J'ai tout oublié. Pas le moindre souvenir de ce voyage à Amsterdam en 1980 où je retrouvai ma sœur Agnès et son mari Philippe qui prit une série de photos de nous tandis que je faisais des courses le long des canaux. Mes lourdes cosses de haricots géants que l'on secoue comme des maracas viennent donc de là. Pour son émission sur France Culture, Thomas Baumgartner me demande comment j'ai acquis mes deux petits pianos Michelsonne. Je suis incapable de lui répondre. Probablement cadeaux d'amis se détachant de leur enfance.

J'ai trouvé ma grande sanza et l'inanga de Haute-Volta à Stockholm, quelques unes de mes flûtes en Sicile ou rue de la Huchette comme mes orgues à bouche, des percussions latines à Helsinki, les bendirs, le tara et le deff à Marrakech, des guimbardes en Italie, au Vietnam, au Cambodge, la trompe et le bol tibétains au Népal, l'erhu à Bangkok, et mes parents m'ont rapporté l'anklung de Bali, la valiha de Madagascar, la maravan de l'île Maurice ou le didgeridoo d'Australie. J'ai commandé un bâton de pluie plus grand que moi à une sud-américaine. Je regrette qu'André Bissonnet, dit le Boucher, ait fermé boutique rue du Pas de la Mule, il nous laissait essayer des instruments incroyables pendant des heures, nous les vendant à un prix dérisoire en comparaison de ce qu'il les aurait cédés à un collectionneur. Je lui dois, entre autres, mon cornet en mi bémol, un saxhorn, le mélophone de Francis, mais c'est à Hélène qu'il a vendu une clarinette à coulisse et, depuis, j'en cherche une partout pour mes zigues. Bernard a construit d'innombrables prototypes. J'ai commandé pas mal de trucs sur Internet. Etcetéra. S'il y en a tant dont l'origine s'est effacée de ma mémoire, j'espère retrouver ma voix, mais pas comme dans Le Lotus Bleu ! Je veux garder ma tête qui ces temps-ci s'est fait plusieurs fois la belle, et ne pas rester aphone. La crève a produit une éclipse vocale quasi totale. [Cela m'était donc déjà arrivé ! Cela aussi j'avais oublié...] Je murmure à peine et tape, et tape, et tape sur mon clavier.

Agnès pense qu'ils m'avaient rejoint chez Joep et Susan qui m'hébergeaient. En mars 1980 ils habitaient encore une maison étroite toute en hauteur du vieux quartier dans une rue perpendiculaire au canal. Je les avais rencontrés grâce à Sheridan, une amie de Marianne, qui plus tard ouvrirait l'un des premiers cafés de Ménilmontant. Aucune trace de nos hôtes sur les photos de Philippe. Absents, nous auraient-ils prêté leur logement ? Je passai beaucoup temps sur leur gros harmonium perché au dernier étage. Il avait probablement fallu le hisser par l'extérieur grâce à la poulie surplombant la façade. Abandon des pratiques religieuses aidant, on en trouvait alors facilement aux Pays Bas. J'ai longtemps rêvé en rapporter un, mais cela aurait pris une place folle dans le studio. Encore aujourd'hui j'hésite. À le regretter ou à toujours le désirer ? Chaque fois que je peux improviser dessus ou sur de grandes orgues le vertige me donne des ailes.

Article du 8 novembre 2011