70 janvier 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 janvier 2007

Sans sommeil


Pourquoi est-ce que je ne dors pas ? J'ai pourtant réglé son compte à ma peur de la mort à Sarajevo pendant le Siège. Je me réveille avec une soif de vie intarissable, la pépie ! J'ai le sourire aux lèvres dès la station debout. Le monde nous appartient. Dès que j'ouvre l'œil je suis opérationnel. Il me faut une petite minute d'adaptation, le temps de claquer dans mes doigts, je suis sur le pont. Mais j'ai du mal à me rendormir si le jour s'est levé. Je fus la nuit au point de lui donner le titre de mon premier film : en 1974, dans La nuit du phoque, j'étais la nuit, Bernard Mollerat faisait le phoque. Je suis devenu le jour. La nuit je ne travaille plus, du moins je feins de le croire. Le soir, je regarde un film sur grand écran, ça me déconnecte, trop d'énergie de la journée passée, il faut une prise en mains forte pour m'arracher à la veille. Il m'arrive de plus en plus de m'endormir devant le film, pas vraiment, quelques instants, un sommeil qui n'a rien de réparateur, une frustration. Plus tard, j'attendrai d'être fatigué pour aller me coucher, je m'éteins facilement. S'il m'arrive d'avoir des insomnies, je marche trois minutes, les yeux à moitié fermés, sur mon tapis à pointes, réflexologie, je me recouche et m'endors illico. Je ne suis plus pour autant capable de passer des nuits blanches. Il paraît aussi que la nuit j'ai des soubresauts, des impatiences dit-on.
J'avais vingt-cinq ans, je dormais un peu plus de quatre heures par nuit et j'étais crevé. Ma mère me donne à lire un dossier sur le sommeil dans le Nouvel Observateur. Nombreux exemples atypiques de dormeurs me montrent que mon sommeil est nettement supérieur à de nombreux personnages célèbres. Je ne suis plus du tout fatigué. Je continue à dormir quatre heures et quart. En vacances, je dors plus longtemps, mais je n'ai jamais retrouvé le sommeil de mon enfance lorsque, le dimanche, je faisais la grasse matinée, ou celui de mon adolescence, où je me couchais tard et me levais vers midi. Tout a changé à la naissance de ma fille. Voilà donc plus de vingt ans que je ne dors presque plus. Il m'est parfois arrivé d'avoir un petit coup de barre vers dix-sept heures si je descends en dessous de quatre heures de sommeil, mais c'est heureusement rare. Je suis incapable de faire la sieste, du moins à Paris. L'été, à La Ciotat, j'ai réussi à m'endormir après le déjeuner, mais je déteste la sensation au réveil, ça me crève, je me sens pâteux. J'aime fermer les yeux pour écouter la musique du temps qui passe.
Si je vis vieux, ma vie aura été intense. Dans le cas contraire, j'aurai simplement condensé mon activité dans un temps plus limité. À quarante ans, j'ai pensé que j'en avais assez fait, que je pourrais m'arrêter. J'ai continué. Plus qu'une vie bien remplie, j'ai l'impression d'en avoir eu plusieurs. Alors je me demande si j'ai vraiment réglé son compte à la mort. Pourquoi est-ce que je ne dors pas ?

mardi 30 janvier 2007

La mort de Siggy


Le site des Allumés du Jazz s'est enrichi de nouveaux systèmes de recherche (par label, artiste ou album) beaucoup plus fins que dans sa précédente version, d'une WebRadio (on peut enfin écouter de la musique) et d'un blog. Devinez qui initie ce blog ? Dans un premier temps, certes, en attendant que les autres rédacteurs se réveillent ! J'ai ainsi déjà mis en ligne la plupart des grands entretiens réalisés dans le cadre du Cours du Temps, rubrique récurrente du Journal des Allumés du Jazz. Sans les photos de Guy Le Querrec qui les accompagnaient (les journaux sont néanmoins téléchargeables au format pdf sur le site des Allumés si on souhaite avoir la complète), on pourra ainsi lire ou relire les entretiens fleuves réalisés avec des musiciens qui ont marqué le précédent demi-siècle : François Tusques, Bernard Vitet, Steve Lacy, Jacques Thollot, Henri Texier, Michel Portal, Joëlle Léandre, Fred Frith, Archie Shepp... aussi bien que ceux avec Le Querrec ou le dessinateur Siné...

On reviendra à tout cela ultérieurement, car ce qui m'anime aujourd'hui est le commentaire laissé sur le blog des Allumés par un ami marin de Siegfried Kessler, pianiste de jazz retrouvé noyé il y a quelques jours, près de son bateau à La Grande Motte.
Fredo nous écrit : Bonjour, je suis un ami de Siggy, j'habite sur un bateau à quelques mètres du sien... C'était mon ami , je le voyais tout les jours... Et le raccompagnais souvent à son bateau avec son ami anglais Andy ainsi que d'autres... Ces temps derniers il était malade... Il avait, en plus de ses problèmes de finances immédiates... (il attendait le réglement de son concert du 25 décembre 2006 à l'ambassade de Roumanie ?), de gros problèmes de santé, atteint d'une prostate défaillante... C'est normal vu son âge... Donc les difficultés que peuvent engendrer une telle maladie... Puis il est vrai qu'il buvait un peu... Mais qui peut se prévaloir de ne pas le faire... Bref ! Ce dimanche 21 janvier, sortant de mon bateau pour aller boire un KF je rencontre Siegfried qui était assis sur un banc... Il s'était uriné et déféqué sur lui... J'ai aussitôt appelé le centre d'action civil des pompiers à Montpellier qui m'a gentiment éconduit vers la caserne des pompiers de La Grande Motte... Réponse:.. Nous arrivons !? Trois Minutes après, débarque la police municipale de la Grande Motte ? Pour soigner un malade ? Ouf Pimpon... Enfin ils arrivent ? Ah Monsieur a encore trop bu, il est sale et en plus s'est pissé dessus... Merde que faire... Allez direction la gendarmerie... Cellule de dégrisement... J'ai eu beau leur dire qu'il lui fallait un médecin et des soins !? Monsieur, on a l'habitude, laissez nous faire notre travail SVP. Si vous le laissez sortir de vos locaux sans soins il est mort... Incroyable STRIKE ? Et on l'a retrouvé flottant le lendemain... Qui faut-il être pour vivre sans déranger... À bon entendeur salut !
Cette histoire est terrible. Elle me rappelle la mort d'Albert Ayler, noyé dans l'East River, ou celle du batteur Oliver Johnson, retrouvé assassiné sur un banc parisien alors qu'il s'est clochardisé, ou encore celle de Malachi Ritscher qui s'est récemment immolé par le feu sur une grande artère de Chicago. Siggy est mort de ne pas avoir été entendu. Les secours n'arrivent pas tous à la même vitesse. Le prix de la vie est fonction de son appartenance sociale.

Image du film de Christine Baudillon, Siegfried Kessler, a love secret (2004).

lundi 29 janvier 2007

Paris Ville Numérique


En consultant le site de la Mairie de Paris sur ses projets en matière d'Internet, on peut avoir une petite idée de ce que l'avenir nous réserve. Les téléphones portables seront vite remplacés par des appareils plus sophistiqués qui permettront de surfer sur la Toile avec tous les services que cela représente dores et déjà, de se parler en visiophonie, de contrôler à distance les appareils ménagers, de surveiller sa santé, etc. Pour que tout cela fonctionne, il est nécessaire que "tout le monde" ait accès à ces nouveaux outils comme aujourd'hui au téléphone. Les SDF ne sont évidemment pas concernés par la f(r)acture numérique ! "Développer l'accès et l'usage d'Internet" est le mot d'ordre de PARVI (Paris Ville Numérique). Pour exemple, voici quelques extraits de la page liée au Haut-Débit. Pour les impatients, sauter directement le long premier paragraphe et commencer la lecture au "nouvel art de vivre" !

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dimanche 28 janvier 2007

Les chiffres à livre(t) ouvert


Il n'est pas coutume de livrer ses chiffres. La profession croule sous le secret. Il n'est pourtant qu'une seule valeur qui ne soit ici comptabilisée et qui mérite la considération : la solidarité. Cette valeur morale, qui n'a pas de prix, ne concerne pas exclusivement la production de disques. C'est aussi la clef de notre réveil politique... Fasse que les chiffres qui suivent profitent à mes collègues et éclairent celles et ceux qui n'en ont a priori rien à fiche.

998 exemplaires livrés de l'album Établissement d'un ciel d'alternance ; si Michel Houellebecq vend 400 000 exemplaires de La possibilité d'une île, son dernier roman, ses ouvrages de poésie sortent seulement à 1 500 (premier tirage).
Une centaine envoyés illico à la presse, aux ayant-droits, à la Bibliothèque Nationale, etc.
2,11 ? de frais postaux par envoi.
25,80 ? pour 100 enveloppes 18x27cm Rajamousse, plus 16 ? de frais d'envoi.
135 exemplaires première livraison en dépôt chez le distributeur (Orkhêstra) vendus 6,56 euros l'unité ; cela peut donner une idée de la marge des intermédiaires lorsque l'album se retrouve en magasin, mais seul le diffuseur fait un réel bénéfice...
31,20 ? envoi colis 18 kilos Chrono 18 service exclusif Internet.
6 kg le carton de 45 exemplaires.
45 en dépôt aux Allumés à 8,78 ?l'unité en vpc.
658 ? pour le mastering (niveaux, traitement sonore et codage PQ, master DDPI, copie d'écoute, envoi poste au presseur, 2 cd-r d'écoute) de 4 titres (index) d'une durée totale de 33'39".
500 ? prix d'ami pour la conception de la couverture et du livret, merci Étienne...
2793,86 ? pressage du cd, impression de l'étiquette, du livret 12 pages quadri et du boîtier, cellophanage, transport (MPO)
délai de livraison 15 jours ouvrables.
719,60 ?droits de reproduction mécanique SDRM qui reviendront aux ayant-droits, les auteurs, après déduction d'une quinzaine de % à la SDRM pour frais de gestion (l'éditeur des poèmes et l'auteur se partagent 50%, le reste revient au compositeur, sauf pour l'instrumental Tchernobyl partagé entre Bernard et moi) ; les petits producteurs indépendants doivent avancer cette somme sur leur stock tandis que les gros producteurs ne paient que sur les exemplaires réellement vendus.
Total des frais 5000 ? H.T. environ, toutes sommes s'entendant hors taxes.
Pour rentabiliser la fabrication, il faut avoir vendu environ 800 exemplaires, mais le total n'inclut pas le salaire des artistes, ni le studio d'enregistrement, ni les frais divers (transport, téléphone, secrétariat, etc.). Si le disque se vend miraculeusement bien, les frais de réassort (réimpression) sont heureusement moins chers.
Ce billet dominical manque sérieusement d'humour. On est pourtant si contents de tenir enfin l'objet entre nos mains, impatients de savoir comment il sera perçu...

samedi 27 janvier 2007

Le trou du souffleur


Pourquoi ne voit-on plus de souffleur au théâtre ? On a démonté la boîte qui dépassait à l'avant-scène et qui représentait les hommes de l'ombre. On imaginait un très vieux monsieur qui était là depuis Molière, un vieil acteur décapité, épris de compassion pour ses congénères. Il était encore là lorsque j'étais petit. Je ne sais pas quand il a disparu, à quelle occasion, si cela s'est produit brutalement ou progressivement, je ne sais rien. Les comédiens ont-ils plus de mémoire que jadis ? Improvisent-ils leur texte lorsqu'à leur tour ils ont des trous ? Des ptits trous, des ptits trous, toujours des ptits trous.
Pourquoi est-ce que je m'ennuie au théâtre ? Pas tout le temps, mais si souvent. Jusqu'au supplice. La déclamation est insupportable, on a l'impression que le comédien ne joue pas un rôle, mais qu'il tient le sien, comédien ! Pas toujours, mais beaucoup trop souvent à mon goût. Peut-être le théâtre est-il une forme dépouillée du drame ? Le cinéma est plus complexe, il permet de changer d'angle, de faire des ellipses, j'ai l'impression d'une grande liberté que je ne perçois pas sur scène. Ou alors je préfère la piste, lorsque le danger peut se présenter de toute part. La musique est plus abstraite, sujette à interprétation. Les comédiens de théâtre me font rarement rêver, ils ne m'émeuvent pas comme un livre, un film, une voix qui s'élève note à note dans le noir. J'en souffre au point d'y aller à reculons. Mes jambes finissent pas avoir des impatiences. Je mors mes doigts, je me masse les pieds sous les malléoles, je pense à ça, à quelque chose, j'essaie de m'évader car je n'ose pas me lever et m'en aller. C'est terrible. Je souffre pour celles et ceux qui sont sur scène et débitent leur texte comme s'ils étaient à l'école, une école de ou du théâtre, mais une école tout de même. C'est cela : j'ai le sentiment d'être à l'école et j'attends la cloche. Il y a quelque chose de réducteur dans tout cela, le théâtre comme ce que j'en dis.

vendredi 26 janvier 2007

Sortie chez GRRR de mon duo avec Michel Houellebecq


Établissement d'un ciel d'alternance (cd GRRR 2026)

Michel Houellebecq écrit que c'est sa seule collaboration réussie avec un musicien. Jean-Jacques Birgé suggère qu'on se laisse porter par le "poème symphonique" comme en état d'apesanteur. Créé pour le 10ème anniversaire des Inrockuptibles à la Fondation Cartier, "Établissement d'un ciel d'alternance" a été enregistré en une seule prise par les auteurs. Le bonus instrumental de Birgé et Vitet (Un Drame Musical Instantané) insiste sur le côté sombre du texte et sur l'aspect "musique de film" de l'album. Très classe, grand format pour un boîtier et un livret aux couleurs glauques, texte de Michel Houellebecq inclus.

D'abord le texte promotionnel envoyé au distributeur, Orkhêstra International, qui s'occupe de nombreux labels indépendants (mais la majorité de son chiffre d'affaires provient du label américain Tzadik dirigé par John Zorn).
Ensuite, la petite histoire (elle figure dans le billet du 27 novembre 2006).
Voilà, je suis très fier de sortir cet album. Comme presque tous mes disques et ceux du Drame, il a été enregistré chez moi, au Studio GRRR, situé alors en face du Père Lachaise. C'était il y a dix ans. Établissement d'un ciel d'alternance est le fruit d'une seule prise, sans coupure et sans mixage postérieur. Le mastering réalisé par Isabelle Davy (Circé) a seulement rééquilibré certaines fréquences, un travail de prestidigitatrice. J'aime l'état d'urgence que produit le direct. C'est la première prise, nous étions le 4 novembre 1996. Il existe une seconde prise datant de deux jours plus tard, plus longue, plus riche instrumentalement, mais l'émotion n'y est pas aussi forte, la voix pas aussi juste ni posée. J'ai longtemps pensé éditer les deux prises. Leur comparaison est passionnante, mais Michel a tout de suite affirmé sa préférence pour la première. Il avait raison.

J'ai choisi de compléter l'album avec une pièce composée avec Bernard Vitet (son Cours du Temps est en ligne sur le blog des Allumés depuis peu). C'est encore une longue histoire. Nous avions écrit à deux la musique du long métrage d'Ademir Kenovic, Le cercle parfait, à sa demande. Il désirait un orchestre symphonique et deux chœurs, un chœur d'hommes et un chœur d'enfants, plus un groupe de rock ! Après trois mois d'écriture intensive, nous lui avions envoyé une heure de musique à Sarajevo. Ademir, enchanté, s'en est servi pour le tournage. Et puis, changement de producteur, changement d'équipe, on jette tout le monde et on en prend de nouveaux. Junk work. Comme je n'avais aucune nouvelle, j'avais envoyé une note à celui qui avait coutume de m'appeler son "kid brother" : When you have such friends, you don't need any ennemies (quand on a de tels amis, pas besoin d'ennemis). Point. Cela m'avait tout de même permis de régler mon attachement pathologique avec l'ancienne ville assiégée.
Six ans plus tard, en 2002, je reprends la partie d'orchestre de l'adagio écrite par Bernard pour l'intégrer à un nouveau morceau, cette fois pour accompagner un montage photographique sur Tchernobyl réalisé par Olivier Koechlin sur des images de Guillaume Herbaut à l'occasion des Soirées des Rencontres d'Arles de la Photographie dont j'étais directeur musical. Ça se passe mal avec le photographe qui trouve que l'émotion produite par la musique est trop forte, qu'elle écrase son travail. Paranoïa récurrente chez les gens d'images. Il préfère un sirop techno variétoche illustratif à la dialectique. Dommage. J'avais, encore cette fois, tout enregistré en direct, pour conserver cette vitalité, propre au geste instrumental, qui se perd trop souvent lorsqu'on utilise des machines. Je diffuse l'enregistrement des cordes (virtuelles) pendant que je joue d'instruments électroniques en temps réel. J'ai l'impression d'être une pieuvre tant j'ai de bras. Je me sers d'un AirFX et d'un AirSynth (Alesis), de mon VFX (Ensoniq) utilisé essentiellement sur Établissement... avec ma voix dans le H3000, de l'XT (MicroWave), du JV (Roland)... L'orchestre réfléchit les habitants condamnés par les radiations dans leurs intérieurs vétustes, d'un autre âge, tandis que l'armée d'instruments électroniques représente aussi bien la radioactivité que l'arsenal déployé autour de la centrale nucléaire après l'accident. Tous ces gens sont sacrifiés. Je mixe en direct avec tous les doigts en même temps que je joue. La partition musicale refusée encore cette fois (heureusement ce n'est pas courant, et cela explique probablement mon choix de l'éditer ici !) réapparaît donc enfin aux côtés du texte de Houellebecq, parce que je sens quelque chose de commun entre son poème, le siège de Sarajevo et la catastrophe nucléaire. Cela me fait plaisir que Bernard soit présent sur ce nouvel album, le premier que j'enregistre en étant le seul musicien. Il a composé pour l'orchestre, j'ai réalisé tout le reste. Nous avions besoin d'un instrumental, impossible à glisser parmi les trois index qui structurent Établissement d'un ciel d'alternance. J'ai ajouté Tchernobyl à la fin, comme pour le générique de fin d'un long métrage.

Il y a quelque chose de proprement cinématographique dans le duo avec Michel. Sa voix chaude et impassible nous envoûte. Je m'allonge et me laisse flotter au milieu des échangeurs, sur ces autoroutes nocturnes fortement imagées.
J'ai demandé à Étienne Auger de fabriquer un objet de luxe, quelque chose que l'on ait envie de tenir entre ses mains, de posséder. C'est ma façon de lutter contre le piratage : créer du désir. Détestant le petit format des cd, j'ai choisi que cela ressemble à un livre (en fait c'est le format des dvd), avec un beau livret où figure le texte de Michel Houellebecq, agréable à suivre en même temps qu'on l'écoute. Michel voulait faire des photos d'autoroutes la nuit, mais il n'a pas trouvé les conditions adéquates et c'est Étienne qui s'y est collé, avec des images prises lors de son dernier voyage au Japon. Comme d'habitude, je désirais une pochette qui se voit de loin, qui sorte de l'ordinaire. Entre le grand format allongé et cette image renversée, aux couleurs sombres (une autre suggestion de Michel quand il a regardé les précédents albums dessinés par Étienne, Machiavel et la réédition de Trop d'adrénaline nuit), voire glauques (quand je dis glauque tout le monde comprend vert, c'est bien), je suis servi ! À l'intérieur, Étienne a joué sur le minimalisme zen de la musique (si si !), avec une goutte graphique qui insiste sur l'instantanéité et le rayonnement. J'ai un faible pour son collage de l'index 4, une vue de Tchernobyl avec les timbres philatéliques édités par les Russes pour commémorer la catastrophe. Le livret contient un texte de présentation manuscrit de Michel et une autre page que j'ai écrite. Michel raconte l'anecdote des perruches...
Cinématographique, minimal, résolument moderne pour le son ; renversé, glauque, nocturne pour l'image ; c'est un bon résumé.

jeudi 25 janvier 2007

Problèmes de démarrage du Mac


Un des billets pratiques les plus lus de mon blog date du 16 avril 2006, il s'agit de Nettoyer son Mac. Comme ce genre d'information n'est pas toujours très facile à trouver sur la Toile, j'ajoute ici un article que m'avait envoyé Apple un jour de désespoir, intitulé Utilisation d’Utilitaire de disque et de fsck pour résoudre les problèmes de démarrage et réaliser la maintenance du disque. C'est beaucoup plus sioux que le billet d'avril, mais cela peut vous sauver la vie, du moins si vous l'avez imprimé et rangé dans un endroit où vous pourrez le retrouver. Sinon, puisque votre Mac est éteint et récalcitrant, vous en serez probablement réduit à contacter un ami afin qu'il recherche ce billet pour vous, le sombre jour venu. Si le précédent billet pouvait s'adresser à un utilisateur simplement méticuleux, celui-ci demande d'être nettement plus chevronné... Bon courage si vous en êtes arrivé là, ce n'est pas une mince affaire, mais c'est évidemment précieux...

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mercredi 24 janvier 2007

Ramuntcho Matta, le meccano de la minimale


Dans la chanson Mes plus grands succès, Ramuntcho Matta conduit un train à vapeur numérique sur des images rassemblées par Chris Marker et montées par Valéry Faidherbe. On croit reconnaître Vertov ou La glace à trois faces de Jean Epstein. Rien d'étonnant à cela lorsqu'on connaît le scénario de ce film admirable de 1927 : c'est le portrait d’un homme à travers trois femmes ; les fragments de plusieurs années viennent s’implanter dans un seul aujourd’hui ; l’avenir éclate parmi les souvenirs.
Tout l'album éponyme est une suite de paradoxes minimalistes en avance sur leur temps qui revisitent les souvenirs du musicien. Les morceaux originaux, enregistrés il y a souvent vingt-cinq ans, font renaître à la vie les copains d'antan. Ses fantômes peuvent se nommer Brion Gysin, Don Cherry ou John Cage. Ramuntcho a connu le succès populaire lorsqu'il vivait avec Elli Medeiros et cosignait l'album Toi mon toit avec, entre autres, A Bailar Calypso ; la chanteuse est présente ici et là dans les chœurs. Ramuntcho Matta est l'un des rares compositeurs à s'être intéressé au multimédia ; le site de son album en garde les traces, disques qui tournent sur eux-mêmes lorsqu'on glisse la souris dessus, animations vidéo d'Alice Truche, Frédérique Sansnom... Son site perso est bourré de petits joyaux, images de lui-même et de la généalogie (Ramuntcho est un des fils du peintre Matta) comme extraits sonores des musiques qu'il a écrites depuis ses plus jeunes années. L'album avec Don Cherry étonnera les amateurs de jazz. Les dessins de Ramuntcho font écho à ses chansonnettes. L'histoire de ce disque est moins tendre. Le compositeur s'est fait voler ses ordinateurs avec son travail de trois années. Incapable de tout recommencer, il a plongé dans ses archives avec curiosité et a réussi à se surprendre lui-même. C'est aussi l'histoire d'une convalescence après une grave maladie qui l'a paralysé pendant de très longs mois. Cet album marque sa double résurrection.

mardi 23 janvier 2007

Taire


Comment voulez-vous que je me livre à quelque confession intime ou à de sincères provocations alors que je suis fils et père ? Mes limites sont fixées par le désir de ne point blesser ni choquer celles que j'aime. Il est de coutume de ne publier ses mémoires qu'après la mort de ses ascendants, mieux, d'attendre qu'elles deviennent posthumes à soi-même. Mais à les taire complètement, les secrets de famille disparaîtraient dans la tombe. Ne vous méprenez pas, je n'ai hélas rien d'extraordinaire à révéler. Du moins je le crois. Ce sont seulement certaines questions qui me plaisent à sous-entendre parfois en conférence devant un public nombreux, mais que j'exprime à demi-mot, voire au quart ou, plus hypocritement, en généralisant l'affaire pour noyer le pois(s)on. Il y a bien des sujets que j'évite d'aborder en public et que seuls quelques uns sont autorisés à partager. Tout est pensable en deçà du passage à l'acte. Encore faut-il que mes ami(e)s aient l'esprit ouvert. Non, vraiment, rien d'extraordinaire, mais la question honnêtement posée est d'importance. Que ma fille me pardonne, j'en dis toujours trop pour elle dans mes billets persos. Ils peuvent pourtant s'avérer les moins complaisants, et passionnent, paraît-il, d'autres lecteurs et lectrices, plus friands de faits que d'avis. Aujourd'hui je n'aurai rien écrit.

lundi 22 janvier 2007

Les Justes, dernier jour


Si vous habitez Paris, sautez le déjeuner et allez au Panthéon voir la formidable installation artistique de la juvénile Agnès Varda sur les Justes ! C'est aujourd'hui lundi le dernier jour avant démontage et c'est ouvert de 10h à 17h sans interruption. L'entrée est gratuite. C'est aussi une occasion de visiter le monument qui d'habitude est d'une froideur absolue et d'un kitsch achevé.
La réalisatrice Agnès Varda accomplit là un miracle. Comment rendre hommage aux Français et Françaises qui, pendant la seconde guerre mondiale, ont pris le risque de cacher des Juifs, désobéissant aux Nazis et au régime de Vichy ? Des citadins ont été sauvés par des paysans. Des enfants eurent la vie sauve grâce au courage de ces hommes et de ces femmes dont les photographies occupent le centre de la nef. Certains ont été arrêtés et déportés à leur tour. À la fin de la projection, des spectateurs ne peuvent s'empêcher de laisser couler une larme. Agnès Varda réussit l'exploit de réaliser une œuvre contemporaine qui s'adresse au plus grand nombre.
Quatre écrans encerclent les cadres photographiques. Deux films sont projetés deux par deux sur des murs de pierre reconstitués et dressés pour masquer les quatre habituelles statues ringardes. Le premier est tourné en noir et blanc comme un document d'époque ; le second, en couleurs, est une évocation dramatique. Les deux films, aux plans très semblables, sont synchrones, le temps de neuf minutes d'un montage magiquement rythmé, sonorisé par les bruits du drame, par une berceuse yiddish et un violon alto l'imitant en tournant autour du sol. La fiction et le documentaire se rejoignent dans notre imaginaire. Paradoxalement, Agnès Varda a cherché des visages de Justes qui ressemblent à ses acteurs. Elle joue de toutes les dialectiques pour atteindre l'émotion juste. On peut marcher autour de l'installation, rester figé devant le spectacle de la résistance, laisser ses yeux errer d'un écran à l'autre, il est impossible de perdre le fil de la narration.
Au fond, sur un cinquième écran, est projetée l'image d'un arbre. La nature entre au Panthéon. Grâce soit rendue également à la cinéaste qui réussit à inverser la proportion de femmes dans ce mausolée des grands hommes. Sous la coupole, on peut voir sur leurs beaux visages combien elles furent aussi à résister à l'occupant et à la collaboration... Agnès Varda nous avait ravis avec ses installations ludiques à la galerie Martine Aboucaya ou à la Fondation Cartier, elle nous pousse ici à réfléchir au-delà de ce qui est montré.


L'installation a été inaugurée sous la coupole par le Président de la République, le 18 janvier, date anniversaire de la libération d'Auschwitz par l'Armée Rouge. Dans ce camp, mon grand-père est mort asphyxié sous une douche de gaz Zyklon B. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que cette cérémonie est une manœuvre de la droite au pouvoir pour récolter les votes de la communauté juive aux prochaines élections. Tandis que l'on célèbre justement ces "Justes parmi les Nations", où se cachent celles et ceux de notre actualité ? N'y-t-il pas quelque cynisme à célébrer ces Justes d'hier tandis que des enfants sont extirpés aujourd'hui de leurs classes pour être expulsés vers leur pays où parfois les attend le pire ? Ceux et celles qui les cachent en cet instant ne risquent certainement pas la mort. Les camps n'existent plus, pensez-vous. Rappelez-vous les derniers mots de Jean Cayrol à la fin du film d'Alain Resnais, Nuit et brouillard :
''Qui de nous veille dans cet étrange observatoire pour nous avertir de la venue de nouveaux bourreaux ? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ?
Quelque part, parmi nous, il y a des kapos chanceux, des chefs récupérés, des dénonciateurs inconnus.
Il y a tous ceux qui n'y croyaient pas, ou seulement de temps en temps.
Et il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin.''
Heureusement il y a des Justes... Mais ce ne sont pas toujours les mêmes.

Agnès Varda, à la lecture du billet, nous donne la primeur de la bonne nouvelle :
Vu les 27 OOO visiteurs , “ils” ont décidé la prolongation. Donc installation en place juska dimanche 28 - 17 heures, et fermeture à 18h. Je l’ ai appris en allant organiser le repliage des photos ce soir... Salut et amitié.

dimanche 21 janvier 2007

Mirrormask, le cinéma des beaux rêves


Les rêves se réfèrent aux scènes de la veille. Les enfants imaginent leurs parents, les êtres qu'ils ont croisés et qui les ont impressionnés, dans de nouvelles situations drôles, effrayantes ou abracadabrantes. Aucun film ne semble échapper à la règle. Les rêves d'adultes ont parfois le droit à la fantasmagorie sans la présence des acteurs grimés en monstres, les enfants jamais ! Quel que soit son âge, chaque dormeur tient évidemment toujours le rôle principal et aucun réalisateur ne peut s'empêcher de marcher sur les traces du Docteur Freud. Dans le rêve, l'imagination étant sans limite, elle ne peut chercher son cadre que dans la réalité. Le reste ne serait que pure fiction : toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne peut être que fortuite. À qui fera-t-on avaler cela ? Le metteur en scène prend simplement alors la place du somnambule.


Mirrormask, le film dessiné et réalisé par Dave McKean (visitez son site !) sur un scénario de Neil Gaiman et produit par Jim Henson en 2005, poursuit donc la voie où se sont engouffrés Les 5000 doigts du Dr T et bien d'autres. Une enfant de la balle, en proie à une forte émotion, s'échappe dans le monde graphique qu'elle s'est créé avec ses fusains. Qu'importe la Reine Blanche, on sait qu'elle se réveillera forcément à la fin. Au diable les ombres noires qui ne pourront que s'évanouir le matin venu. Le masque-miroir rétablira l'équilibre des contrastes. Le film est un moment de magie pure. Les images mêlant des techniques d'animation variées rappellent les œuvres de Max Ernst, collages et peintures, univers tarabiscoté dont l'originalité nous fait décoller du réel. C'est un objet rare à ne manquer sous aucun prétexte. Il est étrange comme ce genre de film passe souvent inaperçu à sa sortie en salles pour progressivement devenir culte avec les années et dvd aidant. Ce fut le cas de celui de Roy Rowlands (Dr T) comme de L'étrange Noël de Monsieur Jack (The Nightmare before Christmas) de Tim Burton.


Le graphiste anglais Dave Tench McKean a réalisé nombreuses pochettes de cd et livres pour enfants, mais c'est aussi un photographe, un peintre, un sculpteur et un pianiste de jazz. Il a mis en images plusieurs livres de Neil Gaiman (deux sites à visiter : le Mouse Circus et GaimanMcKeanBooks) comme Coraline que tourne actuellement Henry Selick, le réalisateur de Jack (sortie prévue en 2008). Gaiman est l'auteur de la version anglaise de Princesse Mononoké de Miyazaki tandis que McKean a travaillé pour les deuxième et troisième Harry Potter... Le producteur Jim Henson a créé Les Muppets ; sa Company a produit deux autres films merveilleux que l'on retrouvera, ô miracle, en coffret avec Mirrormask (GCT). Il s'agit du célèbre Dark Crystal (de Jim Henson et Frank Oz) et de Labyrinth (de Jim Henson, avec David Bowie). Si vous avez des enfants, que vous regrettez de ne pas en avoir eus ou de ne plus les voir très souvent, cela n'a aucune importance. Faites-vous plaisir. Ces trois films fantastiques (en anglais Fantasy) sont à découvrir dare-dare. Un enchantement.

samedi 20 janvier 2007

2+4=1


Mirtha Pozzi et Pablo Cueco étaient jeudi soir au Triton pour un concert exceptionnel avec quatre électro-acousticiens qui manipulaient le son de leurs percussions en temps réel. Cinq Mac entouraient la scène où s'étalaient les objets métalliques de Mirtha et où trônaient le zarb et le cajón de Pablo. Le flegme du barbu répondait à l'excitation enjouée de l'Uruguayenne. Mirtha avait averti que la chose ne se reproduirait pas de si tôt avec les quatre compères qui venaient de participer à l'enregistrement du disque chez Transes Européennes (dist. Buda Musique). Les prochaines représentations se feraient avec un, maximum deux manipulateurs, mais pas tout le ramdam ! Installer cet imposant dispositif est amusant une fois, mais ça devient vite une galère si l'on doit tourner avec. Nous avions donc de la chance de nous trouver là, dans l'agréable salle des Lilas, cosy fans tutti.
À tour de rôle, Christian Sebille (de dos sur la photo), Étienne Bultingaire, Nicolas Verin et Thibault Walter triturèrent le son des peaux, cymbales, ardoises, bings et bongs. Le premier se dandinait sur sa chaise face à son écran, jouant des filtres et de la résonance. Le second, spatialisant la diffusion, fit rebondir les pings et pongs que s'échangeait le couple dans un match gracieux dont le seul enjeu était le jeu. Le troisième s'empara des berimbaos, deux arcs amplifiés jusqu'à l'énorme. Le quatrième s'était muni d'un petit clavier midi pour jouer en contrepoint avec les sons captés par la forêt de microphones. Chaque électro joua avec la même tendresse sans jamais écraser l'acoustique du lieu où se propageaient les ondes des instruments échappés des quatre coins du monde. Se fichant du tiers comme du nouveau, les deux maîtres de cérémonie les réduisirent à se faire battre, cogner, secouer, gratter, pincer, mais aussi caresser, embrasser, aimer. La bande des quatre se constitua quatuor pour un final encore plus improvisé, puisque jamais tenté, pas même en répétition, les six musiciens nous laissant ainsi assis devant le clou du spectacle, festival inouï d'explosions délicates et rebonds stimulants.

vendredi 19 janvier 2007

Des DVD seulement disponibles en médiathèque


En discutant avec l'une des responsables de l'ADAV qui distribue DVD, VHS, CD-ROM et DVD-ROM dans toutes les bibliothèques et médiathèques de France, ainsi que dans les établissements scolaires, les centres culturels à l'étranger, les associations socioculturelles ou socio-éducatives, etc. qui ont - ou mettent en place - des vidéothèques de prêt et/ou de consultation sur place, j'apprends que de nombreux ouvrages ne sont disponibles que dans ce réseau. En 2005, l'ADAV a diffusé des centaines de milliers de programmes, mais une de ses originalités tient au fait que l'association peut répondre non seulement à l'offre, mais aussi à la demande. Certains producteurs indépendants, en particulier pour de nombreux documentaires, tirent donc parfois seulement une dizaine de copies DVD lorsque la demande parvient à l'ADAV qui se charge de la recherche des droits et de tout ce qui concerne l'œuvre. C'est ainsi que j'ai découvert des films d'art inédits à la vente, comme ce reportage passionnant sur une exposition d'Atom Egoyan... Dommage que je n'ai que trois œuvres qui correspondent à leur catalogue : les CD-Roms Carton et Machiavel, et le DVD du film La nuit du phoque qui est regroupé avec le CD Défense de. Le réseau des médiathèques est extrêmement étendu sur tout le territoire français, et dans les petites communes passent même des bus de prêt... L'inscription est gratuite et le système de prêt permet l'accès de tous à la culture.

jeudi 18 janvier 2007

Deux couvertures dont j'ai composé la musique


Hier soir, l'équipe du Musée du Quai Branly avait organisé un petit pot au bar du Palais de Tokyo pour fêter les prix attribués par le Fiamp 2006, soit le Multimédi’Art Interactif d’Or et sa Mention Spéciale pour la présentation du patrimoine intangible. J'y ai modestement participé en concevant et réalisant le design sonore des bornes interactives qui jalonnent la visite du musée.
C'est une occasion de rencontrer mes partenaires souvent seulement croisés sur Internet, puisque j'envoie le résultat de mon travail en document attaché sans presque aucun contact direct. Ainsi je retrouve Stéphane Bezombes, rencontré chez Montparnasse Multimédia pour le design sonore du DVD-Rom du Louvre et la partition du jeu Séthi et la Couronne d'Égypte, qui m'a recommandé auprès de Riff alors qu'il chapeautait le multimédia du Quai Branly. J'ai la surprise de tomber sur Roger Labeyrie, que j'ai connu il y a vingt ans grâce à mes anciens voisins du boulevard de Ménilmontant, les architectes Sophie et Vincent Voisin. J'avais alors composé pour lui une musique "viennoise" pour la Mairie de Vitry, un film réalisé par Dominique Gros avec les vitraux d'Adami. C'est lui qui s'est chargé de l'ingénierie multimédia du Musée. Il me fait rêver en me racontant les dispositifs sonores qu'il a mis en place un peu partout, comme à la Gaîté Lyrique, reliant système midi ou PureData au reste des installations (son, lumière, mais aussi ascenseurs, etc.) ou préparant des systèmes de diffusion sonores à plusieurs dizaines de haut-parleurs indépendants. La rencontre qui me touche le plus, et l'on comprendra vite pourquoi, est celle de Madeleine Leclair, responsable de l'unité patrimoniale des collections d'instruments de musique du Quai. Nous évoquons le peu de cas que les musées font de leur environnement sonore, et j'exprime le désir de venir "écouter" les instruments qu'elle a réunis dans le cylindre à plusieurs étages et qui me font baver d'envie. Ce sera la meilleure nouvelle de ma journée !
En partant, je passe par la librairie du Palais de Tokyo qui propose toujours des livres et des dvd susceptibles de m'intéresser. Je tombe une énième fois sur le livre d'Élisabeth Couturier, Le design hier, aujourd'hui, demain, mode d'emploi, remarquable par sa couverture puisqu'elle est illustrée par notre Nabaztag. À côté, trône un autre bouquin du même auteur, L'art contemporain, mode d'emploi. Les deux ouvrages semblent passionnants. Je craque pour l'un et pour l'autre, lorsque je m'aperçois que la couverture du second est cette fois illustrée par N.Y. 06:00 AM de Franck Scurti. Or j'ai moi-même composé une courte séquence d'une minute pour cette sculpture présentée au Centre Pompidou. J'avais reçu cinq commandes du Service Pédagogique du Centre. Les quatre autres œuvres étaient Deux vols d'oiseaux de Calder, Le manteau d'Étienne Martin, La mariée de Nikki de Saint-Phalle et Ice bag d'Oldenburg. Chaque composition musicale devait durer une minute pile et évoquer l'œuvre dans son histoire, sa matière et son propos, la réfléchir. Même si ce n'est pas ma préférée, je ne peux pas résister au plaisir de vous livrer, pour une fois, le son de l'image : N.Y. 06:00 AM. Pour l'écouter avec l'image, cachez le lapin avec la main gauche, il accapare toute l'attention :

mercredi 17 janvier 2007

Baco, le rasta du zangoma


Il y a deux ans, Nicolas Oppenot m'a proposé d'assurer la direction artistique du nouvel album du chanteur mahorais Baco. J'y étais particulièrement sensible parce que Baco voulait partir des rythmes ancestraux de son île des Comores et en montrer la modernité sans sombrer dans la world ambiante. Malheureusement, les critiques du "métier" ont provoqué le doute chez mes camarades qui ont fini par se laisser bercer par les sirènes chimériques du bizness. Après un passage par Brooklyn où ils avaient choisi de mixer avec Earl Blaize, le mixeur d'Hanifah Walidah (Shä-Key), ils ont tout repris une énième fois avec David F° en noyant l'ensemble dans la réverbe et en banalisant le travail magnifique de Baco par crainte (légitime) de son originalité. Je me retirai du projet avec regret lorsque je constatai leur manque de confiance en eux-mêmes, ce qui se répercutait obligatoirement sur les conseils que je prodiguais. Baco est un travailleur acharné qui peut passer quinze heures par jour à remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier. Je le quittais le soir à minuit, satisfait des solutions choisies ensemble, et retrouvais exactement le contraire le lendemain midi. Étant un adepte de la Méthode, j'étais incapable de suivre alors que j'étais censé précéder ! Un sentiment d'impuissance finit par m'envahir. Tout cela n'enlève aucunement le talent, la vigueur et le charisme de Baco, artiste polymorphe, auteur, compositeur, chanteur, guitariste, ingénieur du son, producteur, etc.

J'avais d'abord refusé le projet doutant de mes capacités à me glisser dans la musique traditionnelle de Mayotte, même si j'avais déjà travaillé épisodiquement pour le label Silex en son temps. Je constate alors que Baco est l'auteur de Bwana, le "tube" que je me suis passé en boucle l'automne précédent, le premier index de la compilation Network Island Blues. Je rappelle Nicolas aussitôt, rencontre Baco et flashe sur sa gentillesse et son lyrisme. Je lui présente le trompettiste Bernard Vitet qui assurera l'écriture des cordes et des cuivres. Tous deux ont heureusement continué à collaborer. Jean Morières vient jouer de sa flûte zavrila. J'assure moi-même quelques parties de guimbardes et de flûte, mais surtout j'apporte des ambiances qui replacent la musique dans son contexte géographique et poétique. Tout cela sera conservé, je l'ai entendu avec joie dans le playback diffusé hier soir pendant le très beau concert du Satellit Café où Baco avait réuni tous ses amis, une quinzaine de musiciens parmi lesquels le bassiste Abou Bass (Robert Nguimbous) et les choristes Valérie et Marie-Paule Tribord, Tifa, le rappeur Séverin... Les percussions jouent des rythmes inédits propres à Mayotte et Baco chante à gorge déployée, même si je préfère lorsqu'il y mêle sa voix de tête et son timbre de basse inouï. Ce fut une belle soirée, car la musique de Baco prend toute sa dimension dans le live. Il vient d'ailleurs de sortir un très beau CD intitulé Hadisi, distribué exclusivement en Océanie ! À vouloir trop "produire", il risque de se perdre, en confiant aux "professionnels de la profession" le soin de le sortir du lot de tous les chanteurs africains. Baco possède une originalité que j'aurais souhaité mettre en avant, avec ses percussions qui racontent la forêt où il courut pieds nus jusqu'à l'âge de 11 ans armé d'un arc et de flèches, avec sa voix exceptionnellement étendue, ses idées de modernité et son reggae qui lui sauva la vie plus d'une fois.

Sur Zangoma, le disque fantôme qui sortira un jour (mais sous quel mixage ?), il réussit à faire venir un vieux percussionniste mahorais et son disciple, le nigérian Keziah Jones, la slameuse new-yorkaise Hanifah Walidah, la tibétaine Yungchen Lhamo et bien d'autres. En attendant, on peut tenter de trouver Hadisi (chez Hiriz, la maison de production de Baco !) ou réécouter le très bel album Questions (Cobalt). Baco est un grand artiste, mais il est soumis aux risques de tous les musiciens du monde de devoir céder à l'uniformisation qu'impose la mondialisation de la culture. Le syndrome RealWorld guette tous les artistes qui souhaitent étendre leur audience au détriment de la richesse de leurs racines et de leur propre invention.

mardi 16 janvier 2007

La composition par le menu





J'ai eu du mal à dormir. La mélodie enregistrée hier avec Valéry me trottait dans la tête, tempo obsédant qui a tourné toute la journée dans les haut-parleurs du studio et qui me poursuit dans l'obscurité de la nuit. Le résultat est assez proche de ce que j'avais annoncé dans le billet du 20 décembre. Je livre ici la recette de cuisine qui permet à la composition musicale d'exister. Avant de m'y mettre j'étais un peu préoccupé, parce que je suis toujours inquiet de savoir si j'arriverais à faire ce que j'ai prévu, ou plutôt préentendu.
J'avais enregistré une maquette d'une minute, ce que je fais rarement, mais ça arrangeait le réalisateur, Valéry Faidherbe, alors je m'étais plié à cette contrainte puisque cela pouvait aider à convaincre notre client, le Musée des Beaux-Arts d'Angers. J'ai commencé par découper le film de cinq minutes en quatre parties. En réalité, c'est du banc-titre informatique, il n'y a que des photographies, mais les recadrages et les mouvements à l'intérieur des images donnent l'impression qu'il s'agit d'un film. Sur trois écrans ! J'ai donc cherché des timbres pour la mélodie principale, une sorte de boucle évolutive générée à partir de l'arpégiateur du V-Synth.
J'ai commencé par les instruments virtuels utilisés dans la maquette, le marimba agrémenté de quelques phrases de piano joué sur le VFX. J'ai ajouté du vibraphone en passant par le MEP4 que je n'avais pas allumé depuis dix ans. C'est un processeur de signaux midi qui permet de transformer n'importe quel événement midi (signal informatique utilisé pour faire communiquer les appareils entre eux) dans un autre. Je m'en suis servi hier pour générer des contre-chants ou créer des délais instrumentaux (la répétition est produite par un autre instrument que celui qui envoie les notes). Cette première partie donne le ton à ce qui suit : du bois pour le marimba, avec le piano pour donner l'illusion du vivant et camoufler l'aspect de musique mécanique de l'ensemble.
Après la séquence autour des cadres de tableaux, j'ai opté pour des sons de guitare et une section de cordes à l'archet utilisée parcimonieusement qui conviennent mieux au passage sur l'architecture. Le MEP4 renvoie des pizzicati de violons, pour rester toujours dans les sons aigus ou plutôt pour éviter les basses qui se répandraient un peu partout dans l'espace du SIME (Salon International des Musées et des Expositions) où sera présenté le triptyque du 24 au 26 janvier au Carrousel du Louvre.
Pour la troisième partie, je joue sur une petite palette de pizzicati en les doublant de sons de senza, des lames vibrantes en métal qu'on joue avec les pouces, et je continue avec une grosse boîte à musique, qui fonctionne bien avec les enfants présents à l'image, pour finir avec le marimba qui bouclera avec le début. Je commence chaque fois par caractériser la partie avec le timbre principal pour chercher ensuite des instruments et des effets rythmiques complémentaires. J'ajoute des cordes sur les statues, en particulier une note tenue qui couvre le raccord entre les parties 2 et 3., et une sorte de remontoir cristallin pour le moment où les enfants s'animent. Ce sont les deux grandes articulations du montage qui est réalisé à partir des dominantes de couleur : rouge - blanc - jaune - vert. La plupart du synchronisme est accidentel, toute la musique est composée pour fonctionner ainsi. J'enregistre à l'image en jetant vaguement l'œil vers le film qui défile sur les trois écrans simulés par un unique QuickTime. Si j'ai besoin d'effets son-image précis, je fais quelques raccords par la suite, mais nous n'en avons pas eu tellement besoin hier. Ça marchait comme sur des roulettes.
Je conserve le tempo de 50, mais pour la boîte à musique je m'autorise quelques libertés rythmiques. Je règle l'arpégiateur sur l'ordre des notes jouées sur le clavier ou sur un mode aléatoire. La première solution m'offre une très grande liberté, la hauteur des notes, l'ordre et la vélocité de chacune d'entre elles produisant des boucles variées. Je compose toujours plus qu'il n'en ait besoin. Il faut ensuite secouer l'arbre pour que tombent les fruits trop mûrs. Nous enregistrons dans l'ordre, terminant une partie après l'autre. Valéry est dans le studio et me donne de précieuses indications qui m'évitent les hésitations et les doutes de la solitude face aux désirs supposés du client absent. Tout se fait dans la détente. Je vais quatre fois plus vite à enregistrer et le résultat me plaît beaucoup plus. Valéry repart avec le cd dans sa poche !
Lui n'aura pas encore dormi. Au moment où je me lève pour rédiger ma petite cuisine, il m'envoie le montage terminé et sonorisé. À son tour, il va devoir se débarrasser des fantômes qui hantent notre ciboulot...

lundi 15 janvier 2007

Gaga des chats (2 : Asthma)


J'ai commencé à avoir de l'asthme à 40 ans. Paris m'en donne plus que ses hauteurs périphériques, et plus je m'en éloigne moins je suffoque. J'ai laissé derrière moi vingt ans d'herpès pour ce nouveau fléau. À l'homéopathe qui m'en a presque débarrassé, j'ai demandé ce que j'aurai après. Est-ce que ça vaut vraiment le coup de l'éradiquer complètement ou est-il préférable d'avoir une petite soupape de sécurité, une somatisation nécessaire ? Pour les minets, mon homéo affirme qu'on finit par s'immuniser au bout de six mois, à leur contact. En attendant, la ventoline est très efficace, et je peux la remplacer par Santa Herba, un produit plus soft...
Il y a tout de même un truc étrange. Nous vivons avec le tigré persan Scotch sans que je souffre d'asthme, mais lorsque je garde le siamois Snow, un des deux chats de ma fille, je suis de nouveau sujet à cette difficulté de respirer. Est-ce que son poil est différent ou, sans rentrer dans les détails, est-ce quelque séquelle névrotique qui refait surface en sa présence ? Je n'ai pas ce problème avec le noir Ouist ni les autres matous que je fréquente habituellement ou ceux qui ont partagé ma vie passée. Mais à cette époque je n'étais pas encore sujet à l'asthme. Ce sont tous des chats de gouttière castrés, croisements savants de tradition populaire, mais leur pelage rappelle tel ou tel type... Scotch a un caractère égal, peu expressif, facile à vivre. Snow est une teigne extrêmement affectueuse. Ouist est complètement barjo et probablement le plus malin des trois. Plus il y a de chats plus on rit, mais c'est moins facile à caser quand on part en voyage. En tous cas, pas question de s'en passer, sans eux la maison perd son âme.
Snow vient de retourner chez la maman d'Elsa qui, de son côté, essaie d'habituer Ouist à son petit appartement. On va bien voir si je me remets à respirer normalement...

dimanche 14 janvier 2007

Un commencement à tout


Il y avait eu Du vent dans les branches de sassafras au Théâtre Gramont avec Michel Simon et Caroline Cellier, Le cimetière de voitures d'Arrabal avec Jean-Claude Drouot, le Living Theater de Julian Beck, mais j'ai découvert l'univers théâtral avec Michel Vinaver en 1980 au Théâtre de Chaillot grâce à Jean-André. Jacques Lassalle montait À la renverse avec, pour peu que je m'en souvienne, Françoise Lebrun et Jean-François Stévenin. Le passe-montagne tourné par le motard qui était accroupi là dans la loge m'avait beaucoup impressionné. Je crois me souvenir qu'il y avait aussi Maurice Garrel qui fit plus tard une petite apparition dans notre opéra-bouffe, L'hallali. Vinaver menait une double vie en tant qu'auteur et que PDG des sociétés Gillette et Dupont sous le nom de Grinberg, m'avait confié Jean-André Fieschi, qui plus tard épousera sa fille Barbara, la sœur d'Anouk. Leur fils avait baptisé sa poupée Elsa du nom de ma fille... Vingt quatre ans plus tard, j'ai revu Vinaver en haut des marches d'une remise de prix. Il m'avait rassuré en racontant que c'était la deuxième fois qu'il était primé par la Sacd. Je recevais moi-même ce soir-là le Prix de la création interactive après en avoir déjà été gratifié quatre ans auparavant. J'avais redouté une erreur, du moins que l'on s'aperçoive du doublon, probablement à cause du complexe d'usurpation que ressentent tant d'autodidactes. Somnambules succédait ainsi à Alphabet.
Raymond a dessiné le décor blanc de la reprise de L'émission de télévision mise en scène par Thierry Roisin à Montreuil. Je suis chaque fois épaté par le travail de mon ami. La scénographie éclaire le texte. Tous les lieux cohabitent sur le plateau. Les comédiens ne le quittent jamais, ils restent en bordure, devenant les musiciens de la partition sonore qui souligne avec simplicité et brio certains gestes importants. Les bruitages font surtout exister le hors-champ alors que leurs interprètes sont à vue, raclant une sonnette, jouant de fourchettes, transvidant une bonbonne d'eau pour faire discrètement couler un bain... L'idée est formidable, sa réalisation parfaite. J'ai d'ailleurs préféré le décor et le son de François Marillier au jeu dramatique dont la direction m'a échappé. Vinaver connaît évidemment si bien le monde de l'entreprise, ici une émission de télé-réalité et une grande surface de bricolage, que les échanges sont aussi jubilatoires qu'effroyables.


J'ai rencontré Raymond Sarti en 1989 aux milieux des tours de Mantes-la-Jolie. Le metteur en scène Ahmed Madani et lui nous avaient été "imposés" par la DRAC, mais nous n'eûmes pas à le regretter ! De notre côté, nous apportions J'accuse, avec Richard Bohringer dans le rôle d'Émile Zola. Un drame musical instantané était secondé par une harmonie de 70 musiciens dirigée par Jean-Luc Fillon et par la chanteuse de Pied de Poule, Dominique Fonfrède. Raymond avait collé un chapiteau gonflable de cinq étages de haut le long de l'une des tours destinée à être détruite. La façade de l'immeuble comme l'ancien parking ainsi recouverts étaient entièrement bleus avec de grosses croix blanches ici et là. Il avait fait creuser une tranchée pour notre trio, monter une colline pour l'orchestre et empiler des sacs de jute au milieu de la scène. Des croisillons plantés dans la terre donnaient au décor des allures de Verdun. Tout avait été repeint, un étrange mélange de Klein, Christo et Kubrick ! Richard arpentait les étages jusqu'aux balcons. Son rôle lui permettait les envolées lyriques qu'il affectionnait. Filmée à plusieurs caméras sans intelligence musicale, la "captation" n'a jamais été diffusée par la télévision. La même année, nous avons repris la partie de l'orchestre sous le titre de Contrefaçons à la Maison de la Radio. Après "J'accuse", nous avons monté Le K toujours avec Bohringer et Sarti. Raymond et moi avons continué à travailler ensemble, pour des expositions comme Il était une fois la fête foraine, pour des affiches, des disques, des théâtres de marionnettes... et nous sommes restés amis tout ce temps-là. En admirant son travail, je saisis chaque fois l'importance d'un décor laissé à la libre imagination d'un véritable scénographe.

samedi 13 janvier 2007

La vérité nue


La vérité nue (Where the Truth Lies) est le onzième long-métrage d'Atom Egoyan, un polar sulfureux de la trempe du Grand sommeil (The Big Sleep), le chef d'œuvre d'Howard Hawks avec Bogart et Bacall. Il partage avec ce modèle du film noir son ambiance confuse où les tabous sexuels encombrent les personnages. La complexité de l'intrigue réfléchit les désirs refoulés et les mensonges que l'on se fait à soi-même avant de contaminer les autres. Le réalisateur a toujours aimé provoquer ses spectateurs en les entraînant sur les pentes glissantes du voyeurisme et de la perversion. On nage dans un cloaque luxueux, le monde de la télévision, dans ses minableries de stars vite déchues et de rêves de midinettes abusées. Comme dans le formidable L.A. Confidential de Curtis Hanson, les décors des années 50 produisent un effet intemporel, évitant toute nostalgie. Le titre anglais joue sur les mots : où la vérité gît ; où la vérité ment. La nudité importe peu. Seul le trouble intéresse Egoyan. Faux-semblants criminels qui torturent des personnages remarquablement interprétés par Kevin Bacon et Colin Firth. La fille jouée par Alison Lohman manque de cette ambiguïté. Le réalisateur connaît mieux ses démons intérieurs. Il en joue avec maestria. Pas étonnant que son film préféré soit Sandra de Lucchino Visconti, dont le titre original est Vaghe stelle dell'orsa (vagues étoiles de la grande ourse), une histoire entre un frère et une sœur comme ici entre deux amis.
Je comprends mal la critique française qui a démoli le film à sa sortie en salles (TF1 Vidéo). Certes ce n'est pas le plus expérimental des films de son auteur, mais Atom Egoyan réussit son examen hollywoodien sans en faire un exercice de style ni y perdre son âme. Un peu trop hollywoodien tout de même lorsqu'il noie le tout dans un sirop musical qui se voudrait dramatique et référentiel, mais qui plombe l'ambiance comme hélas presque toutes les productions américaines. S'il portait autant de soin à la partition sonore comme au reste, Atom Egoyan pourrait réaliser une nouvelle œuvre exceptionnelle, cette fois avec le budget dont rêve tout cinéaste. Qu'il bénéficie de gros moyens comme ici ou qu'il filme Beyrouth avec une petite caméra dv, il imagine des coups tordus, fait glisser le documenteur vers la friction et s'amuse à confondre vérités et mensonges, apanage du cinéma, ce dont sont faits les rêves.
En attendant avec impatience le coffret de plusieurs films qu'Atom doit agrémenter de nombreux boni...

vendredi 12 janvier 2007

Hier plutôt qu'ailleurs


Après les images de glace, de neige, d'iceberg et de banquise, j'ai allumé le feu dans la cheminée. C'est une pyramide. Du papier froissé ; du carton, un cageot ou du petit bois ; trois bûches, il faut toujours au moins trois bûches et laisser de l'air entre elles. Pourtant je n'avais pas froid. Cuisiner sur la braise a l'intérêt de donner un goût de fumée aux aliments. Françoise préfère la pierrade, j'utilise plus volontiers le grill. Ne pas laisser brûler, ce serait dangereusement toxique. Comme la cheminée tire bien, pas une odeur ne filtre dans la maison. Ce n'est pas le cas de la cuisine qui laisse s'échapper la moindre odeur dans toutes les directions. Le Crazy World d'Arthur Brown résonne à mes oreilles : Fire ! Pourtant, l'âtre installe un climat paisible. Il circonscrit le foyer. Le pare-feu permet qu'on s'en éloigne. J'ai fait réchauffer un plat portugais au micro-ondes, des pois chiches en sauce avec des pieds de boeuf, du chorizo et du boudin noir. Le mão de vaga com grão, c'est de saison. Faire du feu à Paris a quelque chose d'irréel. Nous sommes transportés. Hier plutôt qu'ailleurs. Que restera-t-il des bûches demain matin ? Les flammes qui lèchent le bois poussent à la rêverie. Dehors les quatre stères ressemblent à un bûcher. Je pense à Jeanne d'Arc, celle de Dreyer, Falconetti. Un hymne à la résistance.
Je me souviens d'une histoire corse que me racontait Jean-André. Un couple d'Anglais avait été tué à coups de fusil sur une plage. On arrête l'assassin. Lorsqu'on lui demande quel est son mobile, il répond que les Anglais ont brûlé Jeanne d'Arc. Le commissaire, incrédule, lui fait remarquer que cela s'est passé il y a des siècles. Le Corse répond avec son accent inimitable : "Peut-être, mais moi je l'ai su qu'hier."
S'il faut de tout pour faire un monde, il y a aussi un temps pour tout.

jeudi 11 janvier 2007

L'iPhone, version 1


Les couvreurs qui réparent mon toit disent l'avoir vu hier à la télé et qu'il coûterait en dessous de 500 euros. C'est un téléphone comme tous les cellulaires, avec textos, appareil-photos, caméra, mais c'est aussi un iPod audio et vidéo, il permet de se connecter à Internet avec Safari sous OS X et de gérer ses mails, on peut suivre les cartes pour retrouver une adresse, prendre des notes, et le grand écran de l'iPhone est tactile. Il bascule en largeur automatiquement lorsqu'on l'incline, ce qui n'est pas la cas du vélux que d'autres couvreurs sont en train d'installer à l'envers, plus loin, sur une maison dans la rue d'à côté ! J'aime bien monter sur le toit, changer d'angle, il fait bon, dommage que ce ne soit pas très stable, difficile de rester bronzer sur ses pentes tuilées malgré le réchauffement climatique. La hauteur me fait rêvasser... Je redescends par l'échelle. Le petit dernier d'Apple, en plus d'être BlueTooth, est wi-fi... Antoine m'envoie l'adresse du site, on craquera, c'est certain, mais pas avant la fin 2007...

Intéressant blog de Francis Pisani avec des liens sur les + et les - de l'iPhone.

mercredi 10 janvier 2007

Faut de tout pour faire un monde !


Ce n'est pas parce que l'on fait de la musique brintzingue que l'on n'apprécie pas les tubes qui marchent ou font danser. Ce n'est pas parce que l'on fait du cinéma expérimental que l'on n'aime pas se vautrer devant un gros film d'action hollywoodien ou une bluette à l'eau de rose. À la fin du sublime film de Jean Renoir, La chienne, à Michel Simon avouant "J'ai été marchand d'habits, trimardeur, ivrogne, voleur, et pour commencer... assassin !", Gaillard répond : "... faut de tout pour faire un monde !". C'est vrai dans les deux sens , car pour qu'une société perdure, elle a besoin de ses marges et de ses empêcheurs de tourner en rond. Pourquoi la plupart des spectateurs craignent-ils ce qui dérange et vous oblige à réfléchir ? Et si nous rêvons de changer le monde, ne faut-il pas avant tout nous donner les moyens de transmettre et, au-delà, d'être compréhensibles ?
En discutant avec des amis, je me rends compte à quel point notre univers culturel est un tout petit monde. Ce qui me paraît classique leur semble terriblement moderne. La moindre dissonance musicale stresse tant d'auditeurs qui risquent aussi de prendre la plus élémentaire réflexion cinématographique pour une "prise de tête". Le dogme est là, ancré en nous : la mélodie tient le haut du pavé et un film doit raconter une histoire. À l'aube du XXIème siècle, le XXème n'est toujours pas assimilé. Mes amis sont des personnes cultivées qui sortent au cinéma, vont au spectacle, lisent et regardent peu la télévision. On est donc loin de l'univers de la Star Academy. Pourtant l'art moderne et contemporain représente souvent une agression. Craindrait-on les images critiques du monde dans lequel nous évoluons ? Rechercherait-on, avant tout, à nous distraire pour oublier les tracas de la journée ? Confusion du "nous" et du "on" : nous sommes l'un et l'autre. Combattants fatigués et rêveurs vigilants, au choix, selon les instants. Partout sur le territoire existent pourtant des poches de résistance. La publicité faite à ces marges, dans certains quotidiens comme Le Monde ou Libération, est paradoxalement disproportionnée en regard de notre champ d'action réel. Nos succès sont négligeables si on compare les ventes de nos disques, le nombre d'entrées en salles de cinéma ou la fréquentation de nos spectacles avec ce que consomme régulièrement le grand public. La vitesse de communication s'accroît exponentiellement, mais la distance entre la création et sa réception fait de même. Plus d'un siècle nous sépare. Une énigme.
L'éducation artistique est défaillante. La télévision est de plus en plus rétrograde. Nous vivons dans un monde de plus en plus uniforme malgré les possibilités qu'il offre. Il n'existe aucun accompagnement qui permette de fournir des clefs pour accéder à ce qui interroge. Tout le monde trouve Au clair de la lune exemplaire parce qu'on nous l'a seriné depuis notre tendre enfance. Cocteau disait que le public préfère reconnaître que connaître.
Confusion. Quelle est la place de l'art dans un vieux monde qui joue les jeunots, mais ne convainc plus personne ? Ce n'est pas une question de communication, c'est la nature-même des œuvres qui est en question.

mardi 9 janvier 2007

Sept chants de la toundra et Kokopelli


Le noir et blanc donne d'abord au film Sept chants de la toundra, édité en dvd par blaq out, des allures d'éternité sous le vent glacé qui souffle sans interruption ou sous les nuées de moustiques. Les fondus au blanc ne sont pas ceux de la neige qui occupe tout l'écran, comme déjà dans Atanarjuat (ed. Montparnasse), le premier film tourné par un inuït, mais les pages d'un livre de contes que l'on tourne tandis que les fondus au noir laissent passer le souffle de l'histoire. Si la musique ponctue les scènes et si les cordes répétitives accompagnent les traîneaux tirés par les rennes, chacun des Sept chants de la toundra ouvre un nouveau conte cruel filmé avec tendresse par la réalisatrice nénètse Anastasia Lapsui et le Finlandais Markku Lehmuskallio.
Les Nenets, peuple nomade du grand nord sibérien, ressemblent étrangement aux Indiens d'Amérique par la musique de leur langue, leurs visages burinés, leurs tipis côniques et leur difficulté à résister aux lois qu'entraînent les mouvements de l'histoire.
La morale ancestrale des Nenets est incompatible avec la discipline des soldats russes de Staline. Leur vie est marquée par le sacrifice. La jeune fille est vendue pour de l'argent, le troupeau de rennes confisqué par les kolkhozes, la petite Siako arrachée à sa famille pour être scolarisée... Ils ne peuvent voir Lénine qu'en nouveau tsar ou nouvelle divinité. Les révolutions broient les minorités lorsqu'elles se confondent avec la colonisation en ignorant la pluralité des cultures. Des pans entiers de savoir disparaissent avec ces peuples. Le progrès n'apporte qu'uniformisation au détriment de la biodiversité.


Cette réflexion m'évoque irrésistiblement un article du Monde du 3 janvier sur le combat de l'association Kokopelli qui recueille et diffuse les graines de plantes rares et anciennes. Le lobby des grainetiers (GNIS et FNPSP), qui s'est porté parties civiles, l'attaque pour concurrence déloyale parce que les graines sont indistinctement vendues à des particuliers et des maraîchers. Chaque enregistrement d'une variété de plante coûterait 1500 euros, or Kokopelli propose un catalogue de "550 types de tomates rouges, blanches, vertes ou noires, 300 déclinaisons de piments doux et forts, 130 laitues différentes, 150 variétés de courges, 50 d'aubergines..." L'association se bat pour la biodiversité plutôt que sur le terrain de la loi qui mériterait d'être adaptée aux nouveaux enjeux. Monsanto et ses brevets tentant de mettre au pas le monde paysan ne sont pas loin. La loi sur le purin d'ortie, heureusement abandonnée après une levée de boucliers, montre qu'il vaut mieux modifier une loi contraire aux intérêts de chacun que de déplacer intempestivement la brigade de répression des fraudes. Selon l'Organisation mondiale de l'alimentation, la perte de biodiversité "menace gravement la sécurité alimentaire mondiale sur le long terme." 550 types de tomates, ça fait drôlement réfléchir lorsqu'on se retrouve avec, dans son caddy, toujours les mêmes fruits et légumes calibrés, sans aucun goût, auxquels nous sommes le plus souvent réduits.
Le raccourci peut paraître rapide entre un peuple et une plante, mais doit-on uniquement se battre pour la préservation de son patrimoine ou bien estimons-nous que toutes les espèces sont liées dans un éco-système déjà bien endommagé ? Où que nous nous trouvions le mot d'ordre pourrait se résumer simplement à "Arrêtons le massacre !".

lundi 8 janvier 2007

Les idées naissent-elles du silence ou du vacarme ?


Je n’étais pas redescendu dans la vallée depuis dix jours. Au début, même le téléphone hertzien était en dérangement, drôle d’expression pour une coupure totale. On dit dérangé d’un corps maltraité par les orgies gastronomiques de fin d’année ou d’un esprit qui a besoin de repos après des mois de suractivité. Le technicien de France Télécom a remplacé une boîte au niveau de l’antenne, en bas, juste au-dessus de L’Ourson. Non, je n’ai pas vu d’ours, ni de biches, mais je les entendues la nuit par la fenêtre restée ouverte. Elles sont là, vingt-cinq, tout à côté, mais il faudrait les approcher en voiture, car elles se méfient des tireurs à pieds. Heureusement, pas un coup de feu n’a retenti, tout est extraordinairement calme. Le jour du départ, deux isards se sont enfuis devant nous, un aigle tournait au-dessus des bouleaux. Nous restons hébétés devant l’époustouflant spectacle des cimes éclairées par la pleine lune. Lumière irréelle qu’aucun objectif ne saura capturer. Le jour, il fait si beau que nous pouvons déjeuner dehors en bras de chemise. Le soleil éclaire le paysage en faisant ressortir les arêtes tranchantes de la montagne dessinant la frontière espagnole. À seize heures, il disparaît brutalement et nous allumons le feu. Enfin rétablie, la ligne téléphonique crache plus fort que les flammes qui crépitent dans l’âtre, comme si nous étions au bout du monde. C’est presque vrai. Seul le chemin cabossé à flanc de montagne nous y relie… Avant que la neige ne l’efface !
Bien que j’ai pensé à emporter un câble pour le modem interne du Mac, je n’ai pas trouvé le moyen de me connecter à Internet. Au retour, il faut trier des milliers de méls plus spamés les uns que les autres. Cet afflux exponentiel de détritus est-il sérieusement justifié par quelque efficacité mercantile ? Je ne peux pas l’imaginer. Cela ressemble plutôt à un immense gâchis imbécile, de temps, d’encombrement, une sorte de logorrhée éjaculatoire pour marquer désespérément son territoire, fantasme paranoïaque de l’infiltration virale de la planète tout entière. Un mystère de l’organisme, une énigme. Trouvera-t-on un de ces jours une parade efficace à cette invasion délirante ? Les messages attendus se noient dans un océan de merde, disparaissant même parfois dans la cuve des indésirables qui déborde. La nécessité de savoir le message arrivé à bon port, plus exactement, d’avoir été lu, réactivera-t-il le courrier postal et la communication directe ? Dans un autre domaine qui nous est cher, on sent déjà que la surabondance médiatique et la surproduction des multiples vont finir par profiter au spectacle vivant… De l’horreur renaît aussi l’espoir, avec son cortège de rêves à mettre en œuvre, nouvelles utopies à souhaiter impérieusement puisque nous en sommes à la période des vœux. Bonne année en perspective !