mercredi 11 juillet 2007
La griffe du passé
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 11 juillet 2007 à 00:10 :: Perso
Le mercredi de 9h à midi et le samedi de 10h à 17h, l'appartement-atelier de Le Corbusier, 24 rue Nungesser et Coli à Paris, est ouvert aux visites moyennant un droit d'entrée de 3 euros. Comme lors de notre passage à la Cité Radieuse à Marseille, nous sommes surpris par les astuces de l'architecte (utilisation maximale de l'espace, fonctionnalité, simplicité des lignes, circulation fluide entre les espaces, lumière partout présente) et dans le même temps tout semble étriqué (plafond bas, petitesse du salon et de la cuisine ; la fonctionnalité annonce déjà Ikea...). On n'a pas l'impression que l'ensemble mesure près de 240 mètres carrés. Je pense que Le Corbusier s'est inspiré des cabines de bateau où l'astuce doit contrebalancer le volume. Si l'on compare l'immeuble, dont il acheta les 7ème et 8 ème étages pour y vivre et travailler, aux constructions mitoyennes datant aussi du début des années 30, on se rend compte de sa modernité. Son système de voûtes, une coque renversée plutôt que la nef d'une église, lui évite de rajouter des piliers au centre de l'appartement, de grandes portes pivotent entre les pièces offrant la possibilité de morceler l'espace ou de l'ouvrir complètement, et l'on n'a jamais fait aussi confortable que sa chaise
longue !
Par la baie vitrée, j'aperçois mon ancien lycée (photo) où j'ai effectué toute ma scolarité. Au coin du Stade Jean Bouin et du Parc des Princes, le Lycée Claude Bernard est une énorme bâtisse comme nombreux de ces édifices, donnant l'impression d'une caserne. Je me revois parquer ma mobylette grise devant la grande entrée ou faire la queue pour entrer en classe dans les immenses couloirs derrière les hautes fenêtres. Je prends conscience à quel point rien n'est fait pour donner envie d'y pénétrer. Massif, autoritaire, sa réflexion est à sens unique. Les classes donnent sur l'immense cour intérieure. Je ne crois pas que la concentration nécessite d'être coupé du monde à ce point. Il existe probablement des lycées conçus avec plus de lumière, où respirer avec les yeux et les oreilles est devenu possible, mais je n'ai connu que celui-ci, un lycée de garçons à une époque où la mixité n'était pas encore acquise. Ma libération marqua un point de non-retour.
À l'ouest, vers Boulogne-Billancourt, depuis le petit toit-jardin du Corbusier, j'aperçois l'appartement de mes parents couronné par la terrasse couvrant toute sa surface. C'est là que nous nous sommes libérés de la pesanteur des études, projetant sur les façades des immeubles voisins les diapositives géantes du light-show, allongés sous la lune complètement défoncés au son de musiques psychédéliques devenues le sésame d'un paradis magiquement accessible et qui n'avait rien d'artificiel, la fin des années 60.