70 septembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 septembre 2019

Chez Maxim's avec George Harrison et les Dévots de Krishna


La photo aura mis presque un demi-siècle à me parvenir. Elle proviendrait des archives du New York-Paris Herald Tribune. J'avais raconté comment je m'étais retrouvé enfermé avec George Harrison ce 13 mars 1970. Mais je n'avais jamais vu d'autre photo que celle où mon camarade Michel Polizzi figurait avec mon Beatle préféré lors de cette incroyable soirée chez Maxim's avec les Dévots de Krishna ! De profil debout à gauche, je porte un gilet noir sans manches. Michel est en bas à droite. Harrison est facilement reconnaissable. Je pensais que c'était en 1971, mais Michel me rappelle que "les journalistes ne voulaient savoir qu'une seule chose, si les Beatles allaient se séparer. Or en 1971 c'était plié." Harrison était d'ailleurs là pour la sortie de Govinda paru une semaine plus tôt sur le label Apple, deuxième 45 tours du Radha Kṛṣṇa Temple qu'il avait produit. Ci-dessous mon article d'alors...
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À l'arrière plan de la photo, on reconnaît George Harrison ; devant, au tambourin, Michel Polizzi, un camarade du Lycée Claude Bernard, à l'époque où il fréquentait les Dévots de Krishna. Les commentaires sur sa page FaceBook m'incitent à raconter cette soirée de 1970 chez Maxim's. Préparant le concours de l'Idhec, ancêtre de la Femis, j'avais choisi le "groupe social" des Krishnas comme sujet d'enquête, grâce à Michel qui m'avait également présenté James Doody, fondateur du light-show Krishna Lights. Après le temple de Fontenay-Aux-Roses et les soirées à l'American Center, boulevard Raspail (ah, les bananes trempées dans le lait de coco !), j'étais parti pour Londres où résidait le maître spirituel A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupāda pour continuer mes interviews. Bury Place. On peut deviner que mes questions aux disciples furent perfides et mes remarques éminemment critiques. Le Maître planait au-dessus de la mêlée bien ordonnée. Par quel hasard m'étais-je retrouvé à l'harmonium avec mon Beatle préféré à l'étage de l'improbable Maxim's, rue Royale ? Doody m'avait tout simplement donné le téléphone de John Lennon qui savait comment joindre George ! Les dévots étaient hébergés à Pigalle dans un hôtel de passe où se croisaient les toges aux couleurs du soleil et les mini-jupes des filles de la nuit.
L'harmonium me fut arraché au bout du troisième morceau. Au lieu de jouer le drone de manière recueillie, je m'étais progressivement laissé emporter par le rythme au point de faire swinguer le soufflet comme un malade ! Govinda Jai Jai, Gopala Jai Jai, Radaramanahari Govinda Jai Jai... Comment me suis-je retrouvé plus tard enfermé (à clefs !) pendant une heure sur un palier riquiqui entouré de trois portes, autant dire un placard, avec George Harrison, pour lui tenir le crachoir afin qu'il ne flippe pas tout seul en attendant que ses fans soient dispersés par le service d'ordre ? J'avais fui les avances d'une chanteuse en vogue (je n'avais pas 18 ans et en faisais beaucoup moins) dont le tube respirait le blues comme un gros pétard fait croire au génie de l'instant. Les organisateurs avaient certainement repéré mon comportement dévoué et inoffensif pour me choisir comme chaperon de la star. Dans des occasions pareilles, je tente toujours de converser comme si mon interlocuteur était un type comme un autre. Dehors les fans se coucheraient sous les pneus de sa voiture pour l'empêcher de fuir. George me confia de choisir à qui donner ses coordonnées, soit quelques rares journalistes.
Après avoir brillamment réussi le concours d'entrée à l'Idhec, mes débuts dans la pop-music s'annonçaient, non pas prometteurs, mais simplement banaux. Tout était facile. Je jouai de la flûte avec Eric Clapton dans la villa de Giorgio Gomelsky, manager des Rolling Stones, des Yardbirds, des Moody Blues, Magma, etc. Je phagocytai la villa de Pink Floyd. Ma sœur et moi étions devenus les mascottes de l'orchestre de Sun Ra. Je m'occupai de Frank Zappa lors de ses visites en France. Je projetais mes images psychédéliques sur Gong, Red Noise, Kalfon, Clémenti et Melmoth (Dashiell Hedayat). Je n'avais pas de Chrysler rose, mais une soif d'apprendre et de vivre, sans entrave, sans entraver que pouic non plus, car tout semblait à la fois naturel et fascinant. On planait littéralement. Avec le recul je comprends comme le monde a changé. Cela m'a mis le pied à l'étrier, me rendant exigeant et avide d'expérimentations en tous genres. J'ai continué à avoir de la chance, en travaillant d'arrache-pied. Tandis que je rangeai mon épais dossier d'enquête fortement illustré et parfumé à l'encens (ce qu'il en reste est très imagé), je découvre une chemise que je n'avais pas ouverte depuis 1970. Dedans il y a mes dissertations de philo, mais ça c'est une autre histoire.

vendredi 27 septembre 2019

Assassination Nation


Ce n'est pas une chronique facile. D'abord parce que le photogramme ci-dessus ou la bande-annonce que j'ai délibérément choisie sans sous-titres, en disent beaucoup trop, focalisant sur la violence et l'aspect branché du montage à la Tarantino. Ce n'est pas une trahison, même si la mise en scène de l'hémoglobine contrarie ici l'univers machiste des films d'action américains. Avec Assassination Nation le réalisateur Sam Levinson dresse un portrait terrible des États-Unis et pourtant juste, derrière une mise en scène outrée qui tient du western et du film d'épouvante. La réalité n'a hélas rien à envier à la fiction. Une des quatre héroïnes du film rappelle le chiffre de 300 tueries de masse par an dans ce pays où les armes sont en vente libre et où l'intolérance fait rage. Le titre du film est bien choisi, d'autant plus si l'on élargit le champ à l'action belliqueuse des USA dans le monde depuis leur fondation. Malgré son échec populaire, le second film de Sam Levinson a tout pour devenir un film culte, explicitement féministe et basant l'intrigue sur l'absence de protection des données informatiques de chacun. Certains critiques l'ont trouvé outrageusement féministe, ils ont raison, mais cela ne les gêne pas de voir des milliers de films outrageusement machistes depuis plus d'un siècle ! Faut-il pour se faire que les femmes adoptent les attitudes des hommes, fussent-elles dictées par l'auto-défense, mais toutes aussi absurdes et sanguinaires ?


La superposition de messages SMS, hashtags, mails, séquences vidéo, etc. sur l'écran n'est pas nouvelle, mais Assassination Nation montre à quel point tout peut voler en éclats sous les doigts d'un hacker mal intentionné, inconscient ou d'un lanceur d'alerte. Les États, dont la France, glissent néanmoins vers la censure et la dictature en condamnant ces derniers. D'un autre côté les jeunes ne se rendent pas compte des risques qu'ils prennent, se croyant à l'abri du regard d'autrui en mettant en ligne tout et n'importe quoi. Il y a dix ans je participai déjà, avec Sophie de Quatrebarbes et Nicolas Clauss, à 2025 exmachina, un serious game sur les dangers d'Internet, et récemment à une web-série sur la RGPD et un podcast sur le même sujet. Heureusement les répercutions ne sont pas toujours du niveau de celles imaginées par Levinson à Salem, la ville des sorcières, dans le Connecticut, état particulièrement puritain ! Son atmosphère survoltée rappelle Fury de Fritz Lang, Johnny Guitar de Nicholas Ray et d'autres films où la population toute entière est prête à lyncher le premier venu pour cacher ses contradictions mortifères. La bande-annonce dit vrai, cette Nation est une marmite où bouillent racisme, oppression de classes, homophobie, transphobie, sexisme, machisme, violence, nationalisme, et nous prenons tout cela en pleine figure...

jeudi 26 septembre 2019

Smoking Mouse, euphonium et accordéon


Le duo accordéon-euphonium est une association gonflée, pas seulement par le soufflet et les poumons, mais parce que l'euphonium est un instrument grave, plutôt rare, surtout dans le jazz et en soliste. Aujourd'hui tout est possible. Un saxophone baryton remplace de temps en temps la contrebasse, et ici ce tuba ténor ou un flugabone, instrument à vent qui lui est proche comme du trombone à pistons, mélodise de son timbre velouté. Sur la bonus track, exceptionnellement en re-recording, Anthony Caillet emprunte aussi trompette, bugle et sousaphone tandis que l'accordéoniste Christophe Girard, qui compose presque tous les morceaux, passe aux saxophones alto ou baryton et au trombone. Les ambiances sont variées, tendres ou nerveuses, mais toujours lyriques. On se laisse agréablement porter par les tourneries et les digressions mélodiques...


Smoking Mouse, Terracotta, cd Babil, dist. Inouïes, 15€

mercredi 25 septembre 2019

Manuel de survie en cas d'effondrement de notre civilisation


Avant de vider définitivement l'appartement de mes parents j'ai récupéré quelques cahiers parmi la quantité phénoménale de livres, sept mille pour tout dire. Les uns ont été vendus, d'autres donnés, mais j'en ai conservé quelques uns qui me rappelaient mon enfance, en particulier ceux ayant trait à mon passage aux Louveteaux. Tous les jeudis, certains week-ends et lors de vacances, je pratiquais le scoutisme aux Éclaireurs de France, une troupe que dirigeait un jeune couple, rue d'Alésia d'abord, puis dans le fond de la rue de Nevers. Ils portaient les totems de Fennec et Akela. J'habitais alors rue Léon Morane dans le 15e arrondissement et je me rappelle être rentré plusieurs fois avec le grand mât de la troupe sur la plateforme arrière de l'autobus. On ne peut pas imaginer le plaisir que nous avions à voyager en plein air sur ce bacon mobile d'où l'on pouvait descendre en marche lorsque le receveur ne nous regardait pas. Ces jours-là je portais un uniforme bleu, un foulard jaune et évidemment des culottes courtes. De 8 à 11 ans, j'ai ainsi appris et testé la manière de vivre, à la fois morale et pratique, que m'avaient inculquée mes parents et que j'allais adopter au cours de ma vie. Je suis rapidement devenu sizenier, et, le plus jeune de France, je fus présenté à la petite fille de Baden Powell sur la scène de la Salle Pleyel. C'était déjà une vieille dame, le fondateur du scoutisme, né en 1857, étant mort en 1941.
Mon Manuel de l'éclaireur, sous-titré L'ami du campeur, publié en France en 1947 par les Éclaireurs unionistes d'inspiration protestante, prétend "développer chez les garçons la curiosité saine de la nature et des hommes. Il s'efforce de les pousser à «entreprendre» et à «réaliser»." Ce livre dont la première version remonte à 1914 n'est donc pas exempt de sexisme. Si les filles furent intégrées très rapidement au mouvement, Baden-Powell considérait que les garçons étaient des éclaireurs et les filles des guides. On notera la nuance ! Heureusement ma troupe n'était pas seulement laïque, elle était mixte, ce qui me valut, entre autres, mes premiers émois sexuels lors d'un camp à Belle-Île lorsque j'avais 11 ans. Entré aux Louveteaux à l'âge de 8 ans, je ne désirai pas poursuivre le scoutisme aux Éclaireurs l'année suivante. C'est à cette époque que je pris ma carte de Citoyen du Monde ! Si l'on fait abstraction de ma prédisposition obsessionnelle, ces trois ou quatre années aux Louveteaux et mon travail de premier assistant à la sortie de l'Idhec sont la base de mon imparable organisation.
Il était nécessaire que je resitue le contexte, mais en ouvrant ce livre je suis surpris de la somme d'idées pouvant nous permettre de survivre dans une perspective collapsologique ! Passé le chapitre sur la France, celui sur les arts me donne des pistes sur ce qui a pu m'inspirer alors que j'étais enfant. Celui sur le sport a quelque intérêt également, mais les choses deviennent sérieuses avec celui sur la santé. Hygiène de vie, sauvetages en tous genres, du cheval emballé au chien enragé, de l'électrocution aux troubles digestifs, on frise le Manuel de survie que ma fille m'avait offert il y a longtemps avec beaucoup d'humour. On y trouvait Comment sauter dans un train en marche quand on se trouve sur le toit, Comment survivre à une morsure de serpent venimeux, se débarrasser d'un requin, échapper à un puma, un alligator ou des abeilles tueuses, Comment gagner un combat à l'épée, encaisser un coup de poing, sauter d'un immeuble dans un container, faire une trachéotomie, détecter un colis piégé, faire atterrir un avion, survivre à un tremblement de terre ou à un naufrage, etc. Là ce serait plutôt comment construire une cabane, faire des nœuds, camper par tous les temps... Les chapitres Voir sans être vu et Transmissions sont évidemment passionnants, avant d'aborder ceux sur la nature qui concernent les animaux, les plantes, les roches, le climat et ce que l'on peut en tirer. L'exploration pourrait devenir un jour déterminante, comme Le Travail des hommes et Les bricolages puisqu'il s'agit de construire tout ce qui peut nous permettre de survivre dans la nature ou en l'absence du confort moderne. Cette perspective d'effondrement de la civilisation industrielle et du capitalisme devient de plus en plus probable sans que l'on sache très bien quand cela se produira, et si j'en verrai les effets.
Ce manuel tombe donc à pic au moment où j'attaque mon nouveau projet discographique intitulé Perspectives du XXIIe siècle. Coproduit avec le Musée Ethnographique de Genève (MEG) et les Archives Internationales des Musiques Populaires (AIMP), il y est question de repartir à zéro en revoyant les bases à la lumière des erreurs fatales du passé. Cette éventualité est plutôt sympathique, puisqu'elle envisage qu'il y aura des survivants !

mardi 24 septembre 2019

Boucan, ça va déborder


Pourquoi j'écoute toutes sortes de musique à l'affût de l'étincelle qui me donne envie d'écrire ? D'écrire mon article quotidien, certes. Encore que je souhaiterais éviter qu'il se transforme en compilation de chroniques. Je ne suis pas journaliste. C'est une activité militante et solidaire. Écrire, pour moi, c'est d'abord composer. Tant de chemins inexplorés s'offrent encore à mon imagination. Et lorsque j'écris "composer" il s'agit d'abord de rêver à des futurs plus ou moins possibles, parce que j'aime me jeter dans le son comme un plongeur du haut de la plus haute falaise. La dernière fois que j'ai voulu faire le jeune, je me suis néanmoins démis l'épaule ! Compositions instantanées et préalables se revoient la balle. J'enregistre régulièrement des albums avec des improvisateurs et des improvisatrices, sorte de laboratoire où retrouver la passion et l'innocence des premiers temps. Mais dans quelle direction se tourner quand on a l'impression d'avoir tout goûté, du rock aux musiques les plus contemporaines en passant par la chanson, l'orchestre symphonique, le théâtre musical, le jazz, l'improvisation libre, le ciné-concert, les lectures de texte et l'opéra, avec des centaines de camarades, avec des robots, avec mes machines ? Et chaque fois, à mon grand dam, les copains de s'esclaffer «ah, c 'est bien toi !», alors que je cherche sans cesse à me renouveler. C'est pareil pour le blog que je poste quotidiennement sur drame.org et Mediapart. Comment ne pas me répéter après 4243 articles ? J'oublie tout. Le blog me sert de mémoire. Je repars à zéro chaque matin, comme dans le film Un jour sans fin (Groundhog Day), sauf que je rêve que ma journée soit chaque fois différente et que je m'endorme en ayant appris quelque chose...


Tout ce préambule pour en arriver au groupe Boucan. Leur album Déborder est un condensé de rock en colère où la mort rôde en vain dans les mots face à la musique explosant de vitalité. Ils sont trois, c'est souvent un bon nombre pour écrire ensemble. Le contrebassiste Mathias Imbert (ex Imbert Imbert), le guitariste et banjoïste Brunoï Zarn, le trompettiste Piero Pepin s'en donnent à cœur joie pour dynamiter leurs bases. Ils ont fait appel à John Parish, collaborateur de PJ Harvey, pour enregistrer et mixer ce disque qui me donne envie de revenir au rock après mes récentes incartades avec les New-Yorkais de Controlled Bleeding.
Avec le rap c'est le lieu où le quotidien est le plus en adéquation avec ce que vivent les gens, pas seulement le petit réseau intello de Parisiens dont je fais partie. Les paroles y sont souvent plus politiques qu'ailleurs, la musique plus collective en comparaison des chorus interminablement bavards du jazz, mais là comme ailleurs les empêcheurs de tourner en rond échappant au formatage sont ghettoïsés par un système bulldozer, une absence de curiosité envers l'autrement. Pas facile de penser par soi-même et a fortiori de faire abstraction de la conspiration du bruit qui nous assomme à grands coups de répétitions. La pop, comme les médias aux ordres, martèle "Enfoncez-vous bien ça dans la tête !". C'est aussi là où le bât blesse, car échapper au rythme soutenu ou au consensus, c'est risquer l'isolement. N'ayant jamais su sur quel pied danser, j'ai choisi de rêver et réfléchir. Mais les miroirs sont traitres et la tentation est grande de prendre la poudre d'escampette...

Boucan, Déborder, CD, dist. L'autre distribution

lundi 23 septembre 2019

Mike Patton et Jean-Claude Vannier


Corpse Flower, l'album de Mike Patton avec Jean-Claude Vannier, ne plaira pas à tout le monde. Mais quel artiste peut prétendre à l'amour universel ? Pour comprendre ce qui nous touche, il faut souvent remonter à notre enfance et à notre formation culturelle. Tant de mélomanes ne supportent pas le jazz, pire, le free jazz, ou bien le rock, pire, le heavy metal, ou la musique contemporaine, il y a difficilement pire (!), ou les chansons, etc. J'ai la chance de ne faire aucune distinction entre les genres, tant que je suis surpris ou transporté, même s'il y a des formes qui me barbent, mais il suffit d'une exception pour que je sois dans l'incapacité de généraliser...
Après avoir zappé l'intégrale du Top50, affligeant de banalité et de médiocrité (une fois par an cela remet les pendules à l'heure d'aller y jeter une oreille avant de la reprendre rageusement), je suis content d'écouter un disque de chansons, avec celui de Hasse Poulsen la semaine dernière, qui me donne envie de le remettre sur la platine. Comme les artistes que j'aime, Mike Patton change de façon de chanter en fonction des paroles et de la musique, comme des rôles qu'endosserait un comédien, à la manière de David Lynch dans ses propres disques. Jean-Claude Vannier est toujours aussi inventif dans ses orchestrations tout en exploitant la veine de Melody Nelson qui l'a fait connaître comme sur le titre éponyme de l'album. Des cordes très sixties et des chœurs facétieux se mêlent aux guitares électriques. J'ai toujours un petit faible pour ce qui est déjanté comme Cold Sun Warm Beer, Hungry Ghost et A Schoolgirl's Day, plutôt que pour les kitcheries de crooner telles Insolubles ou Pink and Bleue, mais Mike Patton s'en sort très bien et Jean-Claude Vannier retrouve une nouvelle jeunesse.


Sur ce disque en noir et blanc, dont les couleurs renvoient au passé avec les moyens du présent, Mike Patton s'est entouré de musiciens aguerris tels le guitariste Smokey Hormel, le bassiste Justin Meldal-Johnsen et la batteur James Gadson, tandis que Jean-Claude Vannier ne restait pas en reste, proposant le guitariste Denys Lable, le bassiste Bernard Paganotti, le percussionniste Daniel Ciampolini (Vannier a souvent préféré leurs couleurs variées à la batterie), le souffleur multi-instrumentiste Didier Malherbe, le saxophoniste Léonard Le Cloarec et le Bécon Palace String Ensemble. Le tout fait corps, et, par un jeu de va-et-vient à distance, les deux artistes réussissent le pari de chansons pop plutôt barrées, si on peut dire cela de Tom Waits, Nick Drake, Robert Wyatt, Tom Zé, et de ce côté-ci Brigitte Fontaine, Camille, Claire Diterzi, Léopoldine H H, Babx, Orelsan, Michel Musseau, Fantazio, Sylvain Giro ou Gilles Poizat... Je cite des vivants qui me viennent à l'esprit, histoire aussi d'agrandir le cercle, mais il y en a certainement beaucoup d'autres.

→ Mike Patton et Jean-Claude Vannier, Corpse Flower, Ipecac Records, CD ou LP ou Bandcamp

samedi 21 septembre 2019

Nonself Remix (Birgé-Sanborn)


Pari réussi hier soir au Blackstar. Je regrette de n'avoir pas enregistré. 62 minutes pendant lesquelles mes pieds ne touchaient plus terre. J'en ai oublié mes douleurs lombaires.


Mon installation a fonctionné. C'est souvent une question de disposition dans l'espace, comme pour un batteur ou un guitariste distribuant ses pédales d'effets autour de lui. J'avais tout à ma main, même si j'en manquais. J'aurais aimé en avoir quatre. Pour une fois les pédales de volume et de sustain de mon clavier auront été utiles. C'est surtout une affaire d'écoute. Quand c'est confortable, on peut contrôler tous les paramètres du son, ce qui est crucial pour une improvisation.


Mon petit poème symphonique attribuait un sens nouveau aux images de John Sanborn. J'ai eu l'impression de commettre un remix brechtien de son montage déjà fortement critique. Comme une mise en abyme de poupées gigognes qui n'en finiraient pas de grandir/rapetisser. Simultanément, du microscope électronique à la Terre vue de la Lune.


Derrière moi s'affichait le portrait de Lemmy Kilmister, le bassiste et chanteur du groupe de heavy metal Motörhead ! Sur l'écran John Sanborn psalmodiait tel le récitant d'un opéra multimédia. À suivre...

Photos : Dana Diminescu

vendredi 20 septembre 2019

Je joue Nonselves avec John Sanborn, ce soir au Blackstar


À sa conférence de mardi au Jeu de Paume, John Sanborn jouait avec la vérité comme un chat avec une souris. La vérité de soi. Qui on est, qui l'on n'est pas. C'est l'en-jeu de son Nonself, portrait en creux basé sur le rejet. Or, si l'on suit Jacques Lacan avançant que l'inconscient ignore les contraires, on se focalisera sur le choix des sujets et non sur leur affirmation ou leur négation. Ce qui nous préoccupe fait sens. Tous les doutes sont permis au je du J'aime/J'aime pas. John Sanborn a supprimé les titres (adjectifs précédés de not) du montage des séquences qu'il m'a fourni. Le melting not en devient un melting pot où les plans jouent à saute-mouton pour retrouver un impossible équilibre. Chacun, chacune, ressentira ainsi à sa manière les sentiments d'acceptation et de rejet que les vidéos provoquent. La musique improvisée que j'ai imaginée participe à ce grand chambardement. Elle accentue, contrarie, transforme le regard porté sur notre société saturée d'images, comme Sanborn le suggère dans son accumulation de signes.
J'ai rarement eu autant de mal à préparer un concert. Jouer sur le montage d'une heure des 122 vidéos de John Sanborn m'a obligé à jongler avec le chronomètre, la projection, les chargements de banques de sons tandis que je continue à frapper mon clavier ; de plus, je dois mixer l'instrument avec le montage radiophonique des années 80 et les sons synchrones de Sanborn. Ses séquences ultracourtes divisent parfois l'écran en deux ou trois panneaux séparés. Je dois posséder quatre bras, jouir d'un strabisme divergent et d'une schizophrénie passagère pour conjuguer l'ensemble ! Le solo est un exercice difficile lorsqu'on joue d'instruments électroniques exigeant que l'on regarde les écrans et qu'on lâche de temps en temps le clavier pour le trackpad. Fin octobre à Vienne en Autriche j'ai demandé à Walter Robotka de me faire rencontrer quelqu'un pour éviter la solitude du coureur de fond ; je partagerai donc la scène avec le performeur Didi Bruckmayr sans le connaître. Le mode de la conversation l'autorise ! Mais ce soir au Blackstar je devrai faire l'acrobate sans perdre le fil sensible de ce montage aussi politique qu'esthétique. Cette semaine j'ai trouvé quelques astuces pour que l'ensemble se tienne. J'ai par exemple ajouté une petite réverbération sur les sons synchrones afin qu'ils s'intègrent mieux à mon jeu, et minimisé, soit mieux localisé, les interventions de la radiophonie. Cette salade sera imperceptible au public dont les yeux seront rivés à l'écran de Led géant. Si le son a l'avantage d'être évocateur, l'image focalise massivement l'attention des spectateurs...

→ Vendredi 20 septembre au Blackstar, 6 passage Thiéré, 75011 Paris
20h : ouverture des portes
20h15 John Sanborn Pensées Aléatoires du Futur
21h : le chanteur Pierre Faa accompagné par Paul Abichared
21h45 : vidéos d'Agnès Guillaume, Sarah El Hamed, Héloïse Roueau
22h30 : Nonselves, performance de Jean-Jacques Birgé sur 122 vidéos de John Sanborn
23h30 John Sanborn The Temptation of St. Anthony
Minuit : DJ et video de Marcus Kreiss Souvenirs from Earth
Entrée 10€ allant aux musiciens (chèque ou liquide) / au bar CB acceptée !

jeudi 19 septembre 2019

Not Married Anymore


Comme le titre est en anglais on peut supposer qu'il n'a rien d'autobiographique en ce qui me concerne. Qu'ils soient professionnels ou amoureux, tous les divorces ne se passent pas aussi bien que les miens. Il suffit d'envisager la rupture au moment de la rencontre. Pas de cynisme, mais rien n'est certain, toute association est susceptible de s'interrompre un jour, ne serait-ce que par la disparition de certains protagonistes. Il me semble aussi que plus le mariage est chargé symboliquement, plus le divorce éventuel sera complexe. Les jeunes couples qui dépensent des fortunes pour marquer le coup n'auront souvent pas fini de payer les dettes contractées à cette occasion avant de se séparer ! Pour ma part je me suis marié deux fois le plus simplement du monde, sans aucun tralala, j'ai vécu dix et quinze ans de bonheur, et nous avons chaque fois divorcé à l'amiable, ce qui n'empêche évidemment pas la douleur de la rupture. Le mariage n'a rien à voir avec l'amour. Il s'agit seulement du regard de la société ou de se conformer à une loi facilitant ou pas le modèle familial. Je reste en bons termes avec presque toutes mes ex comme je l'écrivais il y a peu. Ce n'est hélas pas le lot de tout le monde. Au moins une fois j'ai vécu un enfer. Beaucoup s'entredéchirent, se font payer le déficit des années antérieures ou exhument les cadavres entassés dans les placards.
Hasse Poulsen semble avoir morfler un max ! Les années difficiles qu'il a passées avant de retrouver son indépendance lui auront au moins offert d'écrire un beau disque, certes amer, mais diablement prenant. Délivré du quotidien, au moment d'enregistrer les textes et la musique il ne l'était pas encore dans sa tête ou son cœur. Il est si douloureux d'accepter l'échec lorsqu'on s'est accroché à des futurs paraissant accessibles. Les lignes de fuite nous échappent, les parallèles finissant pas s'écarter à l'infini. Les paroles de ces 15 chansons sont terriblement justes et leur musique abstraitement bluesy. Combien de jours et combien de nuits à les ruminer avant d'accepter l'inéluctabilité de la rupture ? Il aura fallu beaucoup d'amour, de déceptions, de tentatives infructueuses pour s'y résigner. S'accompagnant seulement à la guitare, épaulé par le contrebassiste Henrik S. Simonsen, le batteur Tim Lutte et l'ingénieur du son Gilles Olivesi, le guitariste danois signe un album magnifique, digne des grands songwriters américains. Précisons que le Danois a une mère anglaise. Sur les photos de Denis Rouvre, Hasse Poulsen reste stoïque malgré le lait jeté à sa figure. Si celui-ci ne l'est déjà, on peut lui souhaiter que le prochain opus soit celui d'une renaissance, parce que la vie est faite de hauts et de bas, alternance de bonnes et mauvaises nouvelles, une course d'obstacles qui, au fur et à mesure que l'on avance, peut devenir de plus en plus facile à sauter, à moins de s'enfoncer dans le passé. Dans tous ses projets, y compris la collaboration que nous avons partagée sur La révolte des carrés avec Wassim Halal, Hasse Poulsen va de l'avant, remettant sans cesse son titre en jeu, car il n'est pire risque que de n'en prendre aucun.

→ Hasse Poulsen, Not Married Anymore, Das Kapital Records, dist. L'autre distribution, sortie le 18 octobre
→ concert du trio le 19 octobre au Triton, Les Lilas

mercredi 18 septembre 2019

Django par le Trio de Théo Ceccaldi


Cette rentrée sera définitivement marquée par les archets. Après l'Unis-Vers de Mathias Lévy, le nouveau Balanescu Quartet où Alexander joue en re-recording des deux violons et de l'alto, et Terry Riley par le Kronos, paraît un nouvel opus du prolifique violoniste Théo Ceccaldi que l'on retrouve également dans le nouveau CD du palpitant trio Daniel Erdmann's Velvet Revolution et avec qÖÖlp où figure aussi son frère Valentin Ceccaldi au violoncelle. Voici donc Théo, Valentin et le guitariste Guillaume Aknine céder à la mode du jazz musette, sauf qu'évidemment ces trois histrions se font un devoir d'honorer autant qu'ils dépoussièrent avec une fougue aussi lyrique que rythmique. Derrière la virtuosité se cache un nouveau romantisme. Alors ça swingue et ça rock, ça casse et ça recolle, ça prend son temps ou la tangente, ça s'accélère et ça revient au bercail comme si la musique était de toujours.


S'ils seront bientôt à Lyon, Eymet, Marseille, j'ignore quand ils seront à Paris. Je reproduis ci-dessus le lien vers l'un de leurs concerts, au festival Jazz sous les Pommiers au printemps dernier.

→ Théo Ceccaldi Trio, Django, Brouhaha, dist. L'autre distribution, sortie le 18 octobre 2019

mardi 17 septembre 2019

Improvisation live sur NonSelf de John Sanborn (vendredi)


Le vidéaste américain John Sanborn m'a demandé d'accompagner en public 122 vidéos de son projet NonSelf. Tandis qu'il les présente au Jeu de Paume (et dans leur espace virtuel jusqu'en novembre) sonorisées par ses soins, je recrée intégralement la partition sonore de ce « non-autoportrait d’attributs inversés » vendredi prochain au Blackstar à Paris. Composer une heure de ce maelström maximaliste n'est pas une petite affaire !


J'ai choisi d'unifier l'ensemble au clavier avec des orchestrations néanmoins très variées, depuis des ambiances électro-acoustiques jusqu'à un orchestre symphonique en passant par des instruments de percussion et des guitares électriques rock en diable. L'élément le plus original de mon improvisation est une radiophonie réalisée en 1980, plunderphonics avant la lettre, qui découpe l'espace-temps de manière encore plus éclatée, sorte de fractales sonores du montage explosif de John Sanborn. Il me restera à mixer ces deux sources avec quelques évènements synchrones de la vidéo originale, en particulier lorsque l'on voit des personnages parler à l'écran.


Je me demande encore combien de mains il me faudra pour réussir ce tour de force, mais j'adore relever des défis qui me paraissent de prime abord impossibles. Le côté godardien (celui des Histoires du cinéma et du Livre d'image) de Sanborn me séduit par ses évocations narratives. L'afflux de sens monte à la tête, chacun ou chacune y découvrant les portes de la perception vers l'inconscient de l'artiste comme dans le sien propre.


Je me suis passé et repassé les 122 vidéos où la tendresse et la beauté rivalisent avec les provocations toujours teintes d'humour caustique. L'œuvre de John Sanborn est fondamentalement politique, au sens où l'entendent ceux et celles de sa génération qui étaient déjà actifs dans les années 70. Oui, "tout est politique " !


J'ai structuré ma création d'une heure, de manière à alterner les ambiances calmes et excitées. J'avais pensé à une forme sonate, mais je ne pense pas m'y cantonner lorsque je serai en scène, absorbé par les images et concentré sur ma performance shivaïque...


Vendredi 20 septembre au Blackstar, 6 passage Thiéré, 75011 Paris
20h : ouverture des portes
20h15 John Sanborn Pensées Aléatoires du Futur
21h : le chanteur Pierre Faa accompagné par Paul Abichared
21h45 : vidéos d'Agnès Guillaume, Sarah El Hamed, Héloïse Roueau
22h30 : Nonselves, performance de Jean-Jacques Birgé sur 122 vidéos de John Sanborn
23h30 John Sanborn The Temptation of St. Anthony
Minuit : DJ et video de Marcus Kreiss Souvenirs from Earth
Entrée 10€ allant aux musiciens (chèque ou liquide) / au bar CB acceptée !

lundi 16 septembre 2019

Mes premiers chants apaisants


Mes premiers chants apaisants, le nouveau livre-disque de Martina A. Catella est tombé à point. Ayant la garde de mon petit-fils pendant un long week-end, toutes les ressources étaient bonnes pour passer avec succès cette étape. Il n'avait encore jamais dormi à la maison sans ses parents. Comme il est très gentil d'habitude, il n'y avait aucune raison que cela se passe mal avec son "papou". J'ai le dos en compote et les genoux douloureux à force de monter les escaliers en le portant, mais ce fut une partie de plaisir. Il possédait déjà quantité de jouets musicaux et de livres-disques ou avec des boutons sonores dont le rock de Paco ou Mes premières comptines du monde qui l'enthousiasment, de répétition en répétition. Comme pour le précédent album illustré par Vinciane Schleef, le nouveau contient un CD avec les dessins de Raphaëlle Michaud et surtout 15 chansons du monde, plus 8 extraits accessibles en poussant des petits boutons en plastique. Comme il a 18 mois, appuyer dessus est évidemment ce qui lui plaît le plus, alors que je préfère m'allonger pour écouter le disque, et franchement je l'ai bien mérité...
Mes premiers chants apaisants plaira donc autant aux adultes qu'aux petits. Martina Catella a formé nombreux chanteurs et chanteuses au sein des Glotte-Trotters dont elle est la directrice artistique et pédagogique. Ma fille Elsa a, entre autres, profité de son formidable enseignement. Vous seriez surpris de connaître le nom de ses élèves ! Pour ce second recueil elle a encore choisi des chanteuses différentes pour chaque coin du monde. Carine Henry pour la France (Béarn) avec Chloé Breillot (également pour le Vénézuela), Anaïs Athané ou Tamara Pavan pour l'Italie, Solea Garcia Fons et Étoile Méchali pour la Lituanie, Thanh Huong pour le Vietnam, Hacer Gülay Toruk pour le Kurdistan turc, Alexandra Grimal pour l'Inde, Nuria Rovira Salat pour la Russie, Cathy Gringelli pour la Géorgie, Camille Ablard pour la Corse, Aya El Dika pour le Liban, Xanthoula Dakovanou pour la Grèce. Elle ouvre le disque au piano avec la Première Gymnopédie d'Erik Satie et Jean-Jacques Fauthoux qui chante, enregistre et arrange nombreuses de ces pièces. Les musiciens David Babin (Babx), Gregory Dargent, Xuân Vinh Phuoc, Rusan Filiztek, Henri Tournier, Ninon Valder, Issa Murad et quelques autres sont aussi de la partie. En plus d'être un bel objet, c'est envoûtant, extrêmement reposant, et nous voyageons ainsi, allongés sur un tapis volant !

→ Martina A. Cattela, Mes premiers chants apaisants, Editions Auzou, coll. Mes premiers livres à écouter, 16,95€

vendredi 13 septembre 2019

Préhistoire, une énigme moderne


Vous n'avez plus que jusqu'à lundi pour voir l'exposition Préhistoire, une énigme moderne au Centre Pompidou. La confrontation d'œuvres contemporaines et de reliques des temps préhistoriques soulève en effet maintes questions sur le temps qui passe, tant les formes se conjuguent à tous les temps. Voilà près de deux siècles que les artistes ont régulièrement choisi de plonger dans ce lointain passé pour imaginer le futur. Ici la Vénus de Lespugue (-23000 ans !) trône devant Il trionfo della morte de Miquel Barceló (argile sur verrières, 2019) et les ombres des visiteurs dans la scénographie de Pascal Rodriguez...


À côté, je photographie deux bronzes de Louise Bourgeois (Femme inoffensive de 1969 et Déesse fragile de 1970) devant deux Paul Klee (1930/1939) et cinq Henri Michaux (1937/1974), mais bien d'autres chocs esthétiques se dressent entre ces époques si éloignées. Moins lointaines que les étoiles, mais cela c'est une autre histoire ! D'emblée j'ai été séduit par les peintures de Cézanne (Le rocher rouge ou Dans les carrières de Bibémus, 1895), qui n'est pas toujours ma tasse de thé, et les dessins d'Odilon Redon. Pour une fois, les commissaires Cécile Debray, Rémi Labrusse et Maria Stavrinaki ont choisi pas mal de pièces peu exposées. Le Carbonifère d'Otto Dix jouxte le film The Lost World. Etc.
Je ne peux m'empêcher de penser à Jean-Hubert Martin pour qui j'avais créé la musique de Carambolages au Grand Palais en 2016. Depuis Les Magiciens de la Terre, il a pris l'habitude de mélanger l'art brut et l'art moderne, ou des œuvres de tous les continents, sans privilégier les unes par rapport aux autres. Pour Carambolages, il révélait leur âge seulement après que nous les ayons admirées, de manière à ce que leur poésie nous touche sans aucun a priori...


Les strates archéologiques nous renvoient au bétonnage systématique de notre planète terre, la disparition des dinosaures à la collapsologie actuelle. On n'échappe pas à Dubuffet, Ernst, Picasso, Giacometti, Klein, Fontana, Beuys, Penone et les frères Chapman. Ici des croquis et une sculpture d'Henry Moore qui me rappellent mon séjour à New York en 1968 où ses stabiles répondaient aux Arp sur le bacon de l'appartement qu'on nous avait prêté...


Les trésors du sous-sol, les animaux, les premiers outils, le mythe de la caverne ont inspiré les artistes, comme si on avait retourné la science-fiction comme un gant. L'art devient aussi magique que les rites ancestraux, mais l'individu s'est substitué au groupe. Que deviendrons-nous ? L'Idole aux yeux (Uruk, Mésopotamie, 3300-3000 av. J.C.) conserve un mystère abyssal alors que le Snake-Circle de Richard Long (1991) peut paraître la parodie de quelque Stonehenge. Cette visite tombe à pic alors que j'entame mon projet de disque avec le Musée Ethnographique de Genève intitulé Perspectives du XXIIe siècle à partir de la Collection Brăiloiu !


Puisque j'avais les yeux qui me brûlaient, comme souvent dans les grandes expositions qui exigent de moi une très forte concentration, je suis passé en vitesse faire un petit footing à celle sur Francis Bacon, histoire de me faire une idée avant de revenir. Si je suis toujours content de revoir ses tableaux, je suis déçu de n'avoir aucune révélation. L'accompagnement de ses œuvres de la dernière période (1971-1992) par la lecture de textes qui l'auraient inspiré m'apparaît comme un artifice justificateur d'une présentation aux mobiles financiers profitables pour le Centre. Dans six alcôves de bons comédiens lisent Eschyle, Nietzsche, T.S. Eliot, Leiris, Conrad, Bataille, mais la scénographie n'est pas assez confortable pour que les visiteurs s'y attardent.


Ils préfèrent s'amasser devant le passionnant documentaire où Bacon s'explique devant la caméra de David Hinton. L'encombrement est tel que je n'arrive pas à voir le cartel du diorama où Charles Matton a reconstitué en miniature l'atelier du peintre britannique.

jeudi 12 septembre 2019

Birgépub


Il y a quelques jours Paul Brousseau s'est gentiment moqué de moi quand je lui ai raconté que mes parents ne m'emmenaient jamais à un concert ou une expo, mais qu'ils avaient une petite agence de publicité. Paul a juste écrit qu'il comprenait "d'où me venait ce petit côté"... Sans préciser lequel ! J'imagine qu'il sous-entendait l'art de faire parler de soi ! Cela ne se fait pas tout seul. Les 4500 articles du blog et dans la presse écrite, les 2000 pièces musicales, la centaine d'albums, mon travail de designer sonore, mes films, les spectacles et quantité d'autres activités, les nombreux prix dans ces différents domaines y sont aussi pour quelque chose. Je me sers des outils actuels comme jadis lorsque nous envoyions mille invitations chaque fois que nous faisions une création importante. Il fallait écrire les adresses à la main et coller autant de timbres sur les enveloppes. Je n'ai jamais eu d'agent, il a toujours fallu tout faire moi-même. J'ai compris très tôt que cela prendrait du temps pour faire accepter mes idées farfelues. J'ai ainsi fondé le label de disques GRRR en 1975, Un Drame Musical Instantané en 1976 en même temps que le studio GRRR, le grand orchestre en 1981, le site drame.org en 1997, les Inéditeurs en 2013, etc. Pas tout seul, cela s'entend. Je suis un homme du collectif : "plus on est de fous, plus on ri".
Ma maman, qui ne comprenait rien à ce que je fabriquais et me sortais tout ce qu'il y a de plus insupportable sur les intellectuels et "les intermittents du spectacle à la charge de la société", disait que ce que je savais mieux faire était de me vendre. Cela m'énervait, mais c'était une manière pour elle de revendiquer son influence de tchatcheuse. Elle avait toujours rêvé d'être camelot ou comédienne. Lorsqu'elle s'engueulait avec mon père, elle jouait d'ailleurs régulièrement la grande scène du 2. Quant à lui, il avait été dans le spectacle, mais après sa faillite en tant que producteur de l'opérette Nouvelle-Orléans avec Sidney Bechet et Jacques Higelin dans son premier (petit) rôle, à 40 ans il était retourné à l'école, et pour subvenir aux besoins de sa famille il était devenu représentant de commerce. D'abord pour l'annuaire Qui représente Qui en France ?, puis avec elle qui travaillait déjà dans le domaine, ils avaient fini par monter leur propre boîte, une agence de pub B2B spécialisée dans l'électronique. À l'époque cela signifiait des composants, des transfos, des trucs pour professionnels qui n'avaient rien à voir avec la publicité grand public. Ma sœur les avait vite rejoints. Je leur avais bien précisé que jamais je n'y mettrais les pieds. De temps en temps je les aidais tout de même à trouver un slogan. Je passais à leur bureau surtout faire des photocopies ou piquer des stylos et du papier. J'appelais leur société GirbéBurp. Ils n'ont pas su prendre le train de la révolution informatique et ils ont fini par déposer le bilan après 30 ans d'activité. Ma mère et ma sœur avaient repris le flambeau à la mort de mon père début 88.
Il m'avait aidé à produire quelques vinyles du Drame, mais cela s'était arrêté avec sa disparition, avant que nous passions aux CD. Il m'avait mis plusieurs fois le pied à l'étrier lorsque j'avais voulu acheter un électrophone, mon orgue Farfisa ou mon synthétiseur ARP2600, en m'en payant la moitié. C'était une façon de ne pas me gâter et de me pousser à travailler pour acquérir ce qui manquait. Quant à ma mère, lorsqu'elle eut compris que je ne porterais pas de cravate et que je ne deviendrais pas ingénieur, elle m'a exhorté à passer le concours de l'Idhec, alors que j'avais décidé d'arrêter mes études pour me consacrer à la musique et au light-show ! J'ai réalisé quelques films, mais ces études m'ont surtout permis d'inventer mon langage musical en empruntant la syntaxe cinématographique plutôt qu'en suivant les règles du contrepoint et de l'harmonie.
Donc Paul a raison. Mes parents m'ont certainement aidé à comprendre qu'il ne suffisait pas que je crée des œuvres personnelles pour que ça me tombe rôti dans la bouche. N'ayant pas de contact dans le métier, il fallait que je les fasse connaître. Voilà vingt ans que je n'appelle plus pour trouver du boulot, persuadé que le téléphone va sonner et que Monsieur De Mesmaeker va me proposer l'affaire du siècle. Il y a donc des moments avec et des moments sans, mais je vis de ma musique depuis 45 ans, malgré son caractère atypique, pour ne pas dire totalement barjo comme j'y fais souvent allusion pour couper court aux conversations oiseuses. J'ai ainsi acheté ma grande maison avec mes droits d'auteur et ma vie a toujours tenu du rêve d'enfant. J'essaie seulement d'éviter que l'on me demande "si je fais encore de la musique". Alors je communique, je me force à sortir de ma grotte, je fais des signaux de fumée et je pense à vous sans qui tout cela serait vain.

mercredi 11 septembre 2019

Tant bien que mâle


J'aurais pu écrire un énième article fustigeant le machisme toujours prégnant, des gars qui s'étalent, abusent de leur position de force ou de leurs prérogatives sociales, mais la question ne concerne pas que l'espèce humaine. J'ai mis hors d'état de nuire le matou qui a fait sauter les plombs de toute la maison en marquant son territoire sur une prise de courant de la cuisine. Le voyou qui terrorisait Django et Oulala, que des opérations ont rendus stériles, manœuvre qui devrait inspirer quelques mâles sexuellement incontinents, ne pourra plus empuantir le cellier ni le rez-de-chaussée. Loin de moi l'idée d'en rajouter en lui faisant du mal. Mes chéris ont la délicatesse de faire leurs besoins dans les jardins avoisinants. J'ai donc installé deux chatières électroniques ne laissant passer que les chats autorisés. Il leur suffit de présenter leur puce d'identité devant la trappe pour qu'elle s'ouvre automatiquement. Tout le monde peut sortir, mais ils sont seuls à pouvoir entrer.
N'étant pas du tout bricoleur, l'installation tint à la fois de l'exploit et du miracle. À la cave le trou existant était trop grand. au rez-de-chaussée il était trop petit. J'ai dû combler l'espace qui aurait pu laisser passer des petites souris, encore qu'en général elles pénètrent chez moi dans la gueule de Django, et attaquer au burin l'épais mur du salon. J'ai bêtement commandé pour rien une extension de tunnel, préférant conserver la chatière extérieure, question d'isolation thermique et de minimisation des travaux terrassiers, et insérer en force la nouvelle à l'intérieur. Évidemment celle-ci n'est pas d'équerre, mais ceux ou celles qui me connaissent peuvent imaginer le sentiment de victoire qui m'anime lorsque je réussis à bricoler un truc qui tient tant bien que mâle. Après avoir retaillé le morceau de gazon synthétique qui sert de tapis-brosse aux bottes de sept lieues des félins entre les deux portillons, j'ai testé les équipements avec les intéressés qui ont commencé par faire la gueule, mais se sont vite habitués à montrer patte blanche. La moindre contrariété peut modifier leur comportement !


Ainsi, si un chat se met à pisser quelque part, ce qu'il ne faisait jamais "au paravent", il faut toujours se demander ce qui a changé. Cela m'est arrivé avec Scotch qui faisait ses besoins dans la douche depuis que l'on avait fermé la porte d'une des chambres. Il avait suffi de la rouvrir pour qu'il cesse cette pratique détestable. Je cherche actuellement une idée pour que mes zozos arrêtent de me prendre pour le portier, en miaulant pour que je les fasse entrer ou sortir à tout bout de "chant", et choisissent d'utiliser plus souvent les équipements qui m'ont coûté les yeux de la tête et la sueur de mon front.

mardi 10 septembre 2019

L'atelier de Nicolas Schöffer


À l'occasion de l'anniversaire de la mort de Nicolas Schöffer, son atelier était exceptionnellement ouvert vendredi soir. Les visites habituelles n'ont lieu que le premier samedi de chaque mois. La jauge étant limitée, il est indispensable de s'inscrire, comme indiqué sur sa page FaceBook, en écrivant à Éléonore Schöffer, sa veuve, passionnante gardienne du temple.


Si je connaissais évidemment l'œuvre de ce pionnier génial de l'art cinétique, magicien des lumières et poète visionnaire, je n'avais jamais vu autant de pièces rassemblées et fonctionnant ensemble. Il a aussi composé la musique électronique qui accompagne la démonstration spectaculaire présentée cette fois par le responsable des restaurations, Santiago Torres. Le clou de la représentation est-il le danseur évoluant sur la piste improvisée, les petites théâtres animés ou les immenses sculptures scandant l'espace autour de nous ?


Le spatiodynamisme de Nicolas Schöffer s'appuie sur la cybernétique pour faire bouger ses sculptures lumineuses composées de métal réverbérant. Ancien lightshowman et adepte de l'art interactif, je ne pouvais qu'être séduit par les œuvres hypnotisantes de Schöffer. Le ballet est étourdissant, l'expérience inoubliable.


L'atelier de Nicolas Schöffer se trouve à la Villa des Arts, 15 rue Hégésippe Moreau 75018. Une participation de 7€/personne est demandée sur place. Les enfants sont admis à partir de 3 ans, gratuitement. Les inscriptions se clôturent 48h avant la date de la visite. Prochaine visite le 5 octobre prochain.

lundi 9 septembre 2019

Le Kronos dans l'orbite de Riley


J'adore le mélange des voix parlées, des bruits et de la musique depuis tout petit. J'écoutais des 33 tours où étaient enregistrées des histoires mises en sons comme La Marque Jaune, Buffalo Bill, 20 000 lieues sous les mers, des Tintin, des polars qui faisaient terriblement peur, mais aussi la Musique tachiste de Michel Magne ou Miss Téléphone. Comme nous avons déménagé en 1958, je peux dater que c'était avant mes 6 ans. Pour mon travail musical et sonore je me suis inconsciemment inspiré de ces premières écoutes. Alors je jubile lorsque je découvre des œuvres qui me rappellent le concept de partition sonore cher à Michel Fano ou qui intègrent des sons non instrumentaux.


Le nouvel album du Kronos Quartet est de ceux-là. Voilà 30 ans que Terry Riley écrit régulièrement pour eux. Pour Sun Rings (2002) il intègre des sons de l'espace recueillis par le physicien Donald A. Gurnett pour la NASA, grâce à la sonde Voyager à proximité de Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. David Dvorin les a échantillonnés et transformés pour qu'ils se mêlent aux cordes de David Harrington, John Sherba, Hank Dutt, Sunny Yang et au chœur Volti dirigé par Robert Geary. Comme avec Sunrise of the Planetary Dream Collector (1980-1984) dont Cadenza on the Night Plain, et Salome Dances for Peace (1989), Requiem for Adam (2001), The Cusp of Magic (2008), cette collaboration est toujours aussi magique. J'écoute Terry Riley depuis 1968 et le Kronos depuis 1985, et je ne me lasse ni de l'un ni des autres !
L’idée commune selon laquelle l’espace est totalement silencieux, en l’absence d’air pour propager le son, semble inexacte. Les ondes de plasma de la magnétosphère, puis celles du médium interstellaire au delà du vent solaire, ont inspiré le compositeur. C'est une musique de la nature qui va chercher loin dans notre histoire, même si j'ignore vers où me tourner, entre hier et demain. L'histoire et la géographie s'y confondent. Lorsqu'intervient le chœur, on plane déjà très haut. La suite des dix spacescapes se termine avec le commentaire de l'astronaute Eugene Cernan admirant la Terre depuis l'espace et l'écrivaine Alice Walker répétant "One Earth, one people, one love." On peut toujours rêver. Je refais le voyage plusieurs fois dans la journée. Décidément, après le disque de Mathias Lévy et celui d'Alexander Balanescu ces jours-ci auront été marqués par les archets. Ils décochent des flèches qui font mouche à tout coup, nous perçant le cœur et nous envoyant dans les cordes.

→ Terry Riley par le Kronos Quartet, Sun Rings, CD NonesuchVariete, 16,99€

vendredi 6 septembre 2019

Dormir ?


Vais-je enfin pouvoir dormir ? J'en doute. D'abord parce que j'ai l'habitude de dormir peu. Quatre heures et quart me suffisent. Il m'arrive néanmoins d'avoir des insomnies nocturnes. Plutôt que me retourner désespérément dans tous les sens dans mon lit, je me lève et vais travailler une heure ou deux. Je retrouve le sommeil aussitôt ! D'ailleurs le soir je m'endors en trente secondes. Par contre le matin, le soleil me réveille, d'où l'installation d'un volet roulant. Dans les hôtels où les chambres sont dans l'obscurité totale je dors plus tard le matin. Si on ne le ferme pas tout à fait, le volet laisse passer l'air du dehors. La télécommande permet aussi de l'arrêter en marche et de ne pas le fermer jusqu'en bas. Au milieu de la nuit il suffit parfois que je marche trois minutes sur un tapis de réflexologie pour retrouver les bras de Morphée. Je m'allonge bien dix minutes chaque soir sur un tapis de fleurs, le Shakti Mat hérissé de pointes qui me transforme en fakir. Ainsi mon dos se repose et je ronfle moins. On verra à l'usage... Le petit fil qui dépasse correspond au thermomètre que j'ai accroché à l'intérieur il y a vingt ans et dont je n'ai encore jamais changé les piles. Mais la grande question est celle de l'appréhension du sommeil. Suis-je si heureux de me réveiller et d'aller travailler comme je le prétends ou est-ce la crainte de la mort ? J'ignore pourtant la peur du noir (la preuve !) comme j'aime le silence. Il est vrai que le silence n'existe pas. Il y a toujours le murmure de la ville ou le chant de la nature, au pire le son de mon sang qui circule dans mes veines...

jeudi 5 septembre 2019

Toutes


Toutes... En 1992, Elsa avait 6 ans et chantait ce qu'avec Bernard Vitet nous avions écrit pour elle : "I shall always love the ones I've ever loved before..." En écrivant ces paroles je pensais autant à mon passé qu'à ce qu'elle aurait plus tard à vivre avec les garçons. J'étendais aussi "J'aimerai toujours ceux (ou celles) que j'ai aimé/e/s" aux ami/e/s. Quelle différence y a-t-il entre l'amour et l'amitié si ce n'est la relation sexuelle ? Et puis, je n'ai jamais su en vouloir à qui que ce soit plus de quelques minutes. Quand j'étais enfant, cela me rendait malade d'être incapable de me venger de ma petite sœur lorsqu'elle me faisait une crasse ! Il y a bien une chorégraphe, un producteur de films et un autre type qui ne nous a jamais payés sur qui je me suis juré de cracher chaque fois que leur nom apparaîtrait dans une conversation, mais ce ne furent jamais des amis.

La chanson 'Cause I’ve got time only for love dit :
I shall always love the ones I’ve ever loved before
I’m already dreaming of the ones I’ll be loving
No fear no hate but scorn and even pity
'cause I’ve got time only for love.
En français pour les non-anglophones :
J’aimerai toujours ceux qu’un jour tendrement j’ai aimés
Déjà je rêve de ceux que demain j’aimerai
Sans peur sans haine mais mépris et même pitié
Car tout mon temps est dévoué à l’amour.


Je ne devais pourtant pas encore être totalement convaincu en écrivant mépris et pitié ! C'était il y a près de 30 ans. Depuis, de l'eau a coulé sous mes pompières... J'ai l'impression d'être de plus en plus serein. En tout cas j'y travaille. Elsa était alors accompagnée par Bernard Vitet au bugle, le guitariste Hervé Legeay et l'accordéon samplé de sa mère, Michèle Buirette.

Alors toutes ? Oui, toutes... Mais certainement pas cosi fan tutte... Un jour que j'avais beaucoup pleuré après une rupture amoureuse et que j'avais cherché toute la journée le mot bonheur dans mes dictionnaires et l'Encyclopédie Universalis (c'était avant Wikipedia et le reste !), je racontais au téléphone à une amie philosophe que j'avais été avec des filles très différentes, mais que je leur reprochais à toutes la même chose. Le simple fait de prononcer ces mots me fit comprendre, en un éclair qui changea ma vie, que j'étais leur seul point commun et que donc je leur reprochais qui j'étais. Je changeai aussitôt. Pour qu'un couple fonctionne, il est inutile et absurde d'exiger de l'autre qu'il change ; c'est à soi de l'accepter (ou pas) tel qu'il est ou telle qu'elle est ; on ne change jamais personne fondamentalement, c'est à soi de faire le travail ! Si quelquefois je me regarde dans un miroir, dans le blanc des yeux, ou plutôt au fond noir de l'iris, c'est juste pour savoir si je suis encore ou enfin un Mensch !
Autodidacte en musique, je dis souvent que c'est "with a little help from my friends". L'homme que je suis devenu doit aussi beaucoup aux femmes avec qui j'ai vécu. Je pense n'être brouillé avec aucune, encore qu'il y en a une qui aurait des raisons de m'en vouloir ; même si je n'en suis pas fier, je n'avais pas le choix. C'était il y a déjà longtemps. Dans l'ensemble j'ai gardé le contact avec la plupart et certaines sont devenues des amies proches avec qui il m'arrive même de travailler. Je ne comprends pas que l'on puisse tirer un trait sur le passé comme s'il n'avait jamais existé ou que nous ayons été trahi/e. Les routes se séparent. Les relations se sont transformées. Nous n'avons pas besoin de faire référence à notre vie d'avant. L'affection s'est transformée en amitié. Question de confiance. J'ai vécu quelques mois, un an, huit ans, treize ans, quinze ans avec l'une ou l'autre, et je me souviens seulement que nous avons été heureux sans avoir besoin de me remémorer les détails, ce qui serait évidemment déplacé. Je ne pense aujourd'hui qu'à celle qui partage ma vie. Mais j'aimerai toujours celles qu’un jour tendrement j’ai aimées...

mercredi 4 septembre 2019

Balanescu, retour aux sources


Bucarest était l'endroit idéal pour dégotter le nouvel album du Quatuor Balanescu intitulé Balanescu ou Music by Alexander Balanescu. L'information est inexacte, car l'album s'ouvre sur la Rhapsodie roumaine n°1 de George Enescu et qu'Alexander Balanescu joue en rerecording des deux violons et de l'alto, le violoncelle étant entre les mains de Nicholas Holland ! Tout le disque est un retour aux sources du violoniste et compositeur roumain né à Bucarest. C'est le dernier volet de sa trilogie roumaine après Luminitza (1994) et Maria T. (2005).
Lorsque j'habitais en face du Père Lachaise, je passais de temps en temps devant la tombe d'Enescu, pas très loin de celle de Georges Bizet. Sa Rhapsodie est probablement son œuvre la plus célèbre. Elle inspire à Balanescu une variation très personnelle, Transrapsodia. Figure aussi SoulEtude, une pièce autobiographique tout aussi enthousiasmante dont le sujet est l'exil, de ses souvenirs d'enfance à son voyage autour du monde et de lui-même. J'achète tout ce que je trouve du Balanescu Quartet comme du Kronos Quartet (vient d'ailleurs de paraître Sun Rings de Terry Riley !). L'un et l'autre quatuor ont une façon très rock d'appréhender la musique classique. Mais les disques du Balanescu, plus romantique, sont beaucoup plus rares !
C'est son quatuor qui interprète notre Sniper Allée sur l'album collectif Sarajevo Suite dont je fus le directeur artistique en 1994. C'est lui aussi qui accompagne Dee Dee Bridgewater sur la Prière de Sarajevo que nous avions composée avec Bernard Vitet sur un poème d'Abdulah Sidran. Je regrette seulement qu'Alexander ait conservé les partitions originales de ces deux quatuors que je ne retrouve pas pour les faire rejouer. Il existe une version live de Sniper Allée sur YouTube.
Son nouveau CD est, une fois de plus, étourdissant !

→ Balanescu Quartet, Balanescu, Universal Music Romania (2019)

mardi 3 septembre 2019

Le rouquin faisait sauter les plombs


Nous étions à Bucarest lorsque mon voisin, passé nourrir Django et Oulala, m'appelle pour me dire que les plombs de la maison ont sauté à cause du réfrigérateur et que les glaces Berthillon ont fondu. Je n'ai évidemment pas tous les détails, mais cela sent la catastrophe, avec serpillères et déménagements. Pascal a heureusement sauvé la majorité du contenu du congélateur. Or chaque fois qu'il remplace les fusibles, cela disjoncte. Comme l'appareil a vingt ans j'en commande un aussitôt, suivant les suggestions du magazine Que Choisir, pour ne pas nous retrouver trop longtemps sans réfrigérateur. Il fait encore plus de 30°C dehors. Rentrés à Paris, je m'aperçois que la largeur du nouveau "frigo américain" est de 92cm au lieu des 82 de l'ancien, et qu'il ne rentrera pas dans l'espace qui lui est alloué. J'annule donc la livraison et la commande. Après recherches sur Internet, je suppose que le compresseur est hors-service, que la résistance de dégivrage dysfonctionne ou que le ventilateur est en panne. Alors que je tourne désespérément autour de la question, je m'aperçois que le matou roux qui tape l'incruste de temps en temps a giclé sur les murs de la cuisine. Mes deux chats ayant été opérés n'ont pas cette nauséabonde pratique ni le tonus de s'opposer à l'intrus qui passe parfois la nuit par les chatières que j'ai installées à l'avant et à l'arrière du pavillon. Apercevant trois petites coulées sous une prise électrique, j'ai l'idée de la démonter, découvrant alors que cet horrible individu a réussi à couper le courant de toute la maison en marquant un territoire qui n'est même pas le sien. J'en ai profité pour nettoyer mon vieux frigo de fond en comble qui est reparti comme si de rien.
Un dépanneur m'avait prévenu que, même très âgé, il fallait mieux le faire réparer en cas de panne, plutôt qu'en racheter un nouveau. En effet il date d'une époque où les machines n'étaient pas construites selon la règle de l'obsolescence programmée. Les mêmes appareils ou équivalents ne tiennent que quelques années et les constructeurs ne sont tenus de fabriquer les pièces de rechange que pendant sept ans après leur sortie sur le marché. Il ne me reste plus qu'à faire l'acquisition de chatières électroniques interdisant l'entrée à d'autres félins que les miens. Lorsque je dis "les miens", les humains domestiqués comprendront l'ambiguïté du renversement. Cela fonctionne grâce aux puces dont ils sont équipés. Me voilà donc allongé par terre à installer ces portillons censés nous délivrer des odeurs acres des anciens amants d'Oulala...

lundi 2 septembre 2019

L'Unis Vers de Mathias Lévy


Mathias Lévy a plus d'une corde à son archet. La première est la sensibilité ou la finesse du jeu. Pas de notes en trop ni de bavardage comme chez tant de violonistes et musiciens de jazz. La seconde est la variété. Où qu'il soit il se transforme en caméléon sans perdre sa voix. Lorsque je l'ai entendu alors qu'il accompagnait la bandonéoniste Louise Jallu, mes oreilles n'ont fait qu'un tour. La troisième est son inventivité. Il suffit d'écouter le trio que nous avons formé en mai dernier avec la contrebassiste et chanteuse Élise Dabrowski pour l'album Questions. Mathias Lévy était venu me voir pour participer à l'un des laboratoires que j'ai inaugurés il y a déjà dix ans avec les improvisateurs les plus ouverts et les plus imaginatifs de la scène actuelle. Il m'a demandé de trafiquer électroniquement son jeu en direct aussi bien qu'il s'est saisi de mon saxophone alto ou de mon venova. Il doit sa soif d'apprendre sans cesse à son parfait placement dans le temps. L'équilibre entre le passé qu'il assume remarquablement, on l'aura apprécié avec ses deux superbes albums précédents Revisting Grappelli et Bartók Impressions, et un avenir façonné par son insatiable curiosité ne nous permet pas de savoir quel chemin il empruntera la prochaine fois...


Que dire alors de son nouvel album intitulé Unis Vers ? Qu'il porte bien son nom. D'abord, parce que son trio avec le contrebassiste Jean-Philippe Viret et le guitariste Sébastien Giniaux est un vrai groupe, ensemble solidaire qui interprétait déjà le surprenant Revisiting Grappelli. Les deux invités de marque, le violoncelliste Vincent Segal et l'accordéoniste Vincent Peirani s'y fondent excellemment pour cette traversée vers... Ensuite, cet univers est rempli de tendresse et de joie de vivre, de vivre la musique en oubliant tout le reste. Pas totalement non plus, puisque la Philharmonie de Paris lui a prêté le violon de Stéphane Grappelli pour cet enregistrement merveilleux. C'est le principe de la collection Stradivari, prêter des instruments historiques du Musée de la Musique, pour que le patrimoine se conjugue au futur. Mathias Lévy lui fait honneur tout en s'affranchissant des clichés, pétrissant cette pâte pour créer quelque chose d'inattendu, comme chaque fois.

→ Mathias Lévy, Unis Vers, Harmonia Mundi, dist. Pias, 17,99€
Concert le 17 décembre à la Cité de la Musique