70 Voyage - juillet 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 27 juillet 2009

Désert contre désert


Où sont passés les baigneurs, les vacanciers, les touristes ? La plage est immense, déserte, sublime. Sur des kilomètres de sable fin, il n'y a pas un chat. À peine quelques surfeurs isolés, ici et là un petit groupe d'adolescents perdus parmi les grains du sablier universel, un cerf-volant à chaque bout de l'horizon, un couple qui remonte la dune en se faisant masser les pieds à toutes petites enjambées...


Tandis qu'elle plonge dans l'écume, Florence croise des bars jouant à saute-mouton sur les vagues qui déferlent trop rapprochées pour que l'on ait le temps de nager. À l'approche du flot bouillonnant, intarissable monstre baveux, on tente le saut en hauteur pour franchir la première barre. On court, un peu, pas le temps, déjà une autre vague nous fonce dessus. On met les deux bras en avant, les mains jointes, espérant percer le mur qui s'avance comme le râteau imperturbable du croupier raflant la mise. Passé deux ou trois obstacles de cet acabit, on pense avoir trouvé un semblant de répit. Les murailles d'eau salée nous portent. Devenus bouchons, nous flottons sur leurs crêtes, nous laissant bercés. Jusqu'à ce qu'une vague trop impétueuse nous oblige à plonger en son sein pour ne pas qu'elle nous roule comme des petits bleus. Nous nageons à contre-courant pour ne pas nous laisser emporter trop loin. Encore qu'un baptême en hélicoptère soit sacrément tentant ! Les blockaus enfouis cachent parfois de dangereux fers à béton hérissés comme des herses maléfiques. Fatigués de lutter, nous nous laissons ramener vers la plage, une vague après l'autre. Près du bord, le danger se fait pressant. Le jacuzzi se transforme en mixeur. Comme à l'aller, on s'allonge en fusée, espérant que les lames ne nous transformeront pas en vilebrequin. On sort de l'eau rincé, nettoyé de la noirceur du monde, amnésiques. Une saine fatigue nous coupe les jambes. Le vent nous sèche en deux coups de cuillère à peau. Le soleil nous aveugle.
En nous retournant, nous sommes surpris d'être si peu nombreux à jouir du paysage merveilleux et des ressources que l'océan étale à nos pieds. Pour rien. Pour toujours. Allez savoir.

vendredi 24 juillet 2009

Rinçage


À marée haute l'eau du bassin monte à quelques mètres de la maison. Le soir nous avons le temps de dîner dehors avant qu'il ne commence à pleuvoir. Nous nous endormons tandis que les gouttes entament leur rythme ancestral sur les épines de pin qui jonchent le sol. C'est seulement lorsque la nuit est profonde que le tonnerre commence à gronder. Et puis c'est l'averse. Les éclairs dessinent de brèves ombres chinoises. Pour profiter du son des vagues nous laissons ouvertes portes et fenêtres. La fraîcheur pénètre en courants d'air comme des fantômes de brume. Un bruit de bois croqué nous réveille. L'orage a balayé le ciel. Sans bouger du lit nous assistons au spectacle. Un écureuil fou galope sur l'écorce des pins, il se jette d'arbre en arbre, grimpe, dégringole, fait volte-face et s'évanouit. Les oiseaux répètent inlassablement les mêmes cris que la veille. Tout est en place pour que la nouvelle journée qui s'annonce soit chaude et belle.

mercredi 22 juillet 2009

Rouleaux


Il y avait longtemps que je ne m'étais pas baigné dans les rouleaux. En plongeant dans l'écume je me fais masser le dos par la vague comme si je traversais un jacuzzi. Le courant nous entraîne à une vitesse surprenante. Une voiture de police laisse ses traces de pneus sur le sable en fonçant parmi les vacanciers allongés comme dans un film américain, elle est rapidement suivie par deux quads montés par des C.R.S. carapaçonnés Mad Max et par un véhicule de pompiers. Deux hélicoptères ferment le ban. Une nageuse aguerrie s'étant laissée déportée au large est hélitreuillée, saine et sauve.
Je me souviens de notre terrible expérience en Guadeloupe lorsqu'Elsa avait 11 ans. Depuis, elle n'aime plus beaucoup se baigner, ce qui m'attriste pour elle. C'est si bon de nager, de sentir l'eau vous entourer, de vivre dans cet état d'apesanteur humide. Tout était turquoise. Une lame de fond nous avait fauchés alors que nous avions pied. Elle nous avait désarticulés comme si nous n'étions plus que des marionnettes dont les fils ont cédé. Mes membres étaient mélangés, me transformant en monstre, ma tête avait heurté le fond, je ne savais plus si j'étais entier, où était le ciel, où était le fond, surtout j'avais fini par lâcher la main de ma fille et la pensée de la noyade m'avait assailli. Tout s'était passé très vite. Nous nous en sommes bien sortis, mais l'aventure avait été traumatisante. Une autre fois, dans les Landes, alors que j'étais jeune homme, j'avais eu beaucoup de mal à revenir. Je crois avoir acquis une certaine prudence, mais l'océan est traître. Dans la vie, il me semble que les accidents arrivent plus souvent aux experts qu'aux novices. Le désir d'aller plus loin pousse à prendre des risques, la connaissance du terrain fait baisser sa garde et la vigilance s'évanouit par habitude.
Nous nous sentons enfin en vacances. Le Cap Ferret est magnifique. Les oiseaux volètent parmi les pins. Le murmure incessant de l'océan forme un train infini (long, isn't it ?) qui passe au-delà des lotissements, petites villas hétéroclites parfois faites de bric et de broc. La maison de Florence est proche du cap, passé le phare. Nos pas dans le sable font un son étonnant, couït couït couït, pas faciles à enregistrer sous le vent.

lundi 20 juillet 2009

Objectif dunes


Départ matinal. Scotch et Jonathan agitent leur mouchoir. Ce n'est pas l'embarcation que nous emprunterons pour rejoindre le Cap Ferret depuis Arcachon, mais tout cela a un parfum de vacances dont nous avons bien besoin. D'habitude je pose mes clefs, mes lunettes ou n'importe quoi en des endroits très intelligents dont j'ai évidemment du mal à me souvenir ensuite. Ces derniers temps, les cachettes se sont avérées absurdes, symptômes de ma fatigue, plus intellectuelle que physique. Nous partons une semaine sans savoir si je pourrai continuer à poster mes billets depuis l'océan. Serge dit qu'il doit y avoir un troquet avec du wi-fi à un kilomètre. On verra bien.

dimanche 12 juillet 2009

Vélib' en déboires


On a beau invoqué le vandalisme, j'ai du mal à accepter que les stations Vélib' soient si mal entretenues. Le système de la bicyclette citoyenne est pourtant génial et représente sans conteste un des plus grands bouleversements de la vie à Paris pour ses habitants comme pour les touristes qui s'en sont entichés et l'ont pris pour modèle. De plus en plus souvent je suis tenté de laisser mon Brompton au garage et d'emprunter le vélo à 29 euros l'abonnement annuel (1 euro la journée et 5 euros la semaine pour les abonnements ponctuels, trajets de moins de 30 minutes), tarif qui n'a rien d'arrogant pour une jeunesse démunie en comparaison avec le prix de la carte orange ou du moindre transport individuel motorisé. Évidemment il y a un mais. Encore faudrait-il que le système soit fiable et ne nous fasse pas rater nos rendez-vous...
Comme j'habite sur les hauteurs, les stations manquent souvent de vélos tandis que celles du centre de Paris sont surchargées et que l'on n'y trouve pas de place pour parquer son engin. Il est conseillé de passer sa carte sur la borne de la tête de station pour être crédité de 15 minutes supplémentaires et de noter les stations avec des places libres à proximité pour s'y rendre au plus vite. On peut préférer attendre qu'une place se libère, c'est chacun son choix ! Les stations en périphérie marquées d'un pictogramme « V'+ » donne droit à 15 minutes supplémentaires lorsqu'on rend le vélo après avoir courageusement pédalé dans les montées. Mais ce n'est pas tout. Nombreux Vélib' sont en panne : crevaisons, roues voilées, chaînes sautées, freins absents, etc., sans compter les bornes détraquées, les stations éteintes, etc., etc. Je me pose une question simple : qui a intérêt à ce que cela ne marche pas ? Decaux fait des économies de personnel d'entretien, d'accord. La Mairie de Paris voit l'affaire comme un gouffre, certes. Les marchands de cycles tirent la tronche, bof. Les ados s'ennuient le dimanche, mouais. Les taxis pestent comme des rats morts, on se calme. Les uniformes verbalisent à tour de bras, tout bénef. Alors ? Alors je ne sais pas, mais je m'interroge. À qui profite le crime ? Quoi qu'il en soit, si Decaux, concessionnaire en échange de matraquage publicitaire, et la municipalité souhaitent que la bonne idée ne leur revienne pas dans la figure comme un boomrang, il va falloir mobiliser les volontés et se donner les moyens financiers pour que le service soit opérationnel... Pour commencer, il serait utile d'arriver à joindre Vélib' au téléphone qui ne répond jamais.
La liste de diffusion Mieux se Déplacer à Bicyclette donne de précieux conseils. Ainsi j'apprends que les élus municipaux parisiens ont voté mardi en faveur de l'autorisation de tourner à droite pour les cyclistes aux feux rouges, avec expérimentation sur un nombre limité de carrefours (déjà en œuvre à Bordeaux et Strasbourg), ceci participant du même mouvement que les double-sens cyclables dans les zones 30. Le code de la route est à repenser de fond en comble en fonction des vélos qui se sont multipliés. Les piétons et les cyclistes doivent pouvoir se réapproprier la ville face au cancer que représentent les engins motorisés.

samedi 11 juillet 2009

Le grand plein des Lilas


Au détour de la donation Dubuffet au Musée des Arts Décoratifs, je tombe nez à nez avec le 96. Le métro n'était donc pas seul à passer Porte des Lilas dans les années 50 ! En remontant à la surface, le poinçonneur immortalisé par Gainsbourg aurait pu rencontrer le peintre, du moins les jours où le jaja pouvait partager le zinc avec l'eau minérale grande source. À la même époque, René Clair tourne Porte des Lilas avec Pierre Brasseur, Georges Brassens dans le rôle de L'Artiste, Henri Vidal, Dany Carrel, Raymond Bussières. On peut y voir les fortifications qui encerclaient Paris avant que le Périphérique ne les remplace. C'était le paradis des mômes et des mauvais garçons.
Lorsque j'étais enfant, il n'y avait pas de portillon automatique dans le métro, mais un employé de la RATP qui faisait un petit trou rond dans chaque ticket. Ceux de l'autobus étaient tout allongés, pliés en accordéon. Le receveur les glissait dans une boîte à manivelle attachée à sa ceinture qui faisait krrrr krrrr pour les oblitérer. Lorsqu'il pensait que tout le monde était monté il tirait sur une poignée de bois accrochée en l'air à une chaîne qui faisait dling ! Comme la plate-forme arrière était en plein vent et n'était fermée que par une autre chaîne gainée de cuir nous montions et sautions souvent en marche pendant que le préposé avait le dos tourné. Comme c'était l'unique accès, on pouvait descendre sans avoir besoin de traverser tout le couloir. J'adorais l'impression d'être sur un balcon sur roues. Si l'on supportait de voyager debout, c'était vraiment la meilleure place de l'autobus.

mercredi 1 juillet 2009

L'avance de l'ombre


De mon père j'ai hérité la première charade dont je me souvienne : " mon premier est un cul-de-jatte qui descend à toute vitesse la rue des Martyrs, mon second est un cul-de-jatte qui descend à toute vitesse la rue des Martyrs, mon troisième est un cul-de-jatte qui descend à toute vitesse la rue des Martyrs (à cet endroit mon père ne faisait qu'accélerer son débit de paroles jusqu'à le rendre à la limite du compréhensible par un effet de vitesse et d'emballement), mon quatrième est un cul-de-jatte qui descend à toute vitesse la rue des Martyrs, mon cinquième est un cul-de-jatte qui descend à toute vitesse la rue des Martyrs, mon dernier est un cul-de-jatte qui descend à toute vitesse la rue des Martyrs, (là mon père marquait une pause et concluait à bout de souffle et soulagé) et mon tout est une boisson rafraîchissante !? ". Pour l'anecdote, je suis né rue des Martyrs, ou plus précisément dans une impasse qui y prend sa source, Cité Malesherbes.
En dévalant le macadam comme un fou depuis la Porte des Lilas jusqu'à la Bastille, je vois mon ombre qui s'allonge devant moi comme si elle me précédait dans le temps. Elle arriverait plus vite que moi à mon rendez-vous si je n'entamais un virage déterminant Place Voltaire. Avant de reprendre le dessus, je saisis d'une main mon appareil dans le panier du Vélib et j'épingle l'arrogante qui me montre la route. Il ne me reste plus qu'à savourer la solution de ma charade, citron pressé, breuvage tout indiqué par cette température.