70 décembre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 décembre 2013

Bernard Vitet couve des Allumés


Qu'espérer de mieux après la disparition d'un grand artiste qu'il inspire les vivants? Sur la couverture du Journal des Allumés du Jazz l'illustrateur Thierry Alba a croqué Bernard Vitet un chat sur l'épaule tandis qu'un orchestre de matous l'accompagne avec mélodica à pavillon, shalmaï (bouquet de trompes) et bugle en valise. Rien d'autre le concernant à l'intérieur que la recommandation de notre CD Carton parmi d'autres alléchants albums se rapportant aux articles de ce n°32... Le trompettiste influença des générations de musiciens, il inventa quantité d'instruments originaux ou de manières de dévoyer les usages, fabriqua un système d'étoiles modales à transpositions limitées, réfléchit l'univers en contemplant une simple boîte d'allumettes (sic) et composa des mélodies merveilleuses qu'il harmonisait à l'ancienne devant son piano avec papier, gomme et crayon. Dans les années 1990 il m'arrivait de rentrer les notes sous sa dictée pour ensuite les orchestrer avec des machines toujours plus performantes. Elles le fascinaient tant que je me battais aussi pour engager de véritables instrumentistes dont il se méfiait. S'il adorait les chats il ne toucha jamais une souris. Trente-sept ans de compagnonnage quasi quotidien, c'est plus de temps que je n'ai passé avec personne. Les trois dernières furent douloureuses. Pas un jour sans penser à lui.

La phrase écrite en une n'est pas son meilleur aphorisme (ils auraient pu m'appeler, je les collectionne). Heureusement, en tournant les 28 grandes pages mises ensemble par Valérie Crinière, vous découvrirez les Roms et la vocation de Patrick Williams, les évocations du guitariste auteur-compositeur Marcel Kanche, le Cours du Temps de la contrebassiste Hélène Labarrière, les pensées du guitariste Olivier Benoît, la rencontre de Bruno Tocanne avec Yves Dorison et des collégiens de Lyon, les poèmes de Billy Collins et Yusef Komunyakaa, les colères de Pablo Cueco sur la Fnac et celles de Dexter Sacco (reconnaissable sous son pseudo libertaire ;-) sur la détérioration de l'écoute, les considérations du disquaire de Poitiers, Les Mondes du Disque, les comparaisons de Jean-Louis Wiart entre la peintre Fabienne Verdier et la maladie de Keith Jarrett, la nouvelle kafkaïenne d'Étienne Brunet, les photos de Guy Le Querrec, Sergine Laloux, François Corneloup, Jeff Humbert, Olivier Longuet et Cécile Salle (ci-dessus), les illustrations de Stéphane Cattaneo, Efix, Faujour, Nathalie Ferlut, Sylvie Fontaine, James, Julien Mariolle, Boris Mirroir, Ouin, Pic, Jeanne Puchol, Gabriel Rebufello, Rocco, Andy Singer et Zou... J'en oublie forcément.

Pour la musique on pourra choisir entre l'une des quatre webradios du site, et si cela ne vous suffisait pas Brunet a mis tous ses disques en écoute gratuite sur son site comme celui du Drame offre 50 albums inédits, une radio aléatoire de 104 heures, 720 pièces sur 45 ans d'archives et 11 nouveaux albums mis en ligne cette année ! Et la presse spécialisée continuant d'ignorer le travail des artistes qui ont choisi la Toile pour s'exprimer librement et partageant leurs ?uvres avec le plus grand nombre...

lundi 30 décembre 2013

Corps et graphies des Corsino


Bengalore Fictions, la dernière œuvre des chorégraphes Nicole et Norbert Corsino est une petite merveille interactive pour tablette numérique. Les 12 fictions développées avec des partenaires et collaborateurs indiens redonnent son sens au terme chorégraphique. Les corps incarnent des pinceaux tandis que les courbes de l'écriture dansent sur la page blanche. L'interactivité livrée au plaisir de la découverte du spectateur devenu l'un des interprètes joue sur le temps et l'espace comme une évidence des médias engagés. L'écran de l'iPad devient le support idéal pour jouer des perspectives, des échelles et des changements d'angles qu'exige le travail des Corsino. Chacune des fictions généreuses suggère de toucher l'écran d'un simple tap ou glisser le doigt pour faire apparaître la bande dessinée chorégraphique sans jamais avoir recours à une interface visible. Beau travail de programmation de Samuel Toulouse. Les deux artistes sont bien entourés et leur site livre les noms de l'équipe qu'un petit bug m'interdit de voir sur ma tablette. La musique urbano-industrielle de Jacques Diennet secondé par trois musiciens traditionnels indiens colle parfaitement au mariage des deux continents comme aux ambiguïtés locales, même si je regrette, marotte oblige, que la partition sonore ne profite pas de l'interactivité dédiée aux images. La place de ce fabuleux spectacle, cousin de nos Somnambules que nous devrions sérieusement penser à adapter pour ce support, coûte seulement 1,79 € sur iTunes. Son acquisition comblera celles et ceux que le Père Noël a dotés d'un iPad cette semaine !

vendredi 27 décembre 2013

Théâtre du Monde, derniers jours à la Maison Rouge


Prolongation jusqu'au 19 janvier !
Le Théâtre du Monde exposé à la Maison Rouge porte bien son nom. La scénographie qui s'y déploie est une démonstration éclatante de ce que pourraient être les espaces muséographiques si l'on voulait tirer les visiteurs par le haut en jouant sur leur sensibilité et leurs ressources propres au lieu de les noyer sous un amas d'érudition où se complaisent des universitaires étalant une culture qui n'a plus grand chose de commun avec l'art. Les cimaises aux murs blancs sont l'envers brutal et monstrueux de cet art brut ou contemporain qui fait naître les émotions par des jeux de lumière, où le parcours fait sens. Les cartels que les myopes et les presbytes ont en horreur ont été remplacés par un petit livret où sont détaillées les œuvres, accompagnées par des textes remarquables qui les plongent en quelques lignes dans l'univers, encyclopédie philosophique où se réfléchit la beauté et l'absurdité de l'humanité, vanité et mystère.


Jean-Hubert Martin, à qui l'on devait entre autres Les Magiciens de la Terre (1989), a mis en scène les collections de David Walsh, fondateur du MONA (Museum of Old and New Art) et celles du TMAG (Tasmanian Museum and Art Gallery). Chaque salle développe sa logique, jouant sur les formes ou sur le sens, composant contrepoint et harmonie, sans avoir peur de faire grincer les dents si nécessaire. Chacun peut y trouver sa place. Les surréalistes avaient montré la voie vers la nouvelle Babylone. Brecht avait renversé les rôles. L'hétérogénéité des œuvres, anciennes ou contemporaines, naïves ou savantes, tient du pamphlet politique, bouffée d'air frais d'un cabinet de curiosité en prise avec le réel, un réel qui traverse les siècles, fruit de nos rêves les plus fous, héritage magique que nous nous devons de partager avec le plus grand nombre en continuant à l'alimenter.


Si vous ne pouvez pas allez voir cette remarquable exposition qui fermera ses portes le 12 janvier 2014, regardez le petit film de 12 minutes qui suit. On s'y promène avec son commissaire, Jean-Hubert Martin, qui développe son point de vue critique. Mais si vous pouvez vous y rendre ces jours-ci (il y a moins de monde en période de fêtes), alors gardez le film pour plus tard, car il risque de vous gâcher un peu la surprise. Au cinéma on appelle cela un spoiler !


Vous n'avez pas pu résister ? Ce n'est pas grave. L'immersion scénographique n'est pas un avant-goût. C'est une expérience. Il faudrait plus de Jean-Hubert Martin, plus de Maison Rouge aussi, et moins de spécialistes. Les conventions perpétuent tant de prétention, d'érudition et d'élitisme stériles. Ici la mise en scène des œuvres laisse au visiteur la liberté d'interpréter ce qu'il voit et ce qu'il entend...
Ce théâtre où la poésie révèle l'intelligence me donne envie de retravailler pour les expositions ! Le son y reste le parent pauvre. Le silence n'existe pourtant pas. Pas plus là qu'ailleurs.

Illustrations : © MONA/Rémi Chauvin Image Courtesy MONA Museum of Old and New Art, Hobart, Tasmania, Australia © TMAG / JJB / Plan de l'exposition

jeudi 26 décembre 2013

Un téléphone au chaud


Vais-je avoir l'air d'un fou, d'un geek ou les deux à la fois ? Dans le passé lorsque l'on croisait dans la rue un individu parlant tout seul on savait à quoi s'en tenir. Avec les téléphones portables munis d'écouteurs discrets on en a pris l'habitude et les soliloqueurs peuvent se promener en toute quiétude sans attirer l'attention. Quant à mon goût prononcé pour les jouets technologiques dont j'ai souvent fait mes outils, je n'empêcherai jamais les moqueries affectueuses de celles ou ceux qui finiront par y venir un jour au l'autre. Résister au progrès est une saine attitude que je ne pourrai jamais critiquer. Enfourchant donc ma bicyclette par climat hivernal je conjuguerai mon époque à tous les temps en répondant au téléphone sans me geler les mains ou ratant la communication pour avoir été fouiller désespérément dans laquelle de mes poches. Ce cadeau de Noël offert par ma sœur et son époux n'arrangera pas l'image que l'on se fait parfois de moi ! Le micro est caché au bout de l'auriculaire, l'écouteur dans le pouce et les commandes sont disposées au poignet. De plus les doigts de l'autre main sont conducteurs pour pouvoir toucher l'écran de mon smartphone en les laissant au chaud. Contrairement au faux portable des débuts le gant Blutooth singe les usages tout en les préservant. On aura vraiment tout vu ! Mais pas tout entendu : si l'écouteur fonctionne bien, le micro laisse bigrement à désirer...

mercredi 25 décembre 2013

Nicolas Bras, les tuyaux du luthier


Bernard Vitet aurait adoré rencontrer Nicolas Bras. Ils partagent le même point de vue sur les matériaux utilisables pour fabriquer des instruments de musique et ne rechignent pas à travailler la matière plastique ou à recycler toutes sortes d'objets. Là où Vitet inventait un caddie-vielle à roue qu'il fallait évidemment pousser pour l'actionner, Bras construit des koras avec des cageots ou un clavier de steel-drums avec des boîtes de conserve et des tiges filetées. Et ça sonne ! L'un et l'autre électrifient sans vergogne une contrebasse à tension variable, le célèbre frein Vitet, ou toutes sortes de lyres et de harpes. Mais les tuyaux en PVC leur offrent plus de possibilités qu'aucun autre accessoire plombier...


Nicolas Bras en sort des percussions, des trompes, des flûtes, etc. Et ses flûtes sont simples. Et ses flûtes sont multiples. Il leur colle des rallonges, des bourdons, ajoute des embouchures, des aiguillages... Les accords se superposent. Les mélodies enchantent. J'ai rapporté de son atelier une flûte grave que la longueur d'1,80m l'a obligé à nouer en un enchevêtrement de tuyau coudé ressemblant à une grosse balle de water-polo. Quant à la petite flûte harmonique, elle sonne presqu'aussi bien que la longue transparente en plexiglas que Bernard m'avait construite et que j'utilise depuis trente ans. Nicolas m'a promis pour janvier une clarinette alto à rallonge et bourdon dont l'anche est faite d'un sac en plastique ou d'un gant en latex. Je n'ai jamais entendu aucun instrument à vent avec cette sonorité. Je piétine d'impatience en soufflant gaiement dans mes deux nouveaux jouets. C'est Noël !

mardi 24 décembre 2013

Fin de Party pour l'ONJ d'Yvinec


Samedi dernier l'Orchestre National de Jazz réuni par Daniel Yvinec donnait le dernier concert de son quinquennat à la Ferme du Buisson à Noisiel. Un nouvel ONJ dirigé par Olivier Benoit prendra bientôt le relais. Précédé par trois pièces composées par John Hollenbeck pour Shut Up and Dance, le programme fut particulièrement festif avec des musiciens enjoués sur le thème de The Party, leur nouvel album conçu par Yvinec en collaboration avec le multi-instrumentiste, producteur et arrangeur new-yorkais Michael Leonhart.


Le nouveau répertoire (mais très éphémère au regard du planning) est résolument pop et funky, clin d'œil nostalgique aux années 70 et 80, les synthétiseurs grignotant doucement le terrain pour se fondre à l'orchestre. Le flûtiste Joce Mienniel se partage avec son MS80 analogique, le saxophoniste Matthieu Metzger souffle dans sa vocodeuse SysTalk Box, le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang pianote sur son Roland SH101, la pianiste (bien préparée) Ève Risser s'est offert un clavecin électrique Baldwin et Vincent Lafont perpétue naturellement ses virtuosités claviéristes. Ajoutez un power trio formé de Pierre Perchaud à la guitare, Sylvain Daniel à la basse et Yoann Serra à la batterie, plus le ténor véloce de Rémi Dumoulin et la trompette avec ou sans coulisse de Sylvain Bardiau qui se fendra même d'un chorus humoristique à la seule embouchure, et l'orchestre est au complet ! Sur l'album, Leonhart joue, entre autres, de la trompette, et Yvinec y participe physiquement plus que de coutume, complice de son alter ego américain.


On ne coupera heureusement pas à la musique éponyme de Mancini pour le film The Party, et hormis nombre de pièces originales "à la manière de", on a droit à des versions punchy de Requiem pour un con de Gainsbourg et Colombier, Everybody's Got To Learn Sometime de James Warren, Je m'appelle Géraldine de Jean-Claude Vannier, Once In A Lifetime des Talking Heads, Rainy Day / Strawberry Letter de Shuggie Otis. Samedi, rappel de circonstance en clôture, le solo sur un fil de Hoang au sax alto pour la valse des 400 coups composée par Jean Constantin fut particulièrement émouvant. Et Rémy Kolpa Kopoul de sonoriser l'after comme ça lui chante à son tour, alors que les musiciens de l'orchestre se séparent, en route pour de nouvelles aventures... Daniel Yvinec et son orchestre improbable de jeunes virtuoses aux talents protéiformes auront apporté leur pierre à l'édifice en ouvrant le jazz à l'influence de toutes les autres musiques actuelles, pop, rock, électro, tango, contemporain, et même jazz. Alors peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse !

lundi 23 décembre 2013

L'expo Jeu Vidéo à La Cité des Sciences


L'exposition Jeu Vidéo qui se tient jusqu'au 14 août 2014 à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris n'est ni une rétrospective nostalgique ni une galerie d'arcades, mais une réflexion ludique et muséographique sur ce nouveau médium qui enthousiasme la jeunesse et laisse parfois les parents perplexes. Le concepteur des dispositifs interactifs, Yassine Slami, a choisi de montrer ou créer les grandes figures du jeu vidéo en les habillant d'une couche supplémentaire qui interroge les pratiques en en réfléchissant les tenants et aboutissants. La scénographie qui nous plonge dans un univers rappelant le film Tron est si immersive que les visiteurs en oublient souvent de regarder les vidéos ou de lire les cartels qui mettent en lumière leur engouement. L'extrême diversité des jeux, choisie par Pierre Duconseille à la tête du commissariat général en accord avec le comité scientifique, permet d'évoquer ce qu'est devenu aujourd'hui le gameplay, la variété des interfaces se trouvant projetées en grand sur les 1000 m² de l'expo construite comme un labyrinthe d'installations originales. Que l'on soit novice ou expert on y trouvera de quoi alimenter ses réflexions en s'amusant.


Avec Sacha Gattino nous sommes concernés au premier chef puisque, ayant gagné le concours sur le design sonore, nous en avons composé la charte pour toute l'exposition, excepté les audiovisuels, et sonorisé de nombreux jeux. Nous inscrivant en faux par rapport aux sons électroniques et aux musiques référentielles habillant tant de jeux, nous avions choisi essentiellement des sons acoustiques qui s'en distinguent et renvoient à l'histoire des jeux de société, des jeux d'adresse et, accessoirement, à quelques jeux d'enfants. Leurs timbres physiques confèrent aux gestes des usagers une sensualité que nous ne voulons jamais perdre de vue, affirmant l'humain face aux machines. Malgré nos intentions de départ nous devons aussi nous adapter aux jeux spécifiques qui peuvent réclamer ici des sonorités plus électroniques, là des musiques de genre, ailleurs un univers météorologique... S'il faut préserver la cohérence artistique globable, le plus difficile est l'équilibre de l'ensemble tant le son a la fâcheuse habitude de se répandre partout. Le choix des timbres, avec leurs attaques et leurs spectres, est crucial, et le réglage des volumes sonores un exercice difficile tant leur perception varie selon les affluences, ici phénoménales. D'autant que nous n’intervenons malheureusement pas en amont avec les scénographes et régisseurs techniques pour concevoir les modes de diffusion et les adapter aux contextes spécifiques de chaque module dans leur environnement acoustique supposé, comme me le fait remarquer Sacha...


À côté de la foule de petits bruits ludiques qui habillent l'ensemble des installations et valident les gestes des joueurs, j'aime me souvenir des constellations sonores des Actualités, des parasites de Communautés créatives, des accords "héroïc fantasy" des Déguisements, des effets de flipper moderne d'Enjeu et contre tout, des sons électroniques de Habileté en jeu, de l'ambiance maritime et des claviers aléatoires de Nouveaux mondes, de la mécanique complexe du Jeu de la vie ou des six ambiances différentes de Gagnez la sortie, propulsion d'un joueur rapetissé dans un univers à taille humaine... Car si l'exposition est réussie elle le doit aussi beaucoup aux changements d'échelles qu'offrent les interfaces originales conçues pour l'occasion.

vendredi 20 décembre 2013

Mairie de Bagnolet


La Mairie de Bagnolet est sujet à polémique. Son architecture intérieure brave déjà l'horizontalité photographique que j'ai adoptée pour illustrer mes articles. Lorqu'on lève la tête un spectacle de courbes ou d'arêtes anguleuses forcent l'admiration, à moins d'être amateur rigide de la symétrie au carré. La toile d'araignée extérieure est moins convaincante et, si on l'ouvrait comme prévu, la passerelle qui relie le nouvel Hôtel de ville conçu par l'architecte Jean-Pierre Lott à l'ancienne mairie déboucherait dans le tournant du vieil escalier, sans compter que le lieu ne permet pas d'abriter tous les services (comme celui de la culture) ! Je me demande souvent à quoi pensent les spécialistes. Ces incongruités seraient le fruit des dépassements budgétaires. L'entreprise a le mérite de l'innovation, mais nombreux Bagnoletais ont la bouche amère devant la facture : 40 millions d'euros au lieu des 22,5 prévus. Or la ville est l'une des plus endettées de France. Je ne vous raconte pas le coût des taxes foncières et d'habitation. Nous y vivons pourtant agréablement, avec sa somptueuse médiathèque, les deux salles du cinéma municipal Le Cin'Hoche dont la programmation est éclectique, les théâtres de L'échangeur et du Samovar, son parc et ses jardins partagés, etc. La proximité de Montreuil et des Lilas est un autre atout.
Hélas l'ambiance s'est lourdement dégradée depuis que le maire actuel a décidé de n'en faire qu'à sa tête, faisant fi des avis de son conseil municipal. À tel point que le Front de Gauche lui a retiré sa confiance et soutient la candidature de Laurent Jamet qui s'est engagé à écouter sérieusement la population, entre autres en réactivant les maisons de quartier. Un collectif de citoyens partageant ses valeurs et n'appartenant ni au PCF ni au PG s'est constitué pour exercer un contrôle sur le fonctionnement démocratique des institutions municipales. Le système est en cause. Une fois élu pour six ans, un maire peut ne rendre de comptes à personne. C'est donner libre champ au moindre schizophrène, surtout lorsque l'on sait à quel point le pouvoir rend fou. Je me suis donc investi dans la liste Bagnolet Avenir ! À la réunion de samedi dernier j'ai proposé de constituer une coopérative de compétences pour redonner du sens au lien entre les Bagnoletais. Sur le modèle des SEL (Systèmes d'Échanges Locaux), l'idée est que, jeune ou ancien, chacun et chacune possédant des compétences ou étant animé(e) de passions pourrait les partager et avoir recours à celles des autres. Et Françoise de suggérer de semer des graines partout où la terre le permet. Nous pouvons encore changer le monde par des actions de proximité, moyen efficace de résister au formatage des cerveaux et des usages.

jeudi 19 décembre 2013

Mutations florales


Comment se fait-il que le jardin soit toujours en fleurs à Noël ? Jaunes, violettes, blanches, multicolores... Même celles de la passion ne se sont pas éteintes ! Réchauffement climatique ou tripatouillages génétiques ? Aurions-nous la main verte ou la musique adoucit les fleurs ? Nous leur chantons maint refrain quand le matin revient. Les feuilles mortes qu'on ramasse à la pelle ont fini par dégringoler, mais le reste s'épanouit quelle que soit la météo. Je n'écris pas depuis la Côte d'Azur ou Zanzibar, puisque la scène se passe à Paris, je te dis. On ne va pas se plaindre, mais je m'étonne. J'ai rentré les grasses qui minaudaient dans un coin, coupé les bambous secs histoire de laisser passer un peu de lumière dans leur forêt inextricable, élagué l'églantier qui m'avait valu une dénonciation à la mairie parce qu'il débordait trop sur la rue... Son parapluie plaisait pourtant aux passants qui s'abritaient lors des grosses averses et aux merles qui se repaissent de ses baies de poil à gratter. Les oiseaux me ravissent. Il suffit d'une mésange ou d'un rouge-gorge quand j'ouvre les volets pour que ma journée soit ensoleillée même sous un édredon de nuages. Qu'il vente, pleuve, grêle ou neige, le jardin réfléchit nos émotions.

mercredi 18 décembre 2013

No Pasaran Lou Bretzels


Chers amis,
ne m'en voulez pas, mais je dois être franc. Je n'arrive plus à digérer les fêtes où l'on nous propose à dîner que des cacahuètes. Si la bière et le vin sont de rigueur, les provisions de bouche qui, dans le meilleur des cas, se réduisent aux tomates cerises, aux carottes-choux fleurs trempés dans la sauce, à un pot de tarama et à un assortiment de biscuits trop salés ne me réussissent pas et ne m'ont jamais réussi. Que dire des fraises tagada et des guimauves enrobées de chocolat ? Notre pays a-t-il perdu ses traditions culinaires, que dis-je culinaires, je devrais écrire gastronomiques tant les ressources de nos terroirs et des immigrations successives offrent un champ d'expérimentation aussi vaste que le livre des inventions possède d'entrées ? Comme il est pitoyable de subir l'effacement de ces coutumes devant l'industrie alimentaire entre les mains des multinationales formateuses !
Partager le plaisir du goût rehausse la qualité des conversations. Nos estomacs sécrètent les sucs renouvelant le sang qui circule dans nos veines et dont nos cerveaux ont besoin pour s'affranchir des platitudes de soirée. Chers amis, dites-moi de venir ayant mangé, mais ne m'infligez plus de régime bretzels !
Enfin, si j'évoquais plus haut certaines coutumes qui ont fait la renommée de notre pays je mettrais un bémol au Champagne. Entendre que tout le monde n'aime pas les bulles et qu'il est inutile de se ruiner pour faire genre ! Apportons la boisson qui nous plaît au lieu de nous pencher discrètement vers le robinet de la cuisine. Combien d'entre vous aurait préféré un bon thé ? La fête implique-t-elle nécessairement d'ingurgiter des tas de trucs qui nous plombent ? Offrez nous le choix... Amusez nos papilles comme vous avez souhaité le faire en invitant tel ou telle ami/e.
Et puis ne mettez plus de musique de fond qui empêche d'entrer dans la conversation de convives que nous ne connaissons pas encore. Ou bien allez-y carrément et dansez, dansez... Sans oublier d'aménager le coin cuisine qu'affectionnent les tchatcheurs. Ne croyez pas que l'art de recevoir ne s'apprend pas. J'en ai marre de rentrer à la maison aphone, le ventre en capilotade, en m'étant ennuyé de n'avoir pu discuter avec personne que je ne connaisse déjà. Ou bien la prochaine fois je resterai chez moi avec un bon prétexte, celui de faire la fête.

mardi 17 décembre 2013

La mémoire meurtrie (Memory of The Camps)


La mémoire meurtrie est le titre de la version française du film de Sidney Bernstein, Memory of The Camps, dont Alfred Hitchcock supervisa le montage. Le film terrible tourné entre autres dans le camp de concentration de Bergen-Belsen en 1945 fut interdit jusqu'en 1985. Malgré l'intention initiale des Anglais de le montrer au peuple allemand, il devint rapidement inopportun si l'on souhaitait que l'Allemagne puisse se relever. La charge était trop forte. Il est certain que la projection du film est difficilement soutenable.
À comparer la version originale commentée par l'excellent comédien Trevor Howard et ponctuée de lourds silences et la version française en voiceover où le début a été raccourci et où ont été rajoutés un certain nombre de témoignages, du cinéaste-cameraman, des survivants Anita Lasker, Leon Greenmann et Hugo Gryn, et quelques commentaires de l'historien Martin Gilbert, on appréciera la force de la première (mais il faut parler anglais, of course) et l'intérêt de la seconde (surtout si l'on ne parle pas la langue de Shakespeare) qui se penche sur l'histoire du film lui-même. Les suggestions d'Hitchcock y sont par exemple évoquées : privilégier les longs plans séquences pour contrer les suspicions négationnistes, des contrepoints sur la sage campagne environnante, etc.
J'avais découvert le film sur Canal Plus en 1987. Il fut rediffusé en 1996 lors de "Une semaine contre l'oubli". Je n'ai jamais pu l'oublier. L'histoire de mon grand-père gazé à Auschwitz avait hanté mon enfance. Nuit et brouillard, projeté au lycée, m'avait considérablement ému. La mémoire meurtrie montre l'inimaginable, un cauchemar dont on aimerait se réveiller.
Stephen Frears a supervisé la restauration du film qui sortira début 2015 avec la sixième et dernière bobine manquante à l'occasion du 70ème anniversaire de la Libération.

P.S.: En 2014 le Britannique André Singer reprend 12 minutes de ces archives, restaurées, pour un nouveau film de 1h15 intitulé Night Will Fall avec la voix de Helena Bonham Carter.

lundi 16 décembre 2013

Peter Brook sur un fil...


Dans la famille Brook on demande le père. Évidemment. Mais c'est le fils qui nous l'offre, sur un plateau, ou plutôt Sur un fil... tant l'exercice consiste à chercher l'équilibre comme on avance en aveugle sans savoir où l'on va. Ce "on" est endossé par une dizaine d'acteurs et musiciens participant à un atelier d'improvisation sous la direction du metteur en scène Peter Brook. Son fils Simon l'a convaincu de se laisser filmer pendant les répétitions révélant le travail qu'il a refusé de montrer depuis 40 ans. Le tournage est aussi sobre et limpide que la méthode de l'homme de théâtre. Ce qu'il appelle The Tightrope, la corde raide, condense des décennies de pratique qui accouchèrent de spectacles merveilleux.
Si cette leçon d'improvisation d'une heure vingt trois minutes puise ses racines dans la musique, l'appropriation qu'en font ici les comédiens et comédiennes devraient inspirer à leur tour maints musiciens improvisateurs. La théorie du cerveau partagé rappelle l'incroyable magie de jouer à plusieurs en connaissant la finalité sans pouvoir prévoir les obstacles et les rencontres que le voyage suscite. Il sera question d'écoute, d'anticipation sans préjugé, de lâcher prise, d'indépendance du corps comme celle de l'esprit, et bien d'autres ressorts permettant de rebondir en sautant à la corde.
Les bonus du DVD que publie Blaq out prolongent la leçon par le témoignage du fiston comme par celui des participants. Les plus dévots pourront réécouter les pièces musicales accompagnant l'exercice, les autres se contenteront de savourer l'intelligence et la sensibilité d'un homme qui a su révéler la légèreté de l'être, qu'elle soit insoutenable ou en lévitation.

vendredi 13 décembre 2013

Lucioles, lettres d’amour des mouches à feu


En 2007 Michel Séméniako publiait Lucioles, lettres d’amour des mouches à feu, un travail magique sur ces coléoptères mystérieux dont la parade sexuelle est lumineuse. Si vous voulez tout savoir sur ces bestioles cruelles allez voir le site de Signatures où Séméniako compile quelques textes scientifiques et poétiques. Pour mon anniversaire de l'an passé le photographe de la nuit avait fait encadrer un magnifique tirage qui me parvient seulement aujourd'hui. Je le pose devant la télévision qu'il recouvre totalement, revanche contre ce qui les fit disparaître, comme l'évoquait Pier Paolo Pasolini. L'été dernier j'eus le bonheur de voir deux lucioles au fond du jardin de La Ciotat. Je ne me souviens pas en avoir admirées dans le passé. Peut-être ai-je oublié. J'associais les lucioles au dodo et à la licorne. Sur la photo les étoiles qui leur font miroir perforent le ciel du Piémont. Fasciné, je me colle devant ma nouvelle télé et je ferme les yeux pour m'imprégner de ces deux nuées qui interrogent tant notre humanité que son insignifiance.

jeudi 12 décembre 2013

Baiser d'encre, ça se fête


Succès unanime du nouveau film de Françoise Romand. C'est évidemment sans compter les spectateurs partis sans rien dire. Les deux séances successives au Triton mardi soir ont grandement rassuré la réalisatrice et ses deux acteurs, Ella & Pitr. Les nombreux compliments sur la musique m'ont évidemment beaucoup touché. Il est toujours plus facile de partager ses sentiments lorsque l'on est emballé que si l'on s'est ennuyé ! Les critiques circonstanciées laissaient supposer une sincérité partageuse. Lorsqu'il ne savait pas comment s'en sortir Coppola disait "You did it again!", traduisons "C'est bien toi !". Ève Risser m'envoie une photo de nous quatre sur la scène. Ella & Pitr se sont envolés cette nuit pour Hong Kong. Françoise dort. Ma grippe a repris de plus belle...


Baiser d'encre est certainement le plus joyeux de toute la filmographie de Françoise. Tendresse et fraîcheur suintent de tous ses pixels. J'ai parlé de conte moral. En le voyant on aurait envie de faire des enfants si ce n'était déjà fait ! Les impertinences y sont livrées pleines de nuances. Je savais tout cela, mais la projection HD dans la nouvelle salle du Triton a fait exploser les couleurs et souligner le mixage. Il aura fallu à Françoise trois ans de travail pour en arriver là. Ce n'est plus qu'une question d'export pour obtenir une copie 0 conforme. Cela ne semble pas évident avec FinalCut.


Les prochaines séances auront lieu le mardi 17 décembre à 20h au cinéma Le Méliès de Saint-Étienne (également jeudi 19 décembre à sa Cinémathèque, Mix-Up ou Méli-Mélo à 18h dans une superbe copie remasterisée, rencontre avec la réalisatrice à 19h, Appelez-moi Madame à 20h) et le 22 janvier à 20h30 au cinéma Le Cin'Hoche à Bagnolet, en attendant la sortie officielle. C'est l'occasion pour vous de vérifier que je n'écris jamais de billet de complaisance !

mercredi 11 décembre 2013

Chasse au trésor VHS


J'ai jeté un pont vers l'île aux trésors avant qu'elle ne soit engloutie par un tsunami magnétique. Tous mes magnétophones à bande étant en réparation je continue à numériser, mais cette fois mes VHS. Comme il y en a des centaines je choisis les petits sujets qu'en bon obsessionnel j'enregistrais à la fin des bandes de quatre heures. Il restait toujours un peu de place après les deux longs métrages. Si ceux-ci ont pour la plupart été réédités en DVD il n'en sera probablement jamais de même avec les clips musicaux, les publicités des années 80, les concerts inédits, les magazines, les extraits de journaux télévisés, les opéras, etc. Cette boulimie télévisuelle remonte à la naissance de ma fille. Nous sortions moins et il fallait qu'Elsa soit impérativement couchée à 21h avant que le film ne commence ! Après le 11 septembre 2001 j'ai totalement arrêté de regarder la télé sauf pour les films, et depuis le DVD et Internet j'ai rendu mon décodeur pour ne plus jamais me brancher sur une chaîne.
En fait j'ai sorti le lecteur VHS pour numériser une douzaine de courts et moyens métrages de Françoise que je n'ai jamais vus et surtout son feuilleton-documentaire en huit épisodes, Croisière sur le Nil, qui était passé sur France 3 à 20h.


Comme j'avais terminé de sauver ses précieuses archives je me suis plongé dans les miennes, ou plus exactement l'incroyable téléthèque où chaque cassette est répertoriée dans six classeurs numérotés où je collais les articles de Télérama. J'ai ainsi retrouvé la Nuit du film d'art sur Canal Plus, celle intitulée Doc Doc Doc, des centaines de documentaires, de films d'animation, un condensé de la série Movie Mahal produite par Channel Four qui me permet de retrouver les films complets d'où sont extraits les numéros chantés et dansés, une soirée sur la voix, des documents historiques inestimables... La mémoire meurtrie, le terrible film de Sidney Bernstein sur les camps de concentration pour lequel Alfred Hitchcock supervisa le montage, fait passer Nuit et Brouillard pour une bluette. J'exagère à peine. Les Anglais ont interdit le film jusqu'en 1985 de peur que l'Allemagne ne s'en remette jamais. J'en profite aussi pour copier mes passages à la télé, comme après mon retour du siège de Sarajevo, des plans de manif au Journal de 20 heures, des interviews sur la musique... Il y a heureusement beaucoup de petits sujets amusants, des sketches comme ceux de Pierre Dac, Jacques Dufilho, Jean Yanne... Je sélectionne seulement ceux que j'ai envie de revoir, sacrifiant probablement la majorité de ce fonds. Je n'ai pas que cela à faire, mais je me rends compte de la boulimie incroyable qui m'a toujours animé, un encyclopédisme qui m'alimente autant qu'une soif inextinguible de créer sans cesse.

mardi 10 décembre 2013

Enclume et Baiser d'encre


Remake d'Ouvrard. Depuis dimanche soir j'ai la tête comme une enclume, le ventre en papillote, je tousse à m'en ouvrir le thorax, des courbatures des orteils à la pointe des cheveux, je ne regrette qu'une chose, ne pas savoir dessiner pour croquer ma carcasse en deux coups de crayon. Je me la joue très pro, au moment où le travail se calme et où j'ai le temps de me transformer en zombie. J'espère que ce sera passé d'ici ce soir, car Françoise projette Baiser d'encre, son nouveau film, en avant-première au Triton à 19h30 (complet au point de rajouter une séance à 21h30, déjà presque complet). J'en ai composé la musique avec Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino, Antonin-Tri Hoang, Vincent Segal et Edward Perraud... Et puis les acteurs seront présents dans la nouvelle salle du Triton !
Les Papiers Peintres Ella & Pitr puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne dont les rêves composent une nouvelle réalité pleine d'humour et de tendresse. Ils sillonnent la planète avec leurs deux jeunes enfants, exposant leurs affiches dans les rues ou en galeries, manière généreuse de coller à tous leurs publics. Françoise Romand, inspirée par cette étonnante saga familiale, propose une délicieuse fantaisie montrant qu'il existe mille manières de rendre le monde plus beau à condition de s'en emparer avec l'esprit critique qu'exige toute création.

lundi 9 décembre 2013

Dilution du réseau


Nombreuses questions sur l'usage et la fonction des réseaux informatiques me tarabustent. La nuit, après avoir mis en ligne mon article quotidien sur le blog drame.org et son miroir sur Mediapart, je noue un lien depuis Twitter, FaceBook et Google+. Ensuite, avant d'aller me coucher, je longe le Mur de FaceBook qui livre quantité d'informations en tous genres, détails intimes, scoops informatifs, bons plans, images, films, musiques à découvrir, spectacles à ne pas manquer, fais passer à ton voisin... Je m'interdis de répercuter ces brèves dans mes articles sans en proposer une interprétation personnelle... Les redirections ne peuvent constituer un blog et la brièveté de Twitter rend ses messages télégraphiques trop superficiels pour m'intéresser. Il existe tant de perfusions-minutes que la lecture du Monde Diplo fait figure de vacances au milieu de cet embouteillage. Certains jours, par exemple lors des décès de célébrités, la fréquentation des réseaux devient suffocante. Chacun y va de sa larme ou de sa sentence avant de retourner dans son isolement passif que le réseau rend illusoirement collectif et militant. Le virtuel ne donne que l'illusion de l'engagement. On se débarrasse de sa mauvaise conscience en signant de temps en temps une pétition. Bienvenue dans le désert du réel ! Une conversation est un chant choral où les voix s'entremêlent sans qu'on ait besoin de remonter à la ligne précédente pour comprendre à quelle phrase on vient de répondre. Sous la frappe du clavier chaque intervention exprime la solitude. Même la générosité du partage devient suspecte.
À chroniquer films méconnus, musiques rares, livres magiques, j'en viens à copier les professionnels et mon style se délite. D'autant que je fais attention de ne jamais déflorer l'intrigue. Je hais les spoilers qui ne me donnent plus envie d'aller y voir par moi-même. Donner des pistes, c'est ce que prétend faire le réseau. Pour gagner mon pain, je vais chaque matin au marché. On y vend des mensonges. Plein d'espérance, je prends place parmi les marchands. La conspiration du bruit est assourdissante. Le silence ne peut représenter qu'un passage, un recentrage indispensable pour ne pas se perdre dans la forêt des fausses certitudes. J'ai parfois honte d'en rajouter. Comment ne pas être qu'une voix de plus, une voie de garage où les locomotives viennent mourir, asphyxiées par les vapeurs du charbon ? Je ne peux pourtant pas garder pour moi seul les présents qui m'ont été offerts généreusement. La circulation est tellement plus importante que la propriété. Mais on a bitumé les routes et les baraques ont toutes la même couleur. Les gosses qui écrivent dessus ne savent que taguer leur nom. Comme les chiens que traînent leurs maîtres. Le moindre coup de pinceau créatif est une lueur d'espoir. Mon billet déborde de contradictions. J'oscille entre la mémoire et l'oubli. Il faut que je m'en aille.

vendredi 6 décembre 2013

Un Tex Avery de l'animation numérique


Le jeune cinéaste d'animation irlandais David OReilly est un Tex Avery des temps modernes. Il fait exploser la 3D, dans ses codes et ses usages, en jouant des artefacts et des effets de bord avec un humour féroce. Son dernier court-métrage The External World, interdit en Chine (?), a reçu une quarantaine de prix internationaux.


Son site recèle d'autres trésors d'imagination où l'usage systématique du glitch effectue un recul brechtien (ou godardien !) offrant de voir le quotidien du geek sous des angles inédits. L'histoire du dessin animé est passée à la moulinette et son passé le plus récent bigrement écorché par ses impertinences graphiques. Puisque sexe et scatologie y font aussi bon ménage que chat et souris font le ménage, je vous recommande également Please Say Something. Il suffit de mettre les doigts dans la prise pour que les machines rendent leur jus ! NX_vcjZmQ9w...

jeudi 5 décembre 2013

Plus je dépense, plus je gagne


Depuis 1975 je suis scrupuleusement le conseil glané dans l'autobiographie de Jean Marais qui y prétend "plus je dépense plus je gagne". Il ne s'agit pas de jeter l'argent par les fenêtres, mais de gérer habilement les flux migratoires. Pour commencer, l'argent n'est pas fait pour être thésaurisé mais pour circuler. L'exercice tient évidemment de la marche sur le fil et ne prend chez moi son sens qu'en période de trouble. Il s'agit de créer un vide soudain sur son compte bancaire pour qu'un appel d'air produise miraculeusement une rentrée inespérée. Comme il faut pouvoir gérer le danger, cela ne peut pas fonctionner si l'on est aux abois, déjà dans le rouge. Voilà quarante ans que ce système marche pour moi, même s'il fut des temps où l'exercice était des plus périlleux. Il exige que ses pratiquants soient de bons gestionnaires, capables d'envisager les enjeux. Je me souviens avoir fait frémir ma compagne en allant acheter une télé lors de l'une des ces périodes angoissantes. Le lendemain, aucun résultat ne se faisant sentir, je retournai acquérir un lecteur VHS. Bingo ! Un gros contrat tomba aussi sec, validant ce sport dangereux.
Il me semble que c'est avant tout une question d'action, de mouvement volontaire, d'agitation nécessaire. Je pourrais comparer cela à la recherche de travail. Fut un temps où j'envoyais régulièrement mille sollicitations par la poste. Internet n'existait pas. Heureusement que les temps ont changé ! Il fallait faire imprimer une carte remarquable avec si possible une image en couleurs, la glisser mille fois dans une enveloppe, rédiger chaque adresse à la main, coller mille timbres et lécher également le rabas de l'enveloppe, plus le coup de tampon, et direction la poste... Résultat des courses : aucune réponse. Mais quelques jours plus tard je recevais un coup de fil me proposant une grosse affaire. Or la proposition émanait d'un quidam à qui je n'avais rien envoyé. Le constat impliquait que si je n'envoyais pas mille sollicitations la 1001ème ne se manifestait pas. Je n'ai jamais pu expliquer rationnellement cette synergie, mais la magie n'opère jamais que si l'on aide la chance à vous sourire. Ainsi, dans les périodes d'inquiétude budgétaire, j'applique le conseil de Jean Marais, certes avec la plus grande circonspection, mais confiant dans l'existence des miracles. Car fut aussi un temps où je n'avais pas de quoi m'offrir un croissant lorsque j'en avais envie...

mercredi 4 décembre 2013

USA 1968, bientôt...


La sortie de mon second roman, USA 1968 deux enfants, se précise. Les Inéditeurs en terminent la mise en page. Mikaël Cixous a livré tous les médias graphiques à Mathias Franck qui finalise et code à tour de bras pour que l'application ne soit pas trop lourde en téléchargement depuis un iPad. Elle pèsera tout de même plus de 350 mégas tant l'objet virtuel est riche en médias audiovisuels. Insérés dans le récit, se mêlent 12 courts métrages, 75 minutes de son et de musique, des dizaines de photographies, des animations et le light-show interactif, conçu avec Sonia Cruchon, qui fait office de couverture à ce premier numéro de nos éditions.
Absurdité technocratique récurrente, le CNC a refusé de prendre en compte le dossier car sa rubrique multimédia exige que la vidéo soit majoritaire, alors que le roman augmenté répond exactement à ce qui est recherché en termes de transversalité. L'objet, parfaitement adapté au support tablette, ne me serait jamais venu à l'idée autrement et il eut été injouable sans ces nouvelles ressources. Il manque une case pour nous aider. Espérons que les prochains projets que nous avons sous le coude seront assez fins pour passer sous les fourches caudines.
Si mon premier roman, La corde à linge, est disponible en ePub chez publie.net aux formats ePub (le seul avec les sons), Mobipocket, PDF et Web, USA 1968 ne peut exister que sous la forme d'une application. Si les ventes (probablement 4,99€ sur l'AppleStore) sont suffisantes nous envisagerons une version Androïd, mais l'iPad reste actuellement le meilleur support lorsque l'on veut inventer des objets inouïs. Ce second roman augmenté était paru sur ce blog en work in progress, une sorte de brouillon avant la mise en forme et les médias qui donnent tout son sens à ce récit initiatique, sorte de millefeuille quantique qui se joue du passé et du futur.

mardi 3 décembre 2013

Bémol à la clef en coda


Arrivé en retard après 3 heures d'embouteillage monstrueux sur le Périphérique j'interviens seulement dans les 5 dernières minutes, mais après le fondateur de KissKissBankBank et la représentante de OuiShare ce n'était peut-être pas inutile ! Le débat sur la créativité ouvrait la soirée de lancement de La revue du Cube #5.

Son et lumière d'Orléanoïde


Nos lapins étant invités pour deux représentations à Orléanoïde nous en avons profité pour visiter les installations du festival de création numérique (jusqu'au 8 décembre).
En matière de haute technologie je m'interroge souvent sur ces œuvres d'un genre nouveau qui me rappellent plus le Palais de la Découverte de mon enfance qu'un musée d'art moderne. J'ai fini par les affubler du terme d'art forain plutôt que les reléguer à des expériences de sciences physiques. Rien de péjoratif là-dedans, le cinématographe étant lui-même né dans les foires. Je range d'ailleurs nombreux films dans cette catégorie où le monde intérieur de l'artiste est moins essentiel que l'expérience physique vécue par le visiteur ou le spectateur.


Parmi toutes les installations amusantes ou troublantes présentées à la Collégiale Saint-Pierre-Le-Puillier, au Collège Anatole Bailly, au Muséum, au Musée des Beaux-Arts, reprises de l'exposition Exit de Créteil, j'ai été touché par deux d'entre elles exposées au 108 qui abrite Labomedia, organisateur de l'évènement. Ainsi Impacts du Québecois Alexandre Burton réagit à ma présence lorsque je m'approche des plaques de verre derrière lesquelles sont suspendues des bobines de Tesla ; les arcs de lumière qui pourraient zigouiller mon iPhone si je ne l'avais déposé à l'entrée impressionnent les visiteurs qui hésitent à s'approcher ! J'ai toujours adoré les lampes à plasma, mais ici la musique bruitiste me parle autant que les éclairs zébrant l'obscurité.


De même le capharnaüm de The Sandy Effect de l'Irlandais Malachi Farrell produit un tintamarre évoquant le choc suscité par l’ouragan Sandy balayant les rues de New York, grâce à des instruments de musique automatisés. Tambours à billes et à ressorts, claquements de portes et machine à vent tremblent là encore dans l'obscurité marquée d'éclats de lumière rouge ou blafarde. Comme chez Burton l'immersion produit son petit effet me replongeant dans de vieux souvenirs d'enfance qui expliquent mon attirance. Est-ce si différent de la lumière de l'aube ou du crépuscule lorsque nous enjambons la Loire en crue, ou encore le vieux quartier d'Orléans dont le ravalement fait surgir un Moyen-Âge fantasmé ?

lundi 2 décembre 2013

La route des Indes


Les éditions Carlotta continuent la publication en DVD/BluRay de l'œuvre de David Lean avec son dernier film, La route des Indes (A Passage to India), tourné en 1984. Cinéaste fondamentalement sensible au statut des femmes confrontées à une société qui fait peser sur elles tant de conventions sociales machistes il met en scène une fois de plus le désir refoulé qui engendre la culpabilité. Le racisme ambiant accentue la fragilité de Judy Davis et Victor Banerjee qui doivent se battre contre tout ce qui leur a été inculqué. L'homosexualité n'est d'autre part jamais abordée de front, mais on la sent étonnamment poindre dans nombreuses de ses réalisations. L'intrigue de La route des Indes a pour cadre une Inde qui se réveille du joug de la colonisation britannique comme il l'avait montré avec le monde arabe dans Lawrence d'Arabie. On retrouve aussi la finesse psychologique de ses premiers films. Le grand écart qu'affectionne David Lean entre mysticisme et trivialité est souligné par des traits d'humour presque iconoclastes portés par le comédien Alec Guiness qui ressemble ici à Peter Sellers dans The Party ! Mais c'est surtout le montage, pris en charge par Lean lui-même, qui épate avec ses ruptures de ton et de rythme, et une utilisation suggestive de la bande-son, deux qualités dont se privent trop de cinéastes aujourd'hui.