70 décembre 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 décembre 2009

Joyeuses fêtes ?


Les vœux qu'Elsa a écrits sur le sable et photographiés au soleil couchant seront recouverts par la prochaine marée. Le temps passe, les souvenirs s'effacent. Les bonnes résolutions pour l'année qui s'annonce seront réitérées à la suivante. Chacune s'écoule plus vite que la précédente. Le temps s'emballe. Certains paniquent quand on devrait se réjouir de pouvoir devenir une personne meilleure. La mémoire est sélective. Il faudrait une seconde vie pour se souvenir de la sienne. Les traces réécrivent l'histoire au travers des images, des textes ou des sons que nous réussissons à conserver. Il n'y a pas plus révisionniste que notre lecture du passé. Le futur en est le produit. La nostalgie est un boulet qui nous rend sourd au monde construit par les générations que nous avons engendrées. Elle pulvérise la libido quand la curiosité et la fondation devraient nous agir. Pourtant, je ne sais pas si les termes sont appropriés lorsqu'Elsa dessine "Joyeuses fêtes". Peut-on être joyeux quand les Terriens laissent leur planète s'en aller à vau-l'eau et que l'époque est une des plus brutales et cruelles que l'humanité ait connues ? Peut-on encore "nous saoûler de lumière" comme Seurat suggérait "ça console" ? Que célèbrent ces fêtes ? Il ne s'agit pas de jouer les rabat-joie, mais de redéfinir de nouvelles utopies pour que nous ayons quelque chose à fêter. S'il s'agit d'actes de résistance, de paroles consolatrices, de gestes de tendresse ou de solidarité, de mises en œuvres de nos imaginations, alors oui, souhaitons-nous mutuellement de joyeuses fêtes...

mercredi 30 décembre 2009

Tout ce foin pour des lapins !


Ouf, j'ai réussi à remonter à temps de La Ciotat pour installer le v1Ensemble ! À chaque lieu correspond une nouvelle scénographie et une mise en ligne s'ensuit sur la page Photos de Nabaz'mob. Comme à Londres nous contrôlons le clapier depuis le balcon. Antoine envoie les mouvements l'un après l'autre tandis que j'improvise les lumières qu'il a cette fois réglées avec le régisseur. J'ignore s'il est encore temps de s'inscrire, mais les deux dernières représentations de l'année sont des soirées privées organisées par Auditoire pour Nissan au Cube Store, une boutique éphémère conçue avec le magasin Colette qui a importé pour l'occasion des objets japonais inédits... Tard ce soir, nous serons enfin en vacances. Façon de parler, il faut encore véhiculer les 100 rongeurs jusqu'à leur nouveau terrier où ils hiberneront jusqu'au prochain spectacle qui se fera sous la forme d'une installation au Pôle Culturel Intercommunal de Billère, limitrophe de Pau, du 3 au 14 février 2010. Et puis c'est l'heure des bilans de fin d'année et ce n'est pas la partie la plus jouissive du travail ! Mais on saura fêter dignement cette année carotte qui nous donne envie d'avancer et d'inventer de nouveaux spectacles abracadabrants sans négliger leur portée critique...

mardi 29 décembre 2009

Le marathon continue


Pas croyable ! Je ne pensais pas reproduire les ennuis que nous avions eus la semaine dernière pour rejoindre Londres et en revenir. Cette fois, il s'agissait de rentrer à Paris pour installer Nabaz'mob dans un autre Cube Store pour les représentations de mercredi soir. Rosette, experte du site Gare en mouvement, avait beau insister qu'il n'y avait pas de train à l'horaire de nos billets, nous n'y croyions pas. Arrivés à la gare de La Ciotat, nous apprenons que notre TER est en grève et que le suivant ne pourra arriver à temps pour que nous puissions attraper le dernier TGV à Marseille. La SNCF évite soigneusement d'informer les voyageurs sur cette grève perlée. C'est le meilleur moyen pour la minimiser. Comme mardi dernier, nous retournons à la case départ, troquant l'entrée du train en gare de La Ciotat pour le jardin du Palais Lumière où une naïade surplombe cactus et palmiers. Nous espérons que notre tentative matinale aura plus de succès et que nous pourrons regagner nos pénates pour que je sois à même d'e prêter main forte à Antoine, heureusement dèjà sur place ! Si Marie-Laure ne tenait pas compagnie à Scotch, je m'inquièterais pour le gros chat, lâchement abandonné depuis vendredi...

lundi 28 décembre 2009

Avons-nous ou sommes-nous tous le même Avatar ?


Pourquoi bouder son plaisir devant l'énorme attraction foraine de James Cameron ? Le cinéma est né dans les foires et la 3D confère au spectacle onirique le sentiment d'être propulsé sur une autre planète pourtant très proche de la nôtre. Le divertissement s'appuie certes sur un scénario basique, avatar extraterrestre de La forêt d'émeraude de John Boorman, politiquement correct, suffisamment critique pour embarquer toutes les bonnes consciences. Les peaux-rouges ont ici la peau bleue de Vishnou, couleur de l'immanence et de la substance de l'espace. En sanskrit, avatâra signifie « descente », réincarnation du dieu protecteur de la religion hindoue. Il est dommage que la musique composée par James Horner soit d'un conventionnel achevé, avatar, cette fois pris dans son contresens, de l'industrie américaine. On aurait pu souhaiter plus d'imagination quant à la partition sonore qu'un orchestre symphonique hollywoodien, quelques variations new-age et une messe idoine à en faire pipi dans sa calotte. S'il ne participe jamais au scénario, le relief est parfaitement adapté aux chatoiement de formes et de couleurs de la planète Pandora. Mais le succès du film ne tient pas qu'à ces artifices...
Avons-nous tous le même Avatar ? Dans le phénomène d'identification propre au cinématographe, le héros a beau être un mâle blanc (notons au passage qu'aucun acteur noir vient pervertir la distribution !), les spectateurs et spectatrices rêvent d'incarner cet ancien Marine, justicier touché par la beauté de la nature et transformé par l'amour. Neytiri, la guerrière Na'vi obéit à la même démarche, laissant tomber sa garde devant la détermination de Jake Sully. L'un et l'autre sont nos avatars, personnages d'un monde rêvé où tout communie dans l'harmonie.
Sommes-nous tous le même Avatar ? Hypnotisés par les images en relief qui explosent sur l'écran, nous incarnons à notre tour le spectateur idéal qu'a rêvé l'industrie américaine. Sur toute la planète, les terriens communient devant ce spectacle de divertissement sans que la charge critique transforme en quoi que ce soit la politique impérialiste des États-Unis. On accepte en Irak, en Afghanistan et ailleurs ce que nous condamnons munis de lunettes polarisantes.
Il est vrai que le système 3D utilisé rend simultanément aveugle chaque œil à la moitié de ce qui est projeté. Les lunettes anisotropes aux propriétés bi-réfringentes réassocient le changement d'angle pour ne constituer qu'une seule image sur laquelle nous focalisons sans étendre notre système critique à la réalité. Nous sommes bien les parfaits avatars de notre civilisation.

dimanche 27 décembre 2009

Bises fraîches


Rarement la mer est aussi haute. Elle arrose les pieds de la villa des Tours. Anny et Françoise, aussi téméraires l'une que l'autre, avaient prévu de s'y baigner ce matin, mais du Mistral est annoncé. Les maisons de la Côte d'Azur ne sont pas équipées pour l'hiver. Il y fait plus froid que dans le nord. J'enfile épaisseur sur épaisseur pour ne pas geler. Françoise a sorti la couverture chauffante qu'elle a rapportée de Chine et Rosette a ajouté un bain d'huile. Ma photo ne vaut pas celle qu'Elsa a envoyée de Bretagne. À marée basse elle a inscrit ses vœux sur le sable mouillé...

samedi 26 décembre 2009

Etumos, le vrai de l'étymologie


Avancer vient d'avant alors que le futur est visé. Pour progresser on règle bien ses comptes avec le passé. L'étymologie recèle l'énigme du sphinx, le viager. Dans la marche vers la mort, que l'on appelle la vie, l'avant s'oppose au cul. Régresser c'est reculer. Dans ce cas, on fait des boucles, on fait des nœuds à s'en prendre les pieds dedans. La chute est assurée. Le règlement repousse l'échéance. Un coup de dé fait trébucher, transformant la marche en déchéance. Un autre montre la voie, mais aucun n'abolit l'arabe az-zahr signifiant dé. D'un côté les rencontres, de l'autre la détermination, mais avant cela, l'origine, l'orient !
En regardant derrière soi, on aperçoit les failles du passé, deux lèvres qui font fracture, l'origine du monde. Devant, l'occident fait tomber le soleil derrière l'horizon. La nuit. D'autres bornes indiquent le chemin.
Rien n'est jamais joué, même si tout est écrit.
L'interprétation est la clef.

vendredi 25 décembre 2009

Laisse crâner


La réalisatrice Dominique Cabrera m'envoie un clip 100% montreuillois autoproduit par son fils et ses copains. Sur DailyMotion, dès que l'on passe en mode Pause, la publicité en haut à droite se déclenche automatiquement. Surprise, c'est celle pour la campagne antidrogue du Gouvernement (article intéressant sur Rue89) ! Je savais que les annonces de GMail étaient choisies en fonction des sujets. Vous évoquez, par exemple, la gastronomie et vous vous retrouvez avec un encart sur une pizza pourrie. C'était peut-être un hasard, mais l'association rap avec drogue m'a fait sauter en l'air. J'ai pourtant arrêté les pétards depuis un moment. C'était peut-être un hasard, le lendemain la pub était signée Orange, la firme qu'on appelle seulement France Telecom en cas de suicide. Sur YouTube, la pub s'incruste parfois en introduction des films. Il n'y a que Vimeo qui échappe à cette pollution. Dans l'environnement marchand qu'est devenu le Web, tout est malaxé et récupéré. Les raccourcis sont explicites du regard que les annonceurs portent sur les contributions libres. Rien n'échappe au détournement. Si vous cliquez sur l'un des liens ci-dessus vous êtes directement dirigé vers les petits films que j'ai mis en ligne, mais cette fois vous l'aurez choisi ! Enfin, pas forcément, car la pub les encadre. On en revient à l'époque où les annonceurs déterminaient les programmes à la télévision américaine, sauf qu'aujourd'hui ce sont vos choix qui vous guident vers telle ou telle marchandise, et les associations sont édifiantes...

jeudi 24 décembre 2009

Swinging London


Pendant les réglages de Nabaz'mob, nous avons un peu de temps pour faire quelques emplettes. Françoise m'a commandé des MBT, les anti-chaussures dans lesquelles on a l'impression de flotter au-dessus du sol, excellentes pour muscler le dos, dit-on. Ça a l'air génial. J'en ai profité pour essayer les Vibram Fivefingers avec chaque orteil séparé, mais c'est aussi compliqué à enfiler que les chaussettes au même principe. Pas assez de patience, cela me casse les pieds. Dans l'Old Truman Brewery qui accueille nos lapins je prends des photos d'Antoine dans la Sphère, une structure gonflable abritant une installation composée d'un écran de Leds géant réfléchi par une ribambelle de miroirs. Mon camarade retrouve ses gestes de night-clubber dès que la techno rythme les images aux effets d'optique imprévisibles !


Avant de lancer la meute nous avons le temps d'aller voir l'exposition Decode au V&A Musseum recommandée par Étienne Mineur et de passer aux food stores d'Harrod's ! Les œuvres sont celles de designers et non d'artistes, ce qui signifie que c'est "joli", mais que ça ne raconte absolument rien. En plus d'être superficielles, elles semblent dater d'il y a dix ans. Les musées européens s'évertuent à toujours montrer les mêmes anglo-saxons ou s'en inspirant, négligeant fondamentalement les artistes français qui ont un monde à eux, avec un propos dépassant l'exercice d'école et l'enjeu instrumental. Decode a le mérite de montrer au grand public des objets mettant en jeu des systèmes interactifs ou utilisant les nouvelles technologies. Quant aux spécialités British, comment éviter la sauce à la menthe et la Picalilli Sauce ?

mercredi 23 décembre 2009

Zombies on Brick Lane


Les trois dernières nuits ont été très courtes. Tout a commencé samedi soir chez Elisabeth. Il fallait voir et entendre l'impatience et l'enthousiasme cinéphilique déployés par Elisabeth Lequeret, Marie-Pierre Duhamel et Jonathan Rosenbaum dont les phrases se coupaient, s'enchaînaient et se croisaient.. Dans une allégresse générale nous échangeons nos commentaires, critiques et appréciations sur les films de Berlin, Venise ou ailleurs, sur ceux du temps passé, du présent et de l'avenir. Le grand jeu ! Je note Skidoo d'Otto Preminger tourné après son expérience du LSD, The Manchourian Candidate et les réalisations pour la télévision de John Frankenheimer que j'ignorais. Nous rejoindrons nos pénates vers quatre heures du matin. Depuis, j'ai peu dormi, me levant tous les matins vers six heures alors que les soirs s'étendent dans la nuit verglacée. Pourtant, la semaine semble assez calme. Façon de parler. Les doigts s'agitent toujours autant sur le clavier. Noël Burch organise à la maison une projection de son film en cours, réalisé avec Allan Sekula, pour que ses amis lui donnent leur avis. Nous craquons au bout de trente minutes du dernier Spike Jonze, Max et les Miximonstres. Mieux vaut lire le livre de Maurice Sendak. Tard le soir, je termine la troisième saison de Heroes. Françoise me fait prendre une cure de magnésium que j'interromps pour partir à Londres.
Antoine et moi y sommes finalement arrivés. Notre marathon s'est achevé par plus d'une heure de trajet en métro entre Heathrow et Aldgate East. Nous marchions au radar, mais nous y voilà ! La baie vitrée de la petite suite donne sur le panorama de la City, quelques gratte-ciel surmontées de grues dont l'étonnant Cornichon de Norman Foster. La véritable richesse du quartier n'est pas là, mais sous nos fenêtres. Brick Lane est bengali. Des hustlers font la retape à la porte de tous les restaurants indiens. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Dans l'avion de la British Airways, nous nous étions entendus sur le choix du restaurant de ce soir, histoire de nous plonger dans le bain avant de sombrer dans les bras de Morphée. Les épiceries, les magasins de bricolage, les vendeurs de CD et DVD jouent le raga du soir tandis que nous nous éteignons... Au moment de m'endormir, je reçois un SMS d'Antoine qui vient de changer de chambre. En branchant l'adaptateur électrique pour prise anglaise acheté en bas, il a fait sauter les plombs... Que nous réserve l'installation des lapins que nous mettons en œuvre ce matin aux aurores ? Nous devons encore brancher cent cinq transfos sur le secteur et le magnifique entrepôt de l'Old Truman Brewery n'est pas chauffé dans la journée ! Le thermomètre japonais mis en vente par Colette y affiche 9°C.

mardi 22 décembre 2009

Et vole la galère


C'est impressionnant. Tous les écrans de la zone d'embarquement sont éteints. L'organisation d'EasyJet est idiote. Les gens font la queue sans savoir pourquoi. Il suffirait de faire une annonce à voix haute ou d'écrire deux ou trois informations sur un bout de papier. Le seul moyen de changer son billet passe par Internet, mais nous n'avons pas les codes car la réservation a été faite par Auditoire censé nous expédier à Londres. Heureusement que nous sommes deux en rade à Roissy. On en rigole alors que nous sommes coincés à la cafétéria. L'aéroport de Luton bloqué par la neige, nous sommes condamnés à attendre les instructions de l'agence ! Nous ne sommes pas seuls. Madrid, Milan, etc., partout en Europe le froid gèle les transports... C'est incroyable. Il ne fait pas si froid. Les Canadiens sont pliés en deux. Patience et flegme britannique sont de rigueur.

P.S. : ultime rebondissement (?), Auditoire a trouvé des billets sur Air France pour Heathrow ce soir... Retour à la case départ. Nous espérons pouvoir installer dans la nuit... Si tout se passe bien, il reste à envisager le rapatriement !
P.P.S. : rebelote, nous avançons le départ avec British Airways, mais nous rentrons just in time for Christmas. J'imagine que l'avenir nous réserve d'autres surprises...

Le froid isole le continent


Si nos malles pleines de lapins sont arrivées à bon port, c'est que les petits rongeurs ont su faire leur trou en passant par le tunnel. La neige et le froid ayant bloqué les voyageurs de l'Eurostar vendredi, les trains ont été annulés jusqu'à hier soir. Or nous devons installer cet après-midi le clapier du v1Ensemble dans l'Old Truman Brewery de Brick Lane pour la soirée privée de mercredi soir organisée à l'occasion de la sortie de la Cube de Nissan (pub). Une soirée semblable doit avoir lieu le 30 à Paris et nous espérons que nous aurons tous été rapatriés d'ici là. On nous a bien proposé des palmes, mais elles n'étaient pas académiques. Nous avons donc annulé nos billets de train et nous voilà en route pour Roissy. Croisons les oreilles pour que le Times ne se fende pas encore d'un titre typically British comme son "Tempête sur la Manche : continent isolé" publié en une dans les années 50 !

lundi 21 décembre 2009

Ne te promène donc pas pieds nus


Même si c'est très agréable, la manie de marcher pieds nus m'a coûté maints déboires comme la fracture répétée de mon fameux petit orteil gauche. Aujourd'hui c'est plutôt la crève qui me guette si je me balade ainsi sur le sol glacé. J'ai beau maîtriser la parade magique de "l'alium cepa 4 ou 5 CH trois granules quatre fois par jour" je risque un bon rhume, ce qui ne serait pas malin à la veille du départ pour Londres. Encore faudrait-il que le trafic ferroviaire soit rétabli dans le tunnel sous la Manche pour que l'Eurostar nous y transporte ! J'hésite donc entre les chaussons fourrés en laine des Pyrénées achetés à Luchon dans la vallée ou les Priglovke dont j'écorche monstrueusement le nom bosniaque si je me souviens de l'hilarité générale des assiégés sarajéviens lorsque j'essayais de le prononcer. Le premier magasin a retiré de la vente les chaussons colorés de son étalage pour laisser la place aux skis, comme si on n'avait pas besoin de se réchauffer les pinceaux en rentrant des pistes ! L'odieux boutiquier des allées d'Étigny ne semble pas avoir besoin de notre clientèle en cette saison. Quinze ans plus tôt, l'autre vitrine exposait les deux dernières paires de chaussettes à semelle de toute la ville. Après que j'ai emporté la paire de rouges pour mes arpions et la bleue pour Elsa, le vieux monsieur gentil baissa définitivement le rideau de fer. Il n'y avait plus rien à vendre à Sarajevo. Je n'ai plus qu'à faire attention de ne pas glisser dans l'escalier...

dimanche 20 décembre 2009

34. Stigmates


La température sort Ilona de son sommeil de plomb. Les murs brillent d'un éclat métallique qui lui glace le dos. Une sueur froide creuse des affluents qui se rejoignent à l'estuaire du coccyx. Les stigmates ont-ils été creusés de l'intérieur ? Pas tous, c'est impossible. Est-ce une surface ou un volume ? Il faut deux yeux pour le savoir et l'une des paupières d'Ilona reste collée. Ses doigts n'ont plus d'ongles. Aurait-elle pu griffer elle-même cette peau de rhinocéros qui remue quand on la touche ? Les plaques tectoniques qui s'entrechoquent suggèrent la convection d'une démangeaison intérieure. Ilona arrache son corsage, jette ses frusques à même le sol sans reconnaître ni le haut ni le bas. Elle se dénude complètement avant de plonger contre la paroi qui se liquéfie sous son poids. C'est comme nager sur la Mer Morte. Les sels d'argent irritent le cliché qui la révèle comme elle est, éperdument seule. Elle se retrouve dans sa maison détruite il y a déjà seize ans, mais à l'âge qu'elle a maintenant. Les jours de beau temps comme aujourd'hui, la rue est vide. Chacun se calfeutre derrière les plastiques translucides tendus à la place des fenêtres ne laissant passer que la lumière. On ne voit rien au travers. On imagine. Elle a ramassé des éclats d'obus qui ressemblent à des étoiles. À leur extrémité perlent des larmes fondues comme au bout de celles du shérif. Tombées au champ d'honneur. Tu parles. Personne ne pleure plus. Lorsque la brume se dissipe les collines sont à vue, alors ta vie ne tient qu’à un fil puisqu’elles te voient aussi. Tu ne cours plus. Si tu traverses tu te caches parfois la figure avec un journal pour ne pas voir la mort fondre sur toi. D'autres jours, tu forces le trait de ton maquillage pour qu'il se remarque de tout en haut. Montrer que tu ne crains pas la terreur. Ce n'est pas toi pourtant. Le ciel est retourné. Ta cousine Dana vit encore là-bas. Pas toi. Tu n'y es jamais allée. Ta culpabilité est un prétexte. Après l'attentat contre l'archiduc ta famille émigre à Athènes. Tu t'es engagée dans le bataillon pilote en pensant à cette fille devenue folle à force de solitude. On ne pouvait ni entrer ni sortir. Les paysans venaient faire des cartons le week-end pour se détendre. L'oncle finit brutalement sa carrière d'herboriste sur la place du marché. Ilona sait que l'obus n'est pas serbe, mais elle ne peut rien dire. Les monstres en ont tellement tirés. Cent personnes d'un coup. C'était le nombre qui tombait chaque semaine. Il a fallu celui des tigres pour que s'arrête le massacre. Pourquoi s'identifie-t-elle encore à Dana ? Elle regarde ses mains en croyant que ce sont les siennes, jusqu'à ce qu'elles s'envolent dans l'explosion. Le bruit la réveille. Un instant, elle imagine que c'est la dernière, déflagration atomique qui soufflerait tout et elle avec. Le rêve amplifie le moindre son. Elle est toujours vivante. Peut-elle enfin regarder le bleu du ciel sans crainte ? Ilona n'est pas Dana. Elle cherche autour comment chasser à jamais ses terribles images qui la hante, les plaintes étouffées sous le charnier, le chien crucifié, les chairs éparpillées. C'est trop fort. Ce n'est pas ça. Une nuée d'oiseaux lui perce les tympans. Max est devant elle. Il la regarde avec un sourire banane qui lui fend le visage jusqu'aux oreilles. Elle n'est pas certaine que ce ne soit pas sa gorge, quelques centimètres plus bas. Derrière elle, Stella fait claquer les doigts de ses deux mains comme si elle voulait imprimer un nouveau rythme à l'univers. Ilona ne peut pas suivre. Elle a du mal à tenir sur ses jambes. Elle glisse d'un pied sur l'autre. Rien n'est d'aplomb. C'est au tour du soleil de lui crever les yeux. Pourtant tout est serein. L'odeur du poisson envahit ses narines. Elle retrouve ses sens. Chacun se demande où ils ont bien pu atterrir.

Rappel : le premier chapitre a été mis en ligne le 9 août 2009, inaugurant la rubrique Fiction.

samedi 19 décembre 2009

Le cinéma expérimental avant et après


Reçus à quelques jours d'intervalle, deux compilations de 2 DVD chacune (toutes zones) affichent "Avant-Garde" sur leurs jaquettes respectives. La première, volume 3 d'une collection dévouée au genre, est éditée par Kino et embrasse les années 1922-1954. La seconde, volume 4 d'une collection des trésors du cinéma américain, affiche la période 1947-1986. Entre les deux se dessine pourtant un grand écart caractérisé par l'abandon de la narration chez les Américains à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, qui ghettoïse l'avant-garde dans les cinémathèques et les musées, tandis que le cinéma expérimental influençait jusque là le cinéma populaire. Il ne reste plus aujourd'hui que la pub ou les génériques pour s'en inspirer. Le simple terme d'avant-garde suggère que suivrait le reste des troupes !
Dans l'Avant-Garde 3 de Kino, Rien que les heures d'Alberto Cavalcanti (1926) anticipe les recherches formelles et documentaires de Berlin Symphonie d'une grande ville de Walter Ruttman et de L'homme à la caméra de Dziga Vertov, Tomatos Another Day de James Sibley Watson (1930) se moque de l'arrivée du cinéma parlant en le retournant comme un gant, The Uncomfortable Man (1948) de Kent Munson et Theodore Huff est réalisé douze ans avant The Peeping Tom de Michael Powell, Mary Ellen Bute ou John Whitney rappellent les animations de Norman McLaren, Closed Vision, pétillant long-métrage lettriste de Marc'O (producteur du Traité de bave et d'éternité d'Isidore Isou, présent sur le volume 2, et réalisateur du film-culte Les idoles) présenté à Cannes en 1954 par Buñuel et Cocteau ! Les autres films sont aussi passionnants, de la Danse macabre de Dudley Murphy au Four in the Afternoon de James Broughton en passant par Charles F. Klein, Sidney Peterson, Chester Kessler, Dimitri Kirsanoff, Willard Maas, John E. Schmitz. En bonus, quelques extraits de films populaires influencés par le cinéma expérimental montrent que les ponts n'étaient pas encore coupés entre les raconteurs d'histoires et les plasticiens expérimentaux. Les premiers n'avaient pas encore perdus leur curiosité, les seconds n'avaient pas encore été entraînés par un formalisme répétitif dont les poncifs n'avaient rien à envier aux précédents.
Car la seconde compilation, Trésors de l'avant-garde américaine, incite à s'interroger sur les constantes qui émanent de la plupart des films jusqu'à se répandre mondialement comme le reste de l'industrie culturelle étatsunienne. Nous nous retrouvons souvent face à de longs plans séquences sans montage, des accumulations stroboscopiques d'images du quotidien parfois légèrement tordues par un psychédélisme naissant, des bougés, flous, ratures hérités des films domestiques dits amateurs, un commentaire prétendument poétique en voix off et d'autres artefacts qui finissent par faire un genre de ce qui aurait pu rester du cinéma "expérimental", soit une recherche de ce que peuvent apporter, par exemple, la rencontre des images et des sons. Certaines de ces images présentent une réelle beauté picturale dont les innovations sont essentiellement liées à l'évolution technologique des outils employés. On est ainsi passé de la peinture au cinéma, puis à la vidéo, enfin à l'informatique, mais la plupart des films expérimentaux projetés depuis soixante ans ressemblent plus à des tableaux qui bougent qu'ils ne véhiculent un langage cinématographique proprement dit. À mon niveau, ils ne peuvent me plaire que s'ils convoquent quelque mouvement dialectique entre leurs composants, que ce soit dans la relation audiovisuelle (la complémentarité du son), dans la rencontre elliptique de deux plans (le montage), dans les rebondissements de l'action (le scénario) ou dans le choc qu'ils produisent sur notre inconscient avec les questions qu'ils suscitent à la clef. Le reste est bien monotone. La comparaison chronologique est inévitable avec la cassure entre les inventions du cinéma muet et la régression du parlant. Enseigné dans les écoles des beaux-arts ignorant l'histoire du cinématographe, condamné à reproduire les tics des peintres de l'ancien temps fusse avec de nouveaux instruments, le cinéma expérimental s'enferme dans une matière plastique. Le comble de cette fatale déviance est représenté par l'art vidéo où les installations présentées en galeries et musées frisent l'indigence audiovisuelle en tentant de présenter des exercices plus que sommaires pour des cathédrales. Comme toujours, seuls quelques rares artistes se tirent du marigot. Entre les innovateurs ayant posé les bases et les auteurs dont l'univers est suffisamment fort pour tirer la substantifique moëlle de tout ce qu'ils abordent on trouvera toujours quelques géniales exceptions. Les œuvres non narratives, sincères et authentiques, seraient souvent plus appropriées à un accrochage qu'à une projection en salle. Regarder ces "films" religieusement ne sert pas leurs propos, c'est même carrément pénible. Combien de fois êtes-vous resté plus de cinq minutes devant un chef d'œuvre de la peinture ? La déambulation et la permanence serviraient probablement mieux leur diffusion. On en reparlera bientôt puisqu'un constructeur asiatique projette justement de mettre sur le marché un écran correspondant à cette démarche.
La compilation américaine réjouira néanmoins les amateurs. J'ai adoré les animations de Harry Smith ou Lawrence Jordan, la comparaison entre les deux partitions sonores deBridges-Go-Round de Shirley Clarke par Teo Macero ou Louis et Bebe Barron, le plan-séquence inversé sur l'escalator de Necrology de Standish Lawder... On retrouvera Jonas Mekas, Bruce Baillie, Robert Breer, Pat'O Neill, Wallace Berman, Saul Levine, Joseph Cornell, Stan Brakhage (dont il existe une superbe édition chez Criterion), Christopher McLaine, Ken Jacobs, Ron Rice, Andy Warhol, George Kuchar, Robert Nelson et William T.Wiley, Owen Land, Larry Gttheim, Hollis Frampton, Paul Sharrits que j'eus pour la plupart la chance de découvrir au CNAC et à la Cinémathèque lors de l'exposition "Une histoire du cinéma" présentée par Peter Kubelka en février-mars 1976. Signalons aussi la présence de plusieurs artistes féminines de choix, Chick Strand, Jane Conger Belson Shimane, Storm de Hirsch et Marie Menken. Un petit livret de 70 pages préfacé par Martin Scorcese accompagne l'ensemble, mais les quelques partitions récentes de John Zorn, compositeur en résidence à l'Anthology Film Archives, sentent le réchauffé et ne sont pas à la hauteur du magnifique travail des musiciens œuvrant sur la compilation Kino, à savoir Larry Marotta, Sue Harshe, Paul Mercer, Bruce Bennett et Davis Petterson, dont certains étaient déjà présents sur les volumes 1 (rassemblant Duchamp, Léger, Man Ray, Epstein, Orson Welles, Ivens, Richter, Eisenstein, Eggeling, Painlevé...) et 2 (cette fois Maas, Menken, Peterson, Broughton, Brakhage, Paul Leni, Mitry, Kirsanoff et Isou), tout aussi conseillés.

vendredi 18 décembre 2009

Aglagla


Au travers des feuilles du yucca, je surprends le merle venu picorer les fruits d'églantier glacés par la neige. Manger des mets réfrigérés même en hiver est un plaisir sans mélange. Rien de plus délicieux que la tire d'érable ou les glaces de chez Berthillon ! Calfeutré à la maison, je manque de l'un et l'autre. Mon chrono-régime m'interdisant les desserts, je ne mange de sucre qu'au goûter et j'en oublie glaces et sorbets qui ont déserté le congélateur. Nous ferons un saut à l'Île-Saint-Louis l'année prochaine. C'est bientôt. Plus tôt que l'escapade québequoise où je pourrai faire provision de véritable sirop d'érable. Antoine et moi ouvrirons le 26ème Festival de Victoriaville, le FIMAV, avec notre opéra Nabaz'mob le 20 mai 2010. Les lapins vont se retrouver dans tous les magazines musicaux internationaux et, sur l'affiche officielle, ils envahissent Victo, la classe ! N'empêche qu'il faudrait aller acheter des boules de graisse avec des graines pour les oiseaux avant mon départ pour Londres. Tout pour les lapins, rien pour les zoziaux, ce n'est pas juste ! Même Scotch s'est mis au régime croquettes diététiques en prévision des fêtes... Il ne se doute pas que la fête va durer toute la vie !
À l'instant où je termine mon billet, Sacha m'appelle au téléphone, préférant se calfeutrer chez lui plutôt que de braver le froid. Il est justement en train d'écouter un disque de Terje Isungset, un musicien qui joue sur des instruments de glace, percussions, mais aussi harpes et trompes !

jeudi 17 décembre 2009

James Turrell, le magicien de la lumière


Il y a dix ans je composai l'habillage de Europrix avec Étienne Mineur alors directeur artistique de l'agence autrichienne NoFrontiere. Nous réalisions ensemble les clips télé, la scénographie du Musée de l'Industrie où la manifestation se déroulait, et tout ce qui tourne autour, soirée télé en direct, etc. (extrait vidéo sur incandescence / projets 1998). Comme j'avais terminé les enregistrements et la mise en espace et qu'Étienne était comme d'habitude au four et au moulin j'allai visiter avec Claire Mineur, sa compagne, la Sécession, le Musée Hundertwasser, la pâtisserie Demel, les baraques de saucisse au fromage et tout ce qui fait le charme de Vienne.
Claire m'entraîna au Musée des Arts Appliqués où était exposée une rétrospective James Turrell. Le choc fut inexprimable. J'en garde encore aujourd'hui un souvenir hallucinant. Nous pénétrons dans des couloirs totalement obscurs pour être soudain confrontés à des rectangles monochromes de couleur vive dont on ne comprend absolument pas d'où vient la lumière. Un trait d'une autre couleur souligne parfois le cadre, mais sommes-nous proches ou loin de la source, quelle est sa véritable taille ? Tout fait énigme. Nous flottons dans un nulle part qui n'a de rapport avec aucun ailleurs. La stupeur est à son comble dans Wide Out, large espace bleu où les visiteurs laissent leur ombre en rémanence sur leur propre pupille. Déchaussés, nous ne planons pas, nous volons. Aucune installation lumineuse n'égala jamais l'expérience vécue ce jour-là. Depuis je cherche désespérément les manifestations de Turrell dans l'espoir de partager cette inexplicable émotion avec celles et ceux à qui je la raconte en vain.
Regardez la vidéo tournée à Wolfsburg en suivant les sous-titres. Elle permet de comprendre un peu mieux la dimension de cette œuvre à vivre exclusivement en s'y immergeant corps et âme...

mercredi 16 décembre 2009

La disparition


Des milliers de personnes disparaissent chaque année en France. On retrouve souvent les fugueurs, mais nombreux sont pour nous perdus à jamais. Ont-ils changé d'identité, sont-ils au fond d'un lac, voguent-ils vers d'autres îles ? Ce sont souvent des drames pour leurs proches incapables de s'expliquer ces disparitions, rendant le deuil impossible. Récemment des amis qui avaient conclu la vente de leur maison avec un couple de sexagénaires BCBG ont vu s'évaporer leurs acheteurs le jour de la signature définitive, partis sans laisser d'adresse. Plus personne ne répond aux téléphones. Aucune explication. Le silence est angoissant lorsqu'un simple message pour se dédire aurait suffi. Il y a vingt ans, un autre couple avait disparu du jour au lendemain après avoir commandé la partition d'une pièce de théâtre à Un Drame Musical Instantané ; nous avions longuement travaillé ensemble sur leur Protée et le jour où nous avons terminé de mixer la bande, restée inédite, nos commanditaires se sont évaporés.
Le droit à l'oubli est un sujet brûlant sur lequel il se trouve que je travaille actuellement pour Tralalere associé à la CNIL. Les traces que nous laissons sur Internet peuvent à terme se retourner contre nous. La Toile a pourtant permis à chacun de retrouver des amis très chers perdus de vue depuis belle lurette. D'anciennes amours, des camarades de classe, des collègues réapparaissent ainsi régulièrement grâce à une googlisation méthodique. Il est facile de se transformer en détective. Sur son blog Étienne Mineur s'inquiète à juste titre de la puissance de Google. Il n'empêche que certaines recherches restent vaines, ce qui est inexplicable pour des individus qui devraient raisonnablement être exposés. Des ingénieurs et des artistes du Net se sont ainsi volatilisés. C'est plus incroyable que par exemple pour mon copain de classe Jean-Pierre Laplanche ! Ont-ils effacé méticuleusement leurs traces ? Sont-ils morts ? Les filles ont parfois pris le nom de leurs époux, mais pour les garçons le mystère restera entier. Certains noms résistent à l'enquête policière. Contrariés d'avoir perdu irrémédiablement tel être cher ou un débiteur indélicat, nous comprenons qu'il y a des milliers de raisons de préférer disparaître pour refaire sa vie ou la fuir. Savoir qu'il est possible aujourd'hui, dans notre société de contrôle, de s'évanouir aux yeux de tous peut somme toute être considéré rassurant !

mardi 15 décembre 2009

Spike Jones définitivement


J'avais évoqué ici The Story et surtout The Legend lorsque les DVD étaient sortis aux États-Unis. The Best, la nouvelle publication, répond encore mieux aux attentes des amateurs français. Pas d'entretiens ni de shows complets, mais une succession des meilleurs sketches télévisés en 2 DVD plus un troisième avec deux pilotes inédits de l'orchestre à ses débuts, près de 4 heures de démence. Qu'ajouter à ce que j'ai déjà écrit ? Spike Jones était connu de ce côté de l'Atlantique pour ses disques alors que ses facéties acrobatiques sont aussi visuelles que sonores. Découvrir les sketches pour la télévision offre le véritable spectacle des City Slickers, le show musical le plus loufoque qui ait jamais existé, ce qu'on fait de mieux dans la grande tradition des clowns musicaux !

lundi 14 décembre 2009

Sun Ra continue à appeler la Terrre


Je ne me souviens plus si j'avais signalé Space is the Place, le DVD du long-métrage de science-fiction très bizarre de John Coney avec Sun Ra, que m'avait indiqué Étienne Brunet, un cocktail black power et free jazz aussi ringard que fascinant.
Cette fois Gary May m'envoie ce clip d'un quart d'heure que j'ignorais, light-show psychédélique réalisé avec le synthétiseur visuel de Bill Sebastian, l'Outerspace Visual Communicator ! Inventé en 1978, l'instrument est équipé d'un doigt électronique et de 400 touches contrôlant couleurs, symétries et mouvements. Le "peintre" manipule ainsi ses rotations, compressions, zooms, etc.
Le clip a été réalisé au Mission Control de Boston en 1986 avec Sun Ra (claviers, voix) et son Arkestra : Ra-keyb (voix), Al Evans et Fred Adams (trompette), Tyrone Hill (trombone), Marshall Allen (sax alto), John Gilmore (sax ténor), Danny Ray Thompson (sax baryton), Eloe Omoe (clarinette basse), James Jacson (basson, percussion), Bruce Edwards (guitatre électrique), John Brown (batterie), June Tyson (voix, danse). Aux commandes de la réalité virtuelle : Michael Ray, Barday, Eddie Thomas (Thomas Thaddeus), Atakatune.
Mes lecteurs connaissent mon attachement pour le light-show qui marqua mes premiers balbutiements artistiques avant de rentrer à l'Idhec et de monter sur scène. Mais saviez-vous que ma petite sœur Agnès et moi avions joué le rôle de mascottes de l'Arkestra au tout début des années 70 ? Assistant aux répétitions des Nuits de la Fondation Maeght en 1970, nous avons tout de suite été adoptés par le percussionniste Nimrod Hunt (Carl S. Malone) qui nous a présentés au reste de l'Arkestra. Le contrebassiste Alan Silva, qui chez Sun Ra ne jouait que du violon coincé entre les genoux, taquinait ma petite sœur en évoquant la comédienne Agnes Moorhead. Au bout de nombreux concerts, je réussis une seule fois à interroger "le maître", comme l'appelaient tous les membres de l'orchestre. Il était, sinon, inapprochable, planant au-dessus de la mêlée comme un être déplacé, on dira littéralement sur une autre planète ! C'est à cette époque que je mis en contact Alan et le saxophoniste Frank Wright que j'avais rencontré chez Giorgio Gomelsky (l'impressario des Rolling Stones !) et qui ignorait sa récente arrivée sur le sol français. Avec le batteur Muhammad Ali et le pianiste Bobby Few ils allaient former le quartet de free jazz le plus puissant et le plus présent de la scène parisienne.
Sun Ra et Harry Partch marquèrent certainement les deux chocs orchestraux de mon adolescence.

dimanche 13 décembre 2009

Les usuriers


L'économie islandaise s'est écroulée depuis "la crise", la dernière avant la prochaine, la Grèce est au bord de la faillite et d'autres pays pourraient suivre, entraînés dans la chute par un effet domino. Des sociétés ferment, des individus sont ruinés, la dette des pays pauvres ne fait que grossir, etc. Face à tout débiteur il y a un créditeur. Tout cet argent emprunté que l'on est incapable de rembourser appartenait à un prêteur. Ce sont en général des banques, parfois des états, même si cela revient au même. Les endettés sont le plus souvent asphyxiés par le taux de l'usure. C'est le cas des pays pauvres qui ne cessent de rembourser les intérêts, n'arrivant jamais à se débarrasser de leurs dettes. Jusqu'à déclarer forfait comme le Mexique en 1982 ou l'Argentine en 2001. La spirale est infernale, il faut emprunter pour payer les intérêts, etc. La seule solution est pour eux de faire fonctionner la planche à billets, on imprime à tour de bras, mais le pays sombre automatiquement dans la crise, dévaluation et récession à la clef.
La gourmandise des usuriers étrangle les endettés dont la gestion budgétaire est dictée par les lois d'un marché imposé par les riches. On pousse à la consommation, on proclame indispensables certaines réformes coûteuses, on fait miroiter des profits, et les puissants de s'en mettre plein les poches pendant que les populations travaillent comme des malades sans ne jamais arriver à sortir de leur condition. On naît riche, on le devient rarement. L'accession à la propriété et par là-même le crédit sont des moyens légaux et démocratiques d'empêcher la révolte des citoyens en colère. Le crédit est surtout une aubaine pour les banques, à condition qu'elles soient remboursées. C'est ce qui leur permet de s'enrichir, ou plus précisément leurs actionnaires, à condition de ne pas miser sur des clients insolvables. C'est ce qui s'est passé aux États-Unis avec des dizaines de milliers de familles jetées à la rue, leurs logements de par ce fait inoccupés se dégradant jusqu'à la ruine, créant de véritables villes fantômes. Pyramide absurde, puisqu'au bout du compte tout le monde en pâtit, les salariés, les maisons inhabitées et les banques. Sauf que l'État vient au secours des banques tandis qu'il laisse la population s'enliser dans la misère. Quand les banques reprennent le dessus elles ne remboursent pas pour autant à la hauteur des secours octroyés ni ne soutiennent à leur tour les usagers.
Pere me raconta la visite qu'il fit à son banquier à Figueras. Celui-ci consentirait à lui octroyer un prêt à une condition étrange. Si mon ami était capable de deviner lequel de ses deux yeux était un œil de verre, il accepterait de l'aider. Pere ne se démonte pas et indique sans hésiter le droit. Le banquier, surpris de sa perspicacité, lui demande comment il a deviné. Et mon ami catalan de répondre : " c'est le seul où il y a un peu d'humanité ! "

samedi 12 décembre 2009

Nabaz'mob et la Tour Eiffel


Hier soir le tableau était kitsch à mort. La Tour Eiffel clignotait en rythme avec les lapins pour leur première sortie dans un cadre évènementiel, en l'occurrence l'inauguration des nouveaux bureaux du Boston Consulting Group rue Saint Dominique. Une immense tente accueillait les 500 invités en dessous de la façade dont les fenêtres servaient de canevas à une animation vidéo. Des hôtesses laissaient monter les visiteurs par petits groupes jusqu'au cinquième étage pour assister à l'opéra Nabaz'mob présenté comme le clou de la soirée. Un parcours lumineux les guidait à travers une salle de boules à facettes enfumée qui me fit penser au début des 5000 doigts du Docteur T. Dans le couloir des snowfalls alignés sur le sol donnaient l'impression que l'on shootait dans des éclats de lumière.


Tout au fond, les 100 lapins jouaient leur partition tandis que l'on pouvait découvrir au travers des deux baies vitrées leur servant de décor, à gauche, le dôme des Invalides et, derrière, la Tour dont les illuminations de Noël semblaient avoir été conçues par l'équipe de Hmm! pour coller avec le reste du spectacle. Nous récoltons avec amusement les remarques des jeunes cadres de BCG de plus en plus éméchés : " C'est bien l'esprit de la boîte, discipline et alignement... Tous pareils, tous différents... Une métaphore des consultants... Le Conseil d'Administration... Ils vont nous sauter dessus... C'est extrêment bizarre... Hyper-flippant... You can chose which one you are... Et donc ?... ". Un Nanoz:tag, petit lapin vert comme leur logo, était offert à chaque invité à son départ. Le nôtre était décalé. Il faudrait encore parquer notre marmaille de v2 dans leurs clapiers métalliques, les charger dans une carriole sans chauffage, foncer vers le Bois jusqu'à leur tanière, les déposer et reprendre les trois flight-cases de v1 devant s'envoler pour Londres la semaine prochaine...
On n'était pas couchés ! Il était tard, d'autant que samedi soir on irait au Bal des Allumés qui se tient dès 21h au Triton, Les Lilas, mené par le Grand Chahut Collectif.

P.S. : la performance du v2Ensemble, filmée et montée par Françoise Romand, est en ligne !

vendredi 11 décembre 2009

Le scandale de la grande distribution


L'économiste Christian Jacquiau, expert comptable et commissaire aux comptes, auteur des Coulisses de la grande distribution (2000) et des Coulisses du commerce équitable (2006) révèle les marges prohibitives réalisées par les hypermarchés. En cinq parties tournées à Bacelone le 15 avril 2008, Jacquiau dissèque le système des centrales d'achat, collusion avec les politiques, monopoles leur permettant un chantage terrible sur les producteurs et de contrôler le pouvoir d'achat des consommateurs, pressions sur l'Europe... Avec des chiffres et des arguments clairs et précis, il défend le monde agricole, le commerce de proximité, les conditions de travail et de santé, le service public, le commerce équitable subverti en commerce de l'équitable, les produits bio importés de Chine sans respect pour les conditions de travail, etc. Pour être en accord avec ses idées, Jacquiau assimile faire ses courses dans les supermarchés à glisser un bulletin de vote pour ces iniquités. La dernière partie propose des solutions alternatives.
La suite du film en 6 parties : 2 - 3 - 4 - 5 - 6

jeudi 10 décembre 2009

Offrez 10 Ferrari pour Noël


40 euros le coffret de 10 cd, qui dit mieux ? L'œuvre électronique de Luc Ferrari (La muse en circuit, INA) est joliment présentée (liste des œuvres), agrémentée d'un livret bilingue de 104 pages dont un intéressant entretien avec sa compagne, Brunhild Meyer-Ferrari. J'ai plusieurs fois rendu ici hommage au compositeur disparu en août 2005. Je découvre aujourd'hui maintes œuvres qui m'avaient échappé, inventions, immersions et décorticages sonores, où tous les coups sont permis et où toutes les coupes font sens. Qu'il joue des ciseaux ou sur la durée, Ferrari ouvre radicalement le champ de la musique électroacoustique sur des fictions amoureuses et des reportages sonores composés comme des pièces de théâtre musical documentaire. La voix fait glisser l'ensemble vers le journal sonore ou musical. Le Hörspiel est un concept allemand qu'aucune traduction française ne peut rendre, faute de pratique et de culture de l'écoute. Le terme "jeu d'écoute" ferait penser à un truc pour gamins. C'est cela. Si Luc Ferrari est un chercheur mené par le désir, un promeneur critique, un artiste de chair et de sang, il est resté un petit garçon coquin, avide de savoir et de plaisirs immédiats. Le prix extrêmement modique du coffret permet de découvrir une œuvre sensible, souvent humoristique, toujours intelligente.

mercredi 9 décembre 2009

Il n'y a pas d'amour heureux


Une amie me fait part de sa dépression en invoquant son hyper-lucidité. On le serait à moins, à regarder la planète se laisser épuiser par les profits à court terme, l'inexorable exploitation de l'homme par l'homme, la barbarie des états ou le cynisme des puissants. Mais à contempler nos enfants, on peut aussi se dire que le monde leur appartient et qu'ils n'ont pas moins de ressources que nous n'en avions à leur âge. Le combat ne peut souffrir aucun répit, dans la construction de notre équilibre comme dans la résistance à ce qui nous est souvent présenté comme inéluctable. Notez que j'évite soigneusement le concept du bonheur, repensant à la réponse d'Aragon à qui l'on reprochait d'avoir écrit "Il n'y a pas d'amour heureux" (ici mis en musique par Brassens) ; le poète expliqua qu'il avait composé ces vers pendant l'Occupation allemande et qu'il aurait été un salaud de chanter le contraire.
Pierre-Oscar Lévy a réalisé un petit film passé clandestinement mardi soir sur Arte à 0h15 pour être certain qu'il ne fasse pas trop de vagues. La peur, toujours la peur. Celle de diffuser cette somme de questions légitimes à une heure décente ? Ou celle qu'entretiennent les médias, passés quatrième corps d'armée dans la lutte pour le pouvoir et la suprématie ? La peur est une arme de manipulation pratique, rentable et efficace dès que l'on souhaite enfumer la population. Lever des fonds militaires ou policiers, justifier l'agression de pays producteurs de richesses naturelles, forcer le vote sécuritaire, accuser l'ennemi de ses propres horreurs... Rien de mieux que la frousse pour galvaniser les foules, les aveugler ou les transformer en bêtes féroces. Et là, aucune autre bête ne leur arrive à la cheville ! Lorsque l'on dit que la peur est mauvaise conseillère, ne sont pas visés ceux qui en usent et abusent !
Pierre-Oscar Lévy se demande pourquoi communiquer massivement sur des agressions aussi rares que les attaques nucléaires ou chimiques. Les attentats sont le plus souvent commis avec des armes classiques ou bidouillées avec les moyens du bord, recettes de marchand de couleurs trouvables gratuitement sur Internet. Retraçant rapidement l'histoire de quelques attaques récentes et de l'usage des gaz mortels, il rappelle leur emploi massif dès 1915 pendant la première guerre mondiale (ypérite dit gaz moutarde, chlore, etc.)... Il n'y a de terrorisme que d'État, n'eus-je de cesse de répéter. À qui profite le crime ? Étrange comme le gouvernement américain a étouffé l'affaire de l'anthrax, par exemple ! Les groupuscules sont toujours noyautés et soutenus par tels ou tels services secrets. Et P.O.L. à son tour de l'exprimer : "Le contre-terrorisme ne commence-t-il pas à se confondre avec le terrorisme et la terreur ne finit-elle pas prendre la pensée en otage ?" Il ajoute prudemment : "Seule l'histoire pourra en juger..." en susurrant que "le risque terroriste ne fait plus la une depuis la crise financière" ! Sur son blog, un lecteur lui reproche de ne pas révéler qui tire les ficelles. Et P.O.L. ne répondre judicieusement : "C'est mon deuxième film sur le terrorisme, j'ai pu comprendre que lorsque l'on croit savoir une chose, très précisément, c'est qu'on a été manipulé..."
Je ne souhaite pas vous faire peur, mais il ne reste plus que cinq jours pour voir ou revoir les 28 minutes du film De l'usage politique des armes de destruction massive sur le site d'Arte, malencontreusement attribué à un autre réalisateur (?) et antidaté... Le film est évidemment de 2009.

mardi 8 décembre 2009

Rien n'est jamais gagné


On ne peut jamais s'endormir sur ses lauriers, ni réussir à tous les coups. Il faut toujours compter avec le droit à l'erreur, prise de risque indispensable pour continuer à avancer. L'échec et la déception font partie de la dynamique. Il nous arrive de juger sévèrement un artiste qui nous a jusqu'ici emballés, ou de lui pardonner son ratage. Dans cette profession les fautes ne sont pas mortelles, même si elles sont douloureuses. Il faudrait, par exemple, savoir accorder la même indulgence aux thérapeutes ! Hier soir, nous n'avons pas compris comment Robert Lepage avait pu se planter à ce point avec Le dragon bleu, une intrigue cliché dans une scénographie répétitive avec des comédiens désinvestis. Nous avions adoré Le projet Andersen au même Théâtre de Chaillot ou La face cachée de la lune, un des meilleurs films de ces dernières années, mais sa mise en scène du Cirque du Soleil nous avait déjà déçus. L'idée de découper la scène en vignettes de bande dessinée est sympa, la coupe de la maison de poupée permettant des changements rapides où ne subsiste plus que la virtuosité des disparitions et des apparitions ; le système lasse à la longue.
Me revoilà en train de dégommer au lieu d'encenser. Zut ! Je ne choisis pas. J'aurais préféré évoquer l'excellente après-midi passée avec Olivier Mével et Marc Chareyron venus me raconter le nouveau projet d'objet communicant auquel Antoine et moi participons, mais c'est top secret. Me voilà bien ! J'ai commencé à carburer, à imaginer, à rêver. Le brainstorming permet de dire n'importe quoi. Se donner le droit à l'erreur. Nabaztag est un succès, là où le Mir:ror souffrait de fatales maladresses. Nous repartons pour de nouvelles et excitantes aventures...

N.B. : l'illustration est une suggestion de Nicolas. Je fais rarement exprès, mais des liens inconscients relient souvent les images qui se succèdent sur mon blog !

lundi 7 décembre 2009

Dilemme


Où le doute va-t-il se nicher ? J'ai mauvaise conscience d'avoir pourfendu tel disque ou tel film, ou même d'en rédiger un compte-rendu mitigé au lieu de n'évoquer que des objets qui m'ont emballé et sur lesquels je peux me laisser aller à la dithyrambe. C'est pourtant l'objectif que je m'étais fixé. N'écrire que sur ce qui me plaît, ignorer le reste. Je me sens parfois obligé de montrer que je regarde bien les films envoyés par les éditeurs, ou bien ma déception se doit d'être canalisée, ou encore je suis énervé lorsqu'une idée est bonne et qu'elle est gâchée, mais je ne tire aucune fierté de ces billets rageurs. Je fais ce que je peux pour aborder ici des sujets rarement traités ailleurs. Il peut m'arriver de faire une entorse à ce régime pour prendre le contrepied de ce qui se dit habituellement. Mes critiques les plus vives s'expriment évidemment si quelque chose vient titiller ma conscience professionnelle ou citoyenne, entendre morale et politique, ou s'il s'agit par exemple du son dans les médias audiovisuels, un de mes dadas. Je ne risque pas de me faire insulter lorsque j'encense quoi que ce soit, mais la moindre critique négative génère la colère de lecteurs contrariés. En général je ne publie que les commentaires argumentés et je jette machinalement les invectives imbéciles dans la boîte à ordures. En tout cas, j'essaye d'être honnête pour préserver ma crédibilité. En 1983, je titrai une œuvre pour le grand orchestre du Drame avec l'exergue que Jean Cocteau inscrit pour son Histoire féline : "Ne pas être admiré. Être cru." Mes compliments sont donc toujours sincères. Sinon je me tais. Ou je me fiche en colère. "Je m'insurge !" lançai-je samedi au débat sur les arts numériques, comme ça me chatouillait.
Fonçant bille en tête sans connaître mon interlocutrice, je dégommai récemment les grosses daubes proto-américaines, gibier du piratage, et l'utilisation idiote de la musique dans les films idoines, sans savoir que je m'adressais à une responsable d'Europa Corp, la boîte de Luc Besson ! Quelle rigolade ensuite, en pensant à mon candide emportement. Si j'avais connu son rôle, j'aurais probablement été plus poli compte tenu du dîner amical qu'avait organisé le producteur Tom Luddy ! Au déjeuner des Immédiatiques, j'ai parlé avec la même franchise à la député de Morlaix sans me souvenir qu'il s'agissait de l'ancienne Garde des Sceaux Marylise Lebranchu, donnant d'autant plus de poids à mes arguments que je n'étais pas intimidé ou retenu par quelque déférence. Son oreille attentive me surprit tandis que j'évoquais en quoi Internet transforme nos mœurs, quelles nouvelles pratiques sociales pourrions-nous développer, quels échanges cela pourrait susciter, quels dangers nous guettent et quels nouveaux espaces de liberté les artistes seront-ils condamner à inventer après la reprise en main par les autorités politiques et les cadeaux offerts au Capital... La cassure générationnelle que représente l'âge des décideurs siégeant par exemple aux conseils d'administration des sociétés d'auteurs est évidente. À côté de la pétillante dame, un certain Jean-Marie Colombani s'enfonçait sur son siège. Comme s'il était gêné d'avoir exigé d'avancer sa conclusion avant qu'ait eu lieu notre table ronde, retardée de ce fait ! Commodité personnelle. Les politiques annoncent souvent leur présence sans l'honorer, promo sans contrepartie. Ainsi Benoît Hamon découvre au dernier instant qu'il n'y a pas de vol Brest-Paris le samedi soir. Aura-t-il sermonné son assistant pour cet oubli ou bien félicité ? Et les stars à la petite semaine de chambouler le planning à leur guise. Nous nous en fichions, tout se terminerait pas un original plat de sushis frais sur leur port arrosé par la bruine et le vent, mais nous ne manquâmes pas de souligner ces goujateries. Se faire des ennemis fait partie du jeu, même si l'on préfèrerait l'éviter. Sans prendre partie on ne reconnaît pas ses amis. La complaisance a ses limites pour rester crédible et se donner la possibilité de faire de vraies rencontres. Ne pas être admiré. Être cru était le premier morceau de l'album Les bons contes font les bons amis !

dimanche 6 décembre 2009

Suivez l'artiste, 100 regards de sourd sur l'art moderne


On pouvait s'y attendre. Les 100 personnalités commentant les 100 œuvres choisies du Centre Pompidou parlent d'elles-mêmes plus que des tableaux qui tiennent lieu de prétextes. La critique obéit toujours à cette règle sous-jacente. Les sujets prennent le pas sur les objets et l'intérêt de l'article tient à la personnalité de celle ou celui qui l'écrit. L'œuvre n'a pas besoin de médiateur pour se transmettre. On prendra donc soin de prendre mon point de vue avec des pincettes !
L'idée du film, succession de 100 clips, est accrocheuse tant la distribution est fameuse, mélange improbable de candides "people", convoqués pour leur célébrité et condamnés à livrer leurs états d'âme ou de comiques pirouettes. L'accumulation n'est pas pire que les Cinématons de Gérard Courant et se laisse un temps regarder puisque l'on zappe toutes les 1'30 sur un nouveau tandem.
Reste la faute de goût majeure de l'illustration musicale qui accompagne chaque séquence en un papier peint épouvantable normalisant l'ensemble. Proposer à une personnalité de commenter l'œuvre de son choix produit des effets variés révélant la sincérité ou la superficialité des invités, produisant le désir de voir ou revoir tel tableau puisqu'ici la durée ne permet que de picorer, à l'image de la consommation générale des expositions. Hélas aucune réflexion n'a guidé le choix des musiques, une soupe indigeste épousant le rythme invariable de chaque séquence, qui ne sont liées ni à l'œuvre ni à son commentaire. C'est dommage, car c'est à cet endroit que le défilé aurait pu devenir un film sans perdre son attrait "grand public". Par cette dialectique audio-visuelle il aurait pu faire œuvre à son tour. Le réalisateur a reproduit l'erreur du cinéma parlant, oubliant que le son est le véritable partenaire de l'image. C'est d'autant plus dommage que le Centre Pompidou, du moins son secteur pédagogique car la circulation entre les services n'est pas le fort de cette monstrueuse institution, avait commandé en son temps de courtes séquences sonores à Gérard Chiron et à moi-même, pour tenter de représenter chaque œuvre en une petite minute, histoire, forme et matériau. Pour que les clips réalisés par Raynal Pellicer dépassent l'accumulation systématique il eusse fallu que les sons, tant et si bien qu'il soit justifié d'en ajouter, renvoient à quelque chose, à l'œuvre, à son auteur, à l'époque ou au lieu de sa création, ou encore à la personnalité qui l'a choisie. Que nenni, c'est raté. L'erreur tient entre autres au "refus de didactisme" proclamé. Là on frise la démagogie. La séquence avec la comédienne Emannuelle Laborit est la plus flagrante du ratage, avec une voix off interprétant son langage sourd-muet sur fond musical ! On pourra toujours se replier vers la curiosité qu'inspirent les commentaires des candides issus "du monde du spectacle, des arts, des médias ou de la société civile" et qui réservent évidemment quelques surprises (dvd, Ed. Montparnasse).

samedi 5 décembre 2009

Des mufles


Cinq heures de trajet dans le Paris-Brest, c'est pas de la tarte ! Surtout si la crème s'emmêle... On se prend au sérieux sur la question de l'art numérique, parce que la question ne nous paraît pas sérieuse. Je compare Internet à l'invention de l'imprimerie... L'imprimerie ce n'est pas les livres. L'outil n'engendre pas la fonction. L'artiste se sert de ce qu'il a sous la main. Ce sont ses instruments. Des instruments de musique dans la valise d'Al Capone. Nous participons à une table ronde sur la question des arts numériques dans le cadre de la deuxième édition des Immédiatiques pendant le festival de radio Longueur d'ondes.
Cinq heures de trajet dans le Paris-Brest, c'est pas de la tarte ! C'est ce qu'une jeune femme nous a signifié après nous avoir entendu palabrer à haute-voix pendant des heures. Elle a attendu d'être à dix minutes de l'arrivée pour s'en plaindre brutalement. Aucune intention de nuire évidemment de notre part, mais nous étions alignés sur la même rangée sans pouvoir nous entendre autrement qu'en parlant assez fort, probablement plus fort à mesure que les wagons se vidaient. Pas à la cheville d'une équipe de foot pourtant, ni d'un quatuor de joueurs de cartes, ni d'un bébé qui s'exprime comme il peut, voire d'une bande de gosses mal élevés. Ou simplement des gosses. Dans un autre wagon José Artur avait eu à supporter deux gamins de dix ans, mais ne peut que s'en émouvoir, même si c'était usant. La vitalité, la sève, qu'a dit que le passeur. J'étais passé de Salut les copains au Pop Club. Les titres des émissions sont éloquents. Ce sont des musiques que j'aime toujours. Toutes les musiques.
Assise face à Karine, la jeune plaignante elle-même faisait hurler son walk-man déjà avant que nous montions. La musique suait de ses petits écouteurs. Rythmique aiguë, insupportable, là encore on finit par s'habituer. "Je ne doute pas que ce soit intéressant, mais ça fait quatre heures que je vous supporte..." C'est sur le ton de l'intéressant qu'il eut fallu que je braque mon micro. Un complexe culturel. Le Quartz. Marabout. Bout de ficelle. On tourne la tête. Un cirque sous la fenêtre. Les illuminations de Noël rappellent Tim Burton. Ben voyons on change de sujet ! On évite le débat.
Cinq heures de trajet dans le Paris-Brest, c'est pas de la tarte ! Il faut la comprendre. Mais pourquoi ne pas nous avoir demandé plus tôt de parler moins fort. On aurait forcément obtempéré. Elle suffoquait. C'est sorti comme ça, dix minutes avant d'arriver. L'insurrection. Nicolas qui ajoute : "On vote ?" et la fille avec qui elle partageait les haussements de sourcils de lever la main. C'était mignon et bien embêtant. Hélas on pouvait comprendre qu'il ne s'agissait pas du niveau sonore de l'outil de diffusion, mais de la nature du propos. Des enculades de mouches, qu'on était en droit de penser si l'on n'était pas curieux de nature. Et même, allez savoir.
Cinq heures de trajet dans le Paris-Brest, c'est pas de la tarte ! La SNCF pourrait proposer des compartiments calmes pour ne pas être ennuyés par toutes sortes de personnes bruyantes, sur le modèle de IDzen dans l'ITGV. On pourrait être moins coincés en proposant d'échanger nos places. La fille excédée aurait pu aussi s'asseoir un peu plus loin. À partir de Rennes, il y avait plein de places partout. On était un peu embêtés, mais ses sous-entendus nous empêchaient de culpabiliser, ni même de nous excuser. Comment vivre ensemble ? Avec le sourire quand la rage n'est pas à propos. Que nos actes soient conformes à nos intentions ! Nous étions embêtés, mais pliés comme des baudruches... C'est étonnant comme la musique des mots en dit long sur le non-dit.

vendredi 4 décembre 2009

Cécile Babiole relooke les galipettes


Surfant sur la vague du porno soft, Blaq out, qui avait déjà à son actif la compilation Destricted, édite un drôle de DVD en confiant à l'artiste multimédia Cécile Babiole de remixer les courts-métrages coquins de Polissons et galipettes avec la complicité du responsable de la collection originale. Directeur d'Arte France, Michel Reilhac sait accompagner l'objet improbable par un site fourni où abondent les entretiens avec l'éditrice Bich-Quân Tran, le directeur artistique du label Savoir Faire Emmanuel Barron, le duo de DJ finlandais Renaissance Man... Si les traitements vidéographiques de Cécile Babiole apportent humour et psychédélisme, les musiciens, Marti et Ville, proposent une techno tendre briguant le septième ciel à grand renfort de chœurs d'opéra, de rythmes hip hop et d'électro planante. Je ne vous garantis pas l'orgasme, mais cette modernisation kaléidoscopique ou répétitive des films libertins du début du siècle dernier se laisse regarder avec amusement et curiosité, à l'image des films originaux qui étaient projetés dans les salles d'attente des maisons closes. On peut néanmoins regretter le traitement graphique parfois un peu daté comme on aurait apprécié une partition sonore plus audacieuse offrant un contrepoint moins ambient. Dans l'étendue des possibles sonores la musique pure a ses limites. Le pari est pourtant réussi, même si le résultat reste très VJing (notez les 6 astucieuses playlists : All Audience, La vie en rose, Abstract Rework, Orgamix, Voodoo Lounge, Random Mix dont certains donnent accès à 3 bonus en plus des 12 vidéos principales) et la distance critique superficielle. La matière est plastique, mais l'hors-champ est absent. Le véritable érotisme réside dans l'image qu'on s'en fait et non dans la crudité du mouvement comme dans le porno. Ici on ne baisse jamais l'abat-jour, exposant l'obscur objet du désir en pleine lumière. Excellent DVD de musique techno avec light-show, grivois, Polissons et galipettes (Deconstructed) reste politiquement correct dans les limites du genre. Le film érotique du XXIème siècle reste à faire.

jeudi 3 décembre 2009

Salut les copains


Régression absolue. J'ai l'impression de sucer mon pouce en regardant le coffret DVD que sortent les Éditions Montparnasse à l'occasion des fêtes. Le son des années 60, les jingles, les voix d'Europe n°1 et bien entendu les chanteurs et chanteuses qui ont marqué ma prime adolescence à une époque où mes parents louaient leur première télé chez Locatel. Le beau packaging au format 30 cm comme un 33 tours recèle un grand livret de 16 pages et le premier 45 tours 17 cm de Johnny lorsqu'il avait 16 ans. Les chiffres défilent, cela ne me rajeunit pas, mais ne me vieillit pas pour autant. Le regard que nous pouvons porter sur ces petites madeleines éclaire la chemin parcouru par chacun, pour les fantômes en noir et blanc comme pour le spectateur en couleurs. Aucune nostalgie, mais une pêche d'enfer : la radio prenait un coup de jeune en s'inspirant du modèle américain et le transistor révolutionnait l'écoute d'alors comme aujourd'hui le lecteur mp3. Le rythme s'empara de la variété française imposant les canons anglo-saxons qui règneront jusqu'à nos jours sur les antennes. L'excellent texte de Christophe Quillien rappelle que tout commença en 1955 avec Pour ceux qui aiment le jazz, une émission de Frank Ténot et Daniel Fillipacchi. Le 19 octobre 1959, le rock'n'roll, en (in)digne héritier, va déferler sur la France, et la vague yé-yé d'annoncer, parmi d'autres signes, les révolutions estudiantines de mai 68 et du Flower Power. Le monde des jeunes s'est agrandi et SLC est son prophète. Si les ados des temps modernes n'y prennent garde en se laissant bourrer le mou par la grisaille, ils pourraient perdre la fureur de vivre qui anima leurs aînés, malheureusement souvent incapables de leur transmettre. Rien n'est jamais gagné, rien n'est jamais perdu. Le monde est ce qu'on en fait et c'est leur tour.


En vacances à La Baule, j'avais gagné à 9 ans un concours de twist en tandem avec ma petite sœur et j'étais passé à la radio. En 1963, mon premier geste en rentrant du lycée, l'actuel "collège, sera de l'allumer pour écouter Salut les copains. Mes parents désirant m'encourager me promettent de m'acheter un magnétophone si j'obtiens le Prix d'Excellence. Même si j'étais souvent premier de la classe à l'école primaire, mon succès est très improbable, mais l'idée de pouvoir enregistrer mes chansons préférées va me galvaniser. Je rentre un soir en demandant à ma mère où se trouve un magasin de hi-fi. C'est pour eux une catastrophe, ils n'en ont pas les moyens, mais une promesse est une promesse et ils se saigneront pour la tenir. J'ai toujours le vieux Radiola à bande qui marquera mon entrée en musique. C'est mon premier instrument et très vite j'en jouerai comme tel. Salut les copains fut le détonateur, Zappa le cordon Bickford pour que 1968 m'explose à la figure et me débarbouille en me repeignant aux couleurs d'un arc-en-ciel encadré de rouge et noir.
J'ai descendu du grenier le vieux Radiola dont je sens encore sous mes doigts les deux touches mécaniques qu'il fallait appuyer pour enregistrer les chansons présentes sur les trois DVD : Johnny, Polnareff, Claude François, Nino Ferrer, Dick Rivers, Eddy Mitchell, Dutronc, Françoise Hardy, Sheila, Vince Taylor, Gene Vincent, Adamo, Christophe, Petula Clark, Richard Anthony, les Moody Blues, les Surfs, les Them, les Troggs, Marianne Faithful, Otis Redding, Hendrix, etc. Huit heures trente de rêves colorés qui vous électrisent, 140 chansons plus d'épatants compléments d'époque ! J'ai retrouvé les Touistitis, mon premier 45 tours gagné à La Baule, et celui de SLC, avec la voix du virtuel Chouchou "pitchée" dans l'aigu, reçu avec la place gratuite pour le concert des Rolling Stones à l'Olympia le 29 mars 1966, grâce au concours des Copains Menier ! Il fallait 50 emballages de chocolat mais leur taille n'était pas spécifiée, alors ma mère avait eu l'idée d'acheter une boîte de 100 petites barrettes individuelles me permettant d'être dans les premiers à répondre... Cinquième rang, mon premier concert live, toujours grâce à Salut les copains, c'est dire si cette luxueuse compilation me touche ! Elle ravira autant les adolescents d'hier passés à autre chose que ceux d'aujourd'hui souvent nostalgiques d'une époque glorieuse qu'ils n'ont pas connue.

mercredi 2 décembre 2009

Yucca y a plus qu'à


Il est encore temps de tailler les arbres, mais la grisaille ne m'incite pas à opérer sous la pluie. Je dois carrément couper les deux derniers conifères au fond du jardin qui sont devenus tout jaunes, comme brûlés. Depuis que je les ai plantés la nature de cette terre ne leur a jamais réussi. Il faudrait que je les remplace par quelque chose de touffu qui accepte de pousser à l'ombre des bambous. Eux se portent à merveille. Comme les yuccas qui prolifèrent côté rue, exposés au sud devant la fenêtre de la cuisine. Trois immenses grappes de fleurs blanches ont fini par éclore. Il arrive maintenant qu'il y ait plusieurs floraisons par an. Même la glycine en est aussi à sa troisième, une hallucination ! Il y a quelques jours les merles sont revenus. Je craignais que le cèdre saccagé par mon voisin les ait fait fuir. Resteront-ils ? Au même moment ceux de Bernard ont réapparu chez lui aussi. À cette saison Scotch hiberne. Il fait la moue depuis que je l'ai mis au régime croquettes diététiques. Lorsque nous nous pesons ensemble, on dirait qu'il faut changer les piles de la balance, mais pas du tout, nous avons réellement maigri. Je retourne au studio pour composer la musique de la spirale du temps qui file, charge à Nicolas de la "pitcher" ou d'empiler les strates en programmant les mouvements interactifs de 2025. Je lui livre une sorte de Lego pour qu'il puisse faire son choix en fonction de l'évolution du module puisque je tire le premier. De plus il va falloir nous attaquer au clip de la CNIL. Il était temps que je rentre, il commence à faire frisquet. Quand je pense que je n'ai toujours pas remplacé le chauffage de la voiture depuis quatre ans, j'en ai des frissons...

mardi 1 décembre 2009

The Wire, image de la société américaine


Le marathon de Berlin Alexanderplatz est une broutille en regard des séries américaines qui accumulent les épisodes de 52 minutes année après année. Il aura fallu du temps pour arriver au bout des cinq saisons de The Wire, produite par HBO et considérée par beaucoup comme la meilleure série que la télévision américaine ait jamais produite. On raconte qu'Obama partage ce point de vue et qu'il est fasciné par le personnage d'Omar, bonne pub ! Derrière l'enquête policière se profile un tableau documentaire des États-Unis, peinture au vitriol fondamentalement pessimiste où toutes les couches sociales sont connectées à la corruption, des habitants des quartiers les plus pauvres aux politiciens qui régissent le pays. Les acteurs sont plus vrais que nature, certains sont même sortis de la rue, à tel point que l'on a souvent l'impression de toucher au réel. Chaque accent est si véridique que des camarades américains suivaient les sous-titres français lorsque je leur ai montré certaines séquences ! Le traitement n'est ni manichéen ni moraliste, il cherche à se rapprocher de l'enquête journalistique. L'auteur, David Simon, travaillait d'ailleurs au Baltimore Sun que l'on retrouve dans la dernière saison. Quel que soit le côté de la barrière derrière laquelle ils vivent, les personnages ne sont jamais d'un bloc, mais montrent des aspects contradictoires de leur personnalité. Ils évoluent avec le temps et selon les circonstances. Les policiers dépassent souvent les limites de la légalité. S'ils ne sont pas abattus les gangsters apprennent à devenir des hommes d'affaires. Les hommes d'affaires sont des gangsters sans que cela les abatte.


La ville de Baltimore est représentative de la mutation industrielle. Ancienne place forte de la sidérurgie, la vie s'y est dégradée. Les deux tiers de sa population sont noirs et la criminalité dans la communauté y est la plus forte de toutes les villes nord-américaines. Les chances de s'en sortir pour les couches sociales les plus défavorisées posent les mêmes questions que dans nos banlieues. La quatrième saison table sur l'enseignement et évalue l'ampleur de l'enjeu et du travail qu'il exige. Le commerce de la drogue, avec ce que cela implique de violence, est la réponse des pauvres de la rue face aux magouilles immobilières de la haute. The Wire montre que tout est lié. Comment défendre son coin de rue ou comment gérer le budget municipal sont du même ordre lorsqu'il n'y a plus d'autre logique que celle du profit.