70 juin 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 30 juin 2022

Électrocution au révolver


Cette soirée du 13 janvier 2010 aura été une soirée mémorable, car c'est probablement la dernière à laquelle mon camarade Bernard Vitet s'est rendu avant de tomber malade. Elle revêt aussi une certaine importance pour le pianiste Benoît Delbecq qui avait émis depuis longtemps le souhait de passer une soirée avec notre ami, exceptionnel compositeur et trompettiste. Bernard s'est éteint le 3 juillet 2013 après deux ans et demi qui lui furent très pénibles.

Bernard Vitet se promène toujours avec de drôles de briquets qu'il achète à une Chinoise de son quartier. Il ne craint pas qu'un convive les embarque par inattention. Ce sont souvent des chalumeaux qui permettent d'orienter la flamme horizontalement. L'engin qu'il tient à la main pendant qu'il discute avec Benoît Delbecq est particulièrement pervers. Si l'on actionne la gâchette on reçoit une décharge électrique terriblement puissante. Le choc semble aussi fort que lorsque l'on touche du 220 volts. Pour allumer ses cigarettes, qu'il enchaîne les unes sur les autres malgré ses poumons fragiles, il doit agir sur le chien. L'atmosphère est enfumée. Fut un temps où nous travaillions quotidiennement ensemble avec Francis Gorgé. L'odeur de ses blondes court-circuitaient celle des Bastos de Bernard, mais à la fin de la journée le studio était envahi d'un nuage de poison. Je devais aérer pendant des heures après leur départ et j'avais fini par installer un avaleur de fumée faisant également office d'ionisateur. Aujourd'hui le moindre mégot empuantit l'espace clos et je dois vider les cendriers au fur et à mesure pour ne pas me sentir oppressé. Nous ne sommes plus habitués. L'atmosphère du salon est moins confinée, mais Françoise fait des courants d'air à nous faire attraper la crève.


Après le dîner, Benoît nous fait écouter son nouvel album en quartet avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen, le batteur Lars Juul et son vieux complice Steve Argüelles trafiquant les sons aux commandes du logiciel Usine et de son filtre Sherman. Ce Way Below the Surface des Poolplayers est coolissime, nous attirant vers les grands fonds où la pesanteur est un vague souvenir. Je me sens plus proche de la musique de Benoît quand il prépare son piano que lorsqu'il en joue "nature". Le Bösendorfer du studio de La Mise en Circuit sonne alors comme un orchestre. J'apprécie toujours son élégance et le raffinement de son jeu tout en nuances, plus varié et évidemment mieux mis en valeur sur son nouvel album solo, The Civitella Project, également produit chez Songlines.
Nous réécoutons aussi Machiavel sur lequel nous jouons tous les trois. Le disque d'Un Drame Musical Instantané a été enregistré en 1998. Déjà douze ans [24 aujourd'hui] ! Benoît figure au sampleur et au synthé sur le premier morceau Night Knight avec Bernard à la trompette, Steve à la batterie et Philippe Deschepper à la guitare. Je produis les nappes de cordes et introduis pour la première fois du Theremin dans un morceau. Il joue aussi sur L'aiguille creuse, toujours avec Bernard, mais cette fois je me sers d'un processeur vocal et DJ Nem scratche remarquablement ses platines. Le disque a beau rassembler des pièces que nous avons composées Bernard, Francis et moi de 1980 à 1982, des remix d'Agnès Desnos, Étienne Auger, Luigee Trademarq et Steve, un faux vieux morceau avec le trombone Yves Robert, le puzzling de 3/3 par 1/2 où nous avions découpé trois disques noirs du Drame en trois morceaux égaux comme les parts d'une tarte, puis recollé trois tiers différents ensemble sur la platine du tourne-disques, et mon préféré, Crimes parfaits, avec la radiophonie de centaines d'échantillons que l'on appellerait aujourd'hui "plunderphonics", l'album, très électro, est étonnamment homogène. Antoine Schmitt a réalisé l'adaptation pour Mac et PC de la partie CD-Rom de Machiavel qui ne tournait plus sur les nouvelles machines et qui [est] téléchargeable gratuitement sur le site Internet qui lui [est] dédié.

Article du 14 janvier 2010

mercredi 29 juin 2022

Meïkhâneh, chants du dedans et du dehors


Il y a longtemps, longtemps, dans une autre vie, je ne comprenais pas pourquoi des musiciens adoptaient une culture qui n'était pas la leur. Qu'ils jouent du jazz à l'image des Afro-Américains, du tango argentin ou des airs inspirés des Balkans, cette appropriation transcontinentale m'interrogeait. À la même époque, je ne saisissais pas plus l'intérêt d'interpréter des morceaux classiques qui avaient été enregistrés par les meilleurs. J'étais jeune et fougueux, ne jurant que par l'invention contemporaine et l'expression la plus personnelle. Cela ne m'empêchait nullement d'apprécier tous les genres de musique sans aucune exception, mais je privilégiais les authentiques, les fondateurs dont les motivations sont dictées par les phénomènes historiques auxquels ils sont directement confrontés. J'ai heureusement tempéré cette exclusivité, car les désirs et les rêves sont aussi variés que les voix d'ailleurs sont impénétrables. Savons-nous réellement d'où nous venons dans les temps immémoriaux, quels chemins nous avons empruntés et vers où nous dirigent nos pas ? Que ma fille chante des airs grecs, italiens, siciliens, ladinos, russes, anglais sur des orchestrations originales du trio à cordes qui l'accompagne y est forcément pour quelque chose...


Meïkhâneh, le groupe qui est à l'origine de cette confession a d'ailleurs environ le même âge qu'Odeia, une dizaine d'années, et à peu près le même nombre de disques à leur actif, puisque c'est leur troisième. S'ils ont en commun le français et le grec, leur répertoire s'inspire surtout de Mongolie, d'Iran, du Portugal et se construit autour d'une langue imaginaire. J'ai été immédiatement séduit par la voix de Maria Laurent (luth tovshuur, vièle morin khuur) et le chant diphonique khöömii de Johanni Curtet (guitare, luth dombra), auquel s'ajoutent les percussions de Milad Pasta (zarb, daf, udu). Pour le disque Chants du dedans, Chants du dehors, ils ont invité Pauline Willerval (gadulka, violoncelle) et Dylan James (contrebasse) à se joindre à eux. En lisant la traduction des paroles dans le livret du CD, se dévoile ce que la musique suggérait, à la fois une quête intérieure des profondeurs de l'âme et un œil vers les étoiles. Il y est question de déplacements dans l'espace et dans le temps, histoires de caravaniers, de navigateurs, de parfums apportés par le vent. La musique est un art du voyage. Sans les renier, par son langage universel, elle permet de s'affranchir de ses propres racines en les bouturant avec d'autres essences. Les bourgeons de Meïkhâneh sont magiques, à la fois lyriques et rythmiques, empruntant des chemins de traverses qui nous mènent vers des contrées qui n'existent que dans l'imagination des artistes. Cette "maison de l'ivresse" porte bien son nom persan.

→ Meïkhâneh, Chants du dedans, Chants du dehors, CD Buda Musique & Cas Particuliers, dist. Socadisc

mardi 28 juin 2022

Pigments & The Clarinet Choir


Léon-Gontran Damas' Jazz Poetry, sous-titré A Call & Response, du groupe Pigments & The Clarinet Choir, est le genre de disque qui attire instantanément mon attention, parce qu'il véhicule des idées extramusicales qui riment avec la révolte, arrière-pensées mises en avant qui poussent le rythme et font sonner les harmonies. Parfois cela ne prend pas, par exemple lorsque texte et musique ne s'influencent pas véritablement. Le plaquage n'a rien du brut. Mais lorsque, comme ici, ils procèdent du même élan, alors la magie opère, galvanisant les énergies et redonnant espoir d'un monde meilleur.
Il est d'abord nécessaire de rappeler qui est le poète Léon-Gontran Damas, écrivain et homme politique français né en 1912 à Cayenne et mort en 1978 à Washingron, DC. Avec Aimé Césaire et Léopold Senghor il est l'un des fondateurs du courant littéraire de La Négritude, mouvement anticolonialiste et antiassimilassionniste. Je n'avais jamais entendu parler de lui avant que Christiane Taubira ne le cite brillamment lors de son discours introductif aux débats sur le mariage pour tous à l'Assemblée Nationale en janvier 2013. J'avais été alors impressionné, mais j'ai vite déchanté en découvrant cette femme politique autoritaire encensée par les socialistes mous, dont les quelques citations apprises par cœur avaient, au fil des années, fini par sonner particulièrement démagogiques à mes oreilles dubitatives. Je préfère donc reprendre le texte original de l'écrivain, creuser mon propre chemin, cette fois guidé par des musiciens dont la sincérité s'entend à chaque plage. Toujours remonter aux sources, me rappelait sans cesse Jean-André Fieschi.
C'est ce que fait le pianiste Guillaume Hazebrouck en composant pour le groupe Pigments & The Clarinet Choir et partageant la direction artistique du projet avec le slameur Nina Kibuanda, originaire de Kinshasa au Congo, tandis que Sika Fakambi demande à différents auteurs des textes en réponse à ceux de Damas pour qu'ils figurent dans le livret. Le bassiste Olivier Carole slape magnifiquement et prend souvent le relais du piano, mais c'est le beatbox du clarinettiste Julien Stella qui m'emballe lorsque les scratches vocaux se mêlent aux paroles scandées. L'orchestration est étonnante puisque se joignent à eux deux autres clarinettistes, Olivier Thémines et Nicolas Audoin.


Piano, basse et trois clarinettes. Le style d'Hazebrouck s'inspire autant du jazz que de la musique classique contemporaine, échappant aux poncifs des deux genres. Il se réclame d'ailleurs d'Andrew Hill, Henry Threadgill, Frederico Mompou, Charles Ives et Helmut Lachenmann, compositeurs tous plus ou moins marginaux dans leurs secteurs respectifs. Ses tourneries rythmiques vous happent comme un typhon vertigineux alors que la basse vous fouette le visage de ses embruns brûlants. Le slameur n'en fait pas des tonnes, il est juste, à sa place, servant le texte en s'appuyant sur la musique. Les clarinettes amplifient le timbre au besoin. Le disque peut s'écouter à plusieurs niveaux, en suivant la poésie de Damas, l'entrain du groupe ou en se concentrant sur l'osmose paroles et musique. Que je le remette plusieurs fois de suite sur la platine est le meilleur des signes.

→ Pigments & The Clarinet Choir, Léon-Gontran Damas' Jazz Poetry, A Call & Response, CD Yolk Music, dist. L'autre distribution

lundi 27 juin 2022

L'Apothicaire présente notre Fictions, sérigraphie d'Ella & Pitr


L'Apothicaire est le sérigraphe de la pochette de mon dernier disque, un superbe vinyle composé avec le saxophoniste lyonnais Lionel Martin. Si je me souviens bien, ce sont huit passages de couleurs qu'a nécessités la peinture d'Ella & Pitr. Cet autre duo avait déjà décoré ma maison d'une fresque murale représentant un trompettiste en short et d'un ange majestueux chutant dans l'escalier. Merci à Geoffrey Grangé, Jérôme Pruniaux, Rémy Porcar et à mes deux amis graphistes stéphanois pour leur magnifique création...


J'insiste auprès des amateurs de ma musique, mais aussi de ceux qui la pensent, avec raison, complexe, intellectuelle ou narrative : ce 33 tours est une merveille dont je suis extrêmement fier. Il est différent de tout ce que j'ai fait jusqu'ici. Les cinq pièces sont envoûtantes, quasi hypnotiques ou psychédéliques. Dans l'extrait choisi par L'Apothicaire, on entend le ténor, une guimbarde excitée par un électro-aimant et le Lyra-8, un synthétiseur russe. Le sérigraphe s'est amusé à réaliser un petit clip sur la confection de la sérigraphie. La pochette se ferme par un astucieux système magnétique. Le label Ouch! a choisi de ne le presser qu'à 300 exemplaires tous numérotés. On peut en avoir un avant-goût sur Bandcamp par exemple et l'y commander facilement. C'est actuellement le meilleur site de vente de disques tant pour les vendeurs que pour les acheteurs.

vendredi 24 juin 2022

Flou


Certaines périodes entretiennent le flou. Suivre le chemin tracé ou prendre la tangente ? L'école buissonnière est souvent plus riche que marcher dans les clous. Me livrant à un cache-cache avec moi-même, de temps en temps je m'y perds. Bouffées délirantes en mode zen ou réflexions posées de manière hirsute ? Impossible de suivre mes pas ! Mes poches sont remplies de rochers. Pas un petit caillou ! Avancer d'abord le pied gauche ou le droit ? Attendre à Paris ou devancer l'appel de la nature ? Il y a plusieurs façons d'aborder le jeu de construction. Le rêve a toujours été mon réel. La persévérance force la réalité virtuelle. Comme je tire sur la corde raide, les miracles se pointent, un jour ou l'autre. Parfois une nuit. Et la boule de tomber sur le zéro, ou sur le 7, qu'importent les chiffres, 60, 70, l'important est de relancer la roulette en ayant misé sur le bon numéro. Il faut souvent s'y reprendre. Contrairement au casino, on finit par gagner, déjà d'avoir appris à jouer...


Enfants, nous vivions en appartement. Je m'en suis échappé il y a 25 ans. Sentir les saisons par la pousse des arbres, par les abeilles qui viennent butiner le sexe des plantes, par l'eau qui tombe du ciel... Ce n'est pourtant pas la nature. Le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, les pattes de qui, de quoi, me manquent. Mais ce silence reste souvent incompatible avec mon besoin de rencontrer les amis, passés ou à venir. J'aime tant les grands espaces.


Rendre la maison si accueillante qu'on y tient le registre des visites. Continuer sur la lancée. L'amplifier avec le temps qui se repaît de chacun et chacune de nous. Je pense toujours à la phrase de Cocteau : « Regardez-vous toute votre vie dans un miroir, et vous verrez la mort travailler, comme des abeilles dans une ruche de verre. » Orphée. Une salle de cinéma, évidemment ! Celle-ci est tout de même trop sommaire. Coupler le studio de musique avec une salle de spectacle. Partager le confort, la joie de vivre. Sinon, à quoi bon ?


Marché jusqu'au bac. Traversé la Loire. Emprunté des chemins. Les rendre dans les villages. Marcher. Respirer. Écouter. Humer. Goûter. Découvrir. Une, deux aspirations par le nez, apnée, une, deux expirations par le nez, apnée, ainsi de suite, à l'afghane. Le centre de Nantes est à 20 minutes en bus. J'en mets 30 pour atteindre Châtelet par la 11. Ici, dans la rue, les riverains me disent bonjour. On se croirait au Laos. Le ciel est bleu. L'océan à distance du Châtelet. Qu'est-ce que je fais ?

N.B.: j'illustre avec mes images, mais la première est de Julie Ramos, prise pendant mon séjour à Strasbourg la semaine dernière.

jeudi 23 juin 2022

Skidoo, quand Preminger s'initie au LSD


Otto Preminger n'est pourtant pas un rigolo. Ses origines juives, ukrainiennes à l'époque de l'Empire austro-hongrois, ne lui ont pas donné un humour à la Lubitsch ou Billy Wilder. Ancien élève de Max Reinhardt, après avoir émigré aux États-Unis il acquerra la célébrité avec le mythique Laura et continuera avec Carmen Jones, L'homme au bras d'or, Sainte Jeanne, Bonjour Tristesse, Porgy and Bess, Autopsie d'un meurtre, Exodus, Tempête sur Washington, Le cardinal... des films de virtuose avec des sujets comme le viol, l'homosexualité ou la drogue qui lui valent souvent des ennuis avec la censure. En 1968, le trip de LSD qu'Otto Preminger s'avale à 64 ans en présence de Timothy Leary lui donne l'idée de Skidoo, une comédie complètement déjantée anticipant les élucubrations de John Waters. Le film ne ressemble en fait à rien de connu, ovni absolu qui fera un flop total tant auprès des "adultes" qui ne connaissent rien à la drogue que des "hippies" gentiment caricaturés. Deux mondes se rencontrent sans se comprendre.


L'humour et la vision très personnelle de Preminger sont le fruit de son indépendance. Avec ses outrances burlesques et ses provocations tous azimuts, le film réfléchit pourtant remarquablement l'époque. C'est même probablement la meilleure représentation d'un trip d'acide qu'il m'ait été donné de consommer, aussi loin que ma mémoire puisse remonter. On raconte que Groucho Marx goûta également un buvard pour savoir comment jouer son rôle, le dernier de sa carrière, Dieu, patron de la mafia ! Mickey Rooney et Jackie Gleason sont parfaits, Carol Channing rappelle Mae West ou Delphine Seyrig dans Mister Freedom réalisé par William Klein l'année suivante. Les effets vidéo anticipent de trois ans 200 Motels, le chef d'œuvre de Frank Zappa. La question fondamentale à se poser avec Skidoo est celle de la nécessité ou pas de se mettre au diapason du film avec quelque expédient pour en apprécier au mieux son comique d'absurde.
Lors de la publication de cet article, le 12 janvier 2010, j'avais remplacé la scène du trip au LSD effacée de YouTube par l'étonnante bande-annonce présentée par Timothy Leary, Sammy Davis Jr, Groucho Marx... avec tout le générique chanté, et non des moindres ! J'avais retrouvée la scène en juin 2022, mais un nouveau délateur l'a encore fait supprimer...
On trouve pourtant le film intégral (avant effacement certainement)...

mercredi 22 juin 2022

En perme à Nantes


Grand-père de garde en région nantaise, j'en profitai pour déjeuner avec Matthieu Jouan, directeur de publication de Citizen Jazz, la meilleure revue dans le domaine, qui plus est, gratuite et en ligne. Comme j'avais du temps avant et après et qu'il faisait beau, j'en profitai pour arpenter les rues et humer l'atmosphère nantaise, sans me soucier d'où j'allais, si ce n'est à chercher un magasin où acheter des attaches parisiennes pour les Tanukis d'Eliott. Attaches parisiennes ? C'est bien de cela dont il s'agit. Je me demande si je ne devrais pas déménager ici, proche de l'océan, et d'une partie de ma famille. Qu'est-ce qui me retient aujourd'hui à Paris ? Les amis qui passent évidemment, parisiens et voisins, mais aussi provinciaux comme Elsa et Nicolas qui ont des concerts en région parisienne cette semaine, étrangers comme Jonathan qui est là jusque début août... J'ai conçu la maison pour y vivre et travailler, accompagné de préférence. Si je bougeais, le studio GRRR renaîtrait ailleurs. Ce ne serait pas la première fois, mais probablement la dernière. Je monterais à Paris pour des expositions ou voir celles et ceux qui y seraient restés. Je ne profite plus de la capitale au quotidien depuis des années. On peut maintenant se faire livrer à peu près tout presque partout. Dans les grandes métropoles la pollution me chatouille le nez. La nature ma manque. Parfois, même là, je fais le touriste, traversant la Seine ou vagabondant au Père Lachaise. Mais la question intime me laisse perplexe. Cette incertitude fait osciller la balance entre ses deux plateaux. Je ne sais pas qui de la charrue ou des bœufs trace ma route. Porté par ma rêverie, je tombe par hasard sur le Passage Pommeraye. Comme si je pouvais venir à Nantes sans penser à Jacques Demy, à Lola, à Une chambre en ville...


Cela remonte à loin. Avant la naissance d'Elsa. Je me souviens l'y avoir prise en photo lorsqu'elle avait neuf ans. Elle connaissait par cœur les dialogues et les chansons des Demoiselles de Rochefort qu'elle faisait interpréter à ses poupées, casting de luxe pour des souvenirs ineffaçables.


Plus tard, à l'occasion d'un concert au Pannonica, nous y avons posé avec Antonin-Tri Hoang et Vincent Segal. Le passage a quelque chose de féérique. En dehors du temps.


Voilà donc où j'en suis. Une volée de marches qui donnent le vertige si je m'y penche. Des passerelles vers l'avenir qui retournent cruellement sur mes pas. Des statues figées dans le passé qui se retrouvent la nuit pour l'évoquer et reprennent la pose chaque matin. Des débouchés surprenants dès que l'on quitte les références. Et puis la lumière. Un ailleurs prometteur. À quel rite de passage devrais-je me plier ? Où mon cœur me mènera-t-il ? Dans quel ordre installer mon désordre ?

mardi 21 juin 2022

Gentillesse et politesse


Gentillesse et politesse, les deux termes me semblent à l'opposé l'un de l'autre. La gentillesse est tournée vers autrui sans contrepartie tandis que la politesse semble l'être, alors qu'elle obéit à des règles fixées socialement. La gentillesse revêt le même sens pour tous les êtres humains. La politesse ne s'exprime pas de la même manière suivant les cultures. L'une est altruiste, l'autre sert à opérer une sélection de classe parmi les individus. Exprimer un "bonjour", "s'il-vous-plaît" ou "merci" ne produira pas les mêmes effets selon le ton employé. Le ton est difficilement reproductible en langage écrit, mais dans la vie de tous les jours il en dit long sur la relation qu'entretiennent les protagonistes. On comprendra que les échanges par mail ou sur les réseaux sociaux sont souvent plus brutaux que les intentions de l'auteur. Au téléphone le ton en dit long. De visu, les yeux ne trompent pas. Ainsi que dire des gestes ! S'il s'agit de formuler une critique, on a toujours le choix de le faire sans brusquer ou offenser son interlocuteur. La musique de la politesse est plus sèche, sa fermeté peut sembler vexante ou agressive. On peut s'en passer si la gentillesse prend le relais. Mais en l'absence de bienveillance la politesse devient indispensable pour cadrer la relation dans des limites raisonnables. Pour terminer avec cette réflexion somme toute banale, on pourrait dire que devant la faillite de la gentillesse, la politesse permet de contenir le dialogue dans des limites acceptables. La politesse cache souvent le désir inavoué de s'empêcher toute gentillesse. Ménager la susceptibilité de l'autre, le souhait d'éviter les quiproquos, ne se maîtrisent pas au travers des rapports sociaux, mais dans la relation personnelle que chacun/e décide de construire, ne serait-ce que dans l'éphémérité d'une rencontre.

lundi 20 juin 2022

1001 nuits


Les lignes qui suivent ont été écrites la semaine dernière alors qu'il faisait extrêmement chaud. La température est tombée, mais ce n'est que partie remise. Très probablement en pire, puisque les gouvernements ne font rien, cédant aux industriels adeptes d'un capitalisme criminel et suicidaire, ou tout simplement dans le déni de la crise climatique dont nous ne percevons que les premiers soubresauts...

Jonathan avance que le seul moyen d'éviter les moustiques est de laisser le ventilateur tourner toute la nuit. Sa solution est efficace, mais d'une part elle est énergivore, d'autre part le moteur fait du bruit. En Asie, je préférais toujours une chambre avec palles plutôt que ce maudit air conditionné qui pollue nos bronches autant que le reste. Or ici, à la maison, on ne peut pas rêver mieux que la moustiquaire avec ses voiles prometteuses de mille et une nuits. J'ai installé un cadre en bambou que je remonte l'hiver et auquel j'accroche le parallélépipède blanc à la première piqûre. C'est donc après une nuit cloqueuse et gratteuse que j'ai compris que la saison de la chasse était ouverte. À l'extérieur du baldaquin les raquettes électriques sont prêtes. La moustique est l'un des rares animaux pour qui je n'ai aucune empathie. J'avoue apprécier la détonation lorsque le culicidé tente la traversée des mailles métalliques.
S'il faut m'empêcher de dormir, les chats s'en chargent. 3 heures du matin. Django est monté sur le lit pour jongler avec une souris. Je le fiche dehors, lui et sa proie. Jusqu'ici il avait toujours préféré la moquette claire du salon. C'est là qu'il la croque. 4 heures. Au tour d'Oulala de gratter à la porte parce qu'évidemment elle est fermée pour empêcher les agapes félines. 5 heures. Tous les deux font des glissades sous le lit sur le plancher bien lisse. Je rêve de nuits sans à-coup, où je dormirais d'une traite. Même si j'ai appris que les nuits complètes étaient une invention récente. Avant l'électricité et l'industrialisation, les gens se levaient une ou deux heures au milieu de la nuit, vaquaient à leurs occupations, professionnelles, ménagères ou amoureuses, et repartaient se coucher. C'est ce que je fais en cas d'insomnie. J'avais passé du temps à recouvrir de baume du tigre les démangeaisons. Rien ne sert de se tourner dans tous les sens. Les prochaines nuits auront le parfum de Shéhérazade.

vendredi 17 juin 2022

Tamalou


Me voilà bien ! Je me demande quelle contrariété est venue bousculer mon bel équilibre. En quelques heures se sont réveillés mon genou, mon épaule, ma cruralgie et le pouce de ma main droite. Si tous sont du même côté, c'est qu'ils sont probablement liés. En réfléchissant un bon coup et en m'aidant du tapis de fleurs et du pistolet masseur, j'ai repris le dessus sur ces dysfonctionnements. Presque tous. Récalcitrant, le pouce, qui semblait pratiquement guéri, m'a empêché de dormir toute une nuit. J'ai fini par avaler deux gélules du cocktail Tramadol-Paracétamol. J'ai enfilé l'attèle qui m'avait servi il y a quelques mois et j'ai rebranché la souris verticale. La douleur s'est à peu près volatilisée, mais j'ai tout de même pris rendez-vous chez un spécialiste de la main. Cela fait des mois que je me bats contre un pouce d'abord gâchette, passé à un écart moindre que celui qui me permettait de faire des accords larges sur les claviers pianos. Avant-hier je n'avais plus de pince, "le pouce préhenseur" qu'évoque Furtado dans son sublime court métrage, L'île aux fleurs. Heureusement il me restait "l'encéphalogramme hautement développé" qui, d'après lui, caractérise les êtres humains. J'en fais donc partie. Cela me rassure à moitié. Étrange espèce qui marche sur la tête en se croyant debout.
Didier est passé avec de l'armoise, que les acuponcteurs chinois appellent moxa. Cela chauffait du tonnerre. J'ai tenu bon face à la chaleur de la braise près de ma peau. Je suis inquiet, car je ne suis pas ambidextre. Seule ma main droite sait faire des prouesses. Il fallait me voir lisser le joint silicone de la douche, énervé par ce double handicap. Méconnaissable, paraît-il. Je m'interroge maintenant sur mon côté gauche. Mon gros orteil, mon petit orteil, mon œil gauche... Mon père appelait cela "numéroter ses abattis". Pourrait-on fabriquer la moitié d'un homme neuf en prenant le meilleur des deux côtés ? Ma question est idiote, nous avons évidemment besoin de tous nos sens, organes, membres, j'ajouterais bien les amis et les amours, pour avancer correctement, pour vivre. Vivre, c'est une idée qui me plaît. Comme faire du neuf avec du vieux. Vous me voyez venir ?

jeudi 16 juin 2022

Zounds! What Sounds!


Sacha Gattino, qui connaît mon appétit pour les trucs bizarres, [m'avait] fait écouter un album incroyable enregistré sur Capitol en 1962 par Dean Elliot, un compositeur de musiques de dessins animés avec à son actif Mister Magoo dont j'étais fan dans mes toutes premières années (souvenir rapporté dont je ne garde aucune trace), Tom & Jerry, Bugs Bunny ou ceux du Dr Seuss... Mais l'association avec le fameux animateur Chuck Jones est postérieure à Zounds!What Sounds!, l'album de Dean Elliot and his swinging BIG BIG BAND!! Sa couverture indique : A Sonic Spectacular Presenting MUSIC! MUSIC! MUSIC! With these special Percussion Effects! Cement Mixer, Air Compressor, Punching Bag, Hand Saw, Thunderstorm, Raindrops, Celery Stalks (the crunchiest), 1001 Clocks, Bowling Pins and Many Many More!!. Le compositeur de Space Age Pop s'est adjoint l'aide du bruiteur Phil Kaye pour mêler à son orchestre lounge des effets sonores stéréo décoiffants qui nous font irrémédiablement penser à Spike Jones.


Écoutez aussi son Lonesome Road !
Lors de cet article du 10 janvier 2010, j'écrivais que souvent, écoutant certains compositeurs, j'aurais adoré que l'on me propose plus souvent d'ajouter des sons concrets ou électroniques à leurs orchestres ou à leurs chansons, mais, contrairement à Dean Elliot dont les excentricités sont exclusivement plastiques, je travaille toujours dans une optique dramatique, entendre théâtrale, qui sert le sens de l'œuvre. J'aurais voulu être le Airto Moreira bruitiste de la nouvelle musique, saupoudrant de persil ou de piment la cuisine inventive de mes collègues musiciens. Un autre de mes fantasmes eut été d'improviser l'ambiance musicale d'un show style Nulle Part Ailleurs avec des ponctuations corrosives bien à propos. J'imagine un duo interventionniste avec Sacha, lui en percussionniste gagman et moi dans un traitement épique environnemental... Juste une idée.

mercredi 15 juin 2022

Le Light Book


J'avais d'abord rédigé un article, le 1er janvier 2010, sur le Light Book publié en 1973. Deux ans plus tard, le 6 octobre 2012, j'étais tombé par hasard sur une page web de l'Imprimerie Union reproduisant les douze images du Light-Book, mais également quantité de lettres de remerciements à Louis Barnier, l'imprimeur, ainsi qu'un tract raturé de H Lights conçu par mes soins, et une carte écrite de ma main illustrée par Antoine Guerreiro attribuée par erreur à Jack Renaud.

[J'avais commencé par citer] trois phrases que Louis Barnier avait mises en exergue sur la page de garde du Light Book auquel j'avais participé avec mes camarades de L'Œuf hyaloïde, dernière réincarnation d'H Lights avant houleuse dissolution. La dernière page indique : " Cette plaquette, qui reproduit avec le maximum de sympathie et - hélas ! - le minimum de fidélité des images de Michaëla Watteaux, Luc Barnier, Jean-Jacques Birgé, Philippe Danton, Thierry Dehesdin, Antoine Guerreiro du groupe de l'Œuf hyaloïde (ex-H Lights et ex-Despotes éclairés), a été achevée d'imprimer le 31 janvier 1973 par l'Imprimerie Union à Paris. Strictement hors commerce elle a été tirée à 777 exemplaires numérotés : les exemplaires 1 à 555 étant réservés à l'Imprimerie Union ; les exemplaires 556 à 777 étant réservés à l'Œuf hyaloïde. " La plupart de mes images (diapositives brûlées, acides bleus, polarisations) avaient été réalisées en 1969. S'y ajoutèrent le remix de Thierry avec la photo d'Isabelle (ci-dessus), ses cristallisations, deux acides rouges de Michaëla et un liquide séché d'Antoine (ci-dessous), plus un de Luc qui servit également à la couverture. Le père de Luc dirigeait la célèbre Imprimerie Union spécialisée dans les livres d'art luxueux et extrêmement onéreux. Le Light Book en était la cadeau de fin d'année, envoyé à l'ensemble des membres du Collège de Pataphysique dont Louis était l'un des Provéditeurs depuis 1953. Picasso mourut deux jours après l'avoir reçu ; de là à penser que nous l'avions tué, cela amusait beaucoup le père de Luc !
Je viens de scanner les cinq pages de la préface, texte fondamental sur le light-show que notre travail lui inspira.


J'avais commencé à gratter des diapositives ratées après avoir assisté en 1967 à une conférence à la MJC du quartier, donnée par un journaliste rock qui revenait des USA et dont je ne me souviens plus du nom avec certitude. En expérimentant diverses manipulations chimiques j'avais découvert que mettre le feu à la laque pour cheveux produisait d'intéressants effets sur la pellicule non révélée. Après un stage londonien chez Krishna Lights, j'étais devenu un expert en polarisations : en glissant entre deux plaques polaroïds des matières aux propriétés biréfringentes (plastiques étirés, ruban adhésif transparent...) et en faisant tourner l'une d'elle, on peut obtenir des couleurs éclatantes se transformant progressivement en leurs complémentaires. Michel Polizzi, puis Antoine, étaient des as des liquides en mouvement : il suffisait d'ôter le verre anti-calorique du projecteur de diapositives pour faire bouillir la préparation. Pendant les spectacles, j'étais aux commandes de quatre Leitz avec lesquels je dessinais un tryptique, utilisant mes images ou les photographies de Thierry... Le light-show se dissout vers 1974, époque correspondant avec ma sortie de l'Idhec et mon entrée dans la vie active. Les derniers spectacles furent "Brrr, qu'il fait froid ce soir, j'ai grand regret de n'avoir pas pris double manteau..." avec le comédien Philippe Danton, Francis Gorgé et moi pour la musique, le light-show étant assuré par Thierry, Luc, Antoine et Bernard Mollerat, ainsi que l'ouverture du Théâtre Présent (futur Paris-Villette) où nous faisions des projections pour un spectacle poétique d'Arlette Thomas et Pierre Peyrou. J'avais commencé avec Philippe Arthuys et terminai en sonorisant les montages audiovisuels de Michel Séméniako, Marie-Jésus Diaz, Noel Burch, Claude Thiébaut à l'époque d'Unicité. Entre temps nous avions assuré le light de Gong, Red Noise, Crouille-Marteaux (avec Kalfon et Clémenti), Le Vieux Berthoulet, Dagon, et j'avais fait mes gammes sur Kevin Ayers et Steamhammer à la Roundhouse. Le cinéma remplaça pour moi les projections psychédéliques, que ce soit en tant que réalisateur ou en initiant dès 1976 le retour au ciné-concert avec Un Drame Musical Instantané. Finalement, le multimédia avec les CD-Roms, Internet et les installations interactives, [représentera] la continuation logique du spectacle total conviant tous les sens en un melting pot essentiellement audiovisuel.

mardi 14 juin 2022

James Turrell, le magicien de la lumière


[Il y a 24 ans] je composai l'habillage de Europrix avec Étienne Mineur alors directeur artistique de l'agence autrichienne NoFrontiere. Nous réalisions ensemble les clips télé, la scénographie du Musée de l'Industrie où la manifestation se déroulait, et tout ce qui tourne autour, soirée télé en direct, etc. Comme j'avais terminé les enregistrements et la mise en espace et qu'Étienne était comme d'habitude au four et au moulin j'allai visiter, avec Claire Mineur, sa compagne, la Sécession, le Musée Hundertwasser, la pâtisserie Demel, les baraques de saucisse au fromage et tout ce qui fait le charme de Vienne.
Claire m'entraîna au Musée des Arts Appliqués où était exposée une rétrospective James Turrell. Le choc fut inexprimable. J'en garde encore aujourd'hui un souvenir hallucinant. Nous pénétrons dans des couloirs totalement obscurs pour être soudain confrontés à des rectangles monochromes de couleur vive dont on ne comprend absolument pas d'où vient la lumière. Un trait d'une autre couleur souligne parfois le cadre, mais sommes-nous proches ou loin de la source, quelle est sa véritable taille ? Tout fait énigme. Nous flottons dans un nulle part qui n'a de rapport avec aucun ailleurs. La stupeur est à son comble dans Wide Out, large espace bleu où les visiteurs laissent leur ombre en rémanence sur leur propre pupille. Déchaussés, nous ne planons pas, nous volons. Aucune installation lumineuse n'égala jamais l'expérience vécue ce jour-là. Depuis je cherche désespérément les manifestations de Turrell dans l'espoir de partager cette inexplicable émotion avec celles et ceux à qui je la raconte en vain.


Regardez la vidéo tournée à Wolfsburg en suivant les sous-titres. Elle permet de comprendre un peu mieux la dimension de cette œuvre à vivre exclusivement en s'y immergeant corps et âme...

Article original publié le 17 décembre 2009
Photo : James Turrell Milk Run II

lundi 13 juin 2022

Les enquêtes du département V


Découvrant L'effet papillon (Marco effekten), cinquième opus cinématographique des enquêtes du département V, adaptations des polars du Danois Jussi Adler-Olsen, j'ai vu ou revu les quatre précédents. Si Miséricorde (Kvinden i buret, 2015), Profanation (Fasandræberne, 2015), Délivrance (Flaskepost fra P, 2016) et Dossier 64 (Journal 64, 2019) ont été scénarisés par Nikolaj Arcel, scénariste du premier Millenium, le cinquième bénéficie d'une toute nouvelle équipe, y compris les rôles principaux de l'inspecteur Carl Mørck (Nikolaj Lie Kaas remplacé par Ulrich Thomsen), de ses assistants Assad (Fares Fares par Zaki Youssef) et Rose. Les réalisateurs étaient déjà différents, Mikkel Nørgaard signant les deux premiers, puis Hans Petter Moland, Christoffer Boe et Martin Zandvliet.
L'atmosphère glauque de ces thrillers rappelle la série télévisée Bron. La société sécrète évidemment des tordus violents, pervers très méchants, eux-mêmes souvent victimes reproduisant la violence qu'ils ont subie pour arriver à la supporter. Si les cinq films bénéficient d'un beau travail plastique (lumière et cadre), d'un rythme haletant, d'un suspense prenant, les deux derniers ont l'avantage d'être plus politiques. Dossier 64 eut un succès considérable au Danemark, se référant directement à la stérilisation contrainte de 11 000 femmes et à l'île de Sprogø où nombreuses furent internées et maltraitées de 1922 à 1961. Il s'agissait évidemment de femmes issues de milieux sociaux défavorisés, considérées comme débiles ou asociales, l'eugénisme ciblant les femmes enceintes sans être mariées et/ou transgressant "les bonnes mœurs".
Je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement avec le documentaire Our Father de Lucie Jourdan sorti récemment, l'histoire d'un autre médecin fou qui a inséminé secrètement une centaine de femmes avec son propre sperme à Indianapolis, des blonds et blondes aux yeux bleus comme lui, un autre délire raciste.


L'effet papillon s'intéresse aux migrants sans abris et, comme souvent dans les livres d'Adler-Olsen, à la maltraitance des enfants, cibles de tueurs diaboliques. Que ce soit pour les huit romans (de nouveaux films en perspective !) ou les films, on comprend que les traducteurs français n'aient pas conservé le titre original danois Afdeling Q !
Le Danemark, pays aux idées plutôt larges, n'échappe pas au racisme et à la politique anti-migratoire. C'est d'ailleurs là que furent publiées à l'origine les caricatures de Mahomet. C'est pourtant la mixité ethnique qui fait la richesse culturelle d'un pays, même si dans un premier temps les nouveaux arrivants lui fournissent chaque fois une main d'œuvre à bon marché, exploitable à merci. Dans un avenir proche, le dérèglement climatique risque d'accélérer les tensions et les exactions des protectionnistes qui préfèrent oublier leur propre histoire.

L'effet papillon, Wild Side Video, DVD 14,99€ / Blu-ray 19,99€
→ Coffret les 5 Enquêtes du Dpt V, Wild Side Video, 5 DVD 34,99€ / 4 Blu-ray – 39,99€
→ Lucie Jourdan, Our Father, sur Netflix

vendredi 10 juin 2022

*** avec Fabiana Striffler et Csaba Palotaï


Chacun/e avait apporté cinq recettes de cuisine ou souvenirs culinaires. À tour de rôle, ce 7 juin 2022 (c'était mardi), nous avons annoncé le menu. Dans l'ordre du jeu :
#1 Götterspeise
#2 Un café serré à Rome, à 4 h du matin juste avant l'aube, sur un toit-terrasse
#3 Ail noir
#4 Rollmops
#5 Màkostészta
#6 Mon pâté de foie
#7 Blutwurst
#8 Tacos à Mexico City dans le quartier Coyoacan
#9 Sorbets et crèmes glacées
#10 Kalter Hund
#11 Hot dog à Times Square
#12 Manger avec quelqu’un qui n’a pas d’appétit c’est discuter beaux-arts avec un abruti
#13 Zwieback mit Bananen
#14 Töltött paprika
#15 Phở.
La violoniste allemande Fabiana Striffler était évidemment à l'origine de #1 (dessert à la gélatine plein de couleurs) / #4 (hareng mariné) / #7 (boudin noir) / #10 (sorte de gâteau au chocolat) / #13 (biscotte avec bananes, un truc pour les enfants malades).
Le guitariste hongrois Csaba Palotaï, plus cosmopolite, avait choisi #2 / #5 (pâtes au pavot) / #8 / #11 / #14 (poivron farci).
De mon côté, j'apporte des trucs que je sais bien faire : #3 L'ail noir évidemment / #6 (faire cuire 500g de foie de volaille et 350g de beurre salé dans du vin blanc, passer au mixeur avec un petit verre de cognac par exemple et des herbes, attendre 24 heures au réfrigérateur) / #9 (je suis abonné à Berthillon) / #12 (la devise de la famille) / #15 (un hit à la maison, improvisation jamais identique).


Comme chaque fois que je pique-nique au labo, les titres sont des prétextes. Il n'empêche que la densité du menu se fait sentir à l'écoute ! C'est copieux, varié et forcément délicieux. Fabiana est venue avec deux violons dont un qu'elle accorde différemment. Csaba a apporté sa Telecaster et son Organelle. Je trône au milieu de mes instruments, la plupart électroniques, mais j'ai sorti aussi la trompette à anche, des flûtes, des guimbardes, un harmonica, des percussions, ma shahi-baaja et le frein. Dans la dernière pièce j'ai prêté l'arbalète de Bernard à Fabiana qui hallucinait.


J'avais déjà préparé la pochette avec une photo de ravioles de navet cru farcies de caille, émulsion d'escabèche et légumes, prise en 2016 au restaurant Er Occitan à Bossost en Espagne. *** m'a paru un titre amusant pour notre trio all stars ! L'album, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org, est aussi sur Bandcamp, comme la plupart des disques virtuels produits dans ces conditions. Il présente les quinze compositions instantanées in extenso dans l'ordre où nous les avons jouées. J'ai appris que l'Ircam appelait cela comprovisation ! C'est pas mal. Je trouve cela drôle. Donner le nom à ce que nous produisons les uns et les autres depuis plus d'un demi-siècle, est tout de même une manière de s'approprier des pratiques desquelles ils étaient passés à côté, et d'en faire tout un foin, comme l'aspirotechnie pour l'ancestral souffle continu.


Ces rencontres sont un véritable plaisir. Je retrouve mon âme d'enfant comme lorsque je me vautrais par terre avec mes jouets, et les parties de rigolade avec ma petite sœur et mes copains. L'idée est de jouer pour se rencontrer et non le contraire comme nous en avons l'habitude. C'est chaque fois rechercher la passion des débuts lorsqu'il n'y avait aucun autre enjeu que le plaisir. Ce n'est pas un hasard si j'avais inscrit sur ma carte de visite la phrase de Jean Cocteau, "La matin ne pas se raser les antennes". Ensemble, c'est encore mieux.
Lorsque j'enregistre je suis dans un état second. J'entrevois ce que nous avons fait au mixage et je le découvre véritablement lorsque je le mets en ligne. C'est ce qu'on appelle partager, avec mes invités d'abord, avec vous ensuite. Dans mon métier, dans ma vie, c'est ce que j'aime le plus.

→ Birgé Palotaï Striffler, *** sur drame.org et Bandcamp

jeudi 9 juin 2022

Le masseur à toute épreuve


Possédant toute une panoplie d'instruments de torture soulageant mes douleurs vertébrales depuis que je poussai mon premier grand cri japonais en 1983 à ne pas me relever, toute nouvelle acquisition prouvant son efficacité est une bénédiction scientifique aux pouvoirs magiques. J'ai déjà répertorié ici la plupart des articles concernant mon dos fragile. Il y a six ans, la construction du sauna infra-rouge, dont je profite des bienfaits chaque matin, m'avait permis d'abandonner quasiment toute prise de drogue. Or, depuis que j'ai décidé de me remuscler, je fréquente un centre de sport en bas de la rue. Cela me coûte 40 euros par mois avec une demi-heure de coach personnel hebdomadaire. Celui-ci m'a conseillé d'utiliser un pistolet de massage, outil longtemps réservé au milieu hospitalier. J'ai choisi la marque de référence, les utilisateurs se plaignant des pannes des modèles économiques chinois. Le Theragun (modèle Prime, le plus simple - désolé pour le nom qui peut sonner agressif !) a l'avantage de posséder une poignée triangulaire facilitant l'accès à toutes les zones du corps et une application smartphone le contrôlant en Bluetooth si besoin. Or le résultat est tout bonnement époustouflant. Que ce soit en amont ou en aval d'un effort, l'effet est immédiat. Trente secondes ou une minute de ce marteau piqueur suffisent souvent à faire disparaître mes douleurs à la main (pouce à gâchette), au bras (tendinite), au cou (torticolis), au dos (mon ostéopathe me rassure, je peux même l'appliquer directement sur ma colonne vertébrale). L'objet a supprimé instantanément mes courbatures après notre randonnée de dix-huit kilomètres dans les Cévennes. Il a beau être lourd (il existe un modèle de voyage), où que j'aille je le glisse dans ma valise. J'adore ce genre de trucs magiques.

mercredi 8 juin 2022

Sun Ra continue à appeler la Terre


J'avais déjà signalé Space is the Place, le DVD du long-métrage de science-fiction très bizarre de John Coney avec Sun Ra, que m'avait indiqué Étienne Brunet, un cocktail black power et free jazz aussi ringard que fascinant.


Cette fois Gary May m'envoie ce clip d'un quart d'heure que j'ignorais, light-show psychédélique réalisé avec le synthétiseur visuel de Bill Sebastian, l'Outerspace Visual Communicator ! Inventé en 1978, l'instrument est équipé d'un doigt électronique et de 400 touches contrôlant couleurs, symétries et mouvements. Le "peintre" manipule ainsi ses rotations, compressions, zooms, etc.
Le clip a été réalisé au Mission Control de Boston en 1986 avec Sun Ra (claviers, voix) et son Arkestra : Ra-keyb (voix), Al Evans et Fred Adams (trompette), Tyrone Hill (trombone), Marshall Allen (sax alto), John Gilmore (sax ténor), Danny Ray Thompson (sax baryton), Eloe Omoe (clarinette basse), James Jacson (basson, percussion), Bruce Edwards (guitatre électrique), John Brown (batterie), June Tyson (voix, danse). Aux commandes de la réalité virtuelle : Michael Ray, Barday, Eddie Thomas (Thomas Thaddeus), Atakatune.


Vous connaissez probablement mon attachement au light-show qui marqua mes premiers balbutiements artistiques avant de rentrer à l'Idhec et de monter sur scène. Ma petite sœur Agnès et moi avions joué le rôle de mascottes de l'Arkestra au tout début des années 70. Assistant aux répétitions des Nuits de la Fondation Maeght en 1970, nous avons tout de suite été adoptés par le percussionniste Nimrod Hunt (Carl S. Malone) qui nous présenta au reste de l'Arkestra. Le contrebassiste Alan Silva, qui chez Sun Ra ne jouait que du violon coincé entre les genoux, taquinait ma petite sœur en évoquant la comédienne Agnes Moorhead. C'est seulement au bout d'un grand nombre de concerts que je réussis à interroger "le maître", comme l'appelaient tous les membres de l'orchestre. Il était, sinon, inapprochable, planant au-dessus de la mêlée comme un être déplacé, on dira littéralement sur une autre planète ! C'est à cette époque que je mis en contact Alan et le saxophoniste Frank Wright que j'avais rencontré chez Giorgio Gomelsky (l'impressario des Rolling Stones !) et qui ignorait sa récente arrivée sur le sol français. Avec le batteur Muhammad Ali et le pianiste Bobby Few ils allaient former le quartet de free jazz le plus puissant et le plus présent de la scène parisienne.
Sun Ra et Harry Partch marquèrent certainement les deux chocs orchestraux de mon adolescence.

mardi 7 juin 2022

Ratatouille


Première ratatouille de la saison. Légumes français pour privilégier les circuits courts. Ensuite j'ai plongé les herbes que j'avais sous la main (persil, romarin, laurier, shizo, basilic, tito, citronnelle...). Je n'ai pas pu m'empêcher de rajouter des ingrédients du bout du monde (soja soupe aux algues japonais pour saler, poivre sansho, poivre long de Java, sirop d'érable canadien). C'était le plat de célibataire que je cuisais pour la semaine lorsque j'avais vingt ans. Je préfère encore le partager. Fondu tendre et courtois.
Aujourd'hui, pour mes invités, je suis de près la recette de potiron croustillant avec crème aigre que j'ai trouvée dans le Plenty d'Ottolenghi. Avec la violoniste allemande Fabiana Striffler et le guitariste hongrois Csaba Palotaï, les thèmes de nos improvisations seront constitués de recettes de cuisine apportées par chacun/e. Nous n'aurons pas le temps de toutes les jouer tant notre gourmandise nous a fait rêver en amont. Fabiana suggère des plats typiques de son pays : Blutwurst, Götterspeise, Rollmops, Kalter Hund, Strammer Max, Bienenstich, Herrgottsbscheißerle. Csaba prend l'avion : Un café serré à Rome à 4 h du matin juste avant l'aube sur un toit-terrasse, Màkostészta, Töltött paprika, Tacos à Mexico City dans le quartier Coyoacan, Hot Dog à Times Square. De mon côté, j'ai choisi mes hits que les habitués de la maison connaissent bien, Ail noir (il y en aura à table), Sorbets et crèmes glacées (je ne peux pas m'en passer), Phở (et ses infinies variations, contrairement aux restaurants que nous fréquentons et qui ont formaté l'offre), Mon pâté de foie (ma fille dit qu'il est aussi bon que du foie gras) et la devise de la famille, Manger avec quelqu’un qui n’a pas d’appétit c’est discuter beaux-arts avec un abruti. Vous pourrez savourer ces mets sonores et trébuchants dans quelques jours, dès que l'album *** sera en ligne sur drame.org, en écoute et téléchargement gratuits comme les 89 précédents !

lundi 6 juin 2022

Marteau Rouge & Haino Keiji à Luz


Le rock, c'est quoi ? De l'énergie pure, des instruments électriques, la puissance des kilowatts, une musique de groupe, des références mythiques ou mythifiées, la défonce, le sexe et pas mal d'autres références qui me reviennent au fur et à mesure que j'écoute le concert du trio Marteau Rouge avec le guitariste japonais Haino Keiji au Festival Jazz à Luz. Ce 13 juillet 2009 méritait bien un feu d'artifice. J'ai attendu le moment où je pourrais pousser les enceintes pour écouter le CD qui vient de sortir sur Fou Records, la label de Jean-Marc Foussat qui joue ici du Synthi VCS3 et des jouets, plus électroacoustique qu'électronique, jusqu'à sonner les cloches pour calmer les passions le temps de quelques notes. À gauche le guitariste de Marteau Rouge, Jean-François Pauvros, penché sur son engin, archetant, griffant, frappant. À droite, Hanno Keiji, comme lui paroxystique jusqu'au risque de se casser les cordes, métal ou vocales, parce que tous les trois poussent parfois les leurs dans l'extase que produit le trop plein de distorsions et de larsens. Le batteur Makoto Sato, un autre natif du soleil levant, structure les improvisations en martelant ses fûts, grave. La musique de Marteau Rouge ressemble à l'évocation d'un temps révolu, quand nous étions gamins à la fin des années 60, cherchant à reproduire en son les émotions lysergiques qui nous faisaient voir le monde au travers d'une lunette kaléidoscopique. Dans La pensée sauvage Claude Lévi-Strauss parlait de cet "instrument qui contient des bribes et des morceaux, au moyen desquels se réalisent des arrangements structuraux". Les éclats s'agrègent en tableau de lave. Devant tant d'énergie, on peut aussi bien se laisser aller à la méditation comme trembler ivre sur la piste de danse. Ce maximalisme finit par basculer et ressembler au minimalisme en vogue. Aujourd'hui on parlerait de noise ou de drone. En tout cas, c'est le genre de musique sportive qui vous met la tête à l'envers.

vendredi 3 juin 2022

Etumos, le vrai de l'étymologie


Je tombe "par hasard" sur ce billet du 26 décembre 2009. J'ignore où j'en étais, mais je crains de savoir où j'en suis. Faut bien remonter le manche, quel branque ! C'est ça : le branquignol remonte ses manches, la sueur au front, le cœur à l'ouvrage. Connaissez-vous de meilleures issues ?

Avancer vient d'avant alors que le futur est visé. Pour progresser on règle bien ses comptes avec le passé. L'étymologie recèle l'énigme du sphinx, le viager. Dans la marche vers la mort, que l'on appelle la vie, l'avant s'oppose au cul. Régresser c'est reculer. Dans ce cas, on fait des boucles, on fait des nœuds à s'en prendre les pieds dedans. La chute est assurée. Le règlement repousse l'échéance. Un coup de dé fait trébucher, transformant la marche en déchéance. Un autre montre la voie, mais aucun n'abolit l'arabe az-zahr signifiant dé. D'un côté les rencontres, de l'autre la détermination, mais avant cela, l'origine, l'orient !
En regardant derrière soi, on aperçoit les failles du passé, deux lèvres qui font fracture, l'origine du monde. Devant, l'occident fait tomber le soleil derrière l'horizon. La nuit. D'autres bornes indiquent le chemin.
Rien n'est jamais joué, même si tout est écrit.
L'interprétation est la clef.

jeudi 2 juin 2022

Coup de bambou


Il y a parfois des moments difficiles où les évènements vous échappent, où les choses se dérobent sous vos pieds, alors qu'on pensait que tout roulait comme sur des roulettes. Les miracles comme les catastrophes n'arrivent jamais d'où on les attendait. C'est le sel de la vie, le nectar des surprises. Rien n'est jamais acquis. Passé le choc de l'annonce, inattendue, j'ai toujours tenté de prendre les revers de fortune de manière expérimentale. À l'école de la vie on ne finit jamais d'apprendre. L'exercice consiste à se raccrocher aux branches, fussent-elles rameaux. Les bambous plient sous la pluie, sous la neige, dans le vent, et tant qu'il y a des larmes ils grimpent vers le ciel. Ils ne sont pas seuls. Toutes les plantes participent à cette élévation sous les rayons qui donneront leur miel. Que mes oreilles sont chaudes ! Je pensais tenir une musique nouvelle, elle s'étouffe d'elle-même. Miser tout sur le zéro peut déclencher la chute ou la résurrection. On fait la vaisselle, on abîme son corps pour recouvrir ce qui donne le vertige d'une nappe de sang. La loi des cycles dessine une sinusoïde où les bonnes nouvelles suivent les mauvaises, mais cette oscillation est à double tranchant lorsqu'intervient la réciproque. L'élixir allégorique empêche de se répandre. Rester flou n'implique personne d'autre que moi, sans entrer dans des détails qui relèvent de la psychanalyse, à commencer par celle que je n'ai jamais entamée. Penser aux autres, partout, tout le temps, c'est jouer les avant-centre. Car l'équipe gagne, me sauvant chaque fois du naufrage. Pas d'inquiétude, siouplez. La retraite échappe à l'influence par un jeu de transformations qui restera à jamais énigmatique. C'est bien comme Ça.

mercredi 1 juin 2022

Les pieds


Un jour qui déraille... Un jour comme un autre, chantait Brigitte Bardot, et Bernard l'accompagnait au bugle...
Après avoir hésité à publier un ancien article en le réactualisant comme je le fais de temps en temps, pensant que mes lecteurs/trices d'aujourd'hui ne sont pas ceux/celles d'hier, et quand bien même, ils/elles l'auront oublié, j'ai repensé à ma journée d'hier. Mon accoutrement était heureusement pas celui de la photo (prise le jour de l'acquisition de ces superbes chaussures il y a quelques semaines), photo que j'ai retrouvée tout à l'heure tandis que je cherchais un sujet d'article avec quelque lassitude. M'imposer cette discipline de publier sans faille quotidiennement m'interroge parfois. J'imagine que si j'y dérogeais je risquerais de m'arrêter pour toujours. Reparti d'un bon pas, j'ai pensé que mon aventure cycliste de midi m'avait fait les pieds. J'avais pourtant entamé la journée au centre de sport en bas de la rue avec le rameur et l'elliptique. Rentré tout de même un peu crevé, j'avais enfourché ma bicyclette, qui heureusement ne l'était pas, pour aller faire des emplettes coréo-nipponnes rue Sainte Anne. J'y trouvais tout ce dont j'avais besoin, différentes sauces de soja (celles qu'on trouve dans les magasins français ne leur arrivent pas à la cheville), des huiles (sésame noir, shizo), vinaigres (noir aussi, kaki et aiguilles de pin), des farines (riz gluant, soja grillé, patate, tapioca), pâtes soba et udon, ainsi que diverses préparations épicées (calamars crus, anchois séchés, feuilles de shizo, salade sauvage, etc.). Mes deux sacoches remplies à bloc pesant bien 35 kilos, ma chaîne sauta lorsque je passais sur le petit moyeu, celui qui permet de rentrer vite au bercail. Manque de chance, je n'avais avec moi aucun outil pour démonter le garde-boue et je tentai le tout pour le tout en mettant les mains dans le cambouis. Mettre les mains dans le cambouis est l'expression que j'utilise habituellement pour exprimer que, compositeur, j'aime me frotter à mes instruments. Réussissant par je ne sais quel miracle (car je ne suis pas bricoleur pour un sou) à réparer l'engin, j'avais les mains si grassement noires qu'une jeune femme qui prenait sa pause déjeuner devant son bureau eut la gentillesse de me proposer de l'eau et du savon. Je repartis d'un bon pied en pensant que j'avais eu du nez de me vêtir simplement ce matin-là. Il n'empêche que, ainsi chargé, la rue de Ménilmontant participa à mon rêve d'amaigrissement. Arrivé à bon port, il me restait à me détendre le dos que ma gourmandise avait forcément mis à contribution. Direction planche à clous dite tapis à fleurs. La journée était loin d'être terminée, je n'étais pas au bout de mes peines, mais cela c'est une autre histoire.