70 novembre 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 28 novembre 2014

Ce soir un coup de dés jamais n'abolira le hasard


De quelle musique s'agit-il ? Personne ne le sait. Si les musiciens n'en ont pas la moindre idée, comment le public pourrait-il l'imaginer ? Pour celles et ceux qui me connaissent, rien de surprenant à jouer la surprise. Aucun concert ne ressemble au précédent. Quant à mes deux comparses, leur réputation de performeurs explosifs n'est plus à faire. Médéric Collignon chante avec des lames de rasoir dans la bouche ; rassurez-vous, c'est une image. Mais son jeu de trompette peut être des plus suaves. Tendre et cruel, réel et surréel, dirait Pierrot. À force de tordre sa guitare Julien Desprez l'a transformée en montre molle. Son jeu virtuose semble courir sur les abscisses et les désordonnées. C'est carré comme une tête sans les bosses. Pourtant ce soir ils devront se plier aux injonctions des cartes tirées par le public. Celles du jeu inventé par Brian Eno et Peter Schmidt dicteront les ambiances, susciteront des histoires sans paroles, et pourtant... Allez savoir comment nos lascars interprèteront les cartes ! Les consignes de jeu ne sont pas des contraintes, mais elles nous renvoient aux questions que chaque compositeur devrait se poser avant de se mettre à l'ouvrage. Quant à celles et ceux qui ont choisi l'instantanéité ils marchent sur un fil tendu entre la salle et la scène, s'enroule autour de l'orchestre pour les lier comme on lie une sauce, doucement, avec l'amour du cuisinier, à petit feu. Enfin je n'en sais rien, peut-être faudrait-il craindre l'incendie ? J'ai apporté des allumettes en plus de deux claviers et de toute une panoplie d'instruments bruiteurs. De quoi souffler dans le micro. Si vous n'aimez pas les sentiers battus, changez vos projets pour ce soir, oui pour l'inouï venez au Triton à 20h. Nous jouons dans la nouvelle salle, celle qui se partage entre la fosse et le balcon plongeant...

Vendredi 28 novembre à 20h
Le Triton, 11 Bis Rue Coq Français, 93260 Les Lilas (Métro Mairie des Lilas) - Évènement FaceBook


Si le poème typographique de Stéphane Mallarmé a certainement influencé notre travail, ce n'est pas du tout le texte qui sera joué ce soir ! Nos cadres sont beaucoup plus prosaïques...

jeudi 27 novembre 2014

L'oracle DigDeep vous répond par un film muet


Après des mois de travail l'oracle DigDeep conçu par Sonia Cruchon et publié par Les Inéditeurs sort enfin sur iTunes. DigDeep est un oracle contemporain puisant ses réponses dans des extraits de films. À la différence de l’astrologie ou de la divination en ligne, DigDeep invite à chercher en soi l’interprétation de ses réponses. On peut l’interroger en pensant fort à sa question, en l’enregistrant vocalement ou en l’écrivant. DigDeep permet de garder une trace des tirages réalisés, de prendre des notes, ou encore de les envoyer par mail. Mikaël Cixous en a réalisé le graphisme, Mathias Franck l'a programmé et j'en ai composé la musique et l'interface sonore. Les films sont tous extraits des archives de la collection Prelinger.
DigDeep vous aide à y voir plus clair en regardant au fond de vous-même. Il vous donne des pistes de solution, des chemins à prendre, des réponses à vos questions. Mais vous ne y trouverez que ce que vous y mettez… Alors prenez le temps, concentrez-vous pour interroger l’oracle, isolez-vous au besoin. Soyez présent et ouvert à vous-même.


N’hésitez pas à partager vos retours d’expériences sur la page Facebook des Inéditeurs, ou sur l’AppStore. Il existe aussi une version anglaise. Tout cela pour 1,79 € une fois pour toutes ! Et même une page dédiée...

mercredi 26 novembre 2014

Chansons imprévisibles


Entre les concerts du lundi 10 et du samedi 15 il y avait un jeudi 13. Linda Edsjö partie sous d'autres cieux, nous y avons consacré une séance de studio en duo, la chanteuse Birgitte Lyregaard et moi. Pas question de continuer à tirer les cartes, d'autant que j'avais encore samedi 28 avec Médéric Collignon et Julien Desprez pour Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Alors nous nous sommes lancés sans filet, sans épuisette, sans rien dire, ni avant ni pendant. Après, nous n'avions plus de temps. Il pleuvait. Birgitte a chanté des mélodies plutôt nordiques, improvisant en anglais, en français ou en danois. Elle s'est juste souvenue des paroles qu'Alan Jay Lerner avait écrites pour My Fair Lady. Sinon, elle invente à brûle-pourpoint des histoires de vampire sans dents, de grenouilles dans le brouillard, d'un drôle de petit poisson ou de parapluies. C'est de saison. Pas de lézard. J'ai réduit mon instrumentation à un clavier, mais les possibilités offertes par les instruments virtuels sont infinies. Les mélodies se sont imposées d'elles-mêmes. J'ai tenté de suivre en courant devant. Deux heures plus tard, c'était dans la boîte.
Chansons imprévisibles est le 59ème album en ligne, écoute et téléchargement gratuits, et mon sixième avec le rossignol copenhagois. La presse papier continue de faire la sourde oreille. Je n'y vois pourtant que du feu. Sept chansons du fond du cœur...

mardi 25 novembre 2014

Rise People, Rise !


Soirée électrique au Nouveau Casino dimanche dernier avec les rockers français Rise People, Rise ! qui assuraient la première partie autrement plus variée que les Gallois Future of The Left en tournée européenne et dont le hard punk déjanté est marqué par la musique traditionnelle de l'ouest de la grande île, sortes de Pogues hurlant à fond la caisse sur des tempi du diable.
En fait, "captivé" par la conversation avec l'ami canadien Atom Egoyan en marathon promotionnel pour la sortie de son nouveau film, je suis arrivé juste à temps pour Rise People, Rise !, n'assistant qu'à la prestation (d)étonnante des trois Français, power trio dont la puissance de frappe n'écrase jamais la richesse des timbres. Le bassiste Fred Talbot assure la stabilité vrombissante de la machine de guerre tandis que les chorus du guitariste Johan Toulgoat, plus teintés de West Coast héroïque que de pop british, développent les mélopées du chanteur-batteur Lucas de Geyter, tête chercheuse de l'orchestre. Pour leur Rise-Rock ou Heavy Art-Punk comme ils se définissent avec peine, Lucas joue des changements de tempo et de rythmes, tranchant dans le lard, hurlant des vers revendicateurs en anglais d'une voix dont le style pourrait évoquer Scott Walker si le crooner américain avait commencé jeune ses inaltérables hymnes effilés.
C'est peut-être par cette utilisation de la langue anglaise que le bât blesse. Éternelle question chez les rockers européens. Chanter en anglais banalise ici leur démarche pourtant originale qui se revendique de la transe du Post-Punk avant-gardiste, du Métal, des blousons noirs, de Brecht et du Baroque. Leur appel à l'insurrection tombe à plat si l'on comprend mal les paroles. Pire, s'inféoder à la culture anglo-saxonne lorsque l'on se réclame d'un futur révolutionnaire est une erreur politique. Du moins lorsque ce choix est exclusif. Car on peut parfaitement imaginer que des musiciens de cette envergure, capables d'autant de diversité, de rage et de cohésion, auraient tout à gagner à chanter en français. La place vacante laissée par Noir Désir est à prendre. Et cela commence à faire long !

lundi 24 novembre 2014

Birgé-Collignon-Desprez vendredi soir au Triton


Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Je n'ai jamais joué avec le trompettiste-chanteur Médéric Collignon ni avec le guitariste Julien Desprez. Si nous n'avons pas répété une seconde, nous avons déjeuné ensemble, mais jamais tous les trois réunis. Il est plus important de connaître l'intimité des contextes de chacun que de se figer dans des relations professionnelles où les rôles sont fixés à l'avance. La quatrième version de cette acrobatie musicale se tient donc vendredi soir à 20h dans la nouvelle salle du Triton aux Lilas. Les thèmes de nos compositions instantanées, appelées communément improvisations, sont tirés au hasard par le public d'après le jeu de cartes inventé en 1975 par Brian Eno et Peter Schmidt.
En mars dernier j'avais inauguré l'opération en studio avec la pianiste Ève Risser et le flûtiste Joce Mienniel pour l'album Game Bling (en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org). Ce mois-ci je réitérais l'expérience à Radio France pour l'émission À l'improviste et à l'Atelier du Plateau avec la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard et la vibraphoniste Linda Edsjö. La sensibilité de chacune ou chacun colore les interprétations de manière extrêmement différente. Les cartes ne sont pas censées fabriquer des contraintes, mais ouvrir vers de nouvelles perspectives. Il y en a plus d'une centaine dans le paquet. Leur lecture est chaque fois transformée par les pièces précédemment jouées.

N.B. : D'habitude je préviens le jour du concert, mais comme c'est la dernière d'une série et que les réservations sont un peu timides je préviens cette fois quelques jours à l'avance pour que vous ayez le temps de vous retourner ;-)

vendredi 21 novembre 2014

Chris Ware Building Stories


À l'approche de Noël les beaux livres s'affichent dans les vitrines. Après La nouvelle encyclopédie de Masse et Outside, quand la photographie s'empare du cinéma, le coffret Building Stories de Chris Ware traduit en français et publié par Delcourt séduira les amateurs de bande dessinée et de livres-objets les plus exigeants. Je me le suis offert pour mon anniversaire et suis loin d'en avoir fait le tour ! Chris Ware a marqué tous les étudiants en art avec le multiprimé Jimmy Corrigan (1995-2000), un petit livre très épais nécessitant de bonnes lunettes pour en apprécier tout le suc. Le grand format ACME (2007, toujours chez Delcourt) m'avait tout autant enthousiasmé par la précision du dessin et l'enchevêtrement des narrations.
Building Stories enfonce le clou en laissant le lecteur tracer son chemin parmi les 14 fascicules de tailles différentes contenus dans le grand coffret cartonné. Libre à chacun de construire le récit de la vie de cet immeuble où les questions familiales peuvent sembler étouffantes. Chris Ware raconte ses histoires de manière morcelée, souvent énigmatiques, comme des séances de psychanalyse. Au troisième étage la locataire est une femme qui a perdu une jambe dans son enfance lors d'une promenade en bateau. Au second un couple passe son temps à se chamailler et au premier réside la propriétaire âgée. La femme du troisième revoit sa vie, se considérant comme une artiste ratée, devient mère, desperate housewife regrettant son premier amour qui l'a quittée après un avortement. L'histoire est évidemment beaucoup plus complexe et abracadabrante, marquée par l'influence de Marcel Duchamp et de sa Boîte-en-valise, construction savante de pertes qui me rappelle la sublime introduction de l'opéra Lost Objects de Bang on a Can. Perte de foi, perte d'amour, perte d'argent, perte de poids, perte d'un membre, perte de mémoire, perte de sens...
Chris Ware rejette les tendances actuelles de la bande dessinée trop influencée à son goût par le cinéma et le roman-photo. Ses cadres sont dictés par la typographie. Ses narrations sont circonlocutoires, souvenirs reconstruits d'une époque à moitié oubliée. Le rêve y est aussi réel que les faits. Seul vaut leur interprétation. Chris Ware préfère se référer à Windsor McKay, Joseph Cornell et aux comics des années 50 pour avancer dans son œuvre si méticuleuse qu'elle peut paraître froide avant que l'on y pénètre sérieusement. Comme Crumb avec sa collection de 78 tours de vieux blues il vit dans le monde musical des ragtimes qui marquent la structure angulaire de son jeu de cubes. Cette nostalgie du temps passé résonne avec sa quête généalogique qu'il recompose dans une forme résolument contemporaine. Pathétique, son humour est forcément pince-sans-rire.
Building Stories est à double sens. Ce sont les histoires d'un petit immeuble livrées au lecteur pour qu'il se les construise à sa guise. C'est au nombre de ses interprétations que se révèle un chef d'œuvre.

→ Building Stories, Chris Ware, Delcourt, 69,50€

jeudi 20 novembre 2014

*di*/zaïn 18 à l’Imaginarium de Tourcoing


Ce jeudi soir je présente quatre des productions des Inéditeurs à l'Imaginarium de Tourcoing. La plasticienne Marie Lelouche, les graphistes Malte Martin, Stefan de Vivies, Nicolas Millot, les designers d'animation Fafah Togora & Sephy Ka participent également à ce *di*/zaïn 18 organisé par les Designers Interactifs. La soirée est retransmise en direct sur Dailymotion à partir de 19h. Chaque présentation dure 10 minutes et je passe en dernier !
Après La machine à rêves de Leonardo da Vinci que j'ai créée avec Nicolas Clauss et mon second roman augmenté USA 1968 deux enfants, paraît enfin DigDeep, l'oracle imaginé par Sonia Cruchon. Je présenterai aussi Boum (ex Au boulot), roman graphique horizontal de Mikaël Cixous qui vient de recevoir la Bourse Pollen du Salon du Livre de Jeunesse de Montreuil.
Les quatre œuvres ont toutes été conçues pour iPad, ce qui facilitera les connexions ! Si je suis l'auteur de deux des applications, mes compétences sonores et musicales sont sollicitées pour l'ensemble, y compris les futurs projets en cours en collaboration avec d'autres créateurs. Composition musicale interactive pour cordes (avec entre autres le violoncelliste Vincent Segal) sur La machine à rêves, films et inserts audio de USA 1968 jouant des pauses au sein du récit romanesque, habillage sonore discret de DigDeep, sonorisation interactive de Boum, mes interventions sont toujours différentes, appropriées à la variété des œuvres audio-visuelles éditées. Chaque publication des Inéditeurs débute avec une couverture interactive : couvercles grinçants de Leonardo, light-show d'USA, glissements symphoniques de l'oracle, etc. Dans le passé j'avais raconté Alphabet, Machiavel, Nabaz'mob, Fluxtune, Leonardo... Voulant montrer quelque chose de récent, j'ai choisi les productions des Inéditeurs, la collaboration avec les Éditions Volumiques étant encore trop embryonnaire et la sonorisation des films 3D de Platform essentiellement hyper-réaliste. Quant aux transports du Grand Paris je suis contractuellement tenu au secret ! Pour le reste des évènements se reporter à la colonne de droite...

P.S. : j'interviens à 1h25 du début de l'émission mise en ligne sur DailyMotion !

mercredi 19 novembre 2014

Cutie and The Boxer


Après une projection devant les étudiants de Harvard de Baiser d'encre, le nouveau film de Françoise Romand, le festival Tribeca évoque un cousinage avec celui de Zachary Heinzerling consacré aux peintres Ushio Shinohara et sa femme Noriko Shinohara qui vivent à Brooklyn. La caméra suit trop près les deux protagonistes sans laisser d'air, mais Cutie and the Boxer sont aussi attachants que la famille d'Ella et Pitr. Au jeune couple d'artistes et leurs deux enfants répond celui âgé des deux Japonais (coïncidence des origines nippones de Loïc dans le film de Romand). Laissons de côté la fantaisie partagée de ces vies d'artistes et apprécions l'insatiable espièglerie de Cutie (Noriko) et Bullie (Ushio) qui continuent à tirer le diable par la queue.


Ushio, 82 ans, a beau être reconnu, il ne vend pas assez. Considéré comme un néo-dadaïste, influencé par le photographe Shōmei Tōmatsu, par les comics et le jazz, il réalise de grandes toiles en dansant avec des gants de boxe enduits de peinture. Noriko, son épouse, 61 ans, dessine leur quotidien new-yorkais avec beaucoup d'auto-dérision. Animés, ses croquis donnent au film son côté arty. Critique, elle se moque de son mari, alcoolique macho qui la considère trop souvent comme son assistante. Leur grand fils qui vit toujours avec eux peint également, mais l'univers familial semble avoir pesé lourdement sur lui. Face à leurs difficultés financières et à leur indéniable authenticité se révèlent le monde de la peinture, sa hiérarchie sexiste, sa superficialité mondaine, sa brutalité sociale. Qu'importe ! Passé les dures contraintes du quotidien dans leur maison louée qui prend l'eau, Cutie et The Boxer continuent de s'amuser comme des enfants, lui sculptant ses motos de rêve en carton, elle croquant sans pudeur leur intimité... Les images d'archives contribuent à plonger leur travail dans une perspective qui interroge la persévérance et la solidarité, qualités indispensables à la vie d'artiste.

mardi 18 novembre 2014

Outside, quand la photographie s'empare du cinéma


En 1953 un couple de photographes américains, Morris Engel et Ruth Orkin, rêve d'appliquer leurs méthodes de reportage à un tournage cinématographique de fiction. Pour ce faire, Engel commande à Charlie Woodruff une petite caméra 35mm discrète pour filmer sans être remarqué. Les passants deviennent les figurants involontaires et documentaires d'une histoire jouée par des comédiens amateurs. Engel et Orkin ont toujours aimé photographié des enfants. Little Fugitive (Le petit fugitif), également cosigné avec le scénariste Raymond Abrashkin dit Ray Ashley, conte l'aventure d'un garçon de sept ans errant seul tout un week-end à Cosney Island, parc d'attractions mythique au sud-ouest de Brooklyn. Sa fugue est le fruit d'un mauvais tour de son grand frère qui tente de le retrouver au milieu des manèges et sur la plage avant le retour de leur mère. Le système d'accroche de la caméra, préfigurant la steadicam, évite l'utilisation du pied et donne au tournage une fluidité qui inspirera John Cassavetes pour Shadows. Stanley Kubrick et Jean-Luc Godard essaieront sans succès d'acquérir l'objet, et François Truffaut déclarera que la Nouvelle vague n'aurait jamais eu lieu si Morris Engel ne leur avait pas montré la voie... De même que l'invention des tubes en plomb bouleversa l'histoire de la peinture en permettant de sortir peindre sur nature, la technique d'Engel révolutionna le cinéma indépendant des deux côtés de l'Atlantique. Le son était enregistré séparément. Avec On The Bowery de Lionel Rogosin qui a de nombreux points communs, Little Fugitive est le plus extraordinaire témoignage de la vie new-yorkaise des années 50. Engel tournera deux autres films selon les mêmes préceptes, Lovers and Lollipops (1956) que Ruth Orkin cosignera et montera également, et Weddings and Babies (1960). Son film en couleurs sur les hippies, I Need a Ride to California (1968), reste jusqu'ici inédit.
L'éditeur de DVD Carlotta publie un magnifique album bilingue de photographies, intitulé Outside, reprenant les images-clés du parcours photographique et cinématographique du couple Orkin-Engel. Stefan Cornic y montre l'influence de la street photography sur le cinéma. Tout au long des 214 pages grand format s'affichent les rues de New York, témoignage vivant d'une époque révolue. Les photographies du couple expriment une grande tendresse pour leurs modèles, personnages d'un monde en transition où les incertitudes se lisent sur les visages.

lundi 17 novembre 2014

La nouvelle encyclopédie de Masse


Si vous cherchez une bande dessinée dont le dessin, le texte et le scénario sont originaux, entendre qu'il ne ressemble qu'à lui-même, Francis Masse est l'égal de Chris Ware, Joost Swarte ou Art Spiegelman. Si vous cherchez un ouvrage qui ne se lit pas en dix minutes, mais que l'on prend le temps de savourer tant la densité intellectuelle est au niveau de son humour et que les images sont si soignées qu'on y passerait des heures, les Éditions Glénat (coll. 1000 Feuilles) viennent de publier la Nouvelle Encyclopédie de Masse. Si l'artiste fait déjà partie de votre panthéon, sachez que presque tout est nouveau dans ce grand livre de 312 pages. Masse a redessiné les planches, réécrit les dialogues, ajouté quantité d'inédits, inséré de magnifiques photographies couleurs de ses sculptures métalliques, et son œuvre n'en apparaît que plus incontournable dans le paysage graphique français. Passé par Métal hurlant, (À suivre), Actuel, Hara Kiri, Charlie Hebdo, L'Echo des Savanes et Fluide glacial, il m'enchante depuis 40 ans jusqu'à m'avoir inspiré dans ma propre musique.
Chez Masse l'absurde réfléchit la réalité de la science, domaine poétique des questions sans réponse, humour des chercheurs, précision des rêveurs. S'il aborde de manière inimitable les grandes questions de l'humanité, cosmiques et métaphysiques, sociales et philosophiques, scientifiques et artistiques, son regard est toujours décalé, comme s'il nous regardait depuis une autre planète. Si nous marchons sur la tête, Masse retourne le cadre et croque ce qu'il aperçoit dans son périscope à l'envers. À coups de hachures et de traits noirs ils dessine des personnages à gros nez immergés dans des gravures rappelant Gustave Doré ou Pierre-Jules Hetzel. Les entretiens pataphysiques évoquent d'ailleurs la MRE., Macro-Rhino-Épistémologie. Avec le tome 2 : n-z qui paraîtra le 7 janvier 2015 vous tiendrez entre vos mains la somme indispensable à toute encyclopédiste digne de ce nom, barjitude oblige ! Il ne manque que les films d'animation dont je n'ai plus qu'un vague souvenir ; j'avais été emballé comme un cadeau de Noël, avec le ruban et les battements de cœur précédant la découverte de l'inconnu...


Parallèlement, L'Association édite Elle, petit fascicule de 90 pages où Masse semble rendre hommage à Copi, autre adepte de la MRE. Un petit bonhomme à béret emprisonné par son fauteuil le détourne de cent façons pour évoquer sa condition d'assassin présumé...

vendredi 14 novembre 2014

Birgé-Edsjö-Lyregaard à l'Atelier du Plateau samedi soir


La chanteuse danoise Birgitte Lyregaard est rarement à Paris. C'est une occasion exceptionnelle de l'entendre, dans d'excellentes conditions et pour un spectacle irreproductible. En effet, si vous avez adoré le concert de lundi à Radio France celui de demain soir à l'Atelier du Plateau sera totalement différent puisque les thèmes des pièces sont tirés chaque fois au hasard devant le public, grâce au jeu de cartes inventé par Brian Eno et Peter Schmidt. Ensuite nous improvisons, terme que j'ai toujours préféré remplacer par "composition instantanée" puisqu'il s'agit de réduire au maximum le temps entre composition et interprétation. Dans ce cas de figure c'est vraiment de l'acrobatie ! Et puis, si vous avez raté lundi il est encore temps de vous rattraper, car il reste quelques places.
Pour cette deuxième représentation de Un coup de dés jamais n'abolira le hasard j'ai donc invité Birgitte Lyregaard et la percussionniste suédoise Linda Edsjö qui jouera essentiellement du vibraphone et du marimba. De mon côté je serai au clavier entouré de drôles de machines tels le Tenori-on qui produit de la lumière lorsqu'on le programme ou le H3000 qui transforme les sons et les voix en temps réel. Comme j'aime le mélange des sons acoustiques et électroniques je serai susceptible de me servir de ma trompette à anche, de flûtes, guimbardes et d'autres petits objets sonores. Les cartes en décideront !
À l'Atelier du Plateau la proximité du public crée une intimité dont nous pourrons jouer allègrement. D'autant que l'accueil est chaleureux, la cuisine excellente (oui, on peut y manger) et l'ambiance quasi magique.

À 20h, Atelier du Plateau, 5 rue du Plateau, 75019 Paris - 01 42 41 28 22 - entre 6 et 12 € selon l'âge et les éventuelles réductions... Évènement FaceBook

Photo © Christian Taillemite

jeudi 13 novembre 2014

Effacé


Oups, la gaffe ! Il m'arrive d'écrire un article maladroit, heureusement pas souvent. J'ai effacé celui de cette nuit qui mettait en difficulté des personnes que j'aime beaucoup. Je l'avais rédigé en toute solidarité, mais les luttes impliquent parfois des stratégies dont je ne suis pas au fait. Le blog a l'avantage et l'inconvénient de faire circuler très vite les informations, mais il autorise aussi les corrections. Dans ce cas c'est moi qui la reçoit ! Les nuages dessinent alors deux visages. Le premier faisait le finaud, le second est tout penaud.

mercredi 12 novembre 2014

Peine d'oreillers


Pas de jour férié. Pas de dimanche non plus lorsque le travail se confond avec la passion. Après le concert d'hier soir où j'ai perdu un kilo sans m'en rendre compte et que je risque de reprendre de la même manière, j'ai testé les appareils qui m'avaient fait des misères. Tout était en ordre. Mystère. Je suis allé essayé mes prochaines lunettes, des Clic que je garderai presque tout le temps autour du cou. Le magasin longeant le marché de Romainville, j'ai acheté deux bars sauvages et un beau poulpe. C'est la première fois que j'en cuisine un. Après le massage tui na, le mien, pas celui du poulpe, j'étais définitivement lessivé, mais il fallait que j'envoie encore le mailing pour le concert de samedi prochain à l'Atelier du Plateau. Et ainsi de suite. Le 11 novembre m'apparaît aujourd'hui comme une journée honteuse. Comment peut-on fêter la victoire contre l'Allemagne près d'un siècle après, une guerre économique fondamentalement immorale qui permit de se débarrasser de la paysannerie en Europe, et en France en particulier, et de "mater les ambitions séditieuses de la classe ouvrière" (comme Hélène Collon me suggère de l'ajouter) ? Le Traité de Versailles fut de plus à l'origine de la montée de Hitler. Il n'y a même plus de survivant de 1918. Quand on pense à tous les pauvres gars qui sont allés au casse-pipe pour contenter les capitalistes d'alors... Ne pourrait-on pas remplacer cette commémoration par une autre, autrement plus juste ? Tout cela m'achève. Je devrais dormir, mais mon sommeil est découpé en tranches de saucisson et je ne sauve que ma peau. J'ai pensé aux oreillers de la plasticienne Safâa Erruas exposés à l'Institut du Monde Arabe pour Le Maroc contemporain, mais ils racontent quantité d'autres histoires, plus mouvementées que la mienne... Avant de monter nous coucher je m'aperçois que la chaudière s'est encore arrêtée, mais cette fois je suis incapable de la relancer. Plus d'autre choix que de me glisser sous la couette en espérant que le chauffagiste me réveillera aux aurores !

mardi 11 novembre 2014

André Abujamra travaille du chapeau


Gavés de musique anglo-saxonne sans perdre pour autant de vue la chanson française, nous passons souvent à côté de ce qui se joue sur les autres continents. Et lorsqu'ils sont évoqués, ce sont presque toujours les mêmes artistes à bénéficier des services de promotion des majors. De mon côté, ici et ailleurs, je suis toujours à l'affût de trucs brintzingues qui sortent de l'ordinaire. Lorsqu'on a commencé par Zappa et Beefheart en 1968, enchaîné illico avec Sun Ra et Harry Partch, exhumé Charles Ives et remonté l'Histoire de la Musique jusqu'aux percussions sur os de mammouth, on est forcément difficile à surprendre. Une découverte en entraîne souvent une autre. Il suffit de dérouler le fil comme une anadiplose pour que le collier de perles ne se referme jamais.
Pourtant je ne me souviens pas comment je suis tombé sur les Brésiliens de Karnak il y a vingt ans. Leur premier album était un incroyable melting-pot de pop, rock et de musiques du monde entier, polyglotte et hirsute. Le compositeur et chef d'orchestre André Abujamra, d'origine libanaise, y pratiquait le cut et l'ellipse comme personne, lançant chaque morceau sur une fausse piste avant d'attaquer des orchestrations aux combinaisons de timbres inédites sur des rythmes ébouriffants. Les alliages sont si inattendus que je risquerais une analogie avec la nouvelle cuisine, mais certainement pas à déguster assis. Au Brésil la danse est partout.


Internet offrant des ressources illimitées, j'ai récemment découvert les deux albums suivants de Karnak, Universo Umbigo (Le nombril de l'univers, 1997) et Estamos Adorando Tóquio (Nous adorons Tokyo, 2000), suivis des trois albums solos d'André Abujamra, O Infinito de Pe (2004), Retransformafrikando (2007) et Mafaro (2010) et précédé de Música e Ciência, réalisé avec son premier groupe, Os Mulheres Negras. Le documentaire O Livro Multicolorido de Karnak (2006) est un montage de leurs concerts entrecoupés d'interventions parlées délirantes. Les musiciens étant particulièrement aguerris comme chez Spike Jones, ils osent tous les outrages en pratiquant allègrement le pastiche, tordant le cou aux citations dont ils ne se privent pas, avec la tendresse indispensable de l'imitateur pour ce qu'il aime. Malgré les références aux nombreuses cultures de la planète glanées par Abujamra au cours de ses voyages, il réfute le terme de world music. L'arabe, le fārsi, le russe, le français, le créole, l'anglais, l'allemand, l'espagnol, le portugais, les chants Tuva, les accents outrés, les séquences parlées dessinent un atlas mondial dont le centre est São Paulo, un univers où le rythme fait loi. Si ses mélanges fortement épicés auront probablement inspiré Balkan Beat Box, La Caravane Passe et bien d'autres à sa suite, les compositeurs classiques avant eux n'ont jamais rechigné à jouer des arabesques et des espagnolades, ou à faire les pitres avec beaucoup d'esprit comme Rossini, Saint-Saëns ou même Schönberg. Doué pour mettre en ondes ces petites comédies musicales, André Abujamra a composé la musique d'une trentaine de films. On le retrouve aussi technoïde sous le pseudonyme Fat Marley avec l'intéressant New Old World : Future Sound (2002). Mais aucun album ne joue autant des ruptures et des effets dramatiques que le Karnak de Karnak, comme si on se gargarisait avec brut de brut !

lundi 10 novembre 2014

C'est ce soir, c'est gratuit, c'est génial !


J'insiste lourdement, mais c'est ce soir à 19h que nous mettons nos titres en jeu. C'est le cas de le dire puisque nous tirons les thèmes fictionnels ou conceptuels de nos improvisations d'après le jeu de cartes inventé par Brian Eno et Peter Schmidt. Mais en fait pas tout de suite, car nous jouons après le duo formé par la contrebassiste Joëlle Léandre et le percussionniste Jean-Pierre Drouet, première partie dont on peut imaginer qu'elle produira des étincelles... Quant à notre trio formé avec Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö on peut s'attendre à tout, donc à rien. "Ne rien faire" est d'ailleurs une des cartes du jeu ! Si nous tombons sur Sortez en fermant la porte, quitterons-nous le Studio 106 de Radio France ou devrons-nous interpréter dramatiquement ce verdict ? Le projet s'intitule Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Birgitte chante, Linda joue du vibraphone et du marimba, je fais comme d'habitude l'homme-orchestre avec ma panoplie d'instruments virtuels ou physiques. Ensemble nous comptons bien nous amuser (puisque les musiciens ont le privilège de "jouer") et faire partager au public nos élucubrations musicales. Il y a un évènement FaceBook, mais il faut réserver ou s'y pointer une demi-heure avant, mais attention c'est dans la limite des places disponibles.

vendredi 7 novembre 2014

Concert gratuit lundi 19h à Radio France, Studio 106 : Léandre/Drouet --- Birgé/Edsjö/Lyregaard


Pour lundi 10 novembre : réservez sur le site de la Maison de Radio France ou retirez vos places 1/2 heure avant l'enregistrement, porte B, l'entrée étant libre dans la limite des places disponibles. Le concert commence à 19h au Studio 106 avec un duo exceptionnel composé de la contrebassiste Joëlle Léandre et du percussionniste Jean-Pierre Drouet. Nous enchaînons en trio à l'occasion de cet "À l'improviste" d'Anne Montaron dont l'émission sera diffusée ultérieurement sur France Musique.

C'est pour nous la première d'une série de concerts que j'ai imaginés sous le titre Un coup de dés jamais n'abolira le hasard en référence au poème typographique que Stéphane Mallarmé écrivit en 1897, déjà cité sur le premier disque d'Un Drame Musical Instantané. Le concert de lundi prochain voit mes retrouvailles avec la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard et la percussionniste suédoise Linda Edsjö. Tous les trois avions créé La chambre de Swedenborg au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg en janvier 2012. Le déménagement de Birgitte à Copenhague avait écourté l'expérience merveilleuse de El Strøm, trio formé avec le multi-instrumentiste Sacha Gattino ; ensemble nous avions produit trois albums, improvisations libres de Sound Castle et Fresh 'n Chips, chansons de Fluctuat Nec Mergitur. Birgitte et Linda avaient enregistré de leur côté un délicat et séduisant album à partir des textes de la poétesse Inger Christensen intitulé Inger. Si j'évoque nos aventures musicales antérieures, je devrais souligner l'amitié qui nous lie, car l'exercice auquel nous allons nous livrer ne peut exister que dans la plus grande complicité et la plus franche camaraderie.

Notre trio tirera au hasard devant le public le sujet de nos improvisations grâce au jeu de cartes inventé par Brian Eno et Peter Schmidt. Quelques exemples qui ne seront probablement pas joués ce soir : Mettez l'accent sur vos défauts, Changez de vitesse, Soyez extravagants, Posez le problème en termes clairs, Résistez au changement, Soyez crades, Manque-t-il quelque chose ?, etc. L'improvisation n'est pas un genre. C'est ramener au plus court le temps entre composition et interprétation. Toute ressemblance avec des musiques existantes ne saurait être fortuite, mais la liberté d'inventer ne peut qu'initier des scénarios inouïs. Linda jouera du vibraphone, du marimba et des percussions, Birgitte sera notre rossignol polyglotte et je serai assis devant mon clavier entouré d'instruments électroniques et de quelques jokers acoustiques. J'ai sacrément la trouille !

Évènement FaceBook / Photo © Sonia Cruchon

P.S. : samedi prochain 15 novembre le trio sera à nouveau réuni à l'Atelier du Plateau pour de nouvelles pièces puisque nous nous plierons au même exercice. Enfin, le 28 novembre au Triton je serai confronté au même programme (same same but different), mais cette fois avec deux garçons, le trompettiste Médéric Collignon et le guitariste Julien Desprez. Autant préciser qu'aucun de ces trois concerts ne se ressemblera.

jeudi 6 novembre 2014

Epilogue


Il y a quelques jours j'évoquais La vieille dame indigne que René Allio réalisa en 1965 avec la comédienne Sylvie. Epilogue met en scène un couple d'octogénaires on ne peut plus dignes, confrontés à l'absurdité d'un monde qui a perdu tout sens des valeurs humaines. Berl et Hayuta qui ont participé à la fondation de l'État d'Israël ne reconnaissent plus le pays dont ils ont rêvé et qu'ils ont pensé avoir créé. Ils continuent de défendre leurs idées socialistes, de solidarité et de confiance mutuelle, face à l'individualisme et à l'égoïsme d'une société devenue autiste. Sans faire directement référence à la politique criminelle et suicidaire de son pays, le cinéaste Amir Manor en dresse un portrait kafkaïen qui ne laisse aucun espoir quant à l'avenir de ses deux héros.


Le romantisme des actes fondateurs est encore interrogé dans le moyen métrage qui figure également dans le DVD publié par Blaq out, mais le sang qui les a accompagnés n'offre pas plus d'avenir aux trois adolescents meurtriers de Ruin. Le rythme lent n'est plus celui de la vieillesse, mais celui d'une jeunesse qui teste ses limites et dont les repères ont été pulvérisés à force de mensonges. Faut-il voir dans ces deux films autre chose que la culpabilité d'avoir engendré un monstre sous prétexte d'en fuir un autre ? Au milieu de toute cette brutalité Amir Manor cherche à débusquer la tendresse, seule légitimité qu'il puisse cautionner pour espérer retrouver la lumière.

mercredi 5 novembre 2014

62


Ces dernières années j'ai pris l'habitude de fêter les anniversaires de mes amis en leur rappelant que chaque année est une victoire. Car avec le temps les disparitions s'accélèrent, plus fréquentes que les apparitions. Après dix ans de blog quotidien, la rubrique nécrologique s'est allongée. Mais en attendant son tour, qu'il est doux de vieillir ! On n'est pas obligé de refaire les mêmes bêtises, on peut en choisir d'inédites. Évidemment il faut avoir bien vécu pour ne rien regretter. Donc jeunes gens, n'attendez pas demain pour vous épanouir ! Il faut apprendre à jouir de chaque jour qui passe. Même si la santé, sujet d'inquiétude des anciens, est toujours aussi fragile. Les vieux s'en plaignent souvent pour avoir oublié les douleurs passées. Ils associent machinalement la maladie ou les handicaps physiques à leur âge, comme si les accidents n'avaient jamais entravé leur route. Ce ne sont simplement pas les mêmes. Les emmerdements ont la faculté de se réinventer. Leur liste est infinie. La vie est pourtant une fabuleuse course d'obstacles. Il faut en sauter un pour affronter le suivant. Il y a déjà vingt ans j'avais remarqué que les bonnes et les mauvaises nouvelles alternent en suivant un cycle, heureusement irrégulier. Irrégulier, parce que si l'on ne peut intervenir sur leur fréquence on peut toujours en influencer l'amplitude. Soixante-deux anniversaires, ça commence à faire un bail. Les plus vieux souriront, les plus jeunes s'inclineront. Sur la photo photo j'ai 3½ ans. C'est loin, mais il ne me semble pas avoir beaucoup changé. Les anniversaires sont une des rares fêtes auxquelles je tiens. Si je crains les grandes commémorations universelles, j'apprécie ce jour dont chacun est le héros. Comme face à la mort tous et toutes sont égaux. Ce n'est pas le quart d'heure de célébrité cité par Andy Warhol, mais 24 heures de la vie d'un homme, ou d'une femme, un peu spéciales. Avec une pensée émue pour les mamans qui ont fait tout le boulot.

mardi 4 novembre 2014

Dans les cordes


Il pleut des cordes. Pizzicati des graines à l'intérieur d'un long cylindre en bois hérissé de chicanes tournées vers l'interieur façon vierge de fer. Cette analogie m'est soufflée par le souvenir d'une projection au Napoléon, avenue de la Grande Armée, lorsque j'avais 15 ans. C'était la première fois que mon père m'emmenait voir un film d'épouvante malgré l'interdiction aux mineurs. J'étais fasciné par la salle qui lançait des quolibets, faisait des bruits obscènes et riait à gorge déployée, et tout de même terrorisé par La chambre des tortures (The Pit and the Pendulum) de Roger Corman quand le sarcophage avec les pointes tournées vers l'intérieur se refermait sur la belle jeune fille. Nous y sommes souvent retournés le samedi à minuit. Accompagner mon père me faisait plus plaisir que les films eux-mêmes, même si j'étais parfois gêné lorsqu'il tenait à me présenter à Jeanne Moreau ou d'autres personnalités du monde du spectacle qu'il avait quitté depuis des années... Mon bâton de pluie n'en finit pas de pétiller. Comme si j'étais immergé dans la Salle des Reflets Infinis (emplie de l’Éclat de la Vie) de Yayoi Kusama. Un ring. Dehors ce sont des hallebardes. Coupez. Opération indispensable pour remplacer le tuyau dont la soudure à l'étain a lâché au plafond dans une maison à côté. Inondation. À cette collection de tubes j'ajouterais les chansons mixées hier pour et avec Elsa et Linda qui seront bientôt en ligne, promettent-elles.

lundi 3 novembre 2014

Un vieux chat indigne


Clin d'œil à René Allio pour son merveilleux film de 1965 où Sylvie jouait le rôle d'une "vieille dame indigne" qui réalisait ses rêves à la mort de son mari, mon titre évoque la récente fugue de notre chat âgé de plus de 13 ans. Tout est question d'habitudes. Scotch, casanier de naissance, dort toute la journée et ne sort que très peu dans la rue. Craignant la circulation il file plutôt la nuit, mais de là à en passer deux dehors il y a des limites. Je me suis évidemment inquiété. La disparition sans que l'on sache ce qui est arrivé à une personne aimée ou à un animal est une épreuve terrible qui fait marcher le ciboulot en roue libre. Le retour n'en est pas moins énigmatique. Les chats ont coutume de garder pour eux le secret de leurs escapades. J'ai beau l'interroger pour savoir ce qu'il a fait, comment il s'est sustenté, où il a dormi, Scotch ne pipe pas un mot, se contentant de miauler et ronronner, le regard perdu sur la ligne bleue de Bagnolet. Il n'empêche que j'étais rassuré qu'il me réveille à 5h45 du matin pour m'annoncer la bonne nouvelle de son retour. Crapule !
Mes autres chats étaient des voyageurs indépendants qui m'avaient habitué à leurs sorties prolongées. Lupin partait très loin, mais il m'entendait l'appeler à des distances incroyables. J'adorais le voir remonter à toutes pattes la rue de la Butte aux Cailles comme dans un documentaire animalier signé Walt Disney. Scat était systématiquement absent le samedi soir. Il partait en week-end le vendredi soir et ne revenait jamais avant le lundi matin. Nous n'avons jamais su si c'était l'absence ou la présence (mais de qui ?) qui justifiait ses villégiatures. J'avais tenté de le suivre, mais il m'avait semé en traversant des grilles humainement infranchissables. Tout cela ne nous empêchait pas de nous angoisser. Lupin est un jour revenu en sang après s'être fait écrasé par une automobile ; il avait réussi à grimper jusqu'à ma chambre par l'échelle de meunier escarpée et s'était posé exténué sur l'oreiller ; sauvé par les urgences de nuit, il conserva toute sa vie un nez de boxeur, s'éteignant à l`âge de 18 ans suite à des problèmes rénaux. La fin de Scat fut beaucoup plus douloureuse ; il revint mourir à la maison après avoir avalé quelque poison, anti-limaces ou je ne sais quoi ; il n'avait que 4 ans. Avec les animaux domestiques, domestiqués comme les chiens, domestiqueurs pour les chats, cela finit toujours par une crise de larmes. Notre rôle est de repousser au plus tard la triste nouvelle. Ce genre de question ne se pose pas avec les tortues terrestres censées vivre un peu plus longtemps que nous, mais à quel rythme ? L'hibernation du chat se passe en général au coin du feu, ce qui va devenir illégal en région parisienne, les cheminées à foyer ouvert étant devenues interdites pour cause de pollution. Cela laisse Scotch de marbre qui semble se satisfaire de toutes les situations.