70 Voyage - novembre 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 15 novembre 2011

Impressions du Nord


Après la visite de l'attraction magique Les enfants de la nuit à La Condition Publique, nous avons fait un saut vers l'un des autres hauts lieux de la culture de Roubaix, La Piscine, musée d'art et d'industrie installé dans une merveille d'architecture Arts Déco qui avait dû fermer ses portes en 1985, après 53 ans d'activité, en raison de la fragilité de sa voûte. Si les photos d'époque font rêver, l'ancien projet social de bains a été rénové par l'architecte Jean-Paul Philippon en conservant les structures anciennes pour en faire un lieu d'exposition moderne qui, de temps en temps, abrite des spectacles. Le pire et le meilleur se côtoient en une sorte de collage surréaliste où chaque visiteur peut y trouver son conte et ses légendes. L'accrochage, particulièrement malin, s'appuie sur les contraintes architecturales pour mettre en valeur sculptures, tableaux, objets, tissus, mobilier, etc. Le labyrinthe, constitué de recoins, percées, plongées, s'étend sans cesse en de nouvelles extensions comme celle qui accueille actuellement les dix ans du musée, petites cabines thématiques dont les cartels sont remplacés par des imprimés que chacun détache d'une pile reliée à l'entrée de chaque alcôve.



Drôle d'idée de choisir Ostende le lendemain pour nous changer les idées ! La mer du Nord plate comme une limande ne souffle mot et les travaux de la digue oblitèrent le paysage. La scandaleuse mainmise de Vinci sur les places de parking le long du port a un désagréable goût de police privée. Après une copieuse moules frites à la Kombuis recommandée par Laurent Dailleau, nous filons sur Bruges sans imaginer ce qui nous attend. Des hordes de touristes et d'autochtones venus faire leurs courses du samedi après-midi se pressent sur les trottoirs sans le moindre interstice pour respirer. La perversité du système de circulation automobile empêche toute velléité de pénétrer dans la cité et tous les parkings municipaux affichent complet. Idem pour les hôtels. L'office du tourisme nous trouve la dernière chambre d'hôtes disponible à Bruges, moyennant une commission qui rend suspecte la qualité de ses suggestions. En constatant que les bons restaurants sont tous réservés nous nous demandons quelle idée nous a poussés à venir là le week-end du 11 novembre ?! Heureusement la nuit chasse la foule des Soldaten Touristes et redonne à Bruges son pittoresque. C'est charmant, mais aussi chichiteux que la dentelle du coin. Quant au chocolat, d'excellente composition au demeurant, après plusieurs voyages en Belgique, j'ai un doute sur sa spécificité. Par contre, la variété et la qualité de la bière semblent justifier le voyage.



Le matin est un autre moment propice à se promener sans bousculade, mais on devrait se méfier chaque fois que les dépliants annoncent la Venise du nord ou d'ailleurs. Même une visite excentrée, forcément plus intéressante, donne raison à Colin Farrell dans l'excellent film In Bruges avec lequel la ville devra composer pendant de très nombreuses années. On a vite fait le tour de ses charmes et de ses ressources. Énigmatique twit de Vivien Chazel qui m'a "reconnu de loin malgré lunettes noires, capuche et mini sac à dos".
Le soir nous savourons l'accueil des gens du nord dans le vieux Lille avec David Rokeby, actuellement en résidence au Fresnoy. Nous avions assisté à Paris il y a quelques semaines au spectacle Surface Tension avec sa compagne Eve Egoyan, une improvisation où le moindre geste de la pianiste est traduit graphiquement sur l'écran. Toutes les composantes sonores, hauteur, durée, intensité, densité, sont analysées pour donner vie aux éléments visuels. Le mouvement enneigé me rappelle l'hiver qui s'annonce à Toronto, leur port d'attache.

mardi 8 novembre 2011

Amsterdam 1980


J'ai tout oublié. Pas le moindre souvenir de ce voyage à Amsterdam où je retrouvai ma sœur Agnès et son mari Philippe qui prit une série de photos de nous tandis que je faisais des courses le long des canaux. Mes lourdes cosses de haricots géants que l'on secoue comme des maracas viennent donc de là. Pour son émission sur France Culture (diffusion de L'atelier du son le 11/11/11 à 11 heures du soir), Thomas Baumgartner me demande comment j'ai acquis mes deux petits pianos Michelsonne. Je suis incapable de lui répondre. Probablement cadeaux d'amis se détachant de leur enfance.

J'ai trouvé ma grande sanza et l'inanga de Haute-Volta à Stockholm, quelques unes de mes flûtes en Sicile ou rue de la Huchette comme mes orgues à bouche, des percussions latines à Helsinki, les bendirs, le tara et le deff à Marrakech, des guimbardes en Italie, au Vietnam, au Cambodge, la trompe et le bol tibétains au Népal, l'erhu à Bangkok, et mes parents m'ont rapporté l'anklung de Bali, la vahila de Madagascar, la maravan de l'île Maurice ou le didgeridoo d'Australie. J'ai commandé un bâton de pluie plus grand que moi à une sud-américaine. Bernard a construit d'innombrables prototypes. J'ai commandé pas mal de trucs sur Internet. Etcetéra. S'il y en a tant dont l'origine s'est effacée de ma mémoire, j'espère retrouver ma voix, mais pas comme dans Le Lotus Bleu ! Je veux garder ma tête qui ces temps-ci s'est fait plusieurs fois la belle, et ne pas rester aphone. La crève a produit une éclipse vocale quasi totale. Je murmure à peine et tape, et tape, et tape sur mon clavier.

Agnès pense qu'ils m'avaient rejoint chez Joep et Susan qui m'hébergeaient. En mars 1980 ils habitaient encore une maison étroite toute en hauteur du vieux quartier dans une rue perpendiculaire au canal. Je les avais rencontrés grâce à Sheridan, une amie de Marianne, qui plus tard ouvrirait l'un des premiers cafés de Ménilmontant. Aucune trace de nos hôtes sur les photos de Philippe. Absents, nous auraient-ils prêté leur logement ? Je passai beaucoup temps sur leur gros harmonium perché au dernier étage. Il avait probablement fallu le hisser par l'extérieur grâce à la poulie surplombant la façade. Abandon des pratiques religieuses aidant, on en trouvait alors facilement aux Pays Bas. J'ai longtemps rêvé en rapporter un, mais cela aurait pris une place folle dans le studio. Encore aujourd'hui j'hésite. À le regretter ou à toujours le désirer ? Chaque fois que je peux improviser dessus ou sur de grandes orgues le vertige me donne des ailes.