70 Voyage - avril 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 avril 2024

Christiania à vélo


2e article sur Copenhague, d'abord parce que c'est une ville modèle pour les cyclistes (alors que mon vélo est en attente de pièces pour réparation), ensuite parce que nous avons besoin d'utopies telles Christiania (et que je prépare de nouveaux voyages, sans oublier d'inventer sans cesse de nouvelles utopies)...

Formidable initiative et beau cadeau de Claus qui [avait] acheté [ce 11 juillet 2012] un vieux vélo pour les amis. Nous visitons Copenhague de la plus agréable manière. On raconte que c'est la ville du monde la mieux adaptée à la bicyclette. Il y en a partout. Les quartiers sont étonnamment silencieux. Peu d'automobiles. Les avenues sont larges, bordées de hauts immeubles anciens. Il existe quantité de deux, trois ou quatre roues à pédales. Nombreux sont équipés d'une petite poussette pour transporter deux enfants, les courses ou une contrebasse ! Pendant le festival de jazz, des concerts fleurissent comme s'il en pleuvait, dehors, dedans. Nous sommes délicatement arrosés par leurs gouttes ici et là.


"Christiania (Fristaden Christiania) est un quartier de Copenhague au Danemark, autoproclamé « ville libre de Christiania », fonctionnant comme une communauté intentionnelle autogérée, fondée en septembre 1971 sur le terrain de la caserne de Bådmandsstræde par un groupe de squatters, de chômeurs et de hippies. Le quartier est une rare expérience historique libertaire toujours en activité en Europe du Nord..." (intéressant article sur Wikipédia et évidemment sur le site officiel de la communauté). La population est très mélangée, habitants et touristes, jeunes bobos et vieux hippies, énergumènes laissés libres de faire ce qu'il leur plaît, vendeurs de hasch et d'herbe étalant leurs produits comme des épiciers... C'est encore plus cool qu'aux Pays-Bas et la qualité est la même, attention danger, c'est très fort ! L'atmosphère est détendue, mais la situation est paradoxale. Ceux qui ont voulu vivre en marge se sont retrouvés un des principaux centres touristiques du pays, les rixes ne sont pas rares entre dealers sur Pusher Street, les touristes mitraillent de leurs yeux les habitations soigneusement rénovées et entretenues, le commerce y semble prépondérant. Est-il possible de créer un nouveau monde sans y projeter l'ancien et recommencer les mêmes absurdités ? Seul le virtuel telle l'expression artistique échappe à cette fatalité, car ces mondes libertaires s'inscrivent toujours comme des îlots de résistance au milieu d'une galaxie humaine autrement plus puissante dans ses us et coutumes. Un monde plus juste ne peut exister en marge, c'est le monde lui-même qu'il faudrait pouvoir changer pour transformer les relations entre les hommes et les femmes. Il n'empêche que l'expérience de Christiania est passionnante et nous promener parmi les collectifs autogérés, les maisons inventives, les sourires partagés, est un plaisir renouvelé. À la sortie on peut lire : "Vous entrez dans la Communauté Européenne" !

jeudi 25 avril 2024

Copenhague, de l'autre côté du pont...


Copenhague 1972. [C'était quarante ans avant cet article datant du 10 juillet 2012, donc il y a déjà 52 ans.] Pour rejoindre Michaëla dont la grand-mère habitait Öland j'avais pris le train jusqu'ici et embarqué pour Malmö. La construction du pont de l'Øresund reliant les deux pays est récente. Le seul pont de la traversée était celui du navire sur lequel j'avais partagé un joint corsé avec des hippies qui m'avaient invité à dormir chez eux. Chez eux, de l'autre côté du pont, là où les fantômes vinrent à ma rencontre. Mélangerais-je ici le pont de Murnau et le bac de Dreyer ? Quoi qu'il en soit et qu'il en fut je passai le dernier à la douane. Les deux préposés avaient probablement remarqué mon abondante chevelure tombant sur ma tunique bleue et verte, et mon air hagard. La valise ouverte, ils flashèrent sur ma collection de flûtes que je rangeais dans le même tiroir de mon bureau que mes sachets d'encens indien. Reniflant les parfums de l'Orient ils eurent un soupçon. Et si j'y cachais quelque produit prohibé ?! Comme ils ne voyaient rien en y glissant un œil, germa sous leurs casquettes une idée de génie. Je ne parlais pas un mot de suédois (si ce n'est "jag älskar dig"), mais je suivais parfaitement leur association d'idées. Imaginez-moi, seul, complètement défoncé, dans cet immense hangar à minuit passé, regardant deux douaniers en uniformes souffler dans mes flûtes pour s'assurer que je n'y avais rien planqué. Ce duo improvisé et surréaliste fait partie de mes grands souvenirs musicaux. Relâché une demi-heure plus tard faute de preuves, je ne retrouvai pas les passagers qui m'avaient offert joint et hospitalité, mais qui avaient filé fissa. Dehors pas un chat. Malmö ressemblait à une ville fantôme. Du Delvaux. Je résolus de dormir sur les marches de la gare de chemin de fer. Le matin je fus réveillé tôt par des mouettes qui m'inspectaient sauvagement en volant tout près de moi.
Quarante ans après, j'aperçois la Suède du hublot.

Le nouveau métro nous amène à Nørrenport où Birgitte nous attend pour nous accompagner chez elle et Claus. Je suis très heureux de retrouver Birgitte Lyregaard que je n'ai pas vue depuis le concert de notre trio El Strøm. Ce même jour, Sacha Gattino, le troisième larron, est sur la route de Rennes où il emménage.


Nous nous reposons enfin dans la tour de la copropriété où nos amis ont élu domicile. La grande maison de briques rouges a plus d'un siècle. Les escaliers étroits forment parfois labyrinthe lorsqu'il faut rejoindre les toilettes à mi-étage, et la salle de douche, collective à l'immeuble, est quatre étages plus bas. Les formes épurées et blanches de l'appartement cèdent alors la place à des couloirs gris et mystérieux où nous craignons de croiser les fantômes évoqués plus haut...

mardi 23 avril 2024

Chambre avec vue


D'abord la vue. Chaque fois que j'arrive dans un nouvel endroit je scrute l'horizon, même s'il est bouché. Ici, Saint-Étienne, sur le chemin vers le sud, l'atelier d'Ella et Pitr. Le cadre éjecte les collines à droite. C'est la campagne. Je cherche un détail qui m'attire, que je n'aurais pu voir d'ailleurs. Adverbe, d'ailleurs est de circonstance. De la fenêtre l'à-pique vertical donnant sur un étroit jardin est déjà dans l'ombre en cette fin de journée. La nuit aurais-je été séduit par les éclairages racoleurs du nouveau théâtre ? Rejetant les immeubles sans style je fais donc le point sur des balcons en fer forgé, vestige d'une autre époque. La géographie évoque l'histoire.


Une trouée entre deux immeubles, une façade un peu ampoulée, un œil de bœuf au fronton d'un édifice, on s'approche... Ancien ou moderne, qu'importe, y chercher du caractère. Celui de la ville se précise. Au premier plan des ateliers désaffectés ; derrière nous, invisible puisqu'en contrechamp, l'ex école des beaux arts abandonnée au vandalisme est un furoncle absurde, laissé en friche. Les municipalités ne savent pas sauter sur les occasions pour recycler les grands espaces dont ont besoin les artistes pour travailler. Les caves sont idéales pour les répétitions d'orchestre, les échangeurs d'autoroute feraient aussi bien l'affaire, et les vieilles usines siéraient aux troupes de théâtre et aux plasticiens. Les volumes se délabrent avant que les décisions soient prises.


Fer forgé. Nous sommes dans l'ancienne capitale des armes et cycles. Manufrance a tenu un siècle jusqu'en 1985. En 2010 sa renaissance accouche d'une nouvelle édition du célèbre catalogue, mais comme nombreuses villes de province l'âge d'or est passé. Automatisation, délocalisations, concurrence. Que signifient les volets clos ? Que se passe-t-il derrière les rideaux de voile ? Le charme discret de la bourgeoisie est un euphémisme. L'esprit mal tourné, on pense à Chabrol.


Panoramique vers le bas. En réalité un simple recadrage tranchant avec les vieilles pierres. Présence humaine. Deux jeunes types reviennent du sport. C'est dimanche. Un magasin de fringues branché, une banque : classique ! Les volets métalliques sont-ils une conséquence des vacances ou de la mutation ? Saint-Étienne se revendique capitale du design. Ça bouge. Il y a des affiches d'Ella et Pitr un peu partout. Un énorme poisson rouge orne la caserne des pompiers. [...]

Article du 25 juillet 2012