70 octobre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 octobre 2023

George Harrison, Living in the Material World


Il ne devait pas y avoir beaucoup de musiciens dans la salle du Grand Rex à avoir joué avec George Harrison, ni d'ailleurs avec Eric Clapton, l'ami très présent dans le documentaire que Martin Scorsese a consacré au Beatle tranquille George Harrison. Dans cette colonne j'avais raconté ces rencontres improbables qui me valent probablement d'avoir été gentiment invité lundi soir par le rédacteur en chef de Schnock et [...] Technikart, Laurence Rémila, pour la Première de Living in the Material World. Ayant proposé à ma fille de m'accompagner, puisque George avait été aussi son Beatle préféré avec poster au-dessus de son lit d'enfant, nous avons passé ensemble une agréable soirée, malgré une première partie plutôt ratée avec Philippe Manœuvre en présentateur lamentable, la veuve et le fiston Harrison consensuels en tournée promo et neuf "jeunes" chanteurs français massacrant pour la plupart le répertoire du défunt. Le film durant 3 heures 30 on pouvait craindre le pire de ce genre qui alterne documents inédits et interviews saucissonnés dans le but d'élever une statue à l'artiste épinglé. Les précédents essais de Martin Scorsese consacrés à The Band et aux Rolling Stones ne m'avaient pas emballé (je n'ai pas vu celui sur Bob Dylan).
Le mérite revient ici au monteur David Tedeschi en charge de 600 heures de rushes, car l'évocation est plutôt réussie malgré quelques longueurs à la fin sur le mysticisme bon enfant de George. Le personnage ne se prenant pas pour un dieu comme beaucoup d'égéries pop, Living in the Material World peut en dégager la tendresse, l'humour et l'opiniâtreté. Le rythme des images et du montage son ne donne pas l'impression désagréable d'incessant coïtus interruptus, habituelle dans ces documentaires biographiques. Les témoignages sincères de Paul Mc Cartney, Ringo Starr, Yoko Ono, Patty Boyd, Olivia Harrison, Tom Petty, Phil Spector, etc., sont plus attendris qu'ils ne dispensent de louanges à tel point que l'honnêteté est le qualificatif le plus approprié, loin des révisionnismes en vigueur, sans tentation d'exhaustivité forcément réductrice ni révélation qui ne soit déjà répertoriée sur Wikipédia ! CD+DVD sortis hier chez Capitol.
Avant la séparation des Beatles j'avais aimé George Harrison parce qu'il était le plus expérimental des quatre, d'abord avec la partition du film de Joe Massot, Wonderwall Music, dont la variété d'inspirations résonnait avec mes propres aspirations, ensuite pour Electronic Sound entièrement réalisé au synthétiseur Moog, pas son plus réussi, mais le plus gonflé compte tenu de son image. Comme le formidable Revolution 9 réalisé avec John Lennon et Yoko Ono sur le disque blanc, ces incartades surprenantes m'indiquaient que l'on pouvait s'autoriser toutes les libertés, quitte à déstabiliser son public et ne pas chercher le succès à tout prix ! Plus tard je rachetai l'incontournable coffret All Things Must Pass en réédition CD, mais je lui dois surtout d'avoir participé à mon entrée à l'Idhec. Réalisant mon enquête sur les dévots de Krishna pour le concours d'entrée à l'école de cinéma, je rencontrai George Harrison jusqu'à l'accompagner à l'harmonium chez Maxim's comme évoqué plus haut... Je me souviens d'un homme calme et attentif, étouffé par le succès et ses fans hystériques, en quête de lui-même dans un monde matériel où chacun doit vivre avec ses contradictions...

Article du 18 octobre 2011

lundi 30 octobre 2023

Au tour de Hélène Breschand


Mercredi midi Hélène Breschand est passée chez moi pour me serrer la pince, je n'étais pas parti, il pleuvait à torrent, on s'est fait la bise. Elle portait des gâteaux orientaux qui accompagneraient mon thé vert plutôt bleu, Yuzu Indigo. Venue chercher des exemplaires du CD Pique-nique au labo 3 auquel elle avait participé avec Uriel Bathélémi il y a deux ans, elle est repartie en oubliant une petite pochette contenant des choses précieuses qui avait glissé sous le divan. Puisque c'est ainsi elle est revenue jeudi. La veille elle m'avait apporté un vinyle de l'Ensemble Laborintus qu'elle a produit autour du compositeur Luc Ferrari disparu en 2005 et un CD coproduit avec Elliott Sharp.
J'ai tout écouté à la suite. J'enchaînai d'abord les disques noirs. Plus ça tournait, plus j'avançais, plus ça me plaisait. Des pièces de Luc, des hommages à Luc, des sons archivés de Luc. Je connaissais un peu le processus, car en 1992 il avait été l'invité du Drame sur le disque Opération Blow Up, un an avant la création de Laborintus qui trouverait finalement la sortie en 2014. Un an plus tôt j'enregistrerai le spectacle Pozzallo avec Sylvain Kassap et Nicolas Clauss. Encore un an plus tard j'inviterai Hélène à accompagner le photographe Hiroshi Sugimoto au Théâtre Antique lors des Soirées des Rencontres d'Arles. On s'y perd. On se retrouve. Difficile de compter sur ses doigts. En musique la perception du temps est très arbitraire. Ces petits glissements racontent comment s'articulent nos vies d'artistes. Qu'est-ce que c'est un an ? Laborintus, formé d'Hélène Breschand à la harpe, de Sylvain Kassap aux clarinettes, ainsi que du percussionniste César Carcopino, du flûtiste Franck Masquelier et de la violoncelliste Anaïs Moreau, aura vécu 21 ans. Sur les quatre faces s'enchaînent des pièces contemporaines de Ferrari, Kassap et Breschand. Ma préférée est donc la face D, une version en public d'À la recherche du rythme perdu de Luc Ferrari avec Hélène tandis qu'ERikm traite les sons en direct. Je découvre une musique de chambre plutôt répétitive de Ferrari, très différente de ses pièces électroniques, de son théâtre musical ou de ses pièces symphoniques...


L'association d'Hélène à la harpe électrique et acoustique, Elliott Sharp à la guitare électrique, au sax soprano, aux synthétiseurs et à la boîte à rythmes, Floy Krouchi à la basse électrique et Zafer Tawil au oud, au violon et à la flûte est plus sauvage. L'ensemble fait corps tout en mettant en valeur chaque membre. disPOSSESSION est un mélange de rock, de musique arabe, d'électronique, d'effets aux reflets changeants, d'ombres vocales, des improvisations composées proches de ma sensibilité polymorphe, voire polymathe.

→ Luc Ferrari et autour, par l’ensemble Laborintus et eRikm, ... Et après, double vinyle Alga Marghen
→ Hélène Breschand/Floy Krouchi/Zafer Tawil/Elliott Sharp, disPOSSESSION, CD zOaR
→ Un drame musical instantané, Opération Blow Up, CD GRRR
→ Birgé Clauss Kassap, Pozzallo, album GRRR
→ Birgé Barthélémi Breschand, Only Once, album GRRR
→ Jean-Jacques Birgé + 20 musiciens, Pique-nique au labo 3, CD GRRR

vendredi 27 octobre 2023

À la mémoire de Philippe Carles


S'il y avait eu plus de journalistes comme Philippe Carles je n'aurais peut-être pas entrepris ce blog il y a dix-huit ans. Rédacteur en chef de Jazz Magazine et producteur à France Musique pendant près de quarante ans, il n'était pas seulement curieux et bienveillant, il était ce que dans le métier on appelle une plume. Au début des années 70 la découverte du livre Free Jazz Black Power, écrit avec Jean-Louis Comolli, avait été pour moi une bible. J'aimais beaucoup discuter avec lui de tel ou tel artiste, des motivations profondes que nous avions les uns et les autres.
À l'âge de la retraite, il avait été extrêmement affecté d'être viré de France Musique, et peut-être encore pire, d'être écarté de la rédaction de Jazz Mag par Frédéric Goaty qui en représentait l'antithèse. Soutenant les jeunes musiciens, il valorisait l'avant-garde en accord avec les évènements politiques contemporains. À la cérémonie du Père Lachaise, rapportée par Franck Bergerot, j'avouai à Michèle Carles, son épouse, que je vais le moins possible aux enterrements, surtout au columbarium, mais qu'il était très important pour moi que j'accompagne Philippe ce jour-là. Son intervention, comme celles de Jean Narboni, François-René Simon, Alexandre Pierrepont, Jean-Michel Proust, Mathilde Azzopardi furent entrecoupées de Momentum de Jimmy Giuffre et André Jaume, Blue Moon par Ella Fitzgerald, I See Your Face Before Me par Miles Davis, Sometimes I Feel Like a Motherless Child par Jeanne Lee, A Love Supreme de John Coltrane. J'étais ému de revoir quelques amis fidèles qui l'avaient toujours soutenu.
En 2005, alors que je partageais la rédaction-en-chef du Journal des Allumés avec Jean Rochard, pour le numéro 12 nous interrogeâmes une quinzaine de musiciens sur les occasions manquées. L'une d'elles m'est revenue à l'esprit, d'autant qu'elle est relativement récente. Elle ressemble à une autre, l'étonnante rencontre de Fadia Dimerdji à Tunis en 2015 ; pilier historique de Radio Nova, elle mourut quelques mois plus tard sans avoir eu le temps de raconter l'origine de l'habillage de la station que j'avais inspiré avec Un Drame Musical instantané, depuis la boucle qui tournait toute la nuit jusqu'aux extraits de films. Et donc, trois ans plus tard, comme j'avais envoyé amicalement à Philippe Carles l'album de mon Centenaire (!), il m'appela pour me demander d'en envoyer un exemplaire à Jean-Louis Comolli, car il désirait le chroniquer à quatre mains. Je connaissais Jean-Louis, qui était aussi son beau-frère, comme Narboni, depuis mes années à l'Idhec au début des années 70, chroniquant ensuite ses films. Ainsi j'étais excité comme une puce d'avoir un article signé Carles-Comolli, une chose impensable, me semblait-il, depuis Free Jazz Black Power. Hélas Philippe me rappela pour me dire que, d'une part, Jean-Louis avait des problèmes de santé, et, d'autre part, que, quasiment boycottés à Jazz Mag (de mon côté depuis quinze ans, pour avoir critiqué les couves), il ne voyait pas où publier. Jean-Louis est décédé le 19 mai 2022, Philippe le 14 octobre dernier. C'est une page qui se tourne. Les jeunes musiciens et musiciennes ne savent souvent pas ce qu'ils doivent à ces défricheurs fondamentalement bienveillants.

jeudi 26 octobre 2023

Le saucisson


Même si je suis passé à des charcuteries calabraises et à celui au bœuf de l'ami Villemin, cet article du 17 octobre 2011 n'a pas pris une ride...

J'en ai repris trois tranches, mais les mots ne sont pas venus. Comment exprimer l'émotion gustative ressentie en savourant le saucisson acheté sur le marché de Florac cet été[-là] ? S'il en reste assez pour la photo [...] c'est bien que je le mange avec la plus grande parcimonie, comme la relique d'un temps révolu que l'on voudrait durer toujours.
Trois tranches, ce n'est pas raisonnable lorsque l'on souhaite maigrir. Trois tranches, c'est trop ou pas assez lorsque l'on cherche les mots. La première éblouit le petit déjeuner, comme un flash irradiant, émotion inattendue. Pour accompagner le pain de campagne aux effluves de foin et aux couleurs d'automne. La seconde est expérimentale. Pour convoquer les adjectifs, mais quels termes utiliseraient les grands cuisiniers ? Je reste aussi sec que le saucisson. Avec juste ce qu'il faut de gras pour mixer la salive à la viande en une savante émulsion dont le parfum remonte au cerveau via les chémorécepteurs. Comme chaque carré de chocolat en appelle un autre, la troisième tranche est inévitable. Toutes mes espérances résident dans cette ultime tentative. Hélas j'ignore tout de cette langue que je ne parle pas et qui ne sait s'exprimer seule. Longtemps après je lui laisse faire le tour du palais dont les parois sont recouvertes de l'humus adoré. À force de salive ma chair reprend le dessus sur celle du porc. Une odeur de fumée. Un sucre animal. Le sel de la vie...
Quelles épices secrètes le petit producteur a-t-il ajoutées ? La femme qui fabrique artisanalement sa charcuterie tient stand sur la place carrée, dans l'allée qui monte à gauche lorsque l'on tourne le dos à la rue où sont situés un magasin de spécialités gastronomiques pour touristes et un bio qui sert de dépôt au grand livre de Mika. Ses tréteaux sont recouverts d'exquises terrines qui nous tiendront de pique-nique sur la route du retour des vacances. Je n'ai pas mangé d'aussi succulents saucissons depuis la fuet catalane dont je rapportais des chapelets en fraude.
Devant mon incapacité à décrire, à partager mon émoi, les questions me donnent le vertige. Par quel miracle manger produit-il tant de plaisir, cet envahissement total de la conscience qui submerge toute autre pensée ? L'orgasme gustatif est-il la manifestation d'une autre régression ? Lorsque nous étions enfants et que mes parents rentraient du spectacle mon père venait nous embrasser en nous demandant ce que nous voulions ; j'avais l'habitude de marmonner en dormant "un grand verre de lait avec une rondelle de saucisson !" ; ou bien il faisait passer la chose au-dessus de mes narines que je faisais frémir comme si l'odeur m'avait réveillé. Quel alliage magique fait la différence entre l'exquis et le commun ? Quelle culture s'y rattache ? Sera-t-on un jour capable de diffuser fidèlement les odeurs et les goûts comme on a su le faire avec les images et les sons ? J'ai encore sur les lèvres le goût sauvage de la dernière tranche. Elle en devient obsessionnelle. Invasive. Au point de devoir mettre un terme à ma quête. Ne plus ajouter un mot à cette description impossible. Sens unique.

mercredi 25 octobre 2023

Poudingue sur Bad Alchelmy


Premier article sur le vinyle La preuve de Poudingue qui paraîtra officiellement seulement le 17 novembre, rédigé par Rigobert Dittmann et traduit tant bien que mal par mes soins. À l'origine projet de Nicolas Chedmail et Frédéric Mainçon, j'en ai assuré la direction artistique, en récupérant les fichiers enregistrés depuis dix ans sur GarageBand et en enregistrant de nombreuses nouvelles prises avec Chedmail. Nous avons invité Benjamin Sanz à la batterie pour remplacer les pistes initiales de boîte à rythmes. Nicolas et moi jouons d'un nombre incroyable d'instruments pour ce rock expérimental dont le style nous échappe probablement autant qu'aux premiers auditeurs.

Friedrich Engels est à l'origine de “The proof of the pudding is in the eating”. On vérifie le pudding en le mangeant" (introduction au "Développement du socialisme de l'utopie à la science", 1892) a donné son nom à POUDINGUE et La Preuve (GRRR 1037, LP). Le projet, l'un des plus étranges dans lequel Jean-Jacques Birgé ait jamais été impliqué, le montre avec synthétiseur, sampler, effets, field recording, erhu, inanga, shahi baaja, rhombe & voix dans une rétrospective des espaces psychédéliques autrefois possibles de nos jeunes années romantiques, quand tant de choses semblaient encore réalisables. Eh bien. La plupart des personnes qui l'ont inspiré sont mortes ou à la retraite. Du "rock underground français" (Keith Moliné dans The Wire 466, 12/22) - ... Magma, Gong, Brigitte Fontaine, Catherine Ribeiro, Albert Marcœur, Art Zoyd, Etron Fou Leloublan, Un Drame Musical Instantané, Heldon, Jac Berrocal, la STPO, Look De Bouk, Shub Niggurath, Vidéo-Aventures... - , qui a secoué l'Europe de son esprit anarchiste et l'a régalée de son fromage surréaliste, il ne reste que des souvenirs et des miettes du purgatoire. Aux côtés de Birgé, on retrouve Nicolas Chedmail à la guitare, basse, clavier, trompette, cor français, trombone, hélicon, pipes, flûte, sirène, alto sax, harmonica, mélodica, violon, violoncelle, shahi baaja & sanza et Frédéric Mainçon à la guitare, tous deux également paroliers et chanteurs. Chedmail, un corniste classique, était déjà compagnon de jeu de Jean-Jacques Birgé sur son "Centenaire" (et Elsa Birgé la sienne sur "Des Madeleines dans la Galaxie", un des projets spectaculaires du Spat' Sonore). Mainçon, qui a récemment présenté en tant que documentariste "Pour votre confort et votre sécurité" (2020) et "Je reviens dans cinq minutes" (2023), fait de la musique instinctivement. Benjamin Sanz fut invité à jouer de la batterie. Le graphisme d'Étienne Mineur est un atout supplémentaire : 'Les gros poissons mangent les petits' est un collage à partir de Pieter van Heyden lui-même de Bruegel l’Ancien, lui-même inspiré de Jérôme Bosch. Ils chantent Oh Oh Oh 'What a funny law', ils chantent ‘J'ai mangé’, ‘L'Escargot’ ou ‘Les Cimes’, et bien sûr je ne comprends pas un mot. Mais qu'ils font du rock comme autrefois dans les années 80, quand on se levait du pied gauche du côté post-punk. Lo-fi et déjanté, multipistes et multi-instrumentistes, sans que cela n'enlève rien à la verve crapuleuse avec laquelle ils vous mettent le pistolet sur la tempe sur ‘Je vous prie d'agréer’. ‘Haru’ sonne, avec sa gorge rugueuse, comme l'heure de pointe lors d’un printemps révolutionnaire, ‘Lady Wallup’ défile en 4/4 de manière peu féminine sur une musique de fanfare avec une trompette retentissante. ‘So much’ se prend au mot et ‘Manège’ vous fait trembler avec ses murmures élégiaques et son blues affligé. Poudingue se comporte avec Birgé comme The Blizzard Sow avec Denis Frajerman. Oui, ce sont peut-être des miettes de ce qui a été bien mâché, mais pour hériter vraiment, ne faut-il pas devenir cannibale et, petit poisson, en avaler de temps en temps quelques gros ? Jouer et manger, comme Birgé le fait avec ses hôtes de « Pique-nique », cela va directement de pair, tel que "Dieu en France" a encore laissé des traces (Leben, wie Gott in Frankreich est un proverbe allemand). [BA 121 rbd]

mardi 24 octobre 2023

Le salaire de l'amour


La séance diapo est déprimante. Je vois défiler les morts sur mon scanner. Mon père, mon oncle Gilbert, mes grands parents... La photo de 1965 avec ma sœur devrait être plus réjouissante. Nous sortons de la distribution des prix des lycées Claude Bernard et La Fontaine. Pourtant quelque chose me fait froid dans le dos. En ce temps-là nous recevions des livres pour les 1er et 2ème Prix de chaque matière, et un grand livre illustré pour celui d'Excellence ou d'Honneur. Agnès et moi faisions la fierté de nos parents. Il est midi. J'ai recadré la scène pour que l'on puisse deviner nos minois. Je porte un costume gris, une cravate, des mocassins et je fronce les yeux à cause du soleil. Ma petite sœur porte des gants et des chaussettes blanches. J'ai longtemps cru que cela avait été une époque radieuse. Avec le recul il me semble que si elle fut formatrice elle représente pour moi un véritable cauchemar dont je ne me réveillerai que quarante ans plus tard.


Le cadre exact d'abord. Zoom arrière. Mon père avait dû chercher le soleil pour nous auréoler de lumière dans le "jardin" du HLM où la seule nature était cette herbe rase et les peupliers qui donnaient leur nom à la rue. Nous habitions au quatrième étage avec le balcon de la salle à manger qui débordait sur le vide et une loggia le long de la chambre de ma sœur et la mienne comme celle en amorce au-dessus de nos têtes. Deux ans auparavant nous partagions la même avec des lits gigognes qu'il fallait déplier chaque soir.
Maintenant que je sais que je n'ai été bon élève que pour attirer la tendresse de ma mère qui ne l'exprimait jamais physiquement, je comprends que j'ai ramé pendant dix ans et pourquoi mes études m'apparurent si scolaires. Les responsabilités précoces avaient fait de moi un inquiet, mon souci de plaire m'apprit le volontarisme et l'utilité de se distinguer. Trois ans plus tard je ferai éclater ce carcan et savourerai que la vraie vie soit ailleurs. Personne ne s'en apercevrait avant que je ne redouble ma Terminale. L'année suivante je passerai le concours de l'Idhec, encore une fois pour faire plaisir à ma mère. Même si c'était pour une mauvaise raison, je dois reconnaître que c'est là que j'ai commencé à savoir qui j'étais vraiment, un rêveur qui a besoin de donner corps à ses rêves. Je lui dois forcément une fière chandelle.
Devenu père je ne pus jamais me résoudre à mettre ma fille sous pression comme j'avais vécu ma propre adolescence. Est-ce que cela a changé quoi que soit pour elle ? Je ne pense pas. La société ne fait rien pour que cela se passe intelligemment. Longtemps j'invoquai cet argument pour ne pas faire d'enfant. Ne pas lui faire subir ce que j'avais vécu. Et en effet cela a probablement été pire pour elle que pour moi. Aujourd'hui elle aussi fait ce qui lui plaît. Mais je compatis avec tous les mômes qui suivent des études en dépit du bon sens. À cet âge on n'a pas le choix. Sauf celui de s'accrocher à ses rêves.

Article du 30 septembre 2011

lundi 23 octobre 2023

Sept disques tendres et sages


Quoique je dise ensuite, commençons par souligner que ce sont là sept bons disques, tous récemment publiés. Il existe en France et en Europe de plus en plus d'excellents musiciens avec souvent des mondes personnels qui donnent à rêver. Comme toute analyse évoque d'abord celle ou celui qui écrit je rappelle que je préfère les musiques qui défrisent et prennent à rebrousse-poil plutôt que celles qui sont agréables, même si dans certaines circonstances je profite de ce calme nécessaire. La phrase que Serge de Diaghilev adressa à Jean Cocteau, le soir du 13 mai 1912 Place de la Concorde, est mon guide : "Étonne-moi...". Avec Erik Satie, Léonide Massine et Pablo Picasso, le poète accouchera de Parade cinq ans plus tard. Il avoua n'avoir jamais pensé jusque là à l'idée de surprise "si ravissante chez Apollinaire". Ce goût du rebondissement est évidemment pour moi fondamental, voire fondateur, peut-être grâce à la syntaxe cinématographique que j'applique à mes propres créations. Les sept disques qui suivent appellent plutôt à la tendresse et à l'apaisement.
Pianoïd.2, le piano solo à quatre mains d'Édouard Ferlet, associe un piano Silent, un contrôleur midi, le logiciel Ableton et un Disklavier. D'un côté le pianiste, de l'autre une machine capable de prouesses impossibles au virtuose, comme un afflux de notes à des vitesses inouïes ou des rythmes complexes. Le disque me donne l'impression d'un Conlon Nancarrow qui aurait choisi de produire de l'easy listening. Le jazz se popise et s'électrise, tendance actuelle où la chanson pousse le rock dans le fossé et où le minimalisme oblitère les architectures complexes.


On retrouve ce désir d'élargir son audience dans Dooble de Sylvain Rifflet et Philippe Gordiani. L'électro nique, et ça lui fait du bien. Cet easy listening complexe s'inspire largement d'un autre Américain, Moondog, source d'inspiration durable du saxophoniste-clarinettiste. Quant au guitariste et artiste plasticien, il se concentre sur ses machines rythmiques pour produire une musique répétitive entraînante. À l'époque de l'intelligent jungle, il y a un quart de siècle, Coldcut, Squarepusher ou Amon Tobin passaient ainsi à la moulinette leurs rêves de succès populaire. Le timbre des percussions sèches de Gordiani se mêlent agréablement aux anches onctueuses de Rifflet. Au milieu des instrumentaux, Thomas de Pourquery et Bettina Kee a.k.a. Ornette font battre leur chœur pour une envoûtante chanson et un entêtant récit.


Avec les trois nouveaux disques du label Hongrois BMC, centrés autour de chanteuses inspirées, on quitte les machines.
Avec Twigs la chanteuse Sanne Rambags, le violoncelliste Vincent Courtois et le percussionniste Julian Sartorius retiennent leurs élans et leurs émotions, tant dans les chansons délicates que dans les improvisations susurrées, toujours dans le registre de l'intime.


Shekhinah est entièrement composé par le guitariste Gábor Gadó excepté Mi lusinga il dolce affetto pris dans l'Alcina de Händel. Comme Twigs alternent compositions et improvisations plus libres. Cette musique "contemporaine", fortement inspirée par l'École de Vienne, interprétée par des improvisateurs de jazz pourrait aussi être assimilée à un nouveau baroque. La soprano Veronika Harcsa, qui a écrit les paroles de ces poèmes mis en musique, est accompagnée par János Ávéd au sax ténor et soprano ou à la flûte, Laurent Blondiau à la trompette et au bugle, Éva Csermák au violon, Tamás Zétényi au violoncelle et Gábor Gadó. L'absence de section rythmique renforce l'aspect "classique" de plus en plus en vogue chez les jeunes musiciens, même si la pluralité des sources les affranchit des étiquettes qui pendant longtemps ont cantonné les nouvelles musiques à des genres cloisonnés qui n'intéressaient que les marchands. Beau travail d'ensemble où se sent la complicité des interprètes.


Le Jardin des délices, collaboration de Leïla Martial avec le violoncelliste Valentin Ceccaldi, est le troisième album de cette série de chanteuses privilégiant ici les belles mélodies aux élucubrations hirsutes, même si Leïla Martial a recours à des effets spéciaux comme la réverbération et à des objets sonores, ou lorsqu'elle se laisse aller à des fantaisies humoristiques qui marquent son style. Leurs compositions originales offrent évidemment plus de liberté que Au bois de saint-Amand de Barbara, Cold Song de Henry Purcell, le Réunionnais Alain Péters, Au bord de l'eau de Gabriel Fauré ou Asturiana de Manuel de Falla. Chanson française, musique classique européenne, pop anglo-saxonne, swing jazz, folklores nationaux, nouvelles traditions de l'improvisation, musique narrative, toutes les racines sont assumées pour créer des spectacles hauts en couleurs. Dans ce petit monde créatif, Leïla Martial est une des jeunes chanteuses actuelles les plus intéressantes, aux côtés des Suédoises Isabel Sörling ou Linda Oláh (sans parler des aînées qui leur ont ouvert la voie). La vidéo qui suit a huit ans...


Le nouveau disque du pianiste Ignacio Plaza Ponce me fait découvrir la chanteuse Sélène Saint-Aimé dont la contrebasse se marie agréablement avec la clarinette basse de Matteo Pastorino sur des mélodies délicates, berceuses où là encore l'improvisation complète les compositions. Sur scène la plasticienne Magali Cazo se joint à eux avec encres et pinceaux, dans le même esprit, la transparence imprimant les images et les sons.


La musique chambriste du trio Suzanne fait s'interroger sur la nature de ses pièces qui agrandissent l'appartement qui est le nôtre. J'eus la joie de les voir/entendre dans la cave du 38riv à l'occasion de la sortie de l'album Travel Blind. Pour la seconde partie de leur récital, la violoniste alto Maëlle Desbrosses, la clarinettiste Hélène Duret et le guitariste Pierre Tereygeol avaient invité le sax ténor Quentin Biardeau au son chaud et généreux. Les voix du trio s'intègrent parfaitement à l'orchestration de l'ensemble, souvenirs d'un folklore imaginaire où, là encore, l'improvisation fait prendre les gros plans pour des plans d'ensemble. Il n'y a pas toujours besoin d'électricité pour jouer sur écran large et en Technicolor.




→ Édouard Ferlet, Pianoïd.2, CD Melisse, dist. L'autre distribution, sortie le 3 novembre 2023
→ Rifflet & Gordiani, Dooble, CD Magriff, dist. L'autre distribution, sortie le 18 décembre 2023
→ Sanne Rambags / Vincent Courtois / Julian Sartorius, Twigs, CD BMC
→ Gábor Gadó / Veronika Harcsa Sextet, Shekhinah, CD BMC
→ Leïla Martial / Valentin Ceccaldi, Le jardin des délices, CD BMC
→ Ignacio Plaza Ponce / Sélène Saint-Aimé / Matteo Pastorino / Magali Cazo, Arrulos, CD BloMBos
→ Suzanne, Travel Blind, CD/digital Gigantonium

vendredi 20 octobre 2023

Le musée du KGB


Premier gratte-ciel de Tallinn, l'Hôtel Viru fut construit en 1972 pendant l'occupation soviétique en intégrant les contraintes politiques matérielles inhérentes à la paranoïa et au contrôle obligatoire du régime. Si le vingt-deuxième étage abritait un immense restaurant panoramique, le vingt-troisième qui surplombait la capitale était interdit d'accès, sauf aux membres du KGB qui y travaillaient sans relâche. Les chambres de l'hôtel pouvaient être écoutées, les allées et venues du personnel surveillées, la ville quadrillée. C'était aussi le lieu où la nomenclature profitait au mieux de son séjour estonien, et pas toujours selon les concepts moraux affichés ! La visite du Musée du KGB vaut d'abord par le commentaire de la guide qui manie l'humour british avec le même zèle que son anti-communisme primaire. Les photographies exposées nous plongent dans un univers kitschissime hallucinant dont la mise en scène rappelle certains films de Fassbinder. Les documents d'époque jonchent les bureaux et les murs. Depuis la terrasse la vue sur la ville d'un côté et sur la mer baltique de l'autre est exceptionnelle.


Sur la porte de la salle des machines l'écriteau indique qu'il n'y a rien derrière cette porte ! S'y côtoient une foule d'appareils d'écoute, le central téléphonique, un magnétophone, des piles de papier et le petit matériel du parfait espion, micros cachés dans des assiettes, antennes de transmission, porte-monnaie piégés, etc. Nous imaginons que nos chambres ont depuis été refaites et qu'il n'existe plus aucun vestige dans le faux-plafond ou derrière le grand miroir devant lequel je tape mon article dans le plus simple appareil.


Le pays récemment "connecté" est un modèle de modernité informatique à tel point que certains l'appellent e-Stonia. Les habitants peuvent payer la moindre chose avec leur carte de crédit. Ils n'ont plus besoin d'avoir un euro en poche. Cela peut poser parfois quelques problèmes comme samedi après-midi où un bug informatique empêcha toute transaction dans Tallinn pendant deux heures ! À l'école, au moment de voter, partout où cela est possible, les ordinateurs proposent une gestion que l'on pourrait considérer centrale, s'étendant comme un filet sur tout le pays. Le wi-fi est pourtant plus souvent absent qu'annoncé dans la publicité touristique. Cette excursion donne un avant-goût de ce qui pourrait nous attendre si tout était informatisé. Passé les bugs, c'est une société de contrôle où tous les services sont interconnectés avec, par exemple, des cartes d'identité truffées d'informations sur les citoyens. Le passé renversé semble avoir malgré tout laissé des traces sur le futur.

Article du 27 septembre 2011

jeudi 19 octobre 2023

Débrayage ou L'augmentation ?


Ayant remarqué que L'augmentation repartait en tournée, je republie cet article du 10 octobre 2011...

Je me souviens du rire à s'en étrangler de Georges Perec lisant à haute-voix un texte de Bobby Lapointe à la radio. Il aurait certainement été plié en deux à la mise en scène de L'augmentation qu'Anne-Laure Liégeois présente au Théâtre du Rond-Point à Paris. Je me souviens aussi de Sami Frey sur son vélo, mais la pièce de ce soir appartient à la veine plus caustique, moins nostalgique, de son auteur. Deux acteurs fantastiques, Anne Girouard et Olivier Dutilloy récitent mécaniquement « Ayant mûrement réfléchi ayant pris votre courage à deux mains vous vous décidez à aller trouver votre chef de service pour lui demander une augmentation...». La salle rit jaune. Vont-ils débiter ainsi leurs phrases en boucle ? La fantaisie critique d'Anne-Laure Liégeois est aussi huilée que la mécanique imperturbable du rouleau-compresseur de Perec. J'ai tellement ri que j'en ai oublié la dureté des bancs de la petite salle.


Trois heures plus tôt, nous assistions à Débrayage de Rémi de Vos, une autre mise en scène d'Anne-Laure Liégeois dans cette même salle avec les mêmes acteurs augmentés (façon de parler, quand vous aurez vu la précédente) de François Rabette, tout aussi remarquable. Les temps ont changé. En 1968 le pauvre salarié exploité rêvait d'une augmentation, aujourd'hui il est à la recherche d'un emploi ou risque de se faire virer. Devant le décor déprimant des alpages collés sur le mur du couloir, les trois comédiens affublés de diverses perruques interprètent chacun plusieurs rôles si pitoyables qu'ils en deviennent hilarants. Je me souviens d'Alec Guiness dans Noblesse Oblige, sauf qu'ici c'est Misère Oblige. Le monde du travail inspire Anne-Laure Liégeois, qui prépare d'ailleurs une troisième pièce sur le sujet, qu'elle traite chaque fois incisivement, malgré la tendresse pour ses personnages bafoués par la hiérarchie et l'exploitation dont ils sont victimes.


Supposons que vous hésitiez entre l'adaptation fidèle (dans les limites du texte), mais explosive dans sa mise en scène, de L’Art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation (article de Christine Marcandier avec l'organigramme du texte !) et les quatre extraits et un inédit de Débrayage. Ou bien vous y êtes, ou bien vous n'y êtes pas. Si vous y êtes, enchaînez les deux, De Vos à 18h30, Perec à 21h (2 petites vidéos en ligne), "les deux peuvent être vus le même soir", je dirais même plus, l'ensemble fait sens et la montée en puissance est d'autant plus jouissive.

Illustration de Stéphane Trapier et photos de Christophe Raynaud de Lage.

mercredi 18 octobre 2023

Mon Journal en 75 volumes (1971-2005)


La veille j'étais resté plongé dans mes archives photographiques. Si interroger le passé fait resurgir des histoires enterrées et réveille quelques tristesses, les rêves d'enfant ne se sont jamais dissipés. Ils ont pris corps. Désirant dater les concerts de Lard Free au Gibus et au Bus Palladium auxquels j'avais participé avec Gilbert Artman, Richard Pinhas et un claviériste nommé Peter, j'ai ouvert mon Journal de 1975. Surprise de découvrir qu'il était quotidiennement annoté, activités, pensées, poèmes, partitions, même la musique que j'écoutais... J'avais tenu un diary en 1964 en Angleterre, un autre aux États-Unis en 1965, et conservé quelques bandes dessinées maladroites plus anciennes, mais la première page date de l'été 1971...


À gauche une image, à droite un poème ou une chanson. J'appuie sur le bouton de l'appareil. Il avait d'abord été le Journal de notre communauté. Nous l'avions commencé en quittant nos parents. Antoine et Michaëla l'illustrèrent, comme Francis, Philippe ou Alexandre. J'y avais collé des lettres dans leurs enveloppes, étalé mes états d'âme. Je tourne les pages. La seconde arbore encore un dessin d'Antoine Guerreiro dont les œuvres coloraient notre light-show de son imaginaire, entre science-fiction et heroïque-fantaisie...


De 1971 à 2005 j'ai rempli 75 volumes de taille et d'épaisseur fort diverses. Les poèmes et les humeurs ont progressivement laissé la place au travail, feuilles de mixage, liste de matériel à emporter, brouillons de textes théoriques, et quelques récits de voyage. Il était plus sûr d'écrire dans un cahier que sur des feuilles volantes qui, inclassables, s'envolent facilement. Les éléments correspondant à chaque œuvre sont rangés à part, dans de grandes enveloppes où les titres sont griffonnés au feutre, comme les impôts, les feuilles de salaire et les factures sont classés par année. Je ne m'en étais pas aperçu, mais le dernier cahier date de l'année où j'ai commencé ce blog dont ce billet est le 2134ème (5417ème à la date d'aujourd'hui).

Article du 20 septembre 2011

mardi 17 octobre 2023

Sun Ra à la Fondation Maeght




Devant scanner une tripotée de diapositives pour mon [second] roman en couleurs [j'avais] finalement acheté le Plustek OpticFilm 7400 consacré à ce format. Le résultat est nettement plus précis qu'avec mon scanner habituel équipé de cette option. C'est également plus simple et plus rapide.
Réalisant mes tests avec une photographie du contrebassiste Alan Silva je la lui accroche sur son mur FaceBook. Nous étions le 3 août 1970 à la Fondation Maeght et il venait d'arriver des États Unis avec le Sun Ra Arkestra dans lequel il jouait du violon coincé entre les genoux. On l'aperçoit derrière le Maître, c'est ainsi que l'appelaient ses musiciens intergalactiques, dans la photo en bas à gauche. Mes clichés ne valent évidemment pas ceux de Philippe Gras qui était sur place avec Yasmina, la "black woman" chantée par Archie Shepp, qui remonta ensuite à Paris en auto-stop avec ma petite sœur, à leurs risques et périls puisqu'elles frôlèrent le viol sur l'autoroute du soleil. J'ai raconté ici comment nous avions été adoptés par l'Arkestra et comment j'avais été à l'origine des retrouvailles d'Alan Silva et Frank Wright, mais je ne me souvenais pas de ces photos ni des sculptures dans les jardins de la Fondation. J'arrive à reconnaître Nimrod Hunt et John Gilmore, difficilement les autres. Dans Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps qui passe, Daniel Caux a merveilleusement raconté les Nuits passées là-bas, avec Albert Ayler et La Monte Young... Mes images rendent pourtant bien la folie de Sun Ra et son pétillant carnaval.
[Trois ans plus tard j'achèterai le même orgue, sans le savoir, un Farfisa Professional qui marquera ma véritable entrée en musique. Je le revendrai pour mon ARP 2600, le rachèterai, le revendrai, vendrai mon ARP. Probablement deux bêtises de ma part. Plus jamais je ne revendis mes instruments de cœur.]
Après ces tests j'ai donc commencé à scanner les diapositives de notre voyage aux USA en 1968. Chaque image est une surprise. Je n'étais pas très doué, mais l'ensemble constitue un extraordinaire révélateur qui fait sortir du noir la mémoire ensevelie sous des décennies de nouvelles aventures.

Article du 16 septembre 2011

lundi 16 octobre 2023

Marc-Antoine Mathieu en 5 articles



3", BD AU ZOOM INFINI
(article du 12 septembre 2011)

La nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu est un livre-objet qui deviendra vite culte tant sa réalisation colle à son concept original. Cet ovni (olibrius voyant non identifiable) est le cousin direct de Michelangelo Antonioni pour son film Blow-Up et surtout Michael Snow pour le film Wavelength et son récit photographique retors Cover To Cover. Du premier il s'approche par une enquête policière dont les fils tiennent à l'agrandissement d'une image, du second par un zoom interminable, unique plan séquence dont les effets de miroir produisent des effets de champ-contrechamp vertigineux où réside la clef de l'intrigue. Le tout sans paroles, par le seul talent du dessinateur-scénariste.


En acquérant la version papier parue aux Éditions Delcourt nous avons illico accès à un site Internet où nous est offerte une version numérique [comme cela n'est plus en ligne, vous trouverez ci-dessous le film en question]. Illico est le mot puisque l'action, ralentie au gré du lecteur, dure exactement trois secondes. Aucun gadget ici, mais deux manières de lire l'histoire et d'apprécier l'art de Marc-Antoine Mathieu. Sa bande dessinée peut être considérée comme le story-board du film dont la vitesse de lecture est réglable dans un sens comme dans l'autre, un effet snowien là aussi ! J'ai encore pensé à l'excellente série Le relief de l'invisible réalisée par Pierre Oscar Lévy où l'on zoome dans la matière jusqu'à l'infiniment petit pour repartir en arrière vers l'infiniment grand. Jean Cocteau, dans le chapitre Des distances de son Journal d'un inconnu précise bien qu'il n'existe rien de grand ni de petit, mais seulement des distances. Portée par tant d'anagrammes, de réflexions quasi palindromiques, d'indices à déchiffrer, la trajectoire du photon qui nous emmène jusqu'à la lune est, sur le site, l'objet d'un forum (spoiler) où débattent les lecteurs comme lors du lancement de Mulholland Drive.


J'avais découvert Mathieu en cherchant un auteur de la trempe de Francis Masse, un autre de mes héros [...].


PRISONNIER DES RÊVES
(article du 25 avril 2013)



Le décalage est le sixième volume de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, saga drôlement philosophique et sérieusement absurde du dessinateur Marc-Antoine Mathieu (Ed. Delcourt). Cette fois, le brochage a pris un coup dans l'aile : on commence par la page 7 qui fait zapper la couverture en page 60. Comme si les personnages avaient besoin de ça en plus, trois pages ont été déchirées en plein milieu, ce qui n'arrange pas leur histoire. Déjà L'origine abritait une non-case, La qu... prenait des couleurs, Le processus déployait un pop-up, Le début de la fin renvoyait à La fin du début et La 2,333e dimension passait par la vision en relief ! Hors cette collection, son 3" est l'un des chefs d'œuvre de ces dernières années, tous genres confondus. En page 55, puisqu'on est aujourd'hui dans Le décalage, l'auteur remercie ses muses, Windsor McKay, Fred, Moebius, Francis Masse, l'Oubapo... Ils peuvent être fiers de leur rejeton ! [...]


MARC-ANTOINE MATHIEU FAIT "SENS" EN MONTRANT LA VOIE
(article du 25 novembre 2016)



Je ne vais pas être long parce que je dois y retourner dare-dare. Coincé pour la seconde fois à la fin du chapitre deux du labyrinthe qui en compte trois, mon iPad commence à me sortir par les trous de nez. Marc-Antoine Mathieu a adapté sa dernière bande dessinée, un roman graphique sans paroles, pour en faire une application interactive sur tablettes iOS ou Android. Qui plus est, S.E.N.S. VR peut être jouée en 3D avec les casques de réalité virtuelle Samsung Gear VR et Oculus Rift, ainsi que sur les casques type Cardboard sur iOS et Android, mais impossible pour moi de tester le relief en l'absence de ces matériels ! Je me contente de tourner, tourner sur mon fauteuil de bureau pour jouir des 360° du vertigineux décor jusqu'à faire apparaître le petit rond qui m'indique la marche à suivre, en accord avec le personnage énigmatique de cette œuvre philosophique dont le sens titille surtout l'émotion : un personnage est à la recherche de la bonne page pour terminer l’histoire tandis que nous devons assumer les conséquences de la disparition du point de fuite...


Fan des bandes dessinées de Marc-Antoine Mathieu depuis le début, j'avais été scotché par 3". Sa version papier, S.E.N.S., qui ne portait qu'une flèche pour tout titre, m'avait malgré tout laissé sur ma faim. Son adaptation produite par Arte et réalisée par les game-designers Charles Ayats et Armand Lemarchand de RedCorner me met la tête à l'envers. Le son donne astucieusement de précieuses indications. Dans cet univers qui se plie et se déplie, nous glissons dans les fentes, tombons de haut ou nous accrochons au papier virtuel de l'écran. Le premier tableau est gratuit, histoire de harponner l'utilisateur. Les deux suivants sont accessibles moyennant la somme modeste de 2,99€. Avec ses lignes épurées noir et blanc et ses ombres portées, S.E.N.S VR marquera certainement l'histoire des œuvres interactives !

P.S.: bonne nouvelle, j'ai terminé, je peux passer à autre chose, mais mon ombre, qu'indique-t-elle ?


LE LIVRE DES LIVRES)
(article du 16 novembre 2017)


Comment avais-je pu rater Otto, l'homme réécrit l'an passé alors que j'acquiers systématiquement chaque opus de Marc-Antoine Mathieu ? Déjà que j'avais manqué ses expositions à Saint-Nazaire ou Angers... Je retrouve dans ses albums la trace du Philémon de Fred, et, plus encore, les interrogations philosophiques de Francis Masse, là où la science croise la route de la poésie, pas seulement dans les mots, mais aussi dans le dessin. Mes préférés sont 3" et S.E.N.S. VR, peut-être parce que ce sont des œuvres hybrides, le premier conçu de manière complémentaire pour le papier et le numérique, le second pour son application 3D sur tablette. Tous créent un vertige en interrogeant notre perception du monde et la place que nous y occupons. Otto plongeait dans les souvenirs oubliés de l'enfance, des sensations qu'en absence de mots la mémoire efface petit à petit, la quête impossible de notre identité. Le livre des livres rassemble les amorces des livres que l'auteur imagine, sachant qu'il ne dépassera jamais leur synopsis !


Si je lis romans et essais sur liseuse, il serait dommage de se passer de l'épais recueil de couvertures cartonnées que constitue Le livre des livres qui existe bizarrement aussi en ePub. Recto verso, chaque couverture nous laisse imaginer ce qui n'existera jamais que dans notre propre imagination, dans l'interprétation dont chacun est capable. Marc-Antoine Mathieu évoque l'incendie du Grand Entrepôt Des Albums Imaginaires qui obscurcit le ciel de Babel à Alexandrie, histoire de rassurer les amateurs de bandes dessinées de science-fiction. Jouant sur les mots autant que sur les mises en page, l'auteur invente des titres, des éditeurs, des situations. Les concepts primant sur les anecdotes, ses personnages avancent masqués, sans visage ou derrière de grosses lunettes de myope qui les rendent invisibles.


Il y a plus à lire dans chaque paire de pages que dans nombreux albums que je dévore en un quart d'heure et que j'oublie aussitôt refermés. Pour choisir une bande dessinée, je cherche à ce que le trait me plaise et qu'elle dure le plus longtemps possible, freinant ma lecture sans les ressorts de la logorrhée verbale, pour avoir envie d'y revenir. Le livre des livres me rassasie à chaque proposition. À tel point que je me surprends à imaginer des compositions musicales et sonores, contrechamp de cette iconographie, encyclopédique par les questions qu'elle soulève...


Feuilleter un album de Marc-Antoine Mathieu pousse à la lenteur de la découverte pour en apprécier tout le suc. Le vertige tient au détail autant qu'à la vue d'ensemble. Miroir nous renvoyant nos propres interrogations, son œuvre est une plongée métaphysique de l'Homme face à l'absurdité de l'univers. Grâce à cet illusionniste virtuose, nous ne sommes pas prêts d'en faire le tour.

→ Marc-Antoine Mathieu, Le livre des livres, Ed. Delcourt, 27,95€


DEEP ME de MARC-ANTOINE MATHIEU
(article du 14 novembre 2022)



Deux solutions s'ouvrent à vous, lecteurs, lectrices. Soit vous foncez acheter la nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu, un nouveau petit chef d'œuvre, sans me demander pourquoi, juste parce que vous avez pris l'habitude de me faire confiance, soit vous regardez la vidéo ci-dessous. Le mieux serait évidemment de la découvrir après, tant la narration réserve de surprises vertigineuses. J'avoue être un fan de cet auteur qui, pour moi, a pris le relais de Francis Masse qui n'écrit plus beaucoup, se consacrant à la sculpture. Lui se revendique plutôt de Windsor McKay, Fred et Kafka, avec raison. Dans cette colonne je me suis fendu d'articles sur quelques unes de ses œuvres précédentes, en particulier 3", Le décalage, Sens, Le livre des livres... J'aurais aussi bien pu évoquer l'inventeur de la non-case, arpenteur du grand rien, ses sept volumes de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, le coffret 3 rêveries. Marc-Antoine Mathieu joue avec la physique et la métaphysique en interrogeant le medium et sa forme, poussant la bande dessinée dans ses retranchements. Cette fois, avec le thriller Deep Me on avance les yeux fermés, du moins ceux de son héros, qui se découvre s'appeler Adam. Mais je préfère vous laisser tourner les pages pour cette plongée dans l'inconnu plutôt que divulgâcher l'objet, car tous les livres de Mathieu sont aussi des objets, incopiables, impossibles à dématérialiser, des œuvres expérimentales qui tiennent du rêve, de la science-fiction, de l'anticipation, de l'interrogation pure. À mon avis la bande-annonce ci-dessous en dit trop. À vous de choisir !


→ Marc-Antoine Mathieu, Deep Me, Ed. Delcourt, 120 pages, 19,99€

samedi 14 octobre 2023

The Drum Also Waltzes


J’avais froid. Dormi seulement trois heures cette nuit. La cheminée n’avait pas servi depuis des mois, mais tout était prêt dans l’âtre. Je me suis installé à côté et j’ai regardé The Drum Also Waltzes, le 37e épisode de la saison 9 d’American Masters consacré à Max Roach par Sam Pollard et Ben Shapiro. Max Roach fait chanter ses fûts, probablement dicté par son engagement politique contre les inégalités de la société. Un de mes modèles. Passionnant. Clifford Brown. Sonny Rollins. Abbey Lincoln. We Insist!: Freedom Now Suite. Je ne connaissais pas Lift Every Voice and Sing, son disque free gospel ! Dee Dee Bridgewater. Solos d'une heure trente. Le Boston Symphony Orchestra. M'Boom, l'orchestre de percussionnistes. Le hip hop avec Fab 5 Freddy. Etc. Magnifique.

After


Soirée hyper sympa hier au Souffle Continu. Plaisir de retrouver Francis Gorgé en ranimant Un Drame Musical Instantané avec Amandine Casadamont. Merci à Théo et Bernard pour l'accueil et au public chaleureux. Votre présence aux un/e/s comme aux autres m'a beaucoup touché.
Lorsque tout le monde était parti, nous avons pensé à faire une photo (ici Francis, Emmanuelle Parrenin et ma pomme) devant la vitrine décorée avec le disque Carnage du Drame, un tableau de Jacques Monory de circonstance, en solidarité avec les populations massacrées sur l'autel du profit et de l'absurdité criminelle des hommes.

Prix du Mooc de l'année Edflex


Il y a deux ans j'avais mis en ligne la bande-annonce et les quatre épisodes du Mooc Impacts environnementaux du numérique dont j'avais créé la musique et le design sonore. Ces vidéos font partie d'un corpus beaucoup plus important conduit par l'INRIA conjointement avec Class'Code et la DNE/education nationale. C'est donc avec joie qu'avec l'équipe de 4minutes34 nous annonçons que le Mooc Impact'num vient de recevoir le Prix du Mooc de l'année Edflex lors de l'Open Education Night ! Un salut enjoué à Sophie de Quatrebarbes, Sonia Cruchon, Nicolas Le Du, Mikaël Cixous, Bastien Masse et Guillaume Clemencin grâce à qui je me suis bien amusé tout en me sentant utile.

vendredi 13 octobre 2023

Ce soir, retrouvailles au Souffle Continu


1971
C'était la première fois que je jouais en public avec Francis Gorgé. C'était aussi notre premier concert à tous les deux.
1975
Birgé Gorgé Shiroc. Notre premier disque, Défense de deviendra culte pour figurer sur la Nurse With Wound List.
1976
Nous fondons Un Drame Musical Instantané avec Bernard Vitet.
1992
Dernier concert en tant que trio où nous adaptons Let My Children Hear Music de Charles Mingus, après avoir enregistré des dizaines d'albums et vécu des centaines de spectacles plus délirants les uns que les autres.
2014
Vingt-deux ans plus tard, Francis et moi remontons Un Drame Musical Instantané, dissous en 2008, pour un unique concert au Studio Berthelot.
2016
Showcase au Souffle Continu pour la sortie du vinyle Avant Toute enregistré en duo en 1974.
2023
À l'occasion de la réédition de In Fractured Silence, c'est seulement la troisième fois que Francis et moi rejouons en public depuis 30 ans. Bernard, mort il y a 10 ans, nous manque cruellement. Nous avons la joie d'inviter Amandine Casadamont, dont mon dernier concert en duo avec elle remonte à 2018, à nous rejoindre pour ce showcase instantané ce soir, cinquante-trois ans après nos débuts flamboyants.

Avant tout, une histoire d'amitié !

Un Drame Musical Instantané - live au Souffle Continu
Sur la photo, Hélène Sage, présente sur In Fractured Silence (aux côtés du Drame, Sema et Nurse With Wound) et compagne du Drame depuis 1981, joue du frein !

Exceptionnel (live) ce soir à 18h30


C'est le Jour J. Aujourd'hui paraît la réédition du vinyle In Fractured Silence sorti à l'origine sur le label anglais United Dairies. Quarante ans plus tard, Souffle Continu Records le publie en deux versions, disque noir ou disque fumé. Même poids, 180 grammes, juste une tranche. Le fumé n'a pas meilleur goût, mais chaque objet transparent maculé de volutes sombres est différent. Pour les amateurs qui ne possèdent plus de platine tourne-disques, il y a aussi un petit CD, une première pour ce disque collectif qui réunit Un Drame Musical Instantané, Hélène Sage, Sema (Robert Haigh) et Nurse With Wound. Si ce nom vous dit quelque chose, il s'agit du groupe de Steven Stapleton dont la célèbre liste d'influences est devenue la Bible de l'underground. Défense de de Birgé Gorgé Shiroc, notre premier disque, y figurant, il en tient son statut de disque culte.
Quant à In Fractured Silence, le Drame y a participé avec une pièce prophétique, Tunnel sous la Manche (Under The Channel), enregistrée en juin 1983. Les travaux du tunnel ne commencèrent que quatre ans plus tard pour être inauguré seulement en 1994. Quant à nous, aucun montage. C'est du direct.
Sur la face A, Hélène Sage enchaîne avec Frissons dans la cochlée en chantant et jouant de la contrebasse, des percussions et des instruments de son invention. Elle a également enregistré les mouvements de Karine Saporta, François Liège, Francis Gorgé et Bernard Vitet. En retournant le disque on peut écouter Anatomy of Aphrodite de Sema et The Strange Play of the Mouth de Nurse With Wound sur lequel on entend la voix de Laura Ferrari.
L'évènement du jour est notre rare apparition ce vendredi soir à 18h30 au Souffle Continu situé 22 rue Gerbier à Paris 11e puisque Amandine Casadamont aux platines rejoindra Francis Gorgé à la guitare et moi avec l'instrument russe sur lequel j'ai travaillé tout l'été, un Terra de Soma. Nous aurons une émouvante pensée pour notre copain Bernard qui a rejoint l'humus il y a déjà dix ans. Ce concertino ne durera pas plus de 20 minutes a priori, et c'est gratuit ! Au plaisir de vous y rencontrer...

In Fractured Silence, LP ou CD Souffle Continu Records FFL087

jeudi 12 octobre 2023

Tony Hymas back on the fortress


Il y a 33 ans j'avais été impressionné par un disque hétérogène publié par le label nato. En ayant produit quelques uns de cet acabit, ce n'était évidemment pas fait pour me déplaire. Les séquences se renvoyaient les unes aux autres comme si elles avaient été composées pour un film plein de surprises et de rebondissements. Ou bien était-ce un florilège de courts métrages sonores, allez savoir ! C'était le début des CD et la mode de la musique mécanique, la MAO, les ordinateurs offrant de nouvelles possibilités aux compositeurs inventifs. Les voix nous racontaient des histoires et les musiciens humanisaient les machines programmées. Ce disque pop faisait aussi tâche au milieu de l'écurie plutôt jazz de nato, une magnifique tâche colorée rappelant parfois certains tubes de Serge Gainsbourg. L'auteur s'appelait Tony Hymas et il avait déjà vécu quelques heures de gloire en accompagnant Frank Sinatra, puis Jack Bruce, et fondé le groupe P.H.D. au hit I Won't Let You Down. Ajoutez six disques avec Jeff Beck et la participation à des musiques de films de Henry Mancini, Michel Legrand ou Philippe Sarde, et tout s'expliquait. Pour cette Flying Fortress il s'était entouré de Hugh Burns (guitare), Tony Coe (clarinette et ténor), Chris Laurence (contrebasse), Stan Sulzmann (soprano et ténor), Frank Ricotti (percussion), Lis Perry (violon), Laura Davis (chant) et Alfred Cat (voix), une bande d'Anglais aguerris, capables de jouer le jeu sans arrière-pensées.
Le disque en question reparaît aujourd'hui augmenté d'un Back on the Fortress où le claviériste n'a pas renoncé aux machines ni à l'excellence de ses compagnons de voyage, bénéficiant de trente ans de nouvelles expériences grâce à sa trilogie dédiée aux Indiens d'Amérique, aux trois disques avec The Lonely Bears, ses collaborations avec Jacques Thollot, Sam Rivers, Evan Parker, Michel Portal, le groupe Ursus Minor, son hommage à Courbet, des musiques de films, etc. Il y a une dizaine d'années déjà, j'avais eu la joie d'écrire les paroles d'une chanson dédiée à Germaine Tillion pour ses Chroniques de résistance que chantait ma fille Elsa. Elle est présente là encore aux côtés des deux autres chanteuses Yelle et Marie Thollot pour la belle chanson I'd love you, de même qu'on trouve beaucoup d'ami/e/s de Tony et de camarades de l'écurie nato tels Anamaz, Ginny David (chant), Thomas Hymas (aussi à la guitare) ou Stokley Williams (aussi à la batterie), Léo Remke-Rochard ou Barney Bush (voix), Caroline Goulding (violon), Jackie Molard (violon alto), Hugh Burns, Jean-François Pauvros (guitare), Catherine Delaunay (clarinette), Nathan Hanson ou Stan Sulzmann (sax ténor), François Corneloup (sax baryton), Hélène Labarrière (contrebasse), Terry Bozzio, Peter Hennig ou Paul Clarvis (batterie). Aussi riche et varié que le précédent, c'est un disque plus romantique, plus profond.
Comme si cela ne suffisait pas pour nous émerveiller, nato sort le même jour No Borders, un duo pour piano et clarinette de Hymas avec Catherine Delaunay. Le pianiste nous avait déjà gratifié de disques délicats où il interprétait Léo Ferré, Brel, Britten, Chopin, Debussy, Weill, Satie, Janacek, Chaminade, Bechet... Justement le phrasé de la clarinettiste me rappelle de temps en temps Sidney sur les genoux duquel je sautais enfant. Quel que soit le style abordé, Tony Hymas conserve le sien, une ouverture d'esprit incroyable, où si tous les chemins sont possibles, il gravit les pentes avec une facilité déconcertante. C'est très beau. L'une et l'autre se moquent des frontières et traversent les paysages comme le loup dessiné par Rochette sur la couverture. Conscients des inégalités du monde des hommes, il et elle choisissent de s'en émouvoir en musique et de nous transmettre ces émotions indispensables pour continuer à rêver et se battre pour qu'il soit un peu meilleur.

→ Tony Hymas, Flying Fortress + Back on the Fortress, 2 CD nato, 18€
→ Tony Hymas, No Borders, CD nato, 12€

mercredi 11 octobre 2023

Listen To The Quiet Plattfisk de Birgé-Desbrosses-Sörling


Les plus curieux et les impatients scrutent le site drame.org où apparaissent les nouveaux albums avant qu'ils soient annoncés. Ainsi, Listen To The Quiet Plattfisk enregistré dimanche 8 octobre avec la chanteuse Isabel Sörling et la violoniste alto Maëlle Desbrosses, mixé le lendemain-même, était en ligne dès lundi soir, en écoute et téléchargement gratuits comme 96 autres qui s'ajoutent aux vinyles et CD que j'ai commis depuis 1975. Ce corpus virtuel, 180 heures, 1242 pièces, et des extraits d'une soixantaine de disques physiques peut aussi s'écouter de manière aléatoire en page d'accueil du site. On peut également acquérir 66 parmi tous ceux-ci sur Bandcamp au format WAV ou AIFF. Sur drame.org ce sont des mp3. L'idée première était de raccourcir drastiquement le temps entre la création et la diffusion qui prend souvent un ou deux ans, et de partager librement la musique, tout en soignant les éditions physiques par leur graphisme recherché, les informations qu'ils recèlent et le plaisir de l'objet.
Les rencontres dans le cadre de mes Pique-nique au labo offrent le plaisir d'improviser avec des musiciennes et des musiciens d'origines très diverses, mais surtout de les rencontrer amicalement autour d'un bon déjeuner et d'une séance où chacun/e est susceptible de retrouver l'innocence de ses premiers émois musicaux, avant que cela devienne une profession avec tout le poids de ce qui va avec. Le studio GRRR, ouvert sur le jardin, présente un confort domestique qui met à l'aise les merveilleux artistes qui participent à ces agapes.


Ainsi ce 35ème épisode fut une nouvelle partie de plaisir. Je n'avais jamais rencontré Isabel Sörling et je connaissais mal Maëlle Desbrosses, mais nous avons instantanément partagé la complicité indispensable à ce genre de sport. J'ai été surpris et épaté par les manipulations électroniques de la chanteuse suédoise qui était venue avec une guitare électrique et par l'altiste qui joua énormément de contrebasse, sans compter l'arbalète construite par Bernard Vitet et Raoul de Peesters que je lui avais prêtée. Les filets de poisson arrosés d'un délicat fumet de dashi donnèrent une partie du titre, le reste provenant du jeu de cartes de Brian Eno et Peter Schmidt qui plaît toujours beaucoup à mes invité/e/s. L'accompagnement était une purée carottes-panais-patates-radis-oignons et ail noir, avec en coda sorbet carotte-orange-safran pour l'une et glace vanille pour l'autre. Isabel découvrant au fond du jardin le sauna dans lequel nous avons fait la photo, les deux filles en profitèrent après avoir rangé leurs instruments. En tant que Suédoise, ce petit luxe lui manque cruellement depuis qu'elle vit en partie à Paris. Côté musique, ce furent de grandes pièces, plus longues que d'habitude. En écoutant le mixage, qui consiste exclusivement en rééquilibrage des voies, quasiment un travail d'orfèvre, je découvre une atmosphère envoûtante, sorte d'ambient au timbre épais où l'électricité tient une place majeure. Comme chaque fois j'ai besoin de plusieurs réécoutes pour en apprécier le suc et comprendre la conversation sonore qui s'y déroule. Quatre pièces donc : Retrace Your Steps / Listen To The Quiet Voice / Make A Sudden, Destructive Unpredictable Action ; Incorporate / Don’t Be Frightened Of Cliches. Ces thèmes ne sont évidemment que des prétextes, et il est passionnant de constater comment le même peut inspirer des musiciens/ciennes différemment.

→ Birgé-Desbrosses-Sörling, Listen To The Quiet Plattfisk, en écoute et téléchargement gratuits ainsi que sur Bandcamp

mardi 10 octobre 2023

D'une pierre deux coups


D'eux sans cou, pire, des pierres de sang coulent... Terrible mémoire de l'histoire... Si vous venez nous écouter au Souffle Continu, 22 rue Gerbier 75011, vendredi 13 octobre à 18h30, faites une halte en arrivant ou en repartant à l'entrée de la rue parallèle, celle de la Croix Faubin, au croisement de la rue de la Roquette. Malgré le bitume, sur la chaussée ont été préservées cinq longues pierres de granit. À cet endroit précis, là où se trouve la dalle centrale, ont été guillotinés plus de deux cents condamnés à mort, entre 1851 et 1899, parmi lesquels Orsini (1858), auteur d’un attentat contre Napoléon III, le médecin Désiré Couty de la Pommerais ayant empoisonné ses patientes pour toucher leur assurance-vie (1864), les assassins en série Jean-Charles-Alphonse Avinain (1867) et Troppmann (1870), les anarchistes Émile Henry (1894), auteur de l'attentat de la rue des Bons-Enfants, et Auguste Vaillant (1894) de celui de la Chambre des Députés… L'échafaud, entreposé 60 bis rue de la Folie Régnault, était chaque fois monté juste en face du portail de la prison de la Grande Roquette, aujourd'hui l'entrée d'un square.
À partir de 1909, la guillotine est transportée devant la prison de la Santé. Y seront exécutés les membres de la Bande à Bonnot et Paul Gorgulov. La dernière exécution publique, celle du tueur en série Eugen Weidmann, se tient à Versailles en 1939. Sous l’Occupation, les hommes sont guillotinés dans la cour de la Santé, les femmes dans celle de la prison de la Petite-Roquette, à l’emplacement du 143 rue de la Roquette, donc juste en face !
Avant l'abolition de la peine capitale en 1981 par François Mitterrand, le dernier guillotiné est Hamida Djandoubi, à Marseille le 10 septembre 1977. Je me suis souvent demandé ce qu'étaient devenus les 300 candidats qui n'ont pas été retenus en 1978 pour devenir le futur bourreau ! Est-ce que personne n'a réalisé cette enquête ? Cela fait froid dans le dos.
Il y a tout de même un lien avec la réédition du disque In Fractured Silence que nous fêterons vendredi. Dans la pièce Tunnel sous la Manche (Under The Channel) composée et interprétée par Un Drame Musical Instantané, j'ai utilisé un extrait de l'extraordinaire film Le trou de Jacques Becker, histoire d'une évasion de la prison de la Santé !

Les notes de Steven Stapleton accompagnent In Fractured Silence


IN FRACTURED SILENCE (LP ou CD Souffle Continu Records FFL087)

À l'occasion de la sortie de la réédition de ce disque historique, je jouerai vendredi 13 octobre à 18h30 au Souffle Continu avec Francis Gorgé à la guitare et Amandine Casadamont aux platines. C'est rare et gratuit, ce sera court aussi...

J'avais publié ce matin les NOTES de STEVEN STAPLETON figurant dans l'insert du disque, mais cela ennuie mes camarades du Souffle Continu (je les comprends très bien) donc je les ai retirés. Pour me faire pardonner, je publierai dans quelques minutes un autre article autour de cet évènement.

lundi 9 octobre 2023

Zodiac Suite de Mary Lou Williams


Excellente surprise, travail colossal, magnifique découverte. Après avoir publié Mary's Ideas, un double album d'inédits ou de raretés de la compositrice afro-américaine Mary Lou Williams (1910-1981) dans lequel figuraient déjà trois signes de la Zodiac Suite dans une version pour big band, Pierre-Antoine Badaroux en exhume l'intégralité dont une grande partie n'avait jamais été enregistrée, ni même jamais jouée. En 1945, l'unique représentation avait laissé la compositrice, pianiste et arrangeuse sur sa faim. Accompagné de Benjamin Dousteyssier, un autre saxophoniste avec lequel il travaille, Badaroux était allé consulter les archives acquises par l'Institute Jazz Studies à Newark. Mary Lou Williams avait écrit pour Duke Ellington, Benny Goodman, Earl Hines, Cab Calloway, Count Basie ou Louis Armstrong et inspiré Bud Powell, Thelonious Monk ou Dizzy Gillespie. Elle jouera même en duo avec Cecil Taylor.... Donc après l'History of Jazz pour orchestre d'harmonie et diverses pièces éparses, blues et boogies, paraît enfin la Zodiac Suite pour orchestre de chambre et section rythmique.


À l'écoute de la Zodiac Suite, j'ai d'abord pensé à George Gershwin, puis sont apparues des scènes de films américains des années 40. Quand Agathe Peyrat clot le cycle avec Pisces (Poissons), l'influence de la musique classique européenne de son époque est évidente depuis longtemps. Mary Lou Williams écoute Berg, Hindemith ou Schönberg. Elle a toujours expérimenté, s'écartant des règles tout en assumant son héritage musical. L'orchestration de la Suite axée sur les bois et les cordes lui permet de prendre ses aises avec le jazz : flûte, hautbois, clarinettes ou sax ténor, basson, trompette, cor, trombone, 7 violons, 2 altos, 2 violoncelles, piano, contrebasse, batterie. Chaque signe du zodiaque est dédié à un ou plusieurs natifs et s'imprègne de leur portrait musical, un "portrait chinois" évidemment : Billie Holiday et Ben Webster pour le Bélier (Aries), Duke Ellington, Joe Louis et Bing Crosby pour le Taureau (Taurus), Benny Goodman pour les Gémeaux (Gemini), Lena Horne pour le Cancer, Vic Dickenson pour le Lion (Leo), Leonard Feather pour la Vierge (Virgo), Art Tatum, Dizzy Gillespie, Bud Powell et Thelonious Monk pour la Balance (Libra), etc. Disque à clefs, il peut donc s'écouter et se réécouter chaque fois sous un angle différent.

→ Umlaut Big Band plays Mary Lou Williams, Mary’s Ideas, CD Umlaut, dist. L'autre distribution, 20€
→ Mary Lou Williams par l'Umlaut Chamber Orchestra, Zodiac Suite, CD Umlaut, dist. L'autre distribution, 15€, sortie le 10 novembre 2023

vendredi 6 octobre 2023

Tunnel sous la Manche (In Fractured Silence)


Au dos du nouveau texte de Steven Stapleton évoquant In Fractured Silence, le disque de 1984 qui ressort le 13 octobre (que nous fêterons en concert à 18h30 à la boutique), Le Souffle Continu a reproduit les contributions graphiques de chacun d'entre nous : de gauche à droite puis de haut en bas, Hélène Sage, Nurse With Wound, Sema (Rob Haigh) et Un Drame Musical Instantané.
Le Drame avait enregistré Tunnel sous la Manche (Under The Channel), mais Bernard Vitet, Francis Gorgé et moi avions paradoxalement imaginé de combler la Manche pour embêter les Britanniques. On se souvient de la une du Times, "Tempête sur la Manche, continent isolé". L'humour anglais est inimitable. Nous avions inventé les villes émergées Garlic, New Wave, Drame, Port-Franc, Moutonville...


Cette fois Bernard ne joue pas de trompette (moi un peu), mais il avait adopté le Bösendorfer Imperial et tout un set de percussions contemporaines. Parmi nos autres emprunts, je diffusai un extrait du Trou, le film incroyablement moderne de Jacques Becker. Francis, en plus de sa guitare, jouait d'un synthé analogique. Le mien était numérique, un PPG Wave 2.2.
J'ai retrouvé des photographies prises par Marie-Jésus Diaz quelques mois plus tôt. Sur celle-ci nous sommes tous les trois devant mon vieux piano droit rue de l'Espérance. Au mur on aperçoit la magnifique affiche des Musiques de Traverses de la même année, dessinée par Joost Swarte. Je pense que c'est là que Vincent Segal nous a entendus pour la première fois. Pourtant Tunnel sous la Manche est une improvisation composée en studio pour une émission de création que nous avions inventée pour France Musique à l'époque dites "des années d'or", un polar de 2h33 intitulé La peur du vide ! Le même jour nous avions enregistré La peur du vide, Légitime défense et Le directeur paiera pour ses crimes. Les quatre titres apparaissent en bonus de la réédition en CD, déjà épuisée, de Rideau ! par le label autrichien KlangGalerie. In Fractured Silence, qui est réédité en vinyle, bénéficie néanmoins d'une première édition en CD.

jeudi 5 octobre 2023

Birgé Gorgé Shiroc en couleurs


Tandis que nous allons nous retrouver Francis Gorgé et moi avec Amandine Casadamont aux platines le Vendredi 13 octobre à 18h30 pour un petit concert au Souffle Continu, 22 rue Gerbier Paris 11e, pour fêter la sortie de la réédition du vinyle In Fractured Silence, sorti en 1984 sur United Dairies avec Un Drame Musical Instantané, je retrouve cet article du 19 septembre 2011...

Théâtre de la Gaîté Montparnasse 1975. J'avais réussi à décrocher huit dimanches soir de suite, jours de relâche, du 9 novembre au 28 décembre, pour lancer notre trio tout neuf avec Shiroc. Il n'y avait pas beaucoup de monde, mais sur mon Journal quotidien, déjà tenu scrupuleusement, j'ai noté le nom des amis qui sont venus nous écouter. J'y rencontrai Marianne. Thierry Dehesdin en profitait pour faire des photos. Juste après, Francis Gorgé et moi inviterons le percussionniste sur notre premier disque, Défense de, signé Birgé Gorgé Shiroc. Il a bien accroché. Bel article dans Rock & Folk. Les ventes mirobolantes n'avaient rien à voir alors avec le gâchis actuel causé par les majors qui essaient de faire porter le chapeau aux pirates alors que ce sont elles qui ont tout manigancé pour se débarrasser du problème des stocks. J'ai raconté ici comment cet album fut par la suite propulsé disque-culte, jusqu'à être réédité par le label israélien MIO. Les vinyles épuisés depuis belle lurette s'achètent à prix d'or et il ne nous reste qu'une poignée de CD. [Vinyle réédité depuis par Wah Wah en Espagne]. À l'époque, comme Meidad Zaharia m'avait demandé d'ajouter des bonus tracks du même groupe j'avais retrouvé plus de six heures d'inédits qui furent gravés sur le DVD vendu avec et où figure également mon premier film, La nuit du phoque. Je lui avais remis toutes les photos en ma possession, des noir et blanc. En fouillant récemment mes archives je suis tombé sur une quarantaine de diapos en couleurs réalisées également par Thierry et oubliées.


Francis était le guitariste du groupe. Il jouait aussi de la basse. Nous improvisions à 100% en structurant la soirée selon les patches que je préparais pour mon synthétiseur qui n'avait aucune mémoire.
J'en ai profité pour scanner les diapositives de notre premier concert au Lycée Claude Bernard en 1971 avec Epimanondas et H Lights, de notre quartet avec un second percussionniste, Gilles Rollet, au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris et de quelques photos de Dagon à la Fac Dauphine où je jouais en robe de chambre et béret rouge.


À la Gaîté le contrat avec le théâtre stipulait que nous devions nous produire dans le décor de la pièce qui s'y jouait alors. Cela nous plaisait plutôt. J'ai toujours trouvé les scènes musicales froides et impersonnelles. L'éclairage ne suffit pas à créer une ambiance cohérente avec la dramaturgie musicale. Dès sa création en 1976, Un Drame Musical instantané construisait ses propres décors pour plonger les spectateurs dans un spectacle total.


Sur la photo je reconnais mon instrumentarium de l'époque. J'ai bêtement vendu mon ARP 2600 en 1994, mais conservé les patches qui tiendraient lieu de partitions si je rencontrais un ancien spécimen [J'ai récemment acquis un ARP 2600 M Korg, même si j'ai tout de même l'impression de revenir en arrière !]. Mon petit mixeur rudimentaire, les deux magnétophones à bandes et ma sono Yamaha, responsable de ma hernie discale et de mes trois disques écrasés (qui ne font pas partie du catalogue du label GRRR !), ne sont plus, mais je possède toujours le sax alto, les diverses flûtes, le melodica, toutes ces percussions ainsi que la cythare et la senza. Par contre j'ai rasé ma barbe [que j'ai fait repousser à l'été 2023] et perdu mes cheveux [là il n'y a rien à faire].

mercredi 4 octobre 2023

L'IA ? Le diable probablement !


La question n'est pas d'être pour ou contre l'IA, l'intelligence artificielle, mais de ce qu'on en fait, maintenant qu'elle est partout. Et cela ne date pas d'hier : en musique nous l'utilisons depuis plus de quarante ans sous le nom de MAO (Musique Assistée par Ordinateur), mais elle a fait récemment un pas de géant avec des applications comme ChatGPT ou Midjourney, touchant tous les secteurs de la création. L'IA est un outil qui révolutionne les usages comme jadis l'ordinateur, le mien où j'écris et le vôtre qui vous permet de me lire, et qui a mis des millions de travailleurs au chômage, ou Photoshop, rappelez-vous ce que ses détracteurs en disaient, alors que maintenant nous l'utilisons tous ou un équivalent. Mes parents comme beaucoup ont fait faillite de ne pas avoir su s'adapter. D'autres y ont trouvé de nouveaux débouchés. Les découvertes scientifiques ne sont que des outils. C'est leur utilisation qui peut poser problème. Trop de mes interlocuteurs diabolisent l'objet sans comprendre qu'il s'agit seulement d'en définir les usages de façon éthique, et de répartir équitablement les profits générés. Ce combat stérile, obscurantisme soigneusement entretenu par les médias qui ont ordre d'occulter les vrais problèmes, me rappelle celui de la CGT qui exhortait les mineurs du nord à faire grève en sachant pourtant que la fermeture des mines était inévitable, au lieu de se battre pour une réinsertion...
La grève des comédiens et celle des scénaristes d'Hollywood est simplement typique de toute défense salariale. Il s'agit de distribuer équitablement les bénéfices engendrés par les nouveaux moyens de diffusion. Si les musiciens trouvaient un moyen de se battre ils feraient de même contre les plateformes de streaming qui leur octroient des miettes ridicules. Le problème vient des majors qui ne dévoilent pas leurs chiffres et engraissent leurs actionnaires. Ainsi les comédiens comme les scénaristes avancent à l'aveugle, même s'ils savent qu'ils ont raison de faire valoir leurs droits sur les diffusions et rediffusions via les nouveaux réseaux comme Internet. On doit néanmoins souligner que c'est une grève corporatiste tandis qu'en bas de chez eux des millions de pauvres vivent dans la misère. La seule grève qui peut atteindre le capitalisme est la grève générale. Et son appétit le poussera à s'auto-dévorer, après avoir hélas commis de véritables génocides qui en portent rarement le nom.
Quant à l'IA, gageons qu'elle ne touchera gravement que les produits de masse. Les décervelages se conjugueront différemment, le formatage a de beaux jours devant lui. Les œuvres originales n'ont jamais pâti de la robotisation. Nous apprendrons à nous servir de ces nouveaux outils comme nous l'avons fait avec l'électricité, les transports ou les communications, ou pas. Nous pervertirons les machines. Parce que l'artiste se crée son propre monde en réaction à celui qui lui est proposé et qu'il ne peut assumer. Par contre, la décroissance est inévitable si l'espèce humaine espère avoir un avenir sur cette planète. Ça c'est une autre histoire, autrement plus grave, un peu comme la guerre qui ne profite qu'aux marchands de canons et aux entreprises de reconstruction. Alors le diable certainement, et nous le nourrissons.

mardi 3 octobre 2023

Troisième newsletter de l'année


Newsletter d'octobre
Activité débordante
Lire les petites lignes

Mildred Pierce de Todd Haynes


Les mini-séries apparaissent comme de très longs métrages diffusés en plusieurs parties à la télévision américaine. De plus en plus de metteurs en scène de cinéma y viennent, attirés par des formats et une liberté que Hollywood ne permet pas. Si Boardwalk Empire initié par Martin Scorcese est un ratage à l'image de tous ses deniers films, Mildred Pierce de Todd Haynes, qui se passe dix ans plus tard en pleine Dépression, soulève d'intéressantes questions sur le statut des femmes, aujourd'hui comme hier, comme il l'avait déjà abordé avec Safe et Loin du paradis. Fidèlement adapté du roman de James M. Cain, également auteur du facteur sonne toujours deux fois, Haynes s'affranchit de la magnifique version de 1945 de Michael Curtiz avec Joan Crawford en confiant le rôle omniprésent à Kate Winslet et en creusant pendant quatre heures trente les fantasmes de la classe moyenne et le malaise de la "femme au foyer" dans un mélodrame qui rappelle Douglas Sirk et Fassbinder.


Vouloir le meilleur pour ses enfants les gâte souvent, tout en leur fournissant le moyen de s'éloigner quand le but était de se les attacher. Le conflit entre la mère et la fille interprétée adulte par Evan Rachel Wood naît de leur émancipation à toutes deux. La lâcheté des hommes est un handicap qui ne leur facilite pas les choses, que ce soit Bert l'ex-mari de Mildred, l'ami de la famille Wally Burgan ou le playboy Monte Beragon, respectivement interprétés par Brían F. O'Byrne, James LeGros et Guy Pearce. Seules sa voisine (Melissa Leo) ou les serveuses de son restaurant montrent une véritable solidarité avec elle.
Le film prend son temps, les neuf ans du drame se déroulant au fil des cinq parties produites par HBO (ce ne sont pas des épisodes comme dans les séries proprement dites). La musique est un peu trop illustrative, à l'image de la reconstitution historique soignée, sauf lorsque Veda, la fille de Mildred, s'acharne sur son piano ou, mieux, lorsqu'elle chante l'Air des Clochettes de l'opéra Lakmé de Léo Delibes, dont les paroles réfléchissent parfaitement son désespoir à elle, "fille de parias, rêvant de douces choses"... C'est bien le nœud de toute l'histoire, le désir d'ascension sociale que le statut de femme rend d'autant plus complexe. Et les meilleures évocations historiques prennent tout leur sens à la lumière de notre actualité.

Article du 8 septembre 2011

lundi 2 octobre 2023

Amandine Casadamont avec Un D.M.I. le 13 octobre au Souffle Continu


Vendredi 13 octobre à 18h30 Un Drame Musical Instantané sera en trio au Souffle Continu, 22 rue Gerbier Paris 11e, soit Francis Gorgé, Amandine Casadamont et moi pour fêter la sortie de la réédition du vinyle In Fractured Silence, sorti en 1984 sur United Dairies. Ce sera court, ce sera magique et gratuit... Occasion à ne pas manquer, car si je joue avec Francis depuis plus de 50 ans (!!!), Amandine et lui ne se sont jamais rencontrés !

En 2015 je faisais partie du jury qui a attribué à Amandine Casadamont le Grand Prix Phonurgia Nova pour Zone de silence. Un jour où je cherchais des vêtements immettables (par qui que ce soit d'autre) dans une vente de jeunes créateurs, je l'ai reconnue, elle m'apprit qu'en plus de créer des documentaires et des fictions inventives pour Radio France, elle manipulait des platines tourne-disques. Depuis la collaboration du Drame avec DJ Nem je cherchais ce genre de spécimen (spéciwoman en l'occurrence). Nous avons ainsi enregistré trois albums, Harpon, Live au Silencio Club, Paradis, et commis quelques concerts. Elle a également participé au disque de mon Centenaire.

Artiste et réalisatrice sonore, Amandine n'a pas froid aux yeux. Chassée en pleine nuit du laboratoire mexicain où elle travaille sur Zone de silence par des narcotrafiquants armés de Kalachnikov, on la retrouve en Transylvanie parmi de vrais chasseurs ou en zone interdite à Fukushima. Au croisement de la pièce radiophonique, de la performance et de l’installation sonore, elle enregistre l'invisible, effaçant systématiquement la frontière qui sépare la fiction du documentaire, ou le passé du présent. Certaines de ses créations sont composées à partir d’archives, notamment pour la Fondation Van Gogh à Arles, La nuit de la radio (SCAM), France Culture et le MEG à Genève.

Aux platines elle superpose les plans comme les décors d'un théâtre où l'intrigue se devine en perspective.

dimanche 1 octobre 2023

Pique-nique au labo 3 par un universitaire américain


Traduction automatique en français d'un article du Pr David Keffer du 30 septembre 2023 sur le site de la maison d'édition américaine Poison Pie, foyer d'une littérature d'improvisation non idiomatique. Ses propos me touchent, en particulier leur conclusion, même s'il ne semble pas connaître le contexte des pièces des trois volumes de Pique-nique en labo déjà parus en CD. J'ai choisi de publier une pièce par rencontre, or chaque rencontre fit auparavant l'objet d'un album exclusivement en ligne sur drame.org ou Bandcamp. Pour Pique-nique au labo et Pique-nique au labo 3 mes choix pourraient paraître arbitraires, mais ils obéissent à une logique propre à chaque disque physique, à la fois musicale et dramatique. Ces improvisations sont toujours publiées dans l'ordre où elles furent commises, pour chaque album virtuel et évidemment pour la continuité des CD édités. La qualité incroyable de toutes ces rencontres tient à la situation de confort et de complicité préparée en amont et pendant les enregistrements, à l'excellence des artistes invités et peut-être un peu du miracle ! Il m'est arrivé, mais très rarement, d'omettre une pièce redondante, mais je n'ai pratiquement jamais coupé et monté ces séances. Le travail en aval consiste essentiellement à rétablir l'équilibre des voies. Contrairement à ce que suppose David Keffer, certaines pièces publiées sur les CD représentent même les premiers instants de la rencontre (hormis un petit café ou thé, et l'installation des instruments dans le studio), comme on peut en juger en écoutant l'intégralité du corpus, soit 32 albums qui restent en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org ou Bandcamp.

Pique-nique au labo 3 - Jean-Jacques Birgé
Label : GRRR
Catalogue : GRRR 2036
Pays : France
Date de sortie : 11 septembre 2023
Supports : cd et fichiers numériques
bandcamp.com / discogs.com

Pique-nique au labo 3 est le troisième volet (les deux premiers étant sortis ensemble en double cd) du laboratoire musical du compositeur et improvisateur français Jean-Jacques Birgé. La nature de l'expérience est décrite succinctement comme suit : "Il s'agit de jouer pour se rencontrer et non l'inverse comme d'habitude", c'est-à-dire de se rencontrer pour jouer.

Ces dialogues et trialogues musicaux rendent compte de la conversation telle qu'elle s'est déroulée lors de la rencontre des musiciens. La rencontre initiale des musiciens étant par définition dépourvue d'historique de répétition, on pourrait être prédisposé à penser que la musique qui en résulte devrait être brute, hésitante et sujette à des silences gênants. Cette supposition n'est que partiellement correcte et probablement pour de mauvaises raisons. Dans le meilleur des cas, cette approche de la musique recherche la réaction brute et spontanée qui se produit lors des premières rencontres entre individus, lorsque chacun découvre progressivement la nature de l'autre. Toute maladresse est atténuée par la discipline de l'improvisateur. Comme le dit la contrebassiste française Joëlle Léandre, « un vrai improvisateur, c'est quelqu'un qui se prépare à ne pas être préparé ». C'est exactement cela, c'est tellement vrai. Il est prêt à tout. Des instants uniques. Jean-Jacques Birgé a en effet cherché de vrais improvisateurs pour profiter de son pique-nique au laboratoire.

Nous supposons que cette compilation de rencontres nous présente des fragments de conversations plus larges. Nous semblons être lâchés au milieu des discussions où les improvisateurs ont déjà trouvé des sujets d'intérêt mutuel et sont pleinement engagés. Le bricolage dissonant associé à une grande partie de l'improvisation libre n'est pas le mode dominant dans ces pièces. Au contraire, nous serions tentés de décrire certains de ces morceaux comme comprenant des mélodies composées, sauf que nous savons que c'est la plus grande insulte à l'improvisateur que de dire : « Votre improvisation collective semble presque composée ! » De tels mots ne franchiront pas nos lèvres. Nous nous contentons de faire allusion à l'intuition pratique des interprètes qui ont trouvé le langage commun pour exprimer en temps réel leur chant partagé.

Nous avons tendance à laisser notre imagination s'éloigner des observations factuelles dans les critiques de la maison d'édition Poison Pie. Nous aimons donner une tournure positive à notre manque de fidélité à la musique en nous référant aux idées du tromboniste et érudit américain George Lewis, qui a déclaré :

"J'ai le sentiment qu'il existe une essence de la créativité qui est un droit de naissance de l'homme, qui ne disparaît pas et avec laquelle nous sommes tous nés. Elle n'est pas l'apanage de quelques super-héros. J'ai le sentiment que lorsque les gens écoutent de la musique, ils peuvent le faire grâce au sens de l'empathie qui leur permet de répondre à la créativité des autres en ressentant leur propre créativité. En d'autres termes, ces neurones commencent à s'activer et ces expériences, ces sensations corporelles, entrent en résonance avec la créativité qui vient de l'extérieur, parce qu'ils l'ont en eux."

Lorsque nous entendons cette musique, nos neurones se mettent à fonctionner dans toutes sortes de directions, probablement involontaires de la part des musiciens originaux. Nous nous sommes convaincus que ce n'était pas grave, en nous appuyant sur les propos rassurants de George Lewis. En écoutant cette musique, nous avons pensé aux grands modèles de langage, tels que ChatGPT. Actuellement, de nombreuses personnes ont des conversations initiales avec ces manifestations de ce que l'on appelle les algorithmes d'intelligence artificielle. Nous avons comparé nos propres conversations avec ChatGPT aux dialogues et trialogues de Pique-nique au labo 3. Nous vivons à une époque où certains êtres humains s'emploient activement à développer les capacités des produits d'intelligence artificielle à générer de l'art visuel et de l'art audio sur la base de la combinaison et de l'interpolation d'ensembles de données massives pillées. Un jour, nous dit-on, les machines dépasseront l'ingéniosité humaine. Nous ne savons pas si ces prophéties sont vraies et nous ne sommes pas particulièrement enclins à nous y attarder. Cependant, nous avons l'intuition que le type de musique qui apparaît dans les expériences du Pique-nique au labo sera la dernière frontière à tomber entre les mains des machines ! Nous trouvons du réconfort dans la preuve générée par ces pique-niques en laboratoire que le caractère unique de la réaction intrinsèquement humaine à la rencontre d'un autre être humain pour la première fois ne sera pas facilement dupliqué.

Références :
Joëlle Léandre, Solo. Conversations avec Franck Médioni, kadima collective, Israël, 2011, p. 66.
George Lewis, La musique et l'esprit créatif : Innovators in Jazz, Improvisation and the Avant-Garde, entretiens avec Lloyd Peterson, Scarecrow Press, Lanham, Maryland, 2006, p. 155.

personnel :
Jean-Jacques Birgé (claviers, flûte, harmonica, guimbarde, inanga)
Naïssam Jalal (flûte)
Mathias Lévy (violon)
Fidel Fourneyron (trombone)
Élise Caron (voix)
Lionel Martin (saxophone ténor)
Gilles Coronado (guitare électrique)
Basile Naudet (saxophone soprano)
François Corneloup (saxophone baryton)
Philippe Deschepper (guitare électrique)
Uriel Barthélémi (batterie, synthétiseur)
Hélène Breschand (harpe)
Gwennaëlle Roulleau (batterie, effets)
Csaba Palotaï (guitare électrique)
Fabiana Striffler (violon)
David Fenech (guitare électrique)
Sophie Agnel (piano)
Olivier Lété (basse électrique)
Fanny Méteier (tuba)
Tatiana Paris (guitare électrique)
Violaine Lochu (voix)

Critiques connexes de la maison d'édition Poison Pie
Pique-nique au labo - Jean-Jacques Birgé (10 décembre 2020) (aussi en français)