70 juillet 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 juillet 2019

La mine


En faisant le tour du centre de Saint-Étienne nous constatons l’incroyable diversité de bâtiments, du plus ancien au plus récent. Par exemple la Gran'Église en grès houiller datant du XIVe siècle ressemble à un bibendum assoupi, le Palais de Justice a un fantasme royal, le futur commissariat à un clapier. La Maison de l'Emploi, dont les trous de la façade confiée à Claude Viallat s’éclairent la nuit comme un vitrail concentrationnaire et le jour ne laissent apparaître que les jambes des salariés, est d’un sublime absurde signé Rudy Ricciotti, ce qui n'a rien d'étonnant. Plutôt que le Musée d’Art Moderne et Contemporain, celui de la Mine nous a impressionnés…


Le Puits Couriot est un parc-musée où nous reviendrons pique-niquer le soir avec les enfants. Dans la journée nous avions visité quelques bâtiments conservés dans leur jus, rappelant le temps de l’essor industriel de la ville. L’histoire avait commencé au XIVe siècle ! Nous aurions pu tout aussi bien choisir le Musée d'Art et d'Industrie avec sa collection de métiers à tisser (Saint-Étienne était la capitale du ruban) et ses célèbres "armes et cycles". La mine renvoie à une souffrance plus cruelle, mise en scène d’un travail terrible où flotte encore l’odeur du charbon, poussière asphyxiante malgré le démantèlement à partir de 1971. La salle des pendus, ou du moins une comme celle-ci, a probablement inspiré Janis Kounellis avec ses meubles suspendus au plafond que nous avions admirés à Venise au début du mois, ou Annette Messager. À côté des uniformes des mineurs qui devaient ramper dans les galeries, des chaînes où ils accrochaient leurs vêtements de ville, se profilent les douches rouillées du Grand Lavabo…


Dans cette partie du plus vieux bassin houiller français les scénographes ont préservé le site de tout élément moderne. Nous plongeons dans le temps, un Germinal du sud. Salles des machines, d’extraction, de l’énergie, des compresseurs, atelier des locomotives, lampisterie… J’avais une lampe de mineur qui appartenait à mon grand-père, mais je ne sais plus où elle est. L’aurais-je perdue dans un déménagement ? Il me reste par contre un bloc de charbon gravé qui provient d’une mine de la Sarre. Nous n’avons pas vu la reconstitution de la galerie souterraine où mène un ascenseur, mais ce décor d’un réel encore récent et pourtant d’une autre époque, que nous arpentons seuls, nous suscite une mine de questions dont les réponses résident dans l’exploitation de l’homme par l’homme et des ressources de notre planète qui s’épuisent, continuant à générer son infini cortège de morts, pas simplement celles des travailleurs d’antan, mais aujourd’hui de ceux et celles qui vivent dans les pays qui possèdent ce qui a remplacé ou remplacera le charbon.

mardi 30 juillet 2019

Tableaux iodés


Le Docteur Ghostine, ayant lu l'article Mon cœur où je déplorais n'avoir pu ouvrir le CD-R avec le film de ma coronarographie, a eu la gentillesse de me renvoyer un nouveau disque qui cette fois dévoile les images de mon opération à l'Hôpital Marie Lannelongue. Il est fascinant de revivre aujourd'hui de l'extérieur ce que j'avais seulement deviné lorsque l'iode se faufilait jusqu'à mon cœur. En admirant cette plongée dans l'organisme je comprends Je est un autre et j'envisage Alien ! C'est Méduse en noir et blanc, images d'une pulsation dont on peut faire varier le contraste grâce au logiciel T2Viewer, .exe exclusivement accessible sur PC. J'ai donc dû me faire aider, mais cette fois cela a marché et j'en ai profité pour faire quelques captures-écran...


En jouant sur la lumière et le contraste j'obtiens d'impressionnants tableaux d'où surgissent de terribles fantômes comme lorsqu'on joue à Ce que sont les nuages. Selon la manière dont j'axe mon regard j'entrevois par exemple un gorille, une murène, un hippopotame ou un vieil homme au col relevé, à moins que je m'oriente vers un chaos cosmique au-dessus d'une planète inconnue. Test de Rorschach, inspiration musicale, encre ou fusain, ce ne sont que des arrêts sur image alors que l'original est en mouvement, autrement plus impressionnant !

lundi 29 juillet 2019

Moulins après la tempête


Il avait beaucoup plu. Pas très loin, des arbres arrachés, un ciel de fin du monde. C'était passé. De notre fenêtre on apercevait les flèches de la cathédrale de Moulins. Au XIXe siècle Viollet-Le-Duc a encore fait des siennes en convainquant l'évêque Pierre Simon de Dreux-Brézé de terminer l'édifice commencé en 1468 ! Notre-Dame de l'Annonciation fait face à La Mal Coiffée, donjon qui deviendra une sinistre prison, en particulier du temps de la Gestapo... C'était passé. Enfin, presque. La Bête rôde toujours. Elle prend facilement la couleur du pouvoir ou de l'occupant.


J'ai donné un coup de zoom. Il y avait un petit rapace sur une cheminée, perché comme le festival où nous nous étions retrouvés avec Sylvain et que l'avis de tempête avait sinistré après la pluie de la veille. Le champ de tentes lui ajoutait une couche woodstockienne rappelant le "no rain, no rain" de l'époque. C'était passé. La gendarmerie avait dressé une souricière sur le chemin étroit en sortie du Domaine de Balaine. Il faudra bien un jour ou deux pour que les vapeurs se dissipent. Je n'ai plus la tête à subir une analyse salivaire et j'ai arrêté ces expériences constructives, mais j'ai eu droit à un flot de questions. Pour une fois que je ne me sentais pas coupable ! C'était passé. Sur la route les vieux édifices étaient constitués de briques rouges et noires...

vendredi 26 juillet 2019

Birgé & Lemêtre à Château Perché


Sur la route des vacances je retrouverai Sylvain Lemêtre demain soir samedi à Château Perché entre 23h et 1h du matin. L'an passé j'avais déjà été programmé dans ce festival incroyable avec la platiniste Amandine Casadamont pour un set de trois heures non-stop. Chaque année les organisateurs choisissent un nouveau château entouré d'un somptueux parc de verdure. Se promener au milieu des onze scènes fait penser à une balade dans Blade Runner au Pays des Merveilles. Pendant quatre jours dix mille festivaliers y évoluent maquillés, déguisés, perchés, souriant et dansant.
Cette fois-ci le festival se tient au Château de Balaine à Villeneuve-sur-Allier, le plus vieil arboretum de France (déjà 200 ans), classé Jardin remarquable et Monument historique avec 3500 espèces et variétés de plantes. Presque tous les billets sont partis il y a six mois dès la semaine de mise en vente. Après Déferlante d'insectes et Les toges éphémères du paradis des deux premiers jours le thème de samedi est Et la luciole fut. C'est dire si la programmation électro sera lumineuse.
Parmi les 250 autres artistes, Sylvain et moi sommes humoristiquement signalés dans la catégorie "Je n'aime pas la techno" sous le Dôme Blanc consacré à l'expérimental, à l'ambient et au chill out ! Les organisateurs ne sont pas seulement éco-responsables comme on peut le lire sur leur site web, ils ont aussi un humour très à propos. Mon camarade percussionniste s'éclatera pourtant en fignolant des transes rythmiques tandis que je composerai des strates de matières mélodiques et harmoniques. Il aura le même ensemble de percussions que celui qu'il a utilisé pour l'album Chifoumi que nous avons enregistré avec le saxophoniste Sylvain Rifflet. De mon côté je serai majoritairement au clavier, mais j'emporte aussi mes Lyra-8 russe, Tenori-on japonais, Eventide H3000 et Roli américains, plus quantité d'instruments à vent d'un peu partout.
J'espérais recevoir à temps The Pipe commandée en Russie, mais l'objet est bloqué en douane depuis dix jours sans qu'on m'en avertisse. Il est probable que cet instrument électronique ressemble à une arme de Starship Troopers ou à une pipe destinée à une nouvelle drogue. La musique en est une pour moi en effet... Si je n'avais pas appelé Chronopost (filiale de la Poste et du groupe TAT) de mon chef, il serait reparti à Moscou. Décidément la poste est égale à elle-même !
Le lendemain matin je prendrai la route pour le sud, histoire de dire bonjour aux copains et copines qui ne montent pas si souvent à Paris, et à t(h)erme de se baigner en Méditerranée ! J'espère que d'ici là mon petit orteil aura retrouvé sa mobilité... En notre absence, Eric et Juliette s'occupent d'arroser les chats et câliner le jardin. Nous remonterons assez vite avant notre départ pour la Transylvanie, mais ça c'est une autre histoire ! D'ici là j'aurais récupéré ma Pipe, espérant en jouer en territoire roumain...

jeudi 25 juillet 2019

1, 2, 3, nous irons au bois


Tandis que je prépare mes prochains voyages vers Château Perché, le sud et la Transylvanie, j'écoute quelques jolis disques qui ne sortiront qu'à la rentrée. Serais-je d'humeur champêtre ? Comme il fait beau je mets leurs pochettes en situation comme j'aime les photographier de temps en temps plutôt que de les reproduire simplement.
Il semble que les quatre Toulousains de Pulcinella aient flashé sur un vieil orgue Elka à boutons d'accordéon au point que tous leurs morceaux aient été construits autour de cet instrument vintage aux possibilités très variées. Ça sautille, Ça s'amuse, Ça fait semblant et Ça marche. Le saxophoniste Ferdinand Doumerc, l'accordéoniste Florian Demonsant, le contrebassiste Jean-Marc Serpin et le batteur Pierre Pollet construisent des univers colorés rappelant les groupes pop inventifs français des années 70...


S'inspirant du Western, le flûtiste Jî Drû propose un jazz moderne très tendre où la voix est prépondérante. Pour ces évocations lyriques il s'est entouré d'Armel Dupas au piano Rhodes, Mathieu Penot à la batterie, Sandra Nkaké aux textures (?) et qui chante comme lui. Rien d'étonnant à ce que le saxophoniste alto Thomas de Pourquery soit invité, car l'on reconnaît le timbre blanc feutré des chansons de Supersonic. Là encore il y a de la pop dans l'air, planante et charmante.


Un orgue vintage pour les uns, le western pour les autres... De plus en plus de disques s'axent autour d'un thème, un prétexte canalisant l'imagination débordante des artistes ou l'offre exubérante des importations planétaires qui voyagent sans bouger de chez elles. Pour son nouvel album, Sylvain Rifflet, déjà influencé par la musique répétitive qu'on appelle aujourd'hui minimaliste, s'inspire de la musique médiévale des Troubadours qu'il marie à ses improvisations jazz. Fidèle au poste, Benjamin Flament rythme sobrement ces modalités tandis que le trompettiste finlandais Verneri Pohjola répond au saxophoniste ténor ou aux clarinettes de Rifflet. Celui-ci a bricolé un système pour contrôler au pied le bourdon, que ce soit à l'harmonium ou à la shruti box, version simplifiée de l'instrument à soufflet. La fiction équestre du compositeur se réfère ainsi à des troubadours des XIIe et XIIe siècles, d'Italie, du Limousin ou du Quercy. Les sabots de sa monture frappent la terre occitane asséchée par le soleil, les voix du passé sont inscrites sur ces chemins ou frisent le long des cours d'eau, mais les paons ne font la roue que si personne ne les regarde...

→ Pulcinella, Ça, cd BMC, dist. Socadisc, sortie le 20 septembre 2019
→ Jî Drû, Western, cd Label Bleu, dist. L'autre distribution, sortie le 18 octobre 2019
→ Sylvain Rifflet, Troubadours, cd sans que le label soit spécifié, sortie le 20 septembre 2019

mercredi 24 juillet 2019

Cartographie des sens


Sous une pochette dessinée par Ramuntcho Matta qui a sorti récemment de son côté un beau disque de chansons intitulé 96, Bruno Letort, qui a renfilé ici la casquette de compositeur, rassemble des œuvres extrêmement différentes de musique de chambre dont la modernité va puiser dans tout ce qui se fait de plus seyant en musique dite contemporaine. Semelles de vent fait la part belle à la chanteuse éthiopienne Eténèsh Wassié accompagnée par le Cube Quartet me rappelant l'entraînant Sniper Allée que j'avais composé en 1994 pour le Quatuor Balanescu. Pour Absence l'Ensemble vocal Tarentule fait pétiller des mots d'Orlando de Rudder dont je perçois la scansion de chiffres dans une mer sans vent. Les quatre mouvements d'E.X.I.L. convoquent un second quatuor à cordes, le Grey Quartet, qu'épaulent quelques bruitages avant que cette mélancolie se référant aux mouvements migratoires des déracinés, où l'on peut reconnaître diverses citations comme celles de Stravinsky ou de l'École de Vienne, ouvrent la voix à J. M. G. Le Clézio dont le texte explicite est traité comme l'avaient réalisé auparavant Hermeteo Pascoal, Frank Zappa, René Lussier, François Sarhan ou Chassol, un archet de contrebasse doublant ici la voix. Un petit ensemble interprète Rabath avant que la flûte de Michel Boizot plane au-dessus des petites interventions électroniques de Bruno Letort. Ces Fables électroniques se poursuivent par un ostinato cardiaque où le compositeur intervient à la guitare électrique dans un crescendo métallique qui se prolonge en un imperturbable rock monodique, suivi d'une pièce où s'affirment le goût de la percussion et d'une dernière celui du rythme. Le compositeur tombe là le masque en mouillant sa chemise. Avec The Cello Stands Vertically, Though... la violoncelliste Sigrid Vandenbogaerde ferme les guillemets de cet revue musicale de la fin du siècle dernier, reflet d'une époque où le mélange des genres fit se craqueler le monde fermé de la musique contemporaine. Ainsi, faute d'en créer de nouvelles, le XXIe siècle fait exploser les étiquettes...

→ Bruno Letort, Cartographie des sens, Musicube, dist. Outhere / naxos, sortie le 13 septembre 2019

mardi 23 juillet 2019

Tradition des orchestres libres


Ce genre de titre est réversible. J'aurais pu écrire "Liberté des orchestres assumant la tradition". Mais qu'est-ce que la liberté si ce n'est un fantôme ? Et la tradition n'est créative que dans la mesure où elle se renouvelle sans cesse... Pour ces deux disques j'ai d'abord pensé à la Free Music qui prend ses sources au free jazz qui lui-même creuse sa terre dans le blues, les rythmes balkaniques, antillais, etc., avec un sens de la fête qui se vit à nombreux. Que ce soit le Subtropic Arkestra de Goran Kajfeš ou Abraham.Inc qui réunit le clarinettiste David Krakauer, le trombone Fred Wesley et le claviériste Socalled, cela commence chaque fois par une approche pop plutôt gentille et retenue pour glisser progressivement vers des rubati crêpus où chacun met la main à la pâte. Et cela sonne grand.
Bien que le nom du premier fasse référence à l'orchestre mythique de Sun Ra, le trompettiste suédois d'origine croate Goran Kajfeš et ses neuf musiciens scandinaves vont chercher l'inspiration dans une Afrique rêvée, covers de Hailu Mergia & The Walias ou de l'Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou, mais aussi chez Bernard Fèvre (Cosmos 2043), US69 (Mustard Family) ou Panda Bear (Animal Collective)... Les tourneries étourdissent, les cuivres se déchaînent, la pop vire au jazz, le jazz à l'exotica, l'exotica au free jazz...
Le second supporte des parties vocales des trois leaders hautes en couleurs et en accents toniques, melting pot dansant où se fondent klezmer, funk, electro et d'autres inspirations que les États Unis ont su s'approprier avec talent. Ils sont accompagnés par toute une bande de joyeux drilles à vent, percussion, cordes électriques ou vocales. Les samples et le rap se sont infiltrés partout, redonnant à ces mécaniques électroniques ou slameuses le swing propre au jazz, rappelant les grands rassemblements discographiques tels Back On The Block de Quincy Jones ou les Attica Blues d'Archie Shepp.
Ces musiciens fuient-ils la morosité cynique de nos sociétés prétendument démocratiques en adoptant des cultures lointaines ou l'encyclopédisme est-il une manière de résister à un protectionnisme absurde qui n'empêchera pas les grandes migrations politiques et climatiques ? Si l'on a heureusement laissé derrière soi la world music qui empilait arbitrairement les virtuosités en perdant les racines de chacun, il est certain que lorsque la culture est au métissage, l'art se moque des frontières.

→ Goran Kajfeš Subtropic Arkestra, The Reason Why Vol.3, Cristal Records, dist. Sony Music Entertainment, sortie le 30 août 2019
→ Abraham.Inc, Together We Stand, Label Bleu, dist. L'autre distribution, sortie le 20 septembre 2019

lundi 22 juillet 2019

Honte à la Poste, saison 2


Il y a deux ans jour pour pour jour j'écrivais un article intitulé Honte à la Poste. "La boîte aux lettres est désespérément vide alors que nous attendons du courrier. Lorsque j'étais enfant il y avait deux distributions par jour à Paris. Dans les villages le facteur apportait les nouvelles. Jusqu'à la privatisation des PTT (Postes, Télégraphes et Téléphones), scindés en France Telecom en 1988 et La Poste en 1991, nous avions toujours le même facteur, qui nous connaissait et avec qui nous avions une relation humaine comme l'épicier du coin. Depuis, cela n'a fait que se détériorer. La Poste est devenue une banque, activité plus lucrative que le service public saccagé. À Bagnolet, nous ne recevons du courrier que les mardi, jeudi et vendredi, et pas avant 14h ! Il n'y a plus que des remplaçants qui font ce qu'ils peuvent compte tenu des tournées marathons qui leur sont imposées. Lorsqu'ils prennent leur jour de congé ils ne sont pas remplacés. Certains ne se donnent pas la peine de sonner pour déposer un paquet ou une lettre recommandée et font semblant qu'il n'y a personne. Mais à qui se plaindre ? Depuis le 1er mars 2010 la Poste est devenue une société anonyme à capitaux publics pour affronter la concurrence européenne ! Les transporteurs ne valent guère mieux côté conscience professionnelle. Il ne reste qu'Internet, le téléphone, les SMS qui gardent une relative fiabilité. Ou bien j'embarque tout sur mon vélo si l'expéditeur ou le destinataire sont sur mon trajet ! La Poste française jouissait d'une réputation exceptionnelle, un peu comme la SNCF. C'est partout pareil. Sous prétexte de rendement, le patronat licencie, réduit les services, pousse au bâclage, et du côté des salariés on se désinvestit, on déprime. Au bout du compte on disparaît." Suite à mon article, j'avais eu l'agréable surprise de recevoir "un coup de téléphone de la responsable de la distribution. J'ai bien précisé qu'il ne s'agissait pas d'un problème récent dont le facteur actuel serait responsable, mais que c'est récurrent depuis 5 ou 6 ans. Il n'y a d'après elle aucune raison pour que les lundi, mercredi ou samedi soient des jours sinistrés. Par contre que le courrier n'arrive qu'à 14h s'explique si nous sommes en fin de tournée. Pour que le courrier soit à l'heure, il y a bien un service, mais il est payant ! Pour toute réclamation, la responsable me suggère d'appeler le centre de réclamation au 3631 qui ouvre un dossier laissant une trace...". En deux ans les choses ont hélas bien empiré, et j'en veux pour exemple une nouvelle mésaventure...


Habituellement lorsque j'achète un objet en ligne je le reçois sans problème, qu'il nécessite ou pas une signature, qu'il rentre dans ma boîte aux lettres homologuée ou que le facteur soit obligé de sonner. Si l'objet est trop volumineux ou qu'un préposé flemmard fait semblant que j'étais absent et se contente de déposer un avis de passage sans sonner, je suis parfois obligé de courir à la Poste principale qui est à vingt minutes à pied. Il m'est arrivé d'être remboursé par l'organisme émetteur de la carte de crédit lorsqu'un colis s'était perdu en route ou que l'expéditeur me renvoie gracieusement ma commande sans que j'ai besoin de retourner quoi que ce soit alors qu'elle avait fini par arriver très en retard. Mais cette fois je dois m'asseoir sur les deux paires de chaussures que j'avais commandées à Inner Art World dont le siège est à Montréal...
Commandées le 8 avril, les deux paires de tennis colorées ont été déclarées livrées par la Poste française, or je ne les ai jamais reçues. D'une part le colis était très probablement trop gros pour être déposé dans ma boîte, d'autre part je sais forcément qu'il n'y a pas eu plus de chaussures que de beurre en branches. Celle-ci n'ayant, à ma connaissance, jamais été volée ni fracturée, je soupçonne obligatoirement un remplaçant comme il y en a beaucoup dans cette institution dont les services ne cessent de se détériorer (nous ne sommes plus en 1961, Gilles Grangier, Michel Audiard et Jean Gabin en attestent ci-dessus !). J'ai dû chaque fois attendre longuement au bout du fil avant de pouvoir demander où en était mon affaire. La seule réponse obtenue fut que le colis avait bien été livré. Réponse évidemment inacceptable de ma part ! D'un côté la Poste se défausse, me renvoyant à l'expéditeur seul habilité à faire une réclamation, et de l'autre Inner Art World me demande d'apporter la preuve de l'absence de livraison. En résumé les deux se renvoient la balle et j'en suis pour mes sous et fatigué par cette pantalonnade inextricable ! Donc évitez la Poste autant que possible et évitez également cette enseigne qui n'en a rien à fiche contrairement à d'autres dont le suivi est exemplaire...

vendredi 19 juillet 2019

La bulle joyeuse de Théo Girard


En 1975 mon premier album et seul véritable succès discographique (!), réalisé avec Francis Gorgé sur mon label GRRR (aperçu en fond sous le CD de Théo Girard), portait le titre Défense de. Or avec ses quatre morceaux il formait la phrase "Défense de... crever / la bulle opprimante, / le réveil / pourrait être brutal". Quarante cinq ans plus tard , le contrebassiste Théo Girard sort Bulle, son second album, cette fois en quartet après le trio de 30YearsFrom que j'avais salué ici-même, mais sa bulle est nettement plus joyeuse. Ce n'est pourtant pas un signe des temps ! À croire qu'en période révolutionnaire on aurait besoin de mettre en garde contre un possible retour de la réaction, mais lors des dérives dictatoriales et régressives le ton devrait être aux heureuses utopies...

La franche rythmique du batteur anglais Sebastien Rochford, qu'elle soit martiale ou aérienne, permet aux deux vents solidaires de s'épanouir mélodiquement. Le jeune saxophoniste alto Basile Naudet qui vient se joindre au trio initial et le trompettiste Antoine Berjeaut s'adonnent à un lyrisme que l'on retrouve souvent dans les compositions initiées par des bassistes. Tout ce que j'avais écrit la fois précédente vaut pour ce nouvel opus. L'écriture rigoureuse n'empêche pas les solistes d'improviser et de faire glisser ce jazz dansant vers des paysages de liberté qui se font rares dans le réel, mais hantent heureusement toujours les espérances des créateurs.

→ Théo Girard Quartet, Bulle, Discobole Records, dist. Differ-Ant, sortie le 23 août 2019

jeudi 18 juillet 2019

Baroque Jazz Trio


Baroque Jazz Trio, son nom aurait du me mettre la puce à l'oreille. Encore eut-il fallu que je l'entende, ce nom ! Car en 1970 j'étais plongé dans le rock que je venais de découvrir grâce à Frank Zappa, Captain Beefheart, Pink Floyd et Soft Machine. Un an plus tôt j'avais bien eu la révélation du free jazz au Festival d'Amougies, mais de là à acheter un disque de jazz français il y avait encore loin, du moins quelques mois qui me séparaient du No, no, but it may be du Unit à Châteauvallon. Le Souffle Continu réitère ses œuvres de salut public, soit la réédition de vinyles méconnus ou disparus, en l'occurrence deux vinyles, un 33 tours 30 cm et un 45 tours 17 cm du trio formé par le percussionniste Philippe Combelle, le claveciniste Georges Alexandre (dit Georges Rabol) et le violoncelliste Jean-Charles Capon, et paru initialement sur Saravah, le label de Pierre Barouh.


Dès le premier morceau du 30 centimètres, se fait sentir l'influence de l'Inde que j'avais découverte grâce aux Beatles (j'avais un petit faible pour George Harrison qui s'était mis au sitar et avec qui j'aurai la chance de jouer en 1971) et aux Rolling Stones (leur album, dit "expérimental", Their Satanic Majesties Request est mon préféré). Le rock convient bien à la raideur du clavecin (instrument sans nuances et donc d'une rare franchise, comme par exemple dans le sublime concerto de de Falla) et je connaissais le talent de Capon pour l'avoir entendu sur la Lettre à Monsieur le Chef de gare de Latour-de-Carol de Brigitte Fontaine parue la même année. J'avais croisé Georges Rabol dans le magasin où j'achetais mes synthétiseurs, mais je ne connaissais pas sa musique. Quant à Philippe Combelle, j'avais surtout entendu parler de son père, Alix, par mon camarade Bernard Vitet. Capon et Rabol ont hélas disparu, mais la musique pop inventive du trio leur survit pour notre épatement. Sur la seconde face il n'y a rien d'étonnant à retrouver le flûtiste Michel Roques qui avait déjà enregistré avec Capon. Ce BJT complète d'ailleurs parfaitement les deux vinyles récents déjà publiés par Le Souffle. Au "piano basse batterie", qui ne m'a jamais totalement emballé s'il ne faisait pas partie de ses instigateurs d'outre-atlantique, se substitue un "clavecin violoncelle percussion" qui s'en démarque, proche à la fois de la musique classique française, de la pop anglaise et des musiques traditionnelles extra-européennes. Il y a un petit côté Swinging London qui me plaît sans que je sache l'identifier exactement, mais il est certain que les rythmes binaires échappent à la caricature. Le 45 tours est légèrement plus free, que ce soit sur Orientasie de Capon ou sur le Largo de Haendel à qui ils font subir d'étranges outrages.
En tout cas si vous aimez la pop instrumentale, ces deux vinyles vous raviront. Ils représentent parfaitement cette époque où nous rêvions de construire un monde meilleur, que ce soit de paix et d'amour ou pour la révolution !

→ Baroque Jazz Trio, BJT, LP Le Souffle Continu, 20€
→ Baroque Jazz Trio, Orientasie / Largo, EP Le Souffle Continu, 9€
les deux, 26€

mercredi 17 juillet 2019

En souvenir de Johnny Clegg


Johnny Clegg était à peine plus jeune que moi. En 1993 nous avions passé beaucoup de temps ensemble lors du tournage de Idir & Johnny Clegg a capella pour la série Vis à Vis produite par Point du Jour à l'initiative de Patrice Barrat qui avait coréalisé mon film. Johnny Clegg était un homme généreux, plus fragile qu'il ne paraissait. Patrice Barrat aussi... Je republie l'article que j'avais écrit en septembre 2008. À l'époque du tournage il n'y avait ni Skype ni téléphone connecté. La saga Vis à Vis avait été un exploit. Le film se terminait de manière freudienne, les deux chanteurs jouant ensemble à des milliers de kilomètres de distance en hommage à leurs mamans.

IDIR & JOHNNY CLEGG A CAPELLA

Tout avait commencé par une étude de faisabilité. En 1993, Jean-Pierre Mabille me demande d'imaginer deux artistes qui se parleraient chacun aux deux bouts de la planète et qui communiqueraient par satellite en vidéo compressée pendant trois jours. C'est le protocole initié par les auteurs de la série Vis à Vis, Patrice Barrat et Kim Spencer. Se "rencontreront" ainsi un Israélien et un Palestinien, une adolescente des villes et une des champs, un syndicaliste allemand et un français, etc. Après remise de mes conclusions, Jean-Pierre me propose de réaliser l'émission alors que je n'ai plus filmé depuis vingt ans !
Je cherche deux musiciens qui me branchent et soient d'accord pour se prêter au jeu. J'approche du but lorsque Robert Charlebois me parle d'un guitariste qui joue sur son premier disque, un certain Frank Zappa. Je suis aux anges. Nous sommes début 1993, le compositeur mourra quelques mois plus tard ; France 3 refuse car ses responsables ne trouvent pas Zappa assez "commercial". No commercial potential ! Je suis catastrophé. Un ami producteur, ancien violoniste du Drame, Bruno Barré, me suggère le Kabyle Idir, un des initiateurs de la world music, auteur du tube Avava Inouva. Pour lui répondre, nous réussissons à convaincre le Zoulou blanc Johnny Clegg qui vit à Johannesburg, auteur d'un autre tube, Asimbonanga. Je trouve intéressant de faire se confronter deux artistes qui ont choisi la musique comme mode de résistance au pouvoir dominant, et ce aux deux extrémités opposées de l'Afrique.
Idir ne pouvant se rendre en Algérie sans risquer sa vie, j'irai tourner sans lui en Kabylie les petits sujets qu'il compte montrer au Sud-Africain (son village, le forgeron, le printemps berbère de 1980, sa mère à Alger...). Nous réussissons à passer au travers des tracasseries, barrages, interrogatoires, confiscation du matériel, etc., et je rentre à Paris monter les petits sujets avec Corinne Godeau avant de partir à Joburg filmer ceux de Clegg (le township d'Alexandra, son copain Dudu assassiné, la manifestation en hommage à Chris Hani, un dimanche à la maison...). Devant les manifestations racistes (Mandela n'est pas encore au pouvoir), je pète les plombs le premier jour lorsque mon assistant noir se fait ceinturer en franchissant la porte à tourniquet d'un grand hôtel. Plus tard, je saute en l'air lorsque je vois le revolver dans la ceinture du monteur blanc avec qui je continue la préparation, il m'explique qu'il ne s'en sépare jamais, dort avec sous l'oreiller et qu'il n'a jamais vu d'enfant noir jusque l'âge de vingt ans ! C'était cela l'apartheid. Pendant le tournage, le dirigeant de l'ANC Chris Hani sera assassiné.


J'ai beaucoup de mal à équilibrer les personnalités des deux artistes. Idir semble mépriser Clegg qui a l'air de planer complètement. Le premier était ingénieur agronome, le second est un universitaire qui parle et compose en zoulou. Au montage, je fais tout ce que je peux pour rendre son côté sympathique à Idir et son esprit à Clegg. Je pense que le Kabyle ne croit pas totalement à la sincérité du Zoulou blanc qui a été adopté par deux familles. Au moment où nous filmons, ses deux familles d'adoption sont opposées dans la guerre des taxis et les morts se comptent par dizaines. Johnny ne sait plus où il se trouve, si ce n'est dans cette colonie juive anglaise régie par des femmes qui l'ont fait se diriger vers la masculinité noire des guerriers zoulous. Le film tourne progressivement en un échange psychanalytique où les mères des deux musiciens occupent toute la place ! La dernière séquence montre Clegg danser zoulou en hommage à la maman d'Idir dans son salon de Johannesburg devant son poste de télé où le Kabyle, dans son pavillon du Val d'Oise, joue en hommage à la celle du Sud-Africain.
Avec la monteuse, nous réussissons à imposer le dépassement au delà du formatage de 52 minutes, les sous-titres plutôt que le voice over et quelques fantaisies que le sujet et notre regard exigent. Nous fignolons, calant nous-mêmes les sous-titres qui font partie intégrante de la réalisation. Sous-titres français pour Clegg dans la version française, anglais pour Idir dans la version internationale. Quelques mois après, lors de son passage à l'Olympia, Idir aura la gentillesse de me confier que le film relança sa carrière... J'aurais au moins été utile à quelque chose !
Après le succès de Idir et Johnny Clegg a capella, Jean-Pierre Mabille qui travaillait toujours à Point du Jour me demande de partir à Sarajavo pendant le siège. Après les tensions algériennes (je suis un des derniers à pouvoir y tourner à cette époque) et sud-africaines (il y avait déjà des snipers dans les townships), c'est la cerise sur le gâteau pour terminer 1993. Mais ça, c'est une autre histoire.


Nous nous étions revus à Paris, et il y a trois ans j'avais retrouvé un document précieux que j'avais monté d'après mes rushes et qui ne figure pas dans mon film. Johnny Clegg y construit un arc musical en allant couper un des bambous de son jardin à Johannesburg.

mardi 16 juillet 2019

Les fantômes de l'Internationale


J'ai lu d'une traite l'incroyable saga de l'hymne international composé par Pierre Degeyter sur des paroles d'Eugène Pottier. Élise Thiébaut, à qui l'on doit l'indispensable Ceci est mon sang, livre incontournable sur les règles féminines (et masculines !), a demandé au dessinateur Baudoin d'illustrer la chanson en introduction du livre, puis de l'accompagner tout au long de son récit. La bande dessinée actualise la lutte qui ne semble hélas plus finale avant que l'on suive l'enquête aux nombreux rebondissements. Élise rappelle que je l'avais avertie des dangers de diffuser L'Internationale sur FaceBook pour des questions de droits d'auteur avant qu'elle ne tombe récemment dans le domaine public, et que je l'avais mise sur la voie d'une hypothétique descendance du compositeur. Le parcours de l'hymne planétaire du mouvement ouvrier tient de la course d'obstacles et va de scandale en scandale de la Commune de Paris en 1871 à la Sacem en 2018 ! Comme toujours le ton d'Élise Thiébaut est incisif, drôle et son analyse fondamentalement politique avec des incursions féministes de la plus grande justesse. C'est aux digressions que je reconnais un auteur, à la manière de s'échapper sans s'éloigner de son sujet. Ce peut être aussi en le plongeant dans le bain du réel, de son réel à soi, que l'histoire prend sa forme, se moquant de la frontière qui nous sépare de la fantaisie...

→ Élise Thiébaut et Baudoin, Les fantômes de L'Internationale, ed. La ville brûle, 18€, à paraître le 30 août 2019

lundi 15 juillet 2019

Years and Years fait froid dans le dos


En tête de mon article sur la série Years and Years, coproduite par HBO et BBC One, et diffusée en France par Canal +, j'ai choisi l'image du clone de Marine Le Pen interprétée par Emma Thompson plutôt que le portrait de la famille Lyons, parce que ce mélange d'extrême-droite française, de Brexit et de populisme italien (son parti se nomme 4 étoiles !) m'a plus intéressé que le sempiternel procédé de traverser une époque au travers d'une famille où les minorités sont soigneusement représentées (femme noire, homosexuel/le/s, grand-mère, ado complexe, etc.). Il n'empêche que cette plongée dystopique dans les quinze prochaines années est particulièrement réussie.


Quiconque est conscient de l'état du monde s'intéressera à la collapsologie. Nul ne sait comment la catastrophe annoncée surviendra et il est difficile d'anticiper quel domino entraînera les autres, mais les changements politiques, économiques et technologiques affectant les membres de la famille Lyons s'appuient sur des recherches sérieuses, parfaitement crédibles, même si les allégations sur Trump et Poutine sont caricaturales. La série de 6 épisodes écrite par Russell T Davies (Queer as Folk, The Second Coming, le retour de Doctor Who) est partagée entre une réalité dramatique alarmante et l'humour que génèrent les spéculations sur l'avenir proche. La menace nucléaire qui nous pend au nez depuis 1945, la garantie des dépôts bancaires limitée à 100 000€ en cas de faillite, la chasse aux migrants et leur extermination déjà à l'œuvre en Méditerranée par exemple, l'anti-européanisme des Britanniques, le transhumanisme, les objets connectés, la perte d'efficacité de certains médicaments, etc., presque tout ce qui devrait nous réveiller est intégré au scénario catastrophe. L'analyse économique mettant radicalement en cause le capitalisme et son dérivé moderne, l'ultralibéralisme, est malheureusement absente au profit de ses conséquences. Idem pour certains phénomènes météorologiques plutôt flippants ! Mais le scénariste se réserve probablement des cartouches pour une seconde saison, comme on peut le deviner à la fin du dernier épisode qui clôt la saison tout en lui permettant de continuer...

vendredi 12 juillet 2019

Profession deux fois


Je m'y attendais. Avant-hier, en plaçant un article sur mon voyage à Venise en une, la rédaction de Mediapart m'a attiré quelques commentaires désagréables. Par contre peu de réaction hier à propos de mon billet sur la Biennale... Certains lecteurs m'accusent de prendre l'avion (le train de nuit avait été supprimé, mais une lectrice m'apprend que l'Italie l'a rétabli), de condamner le tourisme de masse alors que j'y participe à ma manière, de préférer le voyage à la lecture sur le sujet, etc. J'ai l'habitude de ce genre d'attitudes d'abonnés qui n'écrivent jamais d'articles, mais répandent systématiquement leur fiel à la façon des trolls. Même si je les comprends parfois, je ne peux prendre pour moi la plupart de leurs critiques, tout simplement parce qu'aucun de mes articles n'existe en soi. Il fait partie d'un corpus beaucoup plus important, plus de 4000 à l'heure actuelle. Les réponses ou les attendus sont à chercher dans l'ensemble, mais ce n'est pas facile d'y faire des recherches (mon blog drame.org a des fonctions sélectives plus fonctionnelles que son miroir sur Mediapart). Je ne peux pas non plus exiger de mes lecteurs ou lectrices occasionnel/le/s de se coltiner 14 ans de billets quotidiens (j'ai commencé en 2005, donc bien avant la fondation de Mediapart). Je comprends donc que je puisse irriter les un/e/s ou les autres s'ils ou elles ne perçoivent qu'un seul angle de vue, mais, je le répète, je ne peux rappeler chaque fois le contexte global ou mes professions de foi qui sont en dénominateur commun.
Écrire un article chaque jour me prend trois heures, or ce n'est pas mon gagne-pain (je paye mon abonnement à Mediapart comme tout le monde), et je dois continuer ou j'aime continuer à exercer parallèlement mes activités artistiques. J'essaie chaque fois d'avoir un point de vue personnel, je n'y arrive pas toujours, et mes articles sont souvent militants, entendre qu'ils évoquent généralement des sujets peu ou pas traités par les professionnels. J'ai par ailleurs écrit dans de nombreuses publications : Le Journal des Allumés du Jazz (dont je fus co-rédac'chef pendant 10 ans), Muziq, Jazz Magazine, Jazz@round, Jazzosphère, Citizen Jazz, Les Nouveaux Dossiers de l'Audiovisuel, La Revue du Cube, L'Autre Quotidien, La Nuit, Les Cahiers de l'Herne, Le Monde Diplomatique... Mais ces textes sont d'une autre nature, le blog m'offrant de parler à la première personne du singulier sans que l'on me corrige en introduisant des erreurs qui n'y étaient pas ! J'apprécie cette liberté, sans la pression des annonceurs ni celle d'une hiérarchie quelconque, quitte à ce que cette pratique reste amateur, terme qui vient du verbe aimer !

jeudi 11 juillet 2019

De l'art en surface et profondeur


J'avais toujours évité d'aller à Venise en été. On dit que les canaux y exhalent des puanteurs et le tourisme de masse rend la chaleur encore moins supportable. Mais on ne choisit pas toujours et l'idée était de visiter la Biennale d'Art Contemporain où je n'étais jamais allé, pas plus qu'à la Mostra ou au Carnaval. En bonus nous avons traversé la lagune pour aller nous baigner dans l'Adriatique sur le Lido. La majeure partie de notre semaine fut donc occupée par les expositions et les musées. Entre chaque nous nous sommes perdus dans les ruelles, le long des canaux qui commençaient à peine à sentir mauvais à notre départ de là-bas. Par contre la Biennale nous laisse un goût amer. Grosse déception devant la majorité des œuvres d'une superficialité affligeante. Les motivations des artistes ressemblent plus au besoin de se faire connaître que d'exprimer quelque chose qui leur tient à cœur. J'avais la désagréable impression souvent ressentie au Palais de Tokyo. Un écran de fumée, des technologies nouvelles utilisées depuis des années pour ne rien dire, des choses vues et revues. Si cela avait été l'opération "Portes ouvertes" d'une école d'art j'aurais trouvé cela sympathique, tout au plus. On peut attendre mieux de la jeunesse, qu'elle nous bouscule et rue dans les brancards !


Même les artistes que nous aimons d'habitude y ont accroché des œuvres décevantes. Ici, Christian Marclay empilant des bords cadre de films de guerre avec une bande-son forcément embouteillée. Le Pavillon français, que nous aurions trouvé tout juste honorable en temps normal, sortait un peu du lot grâce au travail plutôt désordonné de Laure Prouvost, entendre qu'elle tire un peu dans tous les sens. C'est déjà ça. Je pensais que j'avais la dent dure avant d'en parler avec des habitués et de lire les compte-rendus à notre retour, les uns et les autres trouvant cette cuvée de la Biennale particulièrement ratée... Heureusement, la sculpture de Liu Wei (photo ci-dessous) à l'Arsenale Gaggiandre me fit penser agréablement à un ramassé du décor du film Les 5000 doigts du Dr T et les tableaux de la Nigérienne Nideka Akunylli Crosby au Pavillon central des Giardini nous remontèrent un peu le moral. J'étais évidemment attiré par les disques en terre glaise (?) du Libanais Tarek Atoui, aussi passionné par les arts plastiques que par les arts sonores...


Cette cuvée 2019 porte le titre May You Live In Interesting Times ! Si l'intérêt pour notre époque est si peu encourageant, est-ce parce qu'elle est particulièrement sinistre, avec des gouvernements réactionnaires se durcissant un peu partout sur la planète, le capitalisme devenant de plus en plus cynique, réduisant la culture à une peau de chagrin et ne favorisant que des arts mercantiles ? Les œuvres apparemment les plus engagées relevaient hélas d'un politiquement correct favorisant la bonne conscience.


Les expositions "off" ou les pavillons nationaux disséminés dans la ville recélaient malgré cela quelques belles surprises comme la Thaïlandaise Kawita Vatanajyankur ou le Cubain Carlos Quintana. Nous avons raté hélas les plus excentrées, parfois situées sur une île, à Murano ou San Clemente, mais nous avons trouvé facilement celles de la Taïwanaise Shu Lea Cheang axée sur le genre ou celle de l'Américaine Joan Jonas plutôt bavarde, son empathie pour les baleines l'entraînant loin de ses œuvres passées. On notera tout de même la présence importante d'artistes féminines, ce qui devrait permettre certaines ouvertures à l'avenir...


Même en une semaine nous étions loin d'être capables de voir tout ce qui était proposé d'art contemporain à Venise. Nous nous sommes rattrapés avec les valeurs sûres : Helen Frankenthaler au Palazzo Grimani, Georg Baselitz à la Gallerie dell’Accademia, Arshile Gorky à la Galerie internationale d’art moderne, Jannis Kounellis à la Fondation Prada (photo ci-dessus). Chacune mériterait un article entier, mais j'ai mon ménage à faire et mes instruments à travailler en vue des prochains concerts ! Nous avons profité d'un joli bonus dans cette marche forcée sous le soleil d'Italie et les ruelles encombrées, car en plus des passionnantes expositions qui y sont présentées, nous avons pu découvrir les palais extraordinaires qui les abritent et sont inaccessibles en temps normal. On devine le faste incroyable de ces demeures du temps du rayonnement de la ville alors que la plupart sont véritablement défraîchis, ce qui leur donne un charme fou évidemment, comme si Versailles était transformé en lofts et en squats, ce qui ne serait pas pour me déplaire, cassant l'image arrogante qu'il véhicule...


Puisque j'en suis à parler des lieux fameux et grandioses, je ne peux m'empêcher de rappeler les incontournables du temps passé, visites dont je ne pourrai jamais me passer à chaque séjour vénitien, car ces tableaux extraordinaires ne voyagent pas. Dès le premier jour nous avons cadré le plafond de la Scuola Grande de San Rocco avec les miroirs laissés sur un des bancs sans aucune sollicitation ni vague indication. Admirer ainsi les détails des peintures du Tintoret, renversées, permet de les découvrir sous un nouvel angle. Je m'étonne qu'aucun artiste contemporain ne se soit, à ma connaissance, emparé du procédé... La visite de la Gallerie dell'Accademia est tout aussi indispensable, surtout depuis que les neuf tableaux de la légende de Sainte Ursule de Vittore Carpaccio ont été rénovés ! Mais on peut aussi y contempler Bosch, Bellini, Giorgione, Mantegna, Tiepolo, Le Titien, Veronese et bien d'autres...


S'il ne fallait choisir qu'une chose à faire à Venise ce serait d'aller me recueillir à la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni pour les Carpaccio dont les cadres représentent pour moi l'ancêtre de la bande dessinée et du cinéma. Les drapés des vêtements, la présence naturaliste des plantes et des animaux, les mouvements et les hors-champs sont autant de merveilles. J'ai raconté ici ma première visite dans les années 70 alors que nous venions d'arriver et que les quais étaient sous la neige. Dans la petite salle qui abrite les exploits de Saint-Georges, Jean-André Fieschi et moi étions seuls avec un couple, "un monsieur qui semblait déjà âgé et une jeune femme. Nous l'avons reconnu, lui, mais nous n'avons pas osé bouger, nous aurions brisé le charme. Nous l'avons regardé s'éloigner, de dos, le long du canal. Tout était magique. Venise sous la neige, les peintures sur les murs, le dragon terrassé, le silence et l'absence, et Michelangelo Antonioni." Sous la chaleur moite de l'été, les Carpaccio nous ont ravis tout autant...

mercredi 10 juillet 2019

Tourisme bip bip


Chaque année 37 millions de touristes arpentent Venise, mais seulement 9 millions y passent ne serait-ce qu'une nuit ! Je regrette de n'avoir pris aucune photo de ces hordes qui suivent au pas de course un petit fanion de crainte de se perdre. Mais pendant les premiers jours de notre séjour, écœuré, j'étais incapable de me saisir de mon appareil. L'absurde y rivalise aujourd'hui avec la magie. Comme ces immeubles flottants qui envahissent parfois la lagune au point d'en cacher le soleil, lorsqu'ils ne se crashent pas sur un quai, détruisant tout sur leur passage !


Pour mon septième voyage dans la ville d'Europe qui me fascine le plus, j'avais choisi un logement près de l'Arsenal où la majorité des touristes ne mettent jamais les pieds. La via Garibaldi est ainsi restée la même et le linge continue de sécher dans les petites ruelles de ce quartier populaire. Nous en avons profité pour faire une balade en barque sur des canaux officiellement interdits à la navigation, enceinte encore sous contrôle militaire.


Alain m'avait conseillé de rencontrer un de ses amis vénitiens, artiste polymorphe qui passe allègrement de la sculpture à la musique. Il ne m'avait pas raconté qu'il est pratiquement impossible de vivre de son art à Venise. Ainsi Mauro est gondolier, comme son père, et tous les trois jours il s'en octroie deux pour faire ce qui lui tient le plus à cœur, comme sa fille, branchée multimédia, qui est partie à Milan, centre artistique de l'Italie.


Malgré tout, Venise n'a rien perdu de son charme ni ses calle de leur éclat. Chaque pont enjambé révèle les images d'un passé que l'humidité dévore depuis des siècles. Pendant la Biennale d'Art Contemporain les expositions permettent de visiter des palais fermés en temps normal. J'y reviendrai, et sur la déception qu'engendra chez nous la Biennale officielle, vitrine d'un marché d'une superficialité lamentable, et sur l'incroyable faste d'antan que nous livrent de somptueuses demeures... Le pèlerinage exige aussi de prendre le temps de voir ou revoir San Rocco, San Giorgio dei Schiavoni, les galeries de l'Arsenale et bien d'autres merveilles qui ne peuvent voyager. C'est la première fois que je prenais l'avion pour Venise, une heure trente de vol auquel s'ajoute une heure trente de navigation. Le train de nuit n'existe plus. La navette s'arrête à certaines îles comme Murano qui n'a pas beaucoup d'intérêt à moins de vouloir rapporter quelque verroterie. Nous n'avons hélas pas eu le temps de nous rendre à Burano dont les maisons m'ont inspiré la couleur de la mienne...


Nous avons marché, marché et encore marché. La gastronomie vénitienne marquait des haltes dans notre boulimie d'expositions. Le sommet revient au restaurant Riviera de GP, l'ancien bassiste de Sanseverino. Nous avions opté pour le menu di qua e di là : tartare de saint-jacques avec chips de fromage et fruits, wafer d'araignée de mer avec artichauts, risotto de petits pois et huîtres chaudes de Scandovari, langue de bœuf avec confiture salée de citron, céleri et feuille d'anis, foie de génisse à la camomille et au citron, pigeon avec masse de cacao, ricotta de buffone au chocolat blanc et herbes aromatiques (c'est ce que j'enfourne là enrobée de feuilles de riz), sans compter la ribambelle d'amuse-gueule et de trous vénitiens. La noisette enrobée de foie de pigeon et croûte de cacao fut le clou du repas. Ailleurs nous nous sommes délectés de fruits de mer, de crabes mous frits, de risotti à l'encre de seiche, de pâtes al dente, de tiramisus, et de glaces évidemment tant il faisait une chaleur harassante... Je n'étais jamais allé au Lido et le bain dans l'Adriatique marqua une pause salutaire.


La nuit, Venise, vidée de ses marcheurs blancs, est transformée en décor de cinéma, un décor dans lequel on nous aurait enfermés en nous y oubliant. Il y avait tant à voir que nous y avons passé une semaine et que nous pourrions y rester des années.

mardi 9 juillet 2019

Mon cœur


J'espérais exposer mes artères, mais les images de ma coronarographie étaient inaccessibles sur le CD-R que l'Hôpital Marie Lannelongue du Plessis-Robinson m'a remis. J'ai essayé "veinement" de le regarder sur Mac et PC sous différents systèmes, mais je n'y vois que du feu. Il semblerait que seul un médecin peut y avoir accès ?! Je me suis donc résolu à illustrer mon rapport avec un instantané d'une installation de la Biennale de Venise. C'est dommage parce que cette plongée dans l'organisme semblait véritablement passionnante, à la manière du Voyage fantastique de Richard Fleischer ou, plus drôle, de son pastiche Innerspace de Joe Dante !
(P.S.: Depuis le Dr Ghostine a eu la gentillesse de m'envoyer un nouveau CD-R qui m'a permis de voir l'impressionnant film de l'opération, à suivre dans un prochain article donc !)
L'étau qui me serre douloureusement la poitrine après un très gros effort avait justifié cet examen. Le bon Docteur Hoang m'avait trouvé un rendez-vous dans ce centre spécialisé extrêmement réputé. J'avais auparavant tenté l'Hôpital du Nord à Saint-Denis, mais il m'avait été répondu qu'ils affichaient complet jusqu'en novembre et que le planning pour ce mois-là n'était pas encore édité. C'est un petit exemple de l'état de la santé en France, mais rien en comparaison des conditions de travail qui sont imposées au personnel soignant, surtout celles et ceux du bas de l'échelle, les infirmières et infirmiers qui désertent progressivement leur emploi, payé/e/s un salaire de misère. Pour la première hospitalisation de ma vie, l'expérience s'est avérée moins pénible que je ne le craignais, probablement parce que cet établissement n'a pas de service d'urgence et que son petit personnel est particulièrement attentif et dévoué. Le Docteur Ghostine, chirurgien qui m'a "opéré", était également nettement plus cordial que le premier cardiologue que j'avais rencontré et dont j'ai surtout pu admirer la nuque.


J'arrête là le suspense en annonçant que je vais parfaitement bien et que je mourrai probablement en bonne santé. C'est du moins ce que l'analyse de mes coronaires révèle. Il peut y avoir d'autres facteurs à ma douleur thoraxique... L'usage quotidien du sauna (infra-rouge) avait fait considérablement baisser mes taux de glucose et de cholestérol qui sont à des niveaux me permettant quelques exactions charcutières, fromagères ou sucrières quand ma gourmandise m'y entraîne. Le praticien m'a suggéré d'arrêter de fumer, or je ne pratique plus le jointage depuis environ 7 ans, même si j'en fus friand pendant les premières quarante ans de ma vie ! J'ai évité depuis toujours le tabac, écœuré par la fumée des Disques Bleus filtre de ma mère qui me remontaient dans les trous de nez lorsqu'elle corrigeait mes devoirs.
Cette expérience est de bonne augure pour ma descendance, d'autant que le Docteur Libert, brillante homéopathe qui me fit passer l'asthme en trois semaines, m'avait prescrit des analyses de sang poussées montrant que j'avais de bons gènes, propres à défendre mon immunité. J'avale chaque matin du sélénium que l'on trouve dans les noix du Brésil et de la vitamine B3 pour la renforcer là où se présentent quelques petites failles. Des craintes persistaient à cause de mon père qui était cardiaque ; il avait eu des rhumatismes articulaires aigus lorsqu'il avait 13 ans et on lui avait remplacé une valve du cœur par une nouvelle en peau de porc qui n'était pas casher ! Je n'avais pas du tout envie de me retrouver avec une fermeture éclair sur la poitrine.
J'envisage donc la vie avec des yeux neufs. Je regarderai à gauche et à droite en traversant et j'éviterai que l'on me contrarie, ou, du moins, je tenterai de gérer les contrariétés avec l'élégance d'un danseur...

Illustration : Antoine Catala The Heart Atrophies (2018-2019)