70 Voyage - mai 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 23 mai 2010

Au pied des Appalaches


Il était moins une que je ne vois rien des Appalaches. Dimanche après-midi, Suzanne me propose de me montrer la Petite Suisse avec son char. Certains disent que ce nom vient du paysage, d'autres parce que de nombreux Suisses ont acheté des entreprises dans cette région où semble régner la prospérité. Nous n'avons jamais vu de notre vie autant de voitures de sport décapotables, des rouges, des jaunes, des oranges, des roses, des blanches, des grises, des noires, des vertes et des pas mûres, toutes lustrées comme si elles sortaient neuves du garage, pareil avec les Harley customisées à mort, le tuning étant une coutume locale quel que soit le véhicule ! Chaque fois qu'on nous emmène, le conducteur ou la conductrice s'excuse que son automobile est sale sous prétexte qu'il y a trois brins d'herbe sur le tapis de sol ou un peu de poussière sur le tableau de bord. La richesse apparente provient aussi des industries agricoles qui polluent les sols et des bourgeois de Montréal venus s'installer à la campagne, seulement une heure trente de route. Dans ce qu'on appelle aussi le Petit Montréal les fils et filles à papa montent et descendent le boulevard Notre Dame Est pour faire admirer leur bolide ronronnant. Pendant les six mois d'hiver, l'auto cède la place à l'écran géant vidéo. Pourtant la misère existe, un tiers de la population est en difficulté, sans évoquer les Amérindiens dans une situation catastrophique. L'itinérance se réfère aux SDF, mais elle est camouflée. L'errance est plus sporadique. Ce sont les termes que Suzanne emploie pour parler du travail qu'elle quitte pour aller vivre dans une des îles de La Madeleine, vers St-Pierre-et-Miquelon. Dans la formidable coopérative bio dont elle est présidente, certaines herbes sont notées "non irradiée" et son jardin rassemble 70 espèces de plantes médicinales. L'ambiance aseptisée de la petite ville contraste avec certaines aberrations comme l'égout à ciel ouvert de petites communes proches dans la montagne. Pendant tout notre séjour nous n'avons vu absolument aucun téléphone portable. J'ai raté deux concerts pour descendre à la rivière que surplombe la maison de Guylaine Walsh. Elle coud à la main de ravissants chapeaux-cloches avec des matières recyclées, essentiellement des cravates d'hommes. La récupération préoccupe les écolos du coin, berceau du mouvement. Le soir, nous rentrons pour le concert de Catherine Jauniaux, Malcolm Goldstein et Barre Phillips suivi de celui de l'octogénaire Bill Dixon avec, entre autres, quatre trompettistes. La voix de Jauniaux se fond aux cordes frottées et Tapestries for Small Orchestra m'emporte délicatement dans les bras de Morphée. Nous devons rejoindre Montréal pour nous envoler en fin de journée, mais avec le décalage horaire nous ne serons à Paris que lundi matin.

mercredi 19 mai 2010

Stepford Husbands


Tabernac', l'hôtel est situé à plus de trente minutes à pied du centre ville. C'est que tout le monde a un volant entre les mains, sauf nous et les jeunes adolescentes que nous croisons sur les terre-pleins sans trottoir nous menant à travers une petite ville de province apparemment sans histoire. À leur âge, les gars seraient-ils les seuls motorisés ? Elles ont toutes la même taille, le même look, le même profil. Nous apercevons un match de football féminin derrière un grillage. Leurs corps, petits et trapus, semblent formatés. La junk-food, les chips et les frites suffiraient-elles à expliquer le phénomène ? C'est un peu dur pour des Français. Une pseudo cuisine italienne s'est imposée sur tout le globe et je rechigne à replonger dans la poutine. Les maisons individuelles sont dépourvues de barrière et le gazon est bien tondu. Tout semble lisse, le temps ralenti. La nuit, les habitants ne se transformeront pas en loups-garous, mais l'ambiance nous fait irrésistiblement penser au film Stepford Wives ou à son remake. Les clones remplacent les personnages du réel. Question de confort. Les retraités prennent le soleil devant leur porte. Les gamins sont à bicyclette. Les bolides ronronnent d'un joli bruit sur Notre Dame Est, camions rutilants avec tuyaux chromés et guirlandes de lumière, Harleys plus briquées les unes que les autres, pick-ups mastodontes, drôles de buggys entre moto et char, autocars longs comme le bras, coffres biscornus, décapotables trendy aux couleurs flashy, on dirait qu'il n'y en a que pour la bagnole. Si les Québecois sont très gentils, les femmes m'ont toujours paru plus dynamiques. Après le souper (ici on appelle les trois repas déjeuner-dîner-souper) nous rentrons en taxi et nous écroulons de fatigue. Vivement que le festival débute !


Grâce à Internet, nous trouvons enfin de quoi manger léger, salades ou sushis amoureusement préparés. Le lendemain, nous comprendrons que le centre-ville est le quartier de l'université, mais qu'il faut s'excentrer pour rencontrer quelque chose qui ressemble à une animation urbaine. Dans d'immenses centres commerciaux entourés de parkings s'étalent restaurants, supermarchés, boutiques et tout le toutim, justifiant donc cette satanée automobile. Ici on ne marche pas, on roule. Toute cette journée de magasinage, nous ne croiserons pas un seul individu à pied. Si nous n'étions pas vêtus "au chic parisien", on nous prendrait pour des SDF ou des routards. Pourtant, aucun n'est apparu à l'horizon de cette Suisse des grands espaces. Depuis le bas-côté où nous enjambons des milliers de pissenlits en fleurs je prends les clichés de trois maisons côte à côte. On dirait la vitrine d'une agence immobilière. Les variations ne sont que de surface. Aucune fantaisie ne semble possible dans ce monde tiré au cordeau. Vivement que le festival débute !


Le soir, nous rentrons à l'hôtel sur les genoux, mais l'opéra est en place au Cinéma Le Laurier. Bien que nous ayons commencé en retard, l'équipe technique a su leur construire de magnifiques gradins à quatre niveaux, installer des lumières de sous-bois et une sonorisation de 28 microphones digne d'un orchestre symphonique. Jamais nos lapins n'auront été confrontés à autant de matériel. Nous garderons l'ambiance forestière pour le second mouvement éclairé chaudement par les côtés, les gobos et les autres effets pour le dernier, donc les couleurs froides pour attaquer délicatement... Comme d'habitude j'improviserai le mélange, sauf que cette fois les possibilités sont démultipliées. Demain en début d'après-midi, nous jouerons devant 350 scolaires en avant-goût du festival. L'impatience grandit.

mardi 18 mai 2010

Atlantique


Air Transat est une compagnie d'aviation low cost qui nous transporte à Montréal. Son nom ne vient pas d'une chaise longue. Les sièges étroits sont en skaï bleu nuit, mais pour dormir le lot couverture + oreiller est à 7 $ canadiens. Si vous préférez rester éveillé, ou comme moi qui dort rarement en avion, surtout en partant à 9h20 pour arriver à 10h45 heure locale. Les écouteurs sont facturés 2 $, soit 1,50 €, mais j'en ai trouvé deux paires sur le siège laissés par les précédents voyageurs. Déjà le Terminal 3 de Charles De Gaulle ressemblait à un grand hangar avec le minimum de confort (dont un café au goût salé !). Heureusement j'adopte la technique de Françoise en squattant une rangée de sièges vides avant décollage, ce qui nous laisse, à Antoine et moi, les coudées franches ! Prévoyant, j'ai également emporté dans mon sac d'ordinateur, un masque, des boules Quiès, un oreiller gonflable et un gilet chaud. La nuit précédente a été agitée, j'espérais piquer un petit somme en m'allongeant en chien de fusil sur les trois sièges. Mon insomnie pourrait découler de la capsule de mélatonine que j'ai gobée la veille. En en prenant une 24 heures avant et une à l'arrivée j'aide mon horloge biologique à se recaler. Le tout est d'adopter le rythme local lorsque l'on arrive sous une nouvelle latitude, ce qui consistera cette fois en une très longue journée vu les 6 heures de décalage après un peu plus de 7 heures de vol.
J'ai déjà vu le film. Je somnole. Le son est bon, mais c'est l'image qui m'ennuie. Un Koulechov en abîme. Au fur et à mesure qu'elle s'éloigne, son visage n'a plus la même expression. Comme pour avoir voulu faire bonne figure. Pourtant on peut être partout à la fois, sur tous les écrans du monde, on n'en est pas moins là...
Devant nous un groupe d'aveugles des deux sexes, excités comme des puces, passent tout le voyage à hurler des plaisanteries grivoises. Je me demande en quoi la négation "non-voyants" ou le restrictif "mal-moyant" est moins discriminatoire qu'une affirmation de sa différence. Leur sensibilité à l'espace de la cabine est surprenante. Plus étonnants, les flashs d'appareils photo qui partent de leurs sièges !?
Le temps de rejoindre Victoriaville, nous avons les crocs. Une faim de loup. Je mords le premier que j'attrape.

lundi 17 mai 2010

Go West


Ce matin, nous nous envolerons tôt pour Montréal avant de prendre la route direction Victoriaville où nos lapins nous attendent. Nous espérions pouvoir profiter un peu de la campagne entre deux installations, mais Michel Levasseur nous avertit que les bois sont dangereux à cette saison. Avec l'arrivée de la chaleur les loups descendent et il est hors de question que nous nous y promenions seuls. Lapins et loups ne faisant pas bon ménage, nous éviterons donc de nous affubler des habits du petit Chaperon Rouge et chercherons d'autres distractions avant l'ouverture du Festival qui nous incombe, puisque, jeudi soir, Antoine et moi créerons enfin Mascarade, en première partie de Nabaz'mob...

mardi 4 mai 2010

Poids et haltères


Antoine dit que je suis fou. Bien sûr que je suis fou. Ce n'est pas une raison si mon label discographique s'appelle GRRR pour soulever tout seul des malles de 50kg chacune, avec trois disques écrasés et une hernie discale de 36 ans. Gymnastique le matin, gymnastique le soir. Je ne sais pas m'arrêter. Si j'ai mes chances, je m'y colle. Des étiquettes d'abord, avec l'adresse du Festival de Victoriaville au Québec et l'indication "Fragile" pour que nos rongeurs ne soient pas trop malmenés dans la soute. J'ai retiré trois lapins morts du voyage vers Bucarest et remplacé le vide par des bulles. Il faut vraiment être bête pour se targuer d'avoir réussi à empiler les flight-cases les unes sur les autres. La porte du garage n'allait pas rester ouverte jusqu'à l'enlèvement des lapines. Celui des Sabines est d'un Poussin. Histoire de basse-cour... Je passe du coq à l'âne. Basse-cour, chanson écrite pour Elsa lorsqu'elle avait neuf ans, laissée à l'état de maquette, chantée ici par Bernard :

En la réécoutant je m'aperçois que c'est aussi une histoire de transport !
La livraison était annoncée pour mercredi dernier. Le chauffeur est passé par la Hollande. Drôle de trajet pour venir de Roumanie, à moins d'avoir envie de s'éclater dans les coffee-shops tout un week-end. Espérons que le test sera négatif quand les bestioles souffleront dans la montgolfière. En attendant le prochain transporteur, j'ai suspendu un trognon de carotte au bout d'une ficelle avant de rabattre la porte sur le clapier.