union spécialisée dans les livres d'art luxueux et extrêmement onéreux. Le Light Book en était la cadeau de fin d'année, envoyé à l'ensemble des membres du Collège de Pataphysique dont Louis était l'un des Provéditeurs depuis 1953. Picasso mourut deux jours après l'avoir reçu ; de là à penser que nous l'avions tué, cela amusait beaucoup le père de Luc !
Je viens de scanner les cinq pages de la préface, texte fondamental sur le light-show que notre travail lui inspira.


J'avais commencé à gratter des diapositives ratées après avoir assisté en 1967 à une conférence à la MJC du quartier, donnée par un journaliste rock qui revenait des USA et dont je ne me souviens plus du nom avec certitude. En expérimentant diverses manipulations chimiques j'avais découvert que mettre le feu à la laque pour cheveux produisait d'intéressants effets sur la pellicule non révélée. Après un stage londonien chez Krishna Lights, j'étais devenu un expert en polarisations : en glissant entre deux plaques polaroïds des matières aux propriétés biréfringentes (plastiques étirés, ruban adhésif transparent...) et en faisant tourner l'une d'elle, on peut obtenir des couleurs éclatantes se transformant progressivement en leurs complémentaires. Michel Polizzi, puis Antoine, étaient des as des liquides en mouvement : il suffisait d'ôter le verre anti-calorique du projecteur de diapositives pour faire bouillir la préparation. Pendant les spectacles, j'étais aux commandes de quatre Leitz avec lesquels je dessinais un tryptique, utilisant mes images ou les photographies de Thierry... Le light-show se dissout vers 1974, époque correspondant avec ma sortie de l'Idhec et mon entrée dans la vie active. Les derniers spectacles furent "Brrr, qu'il fait froid ce soir, j'ai grand regret de n'avoir pas pris double manteau..." avec le comédien Philippe Danton, Francis Gorgé et moi pour la musique, le light-show étant assuré par Thierry, Luc, Antoine et Bernard Mollerat, ainsi que l'ouverture du Théâtre Présent (futur Paris-Villette) où nous faisions des projections pour un spectacle poétique d'Arlette Thomas et Pierre Peyrou. J'avais commencé avec Philippe Arthuys et terminai en sonorisant les montages audiovisuels de Michel Séméniako, Marie-Jésus Diaz, Noel Burch, Claude Thiébaut à l'époque d'Unicité. Entre temps nous avions assuré le light de Gong, Red Noise, Crouille-Marteaux (avec Kalfon et Clémenti), Le Vieux Berthoulet, Dagon, et j'avais fait mes gammes sur Kevin Ayers et Steamhammer à la Roundhouse. Le cinéma remplaça pour moi les projections psychédéliques, que ce soit en tant que réalisateur ou en initiant dès 1976 le retour au ciné-concert avec Un Drame Musical Instantané. Finalement, le multimédia avec les CD-Roms, Internet et les installations interactives, [représentera] la continuation logique du spectacle total conviant tous les sens en un melting pot essentiellement audiovisuel.

lundi 23 mai 2022

Gilbert Garcin, photographe de la renaissance


Depuis cet article du 2 novembre 2009, Gilbert Garcin a cassé sa pipe. C'était en avril 2020. Cela m'avait rendu triste... Mon titre original n'a évidemment rien à voir avec un vague mouvement politique qui pue la mort...
Le personnage rappelle Jacques Tati, les titres Magritte, mais les images sont bel et bien de Gilbert Garcin. Octogénaire, ce Ciotaden, ancien responsable d'une PME, commença à prendre des photos à sa retraite après un stage en Arles. Son site répertorie chronologiquement 395 tirages de 1993 à nos jours. Exposé dans le monde entier, [...]. La photo ci-dessus qui illustre sa page d'accueil est de 2001 et s'intitule Changer le monde. À raison d'une quinzaine de photographies par an, Gilbert Garcin fait preuve d'un humour spirituel qui interroge la vanité humaine en réalisant des photomontages où il interprète, parfois avec sa femme, un personnage confronté à des situations kafkaïennes, cocasses ou fantasmatiques, dont tout le suc provient de leur juxtaposition avec le titre de chaque œuvre, dernière touche au choc de ses mondes ou des objets qu'il met en scène. Chacune raconte une petite histoire et soulève une question qui laisse rêveur. Les compositions rappellent aussi l'univers de la bande dessinée, En plus de leurs graphismes, je pense à l'absurde scientifique de Marc-Antoine Mathieu ou à la sévérité corrosive de Léon van Oukel. La visite chronologique du site est fabuleuse, mais voir de grands tirages s'impose pour profiter pleinement du noir et blanc satirique.