70 Voyage - août 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 29 août 2011

Un aventurier hors du temps


Le grand livre, épais et riche en couleurs, ne s'achète pas. Il se donne, se partage, pour peu qu'on le trouve au détour d'un marché cévenol. Mika, son auteur (anonyme dans l'ouvrage ou sous le pseudo d'Écureuil), en avait laissé une pile en dépôt au magasin bio du coin. Pas de publicité. Il faut simplement le demander. Romuald, un aventurier comme lui, qui vit de peu mais s'active comme un fou, nous l'avait montré avec des yeux émerveillés. C'est l'histoire d'un jeune homme qui décide de vivre autrement, en construisant ses habitacles, ses véhicules, réinventant perpétuellement sa vie comme un gamin qui traîne les pieds pour grandir à son rythme. Il en existe quantité comme lui dans les Cévennes, enfants de celles et ceux qui ont quitté la ville dans les années 60 pour vivre proches de la nature. On les croise les jours de marché, comme ce matin-là à celui de Florac. À leur tour leurs choix déboussolent leurs parents qui n'avaient pas prévu que le déracinement allait laisser germer leurs graines sur des planètes improbables. Comme leurs aînés ils portent les cheveux longs et la barbe, les filles semblent danser dans la couleur.


Mika ou Écureuil a choisi de raconter son aventure en publiant un livre bourré de photos et de dessins pleine page. Et de l'offrir à celles et ceux qui voudraient partager son rêve. Il raconte librement les siens. Le récit est impudique. Les lettres de ses parents sont étonnantes. Il ne voudrait rien cacher, de ses émotions fragiles, de ses rencontres magiques, de la gestion de son héritage anticipé. Les 6379,20 kg que constitue le tirage de 5000 exemplaires a coûté 41000 euros. Dépensant entre 100 et 200 euros par mois, il lui en reste encore plus de 100000. Qu'ils soient rentiers ou n'aient pas un sou devant eux l'argent n'est pas le moteur de ces jeunes gens. Ils veulent vivre en respirant l'air pur. Si certains sont RSAstes, ils ne chôment pas. Ce sont des castors insatiables, des constructeurs, des bricoleurs imaginatifs. Cela ne les empêche pas de traverser les mêmes tourments sentimentaux ou métaphysiques que n'importe qui, mais ils n'ont de comptes à rendre à personne...


Comme tous les aventuriers l'auteur est égocentrique. La famille ou l'âme sœur tenues à distance il se répand dans un mysticisme de pacotille, plus kitsch tu meures ! On sautera les pages où le Grand Tou lui fait pondre des vers de mirliton pour admirer ses astuces de bâtisseur, sa fantaisie de jouisseur et son kaléidoscope en technicolor.


L'ouvrage est aussi sympathique que son auteur. Il nous fait retomber en enfance, lorsque nous construisions des cabanes dans les arbres, des ponts de cordes au dessus des rivières, des embarcations de fortune. Les siens ont atteint la taille adulte. Ce n'est pas sans risque, mais vivre comme nous le faisons, sur une terre bitumée à 98%, dans les gaz et la poussière, aux ordres des pandores, sous un ciel sans étoiles et au rythme d'un soleil bègue qui a ses heures d'été et d'hiver, c'est franchement moins folichon.

vendredi 26 août 2011

Reprise


Bip bip bip bip bip bip bip bip... Dans mon sommeil j'imaginais être rentré à Paris. Un camion reculait dans la rue, mais sa marche arrière n'en finissait pas. Après le silence absolu des matins cévenols seule une très grosse averse avait su nous réveiller au milieu de la nuit pour que nous courions fermer portes et fenêtres. Le camion continuait de reculer. Trop longtemps : je me suis redressé. Au second étage, un réveil répétait inlassablement son message aux amies à qui nous avions prêté la maison, parties avant notre retour. Sans lunettes j'ai tâtonné pour arrêter le cours du temps. Nous étions revenus, seul l'avenir devait focaliser notre attention. La maison racontait pourtant les six semaines passées en notre absence.
Ade et Nicolas avaient déposé la boule blanche du Prisonnier au pied du futon, sauf que celle-ci sourit lumineusement lorsque nous changeons ses couleurs à la télécommande. Au salon, aux pieds de Ganesh, le tabouret orange de Sonia et Elisabeth pouvait être une petite table indienne où nous poserions nos verres, nos jambes ou nos fesses. Dans l'âtre une installation très sicilienne figurait un collage sur bûche à décrypter comme le rébus de nos amitiés partagées. De l'autre côté de la rue, Marie-Laure et Sun Sun nous invitent à dîner, coupure délicieuse au milieu du grand déballage des affaires à ranger, break salutaire avant l'ouverture du courrier qui révèle ses sinistres factures.
La traversée des Cévennes avait été un enchantement. Au marché de Florac nous avions trouvé le livre haut en couleurs de Mika dévoilé par Romuald à l'Espinassounel des bergers (j'y reviendrai bientôt). L'autoroute au sud comme au nord de Clermont-Ferrand est assez vert pour se faire oublier. Nous évitons ainsi le stress de celui du Sud, un ruban de l'horreur. Scotch n'a jamais été aussi sage. Ces vacances lui ont été aussi salutaires qu'à nous-mêmes.
La pluie a laissé une fraîcheur à laquelle nous n'étions plus habitués. Le marteau d'un ouvrier résonne au lointain, soulignant ce qu'il est coutume d'appeler la rentrée.

mardi 23 août 2011

Cadres et tuyaux percés


Il fait une chaleur d'enfer alors que l'endroit rappelle plutôt le paradis. Depuis deux jours la pression n'était plus suffisante pour que l'eau arrive jusqu'au mas. Sur deux mille mètres à partir de la source nous avons longé le tuyau pour chercher les fuites causées par les rongeurs. Jean-Pierre, qui passa tout un été à dessiner le meilleur tracé pour un dénivelé de seulement dix mètres, nous guide le long des pentes escarpées. Les tapis d'épines de pin glissent comme une piste de ski et les piquants des cupules séchées des châtaigniers traversent nos tennis inadaptées à la balade. Presque arrivée, Françoise se tord une cheville avant un vol plané qui la laisse hilare sur le carreau. Le lendemain elle ne peut plus faire un pas. La pommade, l'arnica et le bandage la remettront bientôt sur pied, mais l'eau n'arrive toujours pas bien que Jean-Pierre ait colmaté le tuyau à chaque série de morsures ravageuses. Son système est astucieux : tuyau perché à la source pour évacuer les bulles d'air, réservoir placé au-dessus du mas pour donner de la pression, etc. Mais là il manque quelques mètres pour que l'eau le remplisse, notre ami en perd son latin et la vaisselle s'accumule. Nous ne sommes tout de même pas à sec, je ne parle ni du rouge ni du rosé, mais du robinet qui coule suffisamment pour que nous puissions remplir des bidons. Hélas plus assez pour alimenter la plomberie de toute la maisonnée.


Pendant qu'il planche sur son problème de robinets les filles font des cadres. Michèle nettoie ceux des abeilles à la flamme. Françoise passe des heures à attendre que Scotch veuille bien descendre la longue échelle en métal depuis la mezzanine où il a élu domicile. Ces dernières années les ruches ont été décimées. Frelons tueurs, teigne, pesticide, ondes ? Jean-Pierre est retourné à la source et a fini par trouver un défaut dans l'amorçage en amont. L'eau est revenue à la joie de tous. Habiter cet havre de paix exige que l'on soit des as du bricolage. Comme j'en suis très loin nous allons bientôt rejoindre nos pénates au confort parisien et réfléchir aux choix que nous propose l'avenir. Mais ça c'est une autre histoire…

lundi 15 août 2011

Il voit des dragons partout


En scrutant le ciel allongé sur la terrasse je comprends pourquoi mon ami Sun Sun voit des dragons partout. L'animal mythique se reconnaît plus facilement que toutes les autres bestioles qui hantent nos rêves d'enfants. Protéiforme il apparaît et se dissipe comme les nuages se font et se défont. En prenant une photo d'en bas je n'ai pas choisi l'évidence pour ne pas influer sur votre imaginaire, j'ai cliqué un peu n'importe quand. D'aucuns y verraient un vautour en cohérence avec la meute qui tournait hors-champ en mouvements circulaires au-dessus de la carcasse d'un veau mort. Le dragon a le mérite de renaître de ses cendres. Revenant tous les douze ans il est le préféré des Chinois parmi les figures de l'horoscope. Certains couples calculent leurs ébats pour accoucher d'un petit dragon. Né en 1952, j'en suis et l'an prochain marquera mon cinquième cycle. Mon incrédulité n'empêche pas mon inconscient de jouir de la légende.

jeudi 11 août 2011

Scotch se la coule douce


Nous nous inquiétions de voyager avec Scotch qui devra changer plusieurs fois de maison pendant l'été. Aussitôt avons-nous fait trois cents mètres en voiture que nous savons devoir faire une halte à la poubelle la plus proche pour nettoyer son plat. C'est plus commode qu'en train où son angoisse du départ produit les mêmes effets. Ensuite il se love sur un fauteuil ou se blottit dans l'endroit le plus exigu du coffre rendu accessible par l'amas de bagages que nous trimbalons d'étape en étape, au gré des saisons virtuelles.
Nous appréhendions surtout la promiscuité avec les animaux de nos amis. En montagne, Scotch avait fini par ne plus se préoccuper des vaches, taureaux, chevaux, etc., se concentrant sur sa collection de queues de lézards ou dégustant quelques campagnols à la nuit tombée. Sa seule véritable émotion lui fut infligée par le courant d'une clôture électrique qui le fit détaler comme un lapin jusqu'au dessous du lit du premier étage. La cavalcade valait le spectacle.
Après avoir trouvé un compromis avec Nanob, la chatte d'Olivia et Thierry, il imposa son statut de "mâle dominant" (dixit la vétérinaire de Bagnolet) à Diabolo, le chien foufou de Jean-Claude. Bien que son nom lui vienne de son côté collant, Scotch sait faire la différence entre un Jack Daniel et un Jack Russell ! À La Ciotat il attrapa plus d'aoutats que de ratons, nous obligeant à traiter notre félin parisien contre les minuscules insectes piquants. Les petits rats malins continuent à sortir tranquillement chaque soir vers 21h10 pour se délecter des graines du tilleul qui jouxte la maison.


Mon T-shirt l'atteste, j'ai choisi mon camp, coiffé du chapeau des pêcheurs cambodgiens, parfaitement adapté à nos parties de pêche qui, cette fois, n'eut rien de miraculeuse. Les rusquiers lancés par Serge depuis son zodiac n'accrochèrent que quelques blades et un bogue, de quoi tout de même faire un bon dîner.

lundi 8 août 2011

Hémisphère Sud


L'autolag de la montagne à la plaine nous colla un coup de soleil comme si nous étions victimes d'un jetlag entre l'hiver et l'été. En quatre heures la chaleur et la couleur du ciel nous donnèrent l'impression d'avoir changé d'hémisphère. Nous plongeons nus dans la piscine. L'eau légèrement salée par le système d'assainissement glisse sur la peau comme une délicieuse caresse. C'est bon. Tout simplement. À l'annonce du soir les hirondelles entament une chorégraphie bruyante à vous coller le vertige. Un gras hérisson vient nous saluer tandis que les chats de faïence font connaissance. La propriétaire qui règne sur les lieux trouve un accord avec notre matou deux fois plus lourd qu'elle. Nos amis nous reçoivent comme des rois, mais dans la douceur du soir, rêvant d'un monde meilleur à partager, nous convenons une fois de plus que tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu des parents communistes. Les nouvelles générations auront beaucoup plus de mal à vivre dans le confort et la sécurité, de ce qui autorise à envoyer tout balader ! Lorsque l'on part de rien, l'accès à la propriété est devenu inaccessible. Nous consommons notre bonheur égoïste, sachant comme nous avons eu chaud. Cette halte à Montpellier jouera le rôle d'un sas de décompression avant de reprendre la route vers La Ciotat.

mercredi 3 août 2011

Dans les nuages


Nous avons passé la seconde semaine dans les nuages. On n'y voyait pas à dix mètres. Sur une île l'horizon laisse espérer l'apparition d'un navire, le ciel celle d'un engin volant. Ici, rien. Seulement le bruit de l'eau, pluie incessante au premier plan, torrents de montagne qui gonflent plus bas et quelques cris d'oiseaux que je suis incapable de reconnaître. Le brouillard nous confina dans l'ancienne grange, enveloppés d'un coton humide qui suintait de partout à la fois. Des idées en germeraient peut-être. Nous passions le temps dans la lecture ou les films, Françoise dans Balzac, de mon côté Seul le silence de R.J.Ellory et les trois saisons d'In Treatment (En analyse). Le soir, la brume était si épaisse que l'on pouvait y projeter nos ombres chinoises en ouvrant les fenêtres ! La température oscillait de 4° à 12°.
Encore heureux qu'on va vers l'été, me suis-je dit en référence aux œuvres complètes de Christiane Rochefort embarquées dans mon volumineux bagage et en pensant au sud vers lequel nous allions nous diriger à la fin du mois. J'avais bouclé une valise pour l'hiver montagnard et une autre pour les chaleurs estivales qui nous accompagneraient de Montpellier à Nîmes en passant par La Ciotat, itinéraire en dents de scie sans autre logique ambulatoire que le plaisir de partager quelques journées avec nos amis.

[Scotch en montagne]
Jamais Scotch n'aura autant profité de nous. Notre farniente de prisonniers météorologiques lui sied à merveille. Un soir, en face, nous avons aperçu les neiges éternelles. Il en est même tombé là-haut, vers les trois mille mètres. Cet été nous n'avons pas vu Christian, le berger de l'autre côté de la vallée, perché avec mille huit cents moutons. Les vaches qui nous ont joué leur concert de cloches depuis notre arrivée ont fini par quitter le flanc sud pour rejoindre l'autre versant où les infrastructures de sports d'hiver ressemblent à une ville fantôme. Et puis ce fut notre tour. Nous avons quitté ce splendide isolement pour l'autoroute des vacances avec ses bouchons et sur les nationales des accidents de motards...

lundi 1 août 2011

Pyrénées (semaine 1)


Nous avons perdu l'habitude des jours de la semaine, mais chacun est marqué par un évènement déterminant. Le premier, nous évitons les bouchons sauf à la sortie de Paris ; l'autoroute qui descend vers Limoges est suffisamment agréable pour que nous ne sentions pas les heures qui défilent ; à la sortie de Toulouse une automobile en flammes nous oblige à quelques détours pour rejoindre Luchon ; l'arrivée à l'ancienne grange est épique, sous une pluie intense et un brouillard à couper au couteau je glisse sur une bouse de vache et fais un vol plané dans l'herbe trempée. Nous sommes encerclés par trois cent cinquante bovins dont une centaine de veaux et sept taureaux très impressionnants que l'on dirait préhistoriques.


Nous entamons nos vacances avec Anny, Adriana et la petite Alicia qui s'en vont le lendemain tandis que débarquent Marie-Laure et Sun Sun, accueillis par une météo à peine plus clémente. Le matin suivant, j'attrape un coup de soleil sur la nuque comme nous grimpons dans la montagne. Une dizaine de vautours tournent au-dessus de nos têtes, Françoise cueille quelques fleurs pour poser un bouquet devant la cheminée autour de laquelle nous nous réchauffons quand vient le soir.
Le samedi se rappelle à notre bon souvenir si nous ne voulons pas rater le marché. Comme le prochain est le mercredi nous faisons des provisions pour ne pas avoir besoin de redescendre dans la vallée. Dans les allées d'Étigny je trouve un hotspot pour récupérer mes mails en me tenant sur un pied tel un échassier des temps modernes, un peu ridicule. Nous garons les voitures au bout du chemin et Françoise fait la navette avec la Lada pour ne pas esquinter le bas de caisse.


Le quatrième jour est celui du déjeuner annuel de l'association des résidents de Lespone. C'est l'occasion de rencontrer nos voisins et de confronter des vécus on ne peut plus différents. Nous sommes vingt cinq à dévorer pâté, côtelettes, patates, bien arrosés, en particulier par un vieil Armagnac à qui nous jetons un sort.
La température oscille sans arrêt entre 8° et 25°. Un jour sur deux est ensoleillé tandis que l'autre ne nous permet même pas de voir à dix mètres. Comme en Bretagne devant l'océan le panorama change toutes les cinq minutes. Il suffit d'un petit coup de vent, d'un courant ascendant pour que les nuages changent de formes, disparaissent ou recouvrent le paysage d'un coton épais transformant la pente en île inaccessible.
Le matin du cinquième jour, Nicolas appelle pour prévenir que la nouvelle chaudière est en rade et qu'une forte odeur de fioul envahit l'escalier. Malgré les difficultés acrobatiques pour obtenir du réseau j'arrive à joindre le chauffagiste qui n'est pas encore parti en vacances. Je me détends en tapant ces lignes avec la musique du long métrage que nous avons enregistrée avec Vincent et Antonin et que je découvre finalement quinze jours plus tard comme si elle avait été composée par quelqu'un d'autre. J'en choisirai quelques prises à la rentrée pour mettre en ligne un nouvel album virtuel sur le site drame.org, mais le temps est à la rêverie et à la lecture. Je suis plongé dans le dernier roman d'Umberto Eco qui pour l'instant ressemble plutôt à un ouvrage encyclopédique où apprendre mille et un faits historiques...


Le lendemain, l'énigme du Cimetière de Prague commence à prendre corps. Le thermomètre descend à 4°C pendant la nuit. Nous assassinons des centaines de mouches venues avec les vaches, à coups de journaux lorsque les rouleaux de glu sont saturés. Je deviens copain avec les deux juments en liberté dans le pré. Alain nous explique que le Conseil Général rembourse les 400 euros de l'antenne Internet si nous nous abonnons. Cela nous permettrait aussi d'avoir un téléphone qui fonctionne plutôt que le système hertzien dont les parasites couvrent les conversations.
Le septième jour, la brume rétrécit l'espace à une bulle aveuglante qui flotte au-dessus de la vallée. Les cloches à vache s'arrêtent de tinter. On entend le silence.