70 janvier 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 31 janvier 2020

Down The Hill avec Alexandra Grimal et Giovanni di Domenico


L'album Nāga d'Alexandra Grimal m'avait enchanté. Exactement un an plus tard, je reçois Down The Hill, duo de la saxophoniste-chanteuse avec le pianiste Giovanni di Domenico, et la magie est intacte. Selon les pièces, la soprano oscille entre le saxophone et ses cordes vocales. Tout est limpide, coule de source, tendresse, tranquillité. Le duo se partage les compositions, échappe aux étiquettes, ils planent. N'y cherchez pas le jazz, c'est juste la beauté de la musique, sans chichis, sans fioritures, sans démonstration lourdingue. L'image de la pochette est bien choisie. J'ai pensé au champ de fleurs repiquées une à une dans la scène sublime entre Jean Gabin et Danielle Darrieux dans Le plaisir de Max Ophüls. Un disque à écouter pour méditer ou se reposer. En réalité, ça me la coupe, je n'ai rien à dire.

→ Alexandra Grimal et Giovanni di Domenico, Down The Hill, édition limitée à 200 exemplaires, sans label ! Je ne comprendrai jamais rien aux lois du marché, au goût des gens, à la banalité recherchée, mais c'est peut-être simplement la rançon de la liberté... Heureusement Down The Hill est sur Bandcamp !

jeudi 30 janvier 2020

Perspectives du XXIIe siècle (5)


La dernière pièce de l'édifice m'empêche de dormir. Des ruines on est passés à la reconstruction, mais l'issue est encore incertaine. J'ai créé des pauses au milieu d'accumulations ivesiennes, par exemple notre déambulation enregistrée au second sous-sol du Musée d'Ethnographie de Genève. Il n'y a presque pas de musique proprement dite, mais deux petites minutes de field recording où se sont inopinément glissés d'étranges cris dont on peut imaginer la souffrance. Les Hibakushis sont les rescapés d'une catastrophe nucléaire. Les idiophones que j'ai enregistrés la veille n'avaient jamais été joués depuis leur entrée au Musée en 1952, deux cents ans avant mon histoire.
De retour à Paris, j'avais rendez-vous avec le percussionniste Sylvain Lemêtre dont j'adore la variété de timbres en plus de son style rythmique qui tire vers une danse tribale envoûtante. Chez les musiciens avec qui je travaille, je recherche toujours la richesse de leur palette. Ce ne sont pas forcément des couleurs. Ce peut être la manière de prendre les choses, un angle de vue qui varie sans cesse, comme chez le souffleur Antonin-Tri Hoang qui sera le prochain à investir le studio GRRR ou le violoniste Jean-François Vrod qui fermera le ban. L'ouverture est le moteur de l'aventure.
Sylvain a commencé par installer son incroyable set de peaux, de cymbales et de gongs. Il ne restait plus qu'à enchaîner les six pièces où il frappe, frotte ou caresse, en préservant paradoxalement l'unité de l'ensemble. Depuis le début de mon entreprise il s'agit de noyer le poisson. Oublier l'âge des archives du fantastique Fonds Constantin Brăiloiu que m'a confié Madeleine Leclair, ainsi que la virtualité d'une partie de mon instrumentation. La forme, le style, naissent de la méthode. Nous avons enregistré les morceaux dans l'ordre pour préserver la continuité dramatique. Je faisais aussi écouter à mon invité les pièces où il ne me semblait pas nécessaire qu'il intervienne. Après son départ j'ai seulement ajouté ici ou là quelques effets de réverbération pour le fondre dans l'atmosphère dramatique, en particulier pour les scènes qui se passent en extérieur.


Les pistes de percussion sur le chœur d’hommes au Congo avec harpe fourchue dyulu et bouteille frappée, et le zarb sur les deux bourrées simultanées, intitulées humoristiquement Ensemble Ratatam, m'ont permis de m'affranchir de cette pièce, la dernière qui me résistait. En propulsant la coda dans le cosmos j'ai malheureusement renvoyé l'humanité à son échec constitutionnel. Je pense donc réintégrer l'électronique lors de cette ultime tentative de s'en sortir. À l'heure qu'il est, j'ignore encore comment, mais je peux aller me recoucher, maintenant que je tiens le fil...

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mercredi 29 janvier 2020

Jean Morières sur site


Jean Morières s'est envolé il y a 6 ans déjà. Mathilde, l'une de ses filles, signale que sa sœur Fani a conçu un nouveau site pour lui rendre hommage et rappeler son singulier travail. Les onglets en haut de page sont des sauts dans l'espace d'un long déroulant qui égrène son portrait, la flûte zavrila de son invention, sa discographie avec un lien vers les disques du label Nûba, quatre films de Mathilde sur leur père, six textes dont un poème que lui a adressé sa compagne Pascale Labbé, dix photographies où elle est évidemment très présente, et le chapitre Eddy Bitoire, "avatar délirant et navrant" de Jean avec cinq chansons que je ne connaissais pas ou que j'avais oubliées. J'avais évoqué deux clips vidéo hilarants que j'adore, mais les "nouvelles" sont du même acabit, avec son fils Antoine à la guitare et à la batterie ! En 2014 sa famille, ses ami/e/s s'étaient réunis pour un concert qui rappelait la belle personne et l'artiste passionnant qui nous avait quittés prématurément.

mardi 28 janvier 2020

Première édition CD de L'homme à la caméra


Lors d'une réédition de disque il est d'usage de reproduire la pochette originale, concession aux collectionneurs fétichistes, m'avait-on expliqué. Nous nous y sommes conformés avec joie pour les précédents albums d'Un Drame Musical Instantané, Trop d'adrénaline nuit, Rideau !, À travail égal salaire égal ou pour le cultissime Défense de. Le passage du vinyle au CD n'est pas toujours des plus heureux, car passer de 30 à 12 centimètres fait perdre les détails et la beauté de l'objet. Nous avons chaque fois décidé d'équilibrer cette perte par un nouveau mastering accentuant les nuances et, surtout, en ajoutant des pièces inédites en bonus. Or pour la réédition, la première en CD, de L'homme à la caméra d'Un Drame Musical instantané nous avons préféré demander au graphiste Étienne Mineur de concevoir une nouvelle pochette qui soit d'actualité tout en se référant au constructivisme, époque où Dziga Vertov tourna son film. Comme pour les albums du trio El Strøm et de mon Centenaire sa création graphique nous enchante...


J'ai raconté ici comment, avec Francis Gorgé et Bernard Vitet, nous avions composé la musique du film de Vertov pour notre orchestre de 15 musiciens et musiciennes. Le 14 janvier 1984, le concert au Théâtre Déjazet, qui rencontra un beau succès ainsi que les trois jours précédents, fut enregistré en public (je me souviens qu'il occupe une page d'un roman du sulfureux Marc-Édouard Nabe, mais je ne l'ai pas retrouvée). Il faisait suite à sa création à Strasbourg en octobre 83 lors du Festival Musica. Il constitue la première partie du CD qui sort sur le label autrichien de Walter Robotka, Klanggalerie. Je suis ravi d'avoir retrouvé la partition d'un autre film muet, La glace à trois faces de Jean Epstein, enregistré dans les mêmes conditions à Corbeil-Essonnes le 11 janvier 1983. C'est donc trente minutes de plus que cette réédition, la première en CD, offre aujourd'hui. Si vous connaissez les musiciennes et musiciens qui participaient à ces deux projets, vous constaterez notre éclectisme, pas seulement musical (!) :
Jean-Jacques Birgé (direction, synthétiseur, piano, flûtes, trombone, guimbarde, voix, bandes magnétiques), Bernard Vitet (direction, trompette, bugle, flûte, trompette à anche, voix), Francis Gorgé (direction, guitare, basse à tension variable), Hélène Sage (voix, flûtes, clarinette basse, sax ténor, appeaux, instruments originaux), Magali Viallefond (hautbois, cor anglais, flûte, tôle à voix, orgue de cristal), Jean Querlier (hautbois, cor anglais, sax alto, flûte), Youenn Le Berre (flûtes, flûte électrique, sax ténor, basson), Denis Colin (clarinette basse), Patrice Petitdidier (cor), Philippe Legris (tuba), Jacques Marugg (vibraphone, marimba, timbales, percussion), Gérard Siracusa (percussion, marimba, cloches), Bruno Barré (violon), Bruno Girard (violon), Nathalie Baudoin (alto), Marie-Noëlle Sabatelli (violoncelle), Didier Petit (violoncelle, voix), Hélène Bass (violoncelle), Geneviève Cabannes (contrebasse, clavier, voix).
Il existe une version de L'homme à la caméra en ciné-concert avec le film de Vertov sur Daily Motion et un extrait d'une répétition sur YouTube, mais le nouveau master audio vaut vraiment le détour. Quant à La glace à trois faces, j'ai encore plus de plaisir à redécouvrir notre travail en grand orchestre puisqu'il était resté inédit.
Avec La Chute de la Maison Usher du même génial Epstein et Le cabinet du Docteur Caligari, c'est l'un des 26 films que nous avons le plus joué de par le monde. Un Drame Musical Instantané fut à l'origine du retour du ciné-concert sur films muets dès 1976. Imaginer des partitions originales et contemporaines ne se pratiquait absolument pas à cette époque. C'est devenu chose courante et j'ai préféré arrêter lorsque c'est devenu une mode. Pour le Vertov nous nous étions inspirés du son Laboratoire de l'Ouïe, pour La glace nous avions dessiné le portrait de chacune des trois femmes jusqu'à l'accident automobile qui coûte la vie au héros, une hirondelle en plein front. Détachées des images, écouter ces musiques de films sur disque leur donne un sens nouveau et l'incomparable avantage de se faire chacun, chacune, son propre cinéma, démarche commune à toutes mes œuvres.

→ Un Drame Musical Instantané, L'homme à la caméra / La glace à trois faces, CD Klanggalerie gg277, 17€ frais d'envoi compris

lundi 27 janvier 2020

Terre Neuve de Brigitte Fontaine


En 1992 Brigitte Fontaine n’enregistra qu’une seule chanson. Ce no woman’s land charnière allait inaugurer un nouveau cycle après une traversée du désert médiatique. Le nougat était passé inaperçu avant que EMI ne décide de rééditer le disque French Corazon comme une nouveauté l’année suivante. Abandonnant une apparente fragilité légendaire, elle se laissait porter par un dévorant désir de rock. C’est ce qu’elle nous annonça alors que j’avais programmé mes machines d’une délicate mélopée. J’envoyai Bernard Vitet lui faire un thé à la cuisine pendant que je changeais mon fusil d’épaule.
En découvrant Terre Neuve, son nouvel album, il me semble reconnaître l’ambiance de notre Amore 529 enregistré ensemble ce jour-là. Comme si Brigitte bouclait le cycle entamé il y a vingt-huit ans. La guitare électrique saturée de Yan Péchin et les programmations de Jean Lamoot, qui ont réalisé ensemble Terre Neuve, renvoient à Alain Bashung avec qui l'un et l'autre travaillèrent pendant de longues années. Depuis sa disparition et le naufrage de Noir Désir, il y a bien une place à prendre dans le rock français et la jeune octogénaire relève le défi avec panache et sans mâcher ses mots. Elle n’a pour autant jamais quitté l’expérimental, même à faire un temps la clown sur le petit écran de la décadence. Voilà plus de 50 ans qu'elle m'enchante !


Avec ses textes en parlé-chanté, poésie romantique d’un quotidien d’ivresse, Terre Neuve est un disque testament, même si l’on peut espérer d’autres surprises de cette immortelle. Dans Parlons d’autre chose, parmi ses citations elle reprend les derniers mots de Goethe que Bernard, qui l’a souvent accompagnée, avait choisis comme titre pour son disque solo en 1979, Mehr Licht !. La mort est très présente dans cette fontaine de jouvence, mais Terre Neuve annonce bien autre chose. Un après s’inscrit dans la lentille ronde d'une longue-vue. Les poètes ont le pouvoir de rendre le rêve à la réalité. Brigitte Fontaine est une fée électrique qui rue dans les brancards, rock jusqu'au bout des ongles. Les concerts suivent...

→ Brigitte Fontaine, Terre Neuve, Verycords, CD 15,99€ / LP 19,99€

samedi 25 janvier 2020

Perspectives du XXIIe siècle (4)


Enregistrement de quelques idiophones du Musée d'Ethnographie de Genève avec Madeleine Leclair et Isabel Garcia Gomez pour mon album "Perspectives du XXIIe siècle" qui sortira officiellement le 15 mai !
Cymbales ching, châp lek et châp yai de Thaïlande, cymbales jota d’Inde, bol kin du Japon, bol de Chine, gong chinois des Philippines, tambour de bronze de Thaïlande, cloche de Côte d'Ivoire, sistre du Mali, tambour de bois à fente du Cameroun.

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vendredi 24 janvier 2020

Château Perché 2020


C'est une nouvelle très attendue chez les fêtards férus de musique électro. Certains piétinent un an, dès la fin de l'édition précédente ! La billetterie vient d'ouvrir pour le Festival Château Perché 2020 qui se tiendra au Château d'Avrilly du 13 au 16 août. Le site du festival est choupinet, écoresponsable, à l'image de ces trois jours endiablés où une atmosphère psychédélique flotte sur la forêt qui entoure le château. Un petit quiz obligé donne la couleur pour accéder aux billets. En général 80% partent dès la première semaine. Cela vaudra le coup d'œil de lire leurs recommandations aux festivaliers lorsqu'ils seront mis en ligne. Si le festival change de château chaque année, il revient sur celui d'Avrilly dans l'Allier pour cette nouvelle édition. J'y avais fait un concert de trois heures en 2018, en duo avec la platiniste Amandine Casadamont.


Cette fois nous serons quatre sur la grande scène, chargés de réveiller en douceur les 10 000 festivaliers le matin du 16 août de 10h à 12h40. Pour ce troisième jour de musique festive, nous passerons de l'expérimentale ambient à la transe tribale ! Le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang s'amuse de devoir refaire Hendrix à Woodstock. Avec lui se joint à nous une rythmique féminine particulièrement inventive qui groove à mort, soit la bassiste Fanny Lasfargues et la batteuse Blanche Lafuente. Pendant que nous jouerons, le dirlo, Samy El Zobo, a prévu une cérémonie dans le public avec procession et un serpent de trente mètres de long. Ce n'est que le début. Lorsque je cherche à décrire l'ambiance de Château Perché, je parle d'un croisement entre Alice au Pays des Merveilles et Blade Runner. Selon un thème qui change chaque jour, le public se maquille et se déguise avec une fantaisie débridée. Je devais y rejouer l'an passé avec le percussionniste Sylvain Lemêtre, mais la Préfecture avait interdit la plupart des représentations pour cause de dangereuse tempête. Cette année il y aura douze scènes réparties dans le parc et la forêt avec 450 artistes. Mais à l'heure de notre intervention paradisiaque seule la grande scène sera ouverte. J'ai commencé à travailler sur l'immersion évolutive qui nous amènera à l'extase.
Le festival a une page FaceBook donnant quantité de renseignements.

jeudi 23 janvier 2020

Nuit et jour

...
Mes parents m'ont appelé à l'aide pour brancher tout un matériel audiovisuel compliqué. Je crois avoir compris qu'ils voulaient regarder un opéra à la télévision en diffusant simultanément la musique sur leur poste de radio. Si ce n'est pas cette configuration, la problématique, du moins, s'en rapproche, mais ils ont l'art de la rendre incompréhensible. J'ai fini par leur crier "Vous faites chier, vous êtes morts !" et je me suis réveillé. Étais-je en colère ou lassé de leur manque d'effort à s'adapter à la vie contemporaine ? J'étais tout de même rassuré, libéré par ce saut quantique. J'ignore si je suis insomniaque ou si j'ai besoin de peu dormir, mais ces temps-ci celui de sommeil en est réduit à la portion congrue. Je m'endors en quelques secondes, mais le réveil est aussi rapide. Pour ne pas me tourner dans tous les sens, je me lève au milieu de la nuit et je vais travailler. J'écris un article, je compose la musique et les sons de deux clips vidéo sur l'Intelligence Artificielle. C'est une commande, mais réalisée entre amis, on s'amuse.
Dans la journée je m'occupe de mon prochain album. D'abord, les voix du monde qui ont toutes le même texte. Je choisirai les phrases selon leur musicalité et l'intonation dramatique. J'ai déjà l'anglais, l'italien, l'allemand, l'espagnol, le bulgare, le brésilien, le persan, le suédois, le grec, l'arabe. Il m'en reste autant. Comme j'ai terminé tout ce que je pouvais faire seul, c'est au tour des musiciens invités. Le premier est le corniste Nicolas Chedmail qui double à la trompette et au saxhorn. Fanfares, cor inspiré par un tableau de Caspar David Friedrich, souffles dans l'embouchure, arabesques. Ma fille Elsa lui emboîte le pas. Timbre clair, intime, rapproché. Les rares chansons sont courtes et bilingues, français/anglais, alors que les voix parlées viennent d'une vingtaine de pays. Elsa en chante une, je me collerai à la seconde lorsque j'aurai enregistré le reste de l'orchestre. Percussion, violon, sax alto ou clarinette basse, retour du cor. On verra à la fin s'il manque quelque chose ou quelqu'un ; c'est déjà bien chargé. Gros travail de mixage, mais comme je l'ajuste au fur et à mesure, les corrections sont rapides. Je procède de la même manière pour le livret : j'ouvre un dossier dès le premier jour du projet pour ne rien oublier ni personne. Je donne des titres provisoires qui évoluent en fonction du résultat. Le disque sortira peut-être fin avril. Il a pour moi la même importance que le précédent qui fêtait mon Centenaire !
Cette semaine sort la version CD inédite de L'homme à la caméra avec le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, vinyle publié à l'origine en 1983, et augmenté d'un super bonus, La glace à trois faces, autre film mis en musique par nos soins. Je suis impatient de le recevoir. Il est produit en Autriche par le label Klang Galerie. En dehors de tout cela, il faut que je m'attèle à la composition d'Omni-Vermille, installation générative pour quatre écrans d'Anne-Sarah Le Meur qui sera exposée au ZKM à Karsruhe du 11 mars au 26 avril...

mercredi 22 janvier 2020

Perspectives du XXIIe siècle (3)


Rien ne se perd, rien ne se crée. Nous avions feint de l’oublier. Les éléments se transforment et s’assemblent en de nouvelles combinaisons. Dans la région, nous étions quelques uns et quelques unes à avoir survécu. Nous n’avions d’autre choix que de nous reconstruire. Mais comment éviter de reproduire éternellement les mêmes erreurs ? Chaque cellule avait la responsabilité d’assumer sa façon, quitte à ce que nous les confrontions ensuite pour en tirer le meilleur. Écœurés par la prétendue démocratie qui avait toujours écrasé les plus faibles, nous fonctionnions à l’unanimité. Toute rivalité avait fait long feu. La propriété était de l’ordre du passé, du temps qu’il était coutume d’appeler L’Indésir.

Nous avons d’abord cherché à comprendre comment une telle catastrophe avait été rendue possible. Les humains avaient fini par se faire à eux-mêmes ce qu’ils avaient fait subir pendant des siècles aux autres espèces. Ils l’avaient ensuite expérimenté sur leurs semblables, sans se rendre compte qu’ils seraient finalement leur propre cible. Leur violence avait gagné la terre qui s’était déchaînée au delà de l’imaginable, sauf peut-être dans le cerveau des plus désespérés. Ceux-là avaient hélas disparu les premiers.

D’une vallée à l’autre, s’il restait âme qui vive, les Jambes rapatriaient les bonnes nouvelles. La musique était devenue la langue universelle, un espéranto sans paroles, capable de franchir les montagnes et peut-être un jour les océans. Comparer nos anciens dialectes alimentait néanmoins cette poésie sonore.

Notre cellule avait eu la chance inestimable de s’établir sur les ruines du Musée d’Ethnographie de Genève où avaient été conservées les Archives Internationales de Musique Populaire. Les fouilles exhumaient des rouleaux, des cires et les machines pour les écouter, des instruments aussi, des idiophones. Nous étions tombés sur une mine avec le Fonds Constantin Brăiloiu, un collecteur roumain qui avait été le premier à comprendre l’importance qu’elles pourraient un jour revêtir. Il classait les musiques selon leurs fonctions plutôt que leurs origines géographiques. Exactement comme nous. Nous venions de partout, mais nous avions le même projet.

Un camarade dit que pour être de partout il faut être de quelque part. Nous nous sommes appropriés les chants et les cris de tous et de toutes. Les sonorités étaient parfois étranges. Il suffit d’en partir et de se laisser aller à la rêverie. Chaque note de cette nouvelle Renaissance fait sens, comme à l’époque où les anciens disaient que tout est politique. La Nature qui se réveille avec nous participe aux agapes. On ne comprend pas toujours ce que les autres expriment, mais nous tombons toujours d’accord parce que nous partageons le même projet. Les sujets n’ont aucune valeur en face de l’objet.

Nous sommes donc arrivés à accepter la chaleur et les inondations. Nous avons seulement pris l’habitude de creuser. La manière de les honorer est encore plus excitante que les trésors que les fouilles laissent apparaître. Nous apprenons à nous exprimer en sons avec la même liberté que jadis la parole qui d’ailleurs ne s’est jamais tue. Il est si délicieux d’étonner et d’être étonné. Nous rions beaucoup. Nous avons enfin compris ce que signifie d’être ensemble.

Texte rédigé pour l'album à paraître au printemps en coproduction avec le MEG, les AIMP et GRRR

mardi 21 janvier 2020

Newsletter de janvier 2020

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lundi 20 janvier 2020

Nombres écarlates d'Anne-Sarah Le Meur


Des étendards flottent le long des rues de Maisons-Laffitte pour annoncer l'exposition Nombres écarlates d'Anne-Sarah Le Meur où est projeté le film du spectacle Melting Rust que nous avons créé ensemble l'été dernier à Victoria en Transylvanie. C'est loin d'être le clou de cette présentation monographique où sont rassemblés petits et très grands formats, installation interactive, triptyque vidéo, films sonorisés, tapis et kakémonos. Dès l'entrée de l'Ancienne Église du château nous marchons sur un linoléum où sont imprimés cinq grands tirages...


Pour cette circonstance exceptionnelle, l'artiste, qui d'habitude déteste être prise en photo, pose devant un kakémono de 6,45 x 2,50 mètres accroché sous la voûte de bois. Pour quelqu'un qui aime les couleurs, je suis comblé. Or ses images ne sont constituées que de 0 et de 1. Mathématicienne de formation, Anne-Sarah passe des heures devant son ordinateur à générer des images planes avec une application 3D, manière de jouer avec la lumière et sa profondeur. En choisissant des nombres négatifs, elle crée même des trous noirs d'où jaillissent ces nuances qui vont de l'obscurité à la plus grande vivacité. Je ne peux m'empêcher de penser à James Turrell dont la gigantesque rétrospective The Other Horizon à Vienne en Autriche il y a vingt ans m'avait bouleversé...


Pour saisir l'émotion produite par ces images arrêtées ou par leurs mouvements incessants, car toutes sont d'abord des processus évolutifs programmés avec un degré d'incertitude calculé, il faut les voir en grand. Comme les photos de films, les reproductions sur Internet sont aux tableaux de maître ce que sont les cartes postales vendues à la boutique des musées. Par contraste, ses natures mortes, plantes desséchées in situ, posent une fois de plus l'énigme du vivant et interrogent l'abstraction. Comme les poètes, la plasticienne tourne autour du centre plutôt qu'elle ne le vise. Ses tableaux se jouent des sinus et cosinus, mathématique qui, dans la Grèce Antique, était considérée comme un art. Les bords de ses œuvres trompent l'œil, ils ondulent. Les effets de bord de ses animations camouflent malicieusement les variations de vitesse de la réfraction.


Le parcours au milieu des œuvres coule de source parce qu'Anne-Sarah l'a imaginé spécialement pour le lieu, du long couloir de l'entrée à la salle suspendue où sont projetés les films en passant par un dédale propice à l'accrochage, des hauts murs de l'église à l'alcôve où est installé un grand cylindre, écran à 360° où sont projetées des images fugitives. Cette Outre-ronde est inspirée par Film de Samuel Beckett avec le vieux Buster Keaton fuyant la caméra. Elle se joue de la patience du spectateur-acteur interagissant, coiffé d'un casque, tandis que les spectateurs-observateurs deviennent parfois complices de la machine. Si Maisons-Laffitte peut sembler une autre galaxie, le voyage en vaut la chandelle qui n'a rien de standard. Ce n'est qu'à une heure de la ville-lumière !

→ Anne-Sarah Le Meur, Nombres écarlates, exposition à l'Ancienne Église de Maisons-Laffitte, jusqu'au 2 février 2020 (sauf le lundi).
Conférence samedi 25 février à 16h30. L'artiste est présente tous les week-ends.

vendredi 17 janvier 2020

L'orchestre-solo


Cette semaine je patauge dans les synthétiseurs vintage. Comme je dépannais Étienne venu copier une disquette système pour le clavier Ensoniq VFX-SD qu'il vient d'acquérir et dont je possède un exemplaire, il a apporté un rack Fizmo de la même marque pour le me prêter quelque temps. C'est vraiment super gentil. L'instrument a une couleur incroyable et permet en deux temps trois mouvements de moduler radicalement les sons en temps réel. Hélas, l'objet n'a pas eu le succès escompté et il a coulé la boîte. Cela arrive souvent avec les petits fabricants imaginatifs. Il suffit d'un raté pour que toute la gamme disparaisse. En plus, il faut acheter les prototypes très tôt, alors qu'ils ne sont pas totalement terminés, mais avant qu'ils soient retirés du marché.
Alors que je voulais faire écouter à Étienne mes propres programmations du VFX, clavier que j'utilise depuis 30 ans, il tombe en rade, incapable de s'auto-calibrer. Heureusement mon camarade connaît un réparateur susceptible de soigner mon précieux instrument que je viens d'ailleurs d'enregistrer pour mon prochain CD. J'en profite pour lui apporter mon vieux PPG Wave 2.2, dont la sonorité transparente reste inégalée, mais qui perd la mémoire et fait sauter les plombs chaque fois que je l'allume. En gros, nous vieillissons mieux que l'électronique, sans parler de l'informatique. À croire qu'il vaut mieux produire de la musique éphémère avec des instruments Kleenex dont la mode passe chaque année plutôt que chercher à inventer en programmant des appareils originaux aux propriétés infinies, de ceux qu'on peut pousser dans leurs retranchements, dans des zones insoupçonnées par les luthiers eux-mêmes. Chaque fois que j'entre dans un magasin de musique, je demande si de nouveaux instruments "barjos" sont sortis, mais depuis quelques années on me répond d'emblée par la négative. J'ai tout de même récemment dégotté les machines russes de Soma, mais si je comptais me racheter un ARP 2600 que Korg ressort pour le NAMM il vaut mieux que j'oublie, car les précommandes affichent partout complet.
Tout cela n'est pas très grave, j'ai suffisamment à faire avec ma panoplie d'homme-orchestre. En définitive c'est peut-être le terme qui me définit le mieux. Homme-orchestre du XXIe siècle ? Il faut bien que j'actualise le terme, sinon on pensera que j'ai une grosse caisse attachée sur le dos. Au jeu des comparaisons je tiens plutôt du croisement de la tortue et du lièvre. La maison d'un zébulon. Les anglo-saxons préfèrent le terme one-man-band. Traduit, "L'orchestre solo" ? Comment expliquer que je joue autant d'instruments virtuels sur mon ordinateur que de multiples claviers analogiques et numériques, auxquels s'ajoutent quelques centaines d'instruments acoustiques ?
Revenons à nos moutons électriques. Tout content de retrouver les valises de mes synthétiseurs du siècle dernier au grenier pour les apporter au docteur, je découvre que la mousse intérieure de celle du PPG tombe en poussière. Lorsque j'y mets la main, elle imprime sa forme comme dans la neige avant de s'éparpiller en poudre inquiétante. Toutes les mousses ne se désagrègent pas ainsi, mais après 20 ou 40 ans cela arrive de plus en plus souvent. Mes bonnettes de microphones furent les premières à s'effriter. J'ai cherché en vain la composition des unes et des autres sur le Net. Certaines résistent au temps, d'autres pas. C'est comme tout. C'est comme nous.

Illustrations : collection Sacha Gattino

jeudi 16 janvier 2020

Mignonne, allons voir si la rose


Depuis le début de l'année j'ai publié quantité d'articles pas franchement euphoriques : Algues vertes, Un train peut en cacher un autre, Comme un rat mort ?, Insomnie fatigue et angoisse, Films amateurs perdus de l'Allemagne nazie, Perspectives du XXIIe siècle, Idées noires... J'ai cherché en vain un sujet rigolo. Dans le dossier de mes images en attente, je suis tombé sur une fleur que j'avais photographiée il y a quelques années en Bretagne. La rose, qui a toujours inspiré les poètes, a été utilisée symboliquement à toutes les sauces. Je n'emprunterai aucune référence au Livre des symboles que je suis allé relire, chacun sachant la relation explicite que cette fleur entretient avec l'amour. Il y a dix ans les pucerons avaient eu raison de mes roses jaunes. J'avais jeté l'éponge. Depuis l'enfance, lorsque je me penche sur une rose, je recherche bizarrement le parfum des framboises.
J'ai donc choisi d'ouvrir L'essentiel de Chartier à la page de l'eau de rose. C'est le genre de bouteille qui reste des années au fond du placard à côté de l'eau de fleur d'oranger, parce que je ne fais pas de gâteaux. Or l'eau de rose, riche en molécules β-damascenone et β-damascone, se marie particulièrement bien avec le bœuf grillé, la betterave, nombreux fruits (fraise, framboise, fruit de la passion, kiwi, litchi, mangue, mûre, orange, pamplemousse rose, papaye, raisin, citron, tomate, etc.), herbes aromatiques (basilic thaï, menthe, cannelle, carvi, cassis, citronnelle, safran, tilleul, etc.), mais aussi le clou de girofle, le miel... Le créateur d'harmonies québécois suggère le gaspacho de concombre à l'eau de rose et gin Hendrick's, le filet de bœuf au beurre de gingembre et à l'eau de rose, le tartare de litchis au poivre de Sichuan et à l'eau de rose... Célèbre sommelier, il ajoute le Campari, le Champagne, le Gamay, le Gewurztraminer, le Muscat, le Pinot noir, le rhum, le thé noir, le vin rosé, etc. !
Lorsqu'on ne les mange pas, les fleurs se respirent, mais les arbres s'embrassent...

mercredi 15 janvier 2020

Idées noires


La chute du Mur de Berlin et le démantèlement de l'URSS par Gorbatchev, que la plupart des Russes considèrent comme un traitre, ont laissé les États Unis seuls maîtres du monde. Sans ennemi fantasmatique, leur arrogance n'a plus aucune limite, car l'invention du monstre islamique n'a pas remplacé l'hypothétique équilibre des forces. Ils l'ont encouragé en Afghanistan contre les Soviétiques, favorisé la création de l'État Islamique, entretenu des rapports troubles avec l'Arabie Saoudite, et avec l'aide de leurs alliés occidentaux ils ont supprimé les leaders arabes laïques, dictateurs qui n'avaient rien à envier à la puissance de nuisance de leur impérialisme criminel. Ils n'ont de cesse de renverser les états assimilés au communisme tant craint, en particulier en Amérique du Sud. Cuba est toujours sous embargo depuis 1962 ! Le dollar est le maître étalon, l'anglais est définitivement devenu l'espéranto grâce à Internet, le soft power impose ses produits culturels. Ils titillent la Chine sur le Tibet, mais les Chinois ayant largement dépassé les Saoudiens par leur investissement économique sur le territoire américain, ils ne peuvent pas faire grand chose sans risquer de se saborder. Pour l'instant la Chine et l'Inde acceptent le rôle de sous-continent avec leur main d'œuvre à bon marché, attendant probablement que le système capitaliste à l'ancienne s'écroule de lui-même. Les anciennes grandes puissances sont dans les choux. L'Empire Britannique ressemble à la Rome antique, ses citoyens totalement anesthésiés comme le préfigure la récente série TV Years and Years. Nos gouvernements successifs ont réussi à détruire l'image de la France, autrefois considérée pays des droits de l'homme et fief de la culture, dévoilant la petitesse de son pouvoir réel. Nous empruntons doucement mais sûrement le chemin de l'Italie, ou de la Grande-Bretagne. Tout cela n'est que fiction contrôlée, le dollar est gonflé à l'hélium, la planche à billets s'activant chaque fois que le danger se profile. Les ressources énergétiques, dont évidemment le gaz et le pétrole, guident les choix états-uniens, le commerce de la drogue ou l'industrie militaire alimentent leurs caisses, mais partout les conditions de vie des populations se désagrègent, sous le coup de réformes iniques et cyniques.


J'ai grandi avec la menace d'une guerre nucléaire entre l'U.R.S.S. et les U.S.A. Mes parents disaient qu'ils n'auraient pas dû faire d'enfants dans ces conditions. J'ai pris ma carte de citoyen du monde en 1963. J'avais 11 ans. Mon père arborait le sticker Europe Unie à l'arrière de sa voiture, avec ma mère ils allaient aux conférences de Jean Rostand, président du M.C.A.A. (Mouvement contre l'armement atomique). Je suis resté pacifiste jusqu'à mon séjour à Sarajevo pendant le siège en 1993, non-violent jusqu'à ce que je comprenne que jamais les ultra-riches qui gouvernent réellement la planète ne lâcheront jamais d'eux-mêmes leurs prérogatives criminelles et suicidaires. J'ai toujours su qu'un mouvement d'indépendance, la résistance à la dictature ou la famine remettraient en cause mon point de vue sur la violence révolutionnaire.
Visitant l'été dernier un bunker d'une usine d'armement "désaffectée" en Roumanie, je suis saisi par des cartes destinées à la formation des ouvriers. On nous laisse prendre des photos, liées à un projet que notre équipe entreprend sur deux ans et dont je dois composer la musique. Chacune expose la diversité des armes chimiques, biologiques, nucléaires, etc. L'humanité n'a pas cessé d'obéir à la loi des cycles comme tout ce qui vit sur Terre. Des périodes de paix succédaient à des passages très violents. Par exemple, le Moyen-Âge avait été somme toute assez stable, la Renaissance avait été une période extrêmement cruelle. Les bonnes et les mauvaises nouvelles alternent sans cesse. Mais une chose a changé, terrible, inadmissible, la possibilité d'empêcher tout retour en arrière dans la destruction totale de la planète. Nous assassinons systématiquement les autres espèces animales, mais aussi végétales, et nous nous préparons à commettre un génocide qui est déjà entamé sur les populations qui ne sont plus exploitables. Il est difficile de comprendre comment les élites économiques peuvent penser commettre un crime sélectionné sans imaginer qu'il s'agit d'un suicide collectif auquel aucun de leurs enfants ne pourra échapper. Contrairement à mon enfance où nous imaginions des îles désertes, des peuplades inconnues, des pays de rêve, il n'existe plus aucun lieu où fuir, même en pensée. Nous sommes prisonniers d'un système monstrueux qui explosera de lui-même, générant des bouleversements dramatiques incalculables. Saurons-nous évoluer malgré cette folie qui excite les uns et anesthésie les autres ? Y aura-t-il des survivants ? Des mutations en découleront-elles ? Je doute vivre assez longtemps pour participer à cette révolution. Ma curiosité restera vaine. Je ferai néanmoins tout ce que je pourrai à mon niveau pour lutter contre le pire en continuant à me battant pour un monde meilleur où l'exploitation de l'homme par l'homme et des autres espèces se dissipe. Hélas il semble que nous ne soyons pas capables d'évoluer sans subir au préalable des catastrophes qui nous y obligent. Espérons seulement que les prochaines ne soient pas irréversibles !

mardi 14 janvier 2020

Perspectives du XXIIe siècle (2)


La vieille neutralité de la Suisse y est-elle pour quoi que ce soit si des survivants du monde entier se retrouveront à Genève pour imaginer une société juste où les origines, le genre, les responsabilités, les compétences n'impliqueront aucune hiérarchie ni ségrégation ? Des mouvements identiques se créeront sur d'autres points du globe. Il n'y aura plus d'autochtones ni de migrants, mais des citoyens, des camarades partageant tout ce qui aura survécu à la catastrophe. Ils témoigneront. Ils inventeront.
Pour mon prochain disque qui sortira au printemps, une œuvre d'anticipation en coproduction avec le Musée Ethnographique de Genève (MEG) et les Archives Internationales de Musique Populaire (AIMP), j'ai besoin d'enregistrer quelques phrases parlées dans des langues très diverses. J'ai commencé par le chinois et l'anglais avec mes amis Sun Sun qui habite en face et Gary un peu plus loin dans le quartier. Anna, arrivant cette semaine de Cologne, sera mise à contribution pour l'allemand, et Valentina pour l'italien. J'ai prévu d'ajouter l'arabe, le persan, le russe, le roumain, le bulgare, le polonais, le danois, le suédois, le brésilien, le wolof... Il faudrait que je trouve quelques personnes qui parlent l'espagnol, le grec, le turc, le hongrois, le hollandais, le portugais, d'autres langues du continent africain, etc. Comme je pensais au mixage de ces voix avec la flûte et le piano préparé que j'ai déjà enregistrés, j'ai par hasard réentendu Laborintus 2 sur Radio Libertaire. J'ignore à quoi ressembleront mes deux pièces, mais j'y vois un vague cousinage avec l'œuvre sublime de Luciano Berio.
Lorsque je ne sais pas comment aborder une composition musicale dont je connais pourtant la raison ou la fonction, mais qui résiste, je prends le taureau par les cornes et je me lance. Simplement je réfléchis longtemps en amont, pour agir vite ensuite. Souvent j'avance par étapes, corrigeant ce qui me déplaît en ajoutant, retranchant, transformant des éléments. Il ne faut jamais perdre de vue l'intention initiale, mais prendre le chemin des écoliers n'est pas interdit. Pour un autodidacte il est même conseillé. Adepte du définitif provisoire, je donne des titres que je remplace au fur et à mesure. La méthode est la même avec la musique. Je suis impatient d'enregistrer les musiciens qui me rejoindront dans les deux mois qui viennent. Comme je suis en avance sur la planning, ce dont j'ai tout de même l'habitude, il est question d'avancer la sortie du CD à fin avril. On verra bien.

lundi 13 janvier 2020

Films amateurs perdus de l'Allemagne nazie


Les 30 et 31 décembre derniers, la BBC Four a diffusé le documentaire en deux parties de Martin Davidson & Nick Watts, Lost Home Movies of Nazi Germany. Récemment découverts, ces films amateurs montrent la manière dont les Allemands voyaient leur pays de 1936 à 1945. Avant la Guerre leur approche est légère, avec ses Jeunesses hitlériennes gaies et ludiques, préparant la militarisation de la nation. La montée de l'antisémitisme est explicite et grotesque, terriblement choquante lorsqu'on connaît la suite de l'Histoire. On suit une division d'infanterie envahissant la France jusqu'à la destruction de Dunkerque. Le front russe est moins réjouissant avec l'Opération Barbarossa. Les commentaires passionnants d'historiens et les journaux intimes de soldats et de civils allemands ou celui du Juif Victor Klemperer accompagnent les images bouleversantes jusqu'à la chute du Troisième Reich.


Au travers des films exhumés par les générations récentes, se pose la question de ce que savait la population allemande de ce qui se passait en son nom. La première partie intitulée One: Hubris montre comment on en est arrivé là. Hybris, c'est l'orgueil démesuré. Là, c'est la seconde partie, Two: Nemesis, l'hiver surprenant l'armée allemande battant en retraite devant Moscou, les raids alliés bombardant le pays, la découverte des camps d'extermination, loin de la propagande nazie. On apprend que la moitié des Juifs assassinés furent fusillés, face à face avec leurs bourreaux. On suit certains se cachant à Amsterdam à deux pas de la maison d'Anne Frank ou une famille normande profitant de l'été bucolique avant de se retrouver en première ligne après le Débarquement, et l'écroulement des illusions qu'avaient fait naître Hitler et le régime nazi. Nemesis, c'est le châtiment.


Les images de l'invasion de la France interrogent sur l'aveuglement de notre pays devant ce qui se tramait de l'autre côté de la frontière. Les films tournés par les soldats allemands à Paris sont époustouflants, touristes en uniformes vivant le fantasme joyeux de la ville lumière. Le port de l'étoile jaune est tout aussi révoltant. Mon père, qui avait été en Allemagne de 1933 à 1939, m'avait raconté la montée du nazisme avec des épisodes explicites sur la barbarie qui se tramait. Mon grand-père sera dénoncé et arrêté pour avoir refusé de porter cette étoile de l'infamie. Il finit gazé à Büchenwald (P.S.: interné à Drancy sous le matricule 266 - Déporté depuis Drancy (93) à destination d'Auschwitz (Pologne) par le convoi n° 59 - Transféré à Büchenwald). Mon père sauta heureusement du train qui l'emmenait vers les camps de la mort. Côté maternel, ils vécurent l'exode et, réfugiés à Aurillac, entrèrent dans la Résistance. Jamais personne ne fut assez dupe pour arborer l'étoile jaune. L'histoire familiale forgea ma culture politique et m'enseigna le qui-vive sur tous les débordements inquiétants ici ou ailleurs.


Loin de moi l'idée de comparer le nazisme à la situation actuelle. S'il fit 11 millions de victimes dont 5 ou 6 millions de Juifs, la Seconde Guerre Mondiale en produisit en tout quelques 60 millions. Mais je ne peux m'empêcher de penser aux autres conflits qui suivirent depuis, aux dégâts gigantesques provoqués par le colonialisme et le capitalisme, loin de chez nous, et à l'ultra-libéralisme dont les effets risquent d'être encore plus meurtriers. Alors je m'inquiète sérieusement de la tournure que prennent les choses en France et dans le monde entier. Même si l'on a conscience du glissement de notre pays vers un État policier, il n'y a pas un endroit où se tourner. Presque tous les gouvernements sont aux mains d'une mafia internationale issue du milieu des banques, gangsters en col blanc prêts à détruire la planète pour en enrichir quelques uns toujours plus. Les populations sont anesthésiées par les médias et leurs avantages acquis. Sinon elles se révolteraient. C'est ce que font néanmoins les Gilets Jaunes ou les grévistes contre la réforme des retraites qui n'est qu'un des éléments de ras-le-bol de celles et ceux qui ne veulent pas se voiler la face. Leur souffrance s'exprime. La brutalité de notre gouvernement décidé à casser tous les acquis sociaux et à vendre au privé notre patrimoine devrait pourtant mettre la puce à l'oreille du plus grand nombre. Une grève générale pourrait éviter le pire en chassant les imposteurs qui ont pris "démocratiquement" le pouvoir. Mais non, on n'apprend rien de l'Histoire. On s'accroche à son petit confort, physique et moral. J'espère que les cyniques qui nous gouvernent passeront un jour en jugement. Mais la majorité de la population attend toujours la catastrophe pour retourner sa veste. Il est plus facile d'avoir bonne conscience a posteriori...

vendredi 10 janvier 2020

Insomnie, fatigues et angoisse


C'est écrit en tout petit, mais L'intellectuel connaît... l'insomnie, les fatigues et l'angoisse ! J'avais photographié ces trois œuvres provenant d'un ouvrage des Éditions Paul Martial à l'exposition Coup de pub au M.A.M.C. de Saint-Étienne l'été dernier. Anonymes, elles datent probablement des années 1930.
J'aime les photomontages, qu'ils soient signés Rodtchenko, Hausmann, Heartfield, Ernst, Prévert ou je ne sais qui. Ma musique s'en inspire autant que du cinéma. J'ai toujours préféré les généralistes aux spécialistes, surtout lorsqu'ils se jouent des citations, comme Jean-Luc Godard par exemple. La technique des samples s'y apparente également, ou comment faire du neuf avec du vieux de manière créative. Toute œuvre peut être néanmoins considérée comme du recyclage, car il n'existe aucune génération spontanée et les inventions poétiques les plus originales héritent tout autant du passé que les autres. Le secret réside dans le point de vue, l'angle personnel adopté, et dans l'association des éléments. C'est dire si je suis passionné par le montage, qu'il soit cinématographique ou musical, prémédité ou instantané.


Pour exprimer les états d'âme des créateurs, l'artiste aura choisi de juxtaposer photos et dessins. Mon humeur du moment m'a donc poussé à exhumer ces trois œuvres. Même si je mets régulièrement les mains dans le cambouis, je reste un intellectuel. Mon travail se nourrit de l'équilibre entre contrôle et abandon, savoir et magie, incompétence et nécessité d'une solution adaptée.
Comment entrevoir les affiches en question ? Je me moque de mes insomnies en allant travailler au milieu de la nuit pour me rendormir tranquillement après une ou deux heures. Il est inutile de forcer lorsque je suis fatigué, il vaut mieux attendre le moment propice. Penser lentement, agir vite. Il y a toujours une ligne de ma liste virtuelle qui me sourit. L'angoisse est plus existentielle. Elle traite de l'humain d'abord, de son appartenance à la plus impérialiste des espèces, du mieux faire avec les autres plutôt que du bien et du mal, du temps qui file de plus en plus vite et de l'échéance qui se rapproche dans son inéluctabilité biologique. Penser par soi-même sans ne jamais rien considérer comme acquis est forcément facteur d'angoisse, mais la création devient alors une échappatoire vitale, une planche de salut révolutionnaire, une ouverture sur le rêve éveillé qui fait fi de tous les renoncements et de tous les cynismes. C'est miraculeusement salvateur en cette période aussi stupide que brutale, où personne n'est encore capable d'entrevoir la moindre issue. Elle existe, mais elle sera forcément douloureuse.

jeudi 9 janvier 2020

Comme un rat mort ?


Attention, âmes sensibles s'abstenir de lire cet article ! Pas question de s'ennuyer. On m'avait dit que les chattes étaient de meilleures chasseuses que les mâles, mais c'est chaque fois Django qui rapporte des trophées à la maison. Nous nous passerions bien de ses cadeaux, d'autant qu'il rentre en poussant des miaulements de victoire tonitruants pour nous avertir, même au milieu de la nuit. En général ce sont de petites souris dont il ne fait qu'une bouchée, mais hier matin j'ai dû ramasser un rat qui faisait bien 500 grammes. Django ayant la délicatesse de monter ses meilleures proies jusqu'au salon du premier étage, j'apprécie lorsqu'il ne souille pas la moquette berbère en laine crème. Avec les rongeurs cela peut encore aller, mais je craque lorsque ce sont des oiseaux. Trucider un merle ou un rouge-gorge n'est vraiment pas cool, déjà qu'il y en a de moins en moins dans le quartier, ce n'est pas la peine d'en rajouter à la stupidité des hommes. Le pire fut un égorgement de pigeon qui avait éclaboussé les murs et ruiné la moquette. On aurait dit une scène de crime. On pouvait les suivre à la trace de la cave au second étage. Imaginez le carnage si c'est une personne, il paraît qu'on est rempli d'environ cinq litres de sang, de quoi repeindre un appartement entier ! Nous félicitons le prédateur comme on nous l'a appris, en tentant de sauver les bestioles autant que possible. Une pie a réussi à échapper au monstre en faisant la morte. La tête pendait comme cassée et molle. Lorsque j'ai réussi à desserrer les mâchoires du félin elle s'est envolée en lui faisant un pied de nez, ou plutôt une patte de bec. Je vois les oiseaux sur les branches, mais où donc Django trouve-t-il rats et souris ? C'est pour moi une énigme. Il y aurait 3 millions de rats à Paris. Peut-être ne sortent-ils que la nuit, pendant que je tape ces lignes ?

mercredi 8 janvier 2020

Musiques populaires japonaises 1920-1950


J'ignore ce qu'ils mettent dans les sandwiches vietnamiens au poulet, mais il y a un truc qui rend totalement accro. C'est pareil avec la musique japonaise populaire des années 1920-1950. Lorsque je commence à écouter du ryūkōka, je n'arrive plus à m'arrêter. Les plus bouleversantes ont été enregistrées pendant la Seconde Guerre Mondiale. À partir de 1945, le jazz s'immisce plus ostensiblement. Ce sont souvent des modèles musicaux occidentaux japonisés surtout vocalement. J'étais déjà dingue de Tony Tani dont ma fille Elsa a repris Antano onamae nanteeno avec le Spat'sonore, mais là je suis comblé, vu la profusion de la collection Vintage Japanese Music. Je n'ai pas réussi à acquérir les CD, mais j'ai acheté les albums en mp3. Les voix sont renversantes. Je note Kusunoki Shigeo, Kirishima Noboru, Tabata Yoshiro, Koume Akasaka, Watanabe Hamako, Kasagi Shizuko, Kouta Katsutaro, etc. Elles me rappellent le sublime Anatahan, dernier film de Josef von Sternberg, ou les Mizoguchi Kenji qui se passent pourtant généralement aux siècles précédents...



Après la défaite jamais explicitement admise par l'Empire du Soleil Levant, les chansons composées entre 1939 et 1945 sont quasiment tabou. Mais quelle que soit l'époque toutes distillent un blues nippon incroyable.

mardi 7 janvier 2020

Le choc des électrons libres


Il est toujours très agréable de recevoir un disque dans une belle pochette. Le vinyle est double, la couve trois volets est faite main, sérigraphie tirée au hasard parmi trois modèles, la mienne est celle de droite, la plus destructurée. Destructuré, c'est juste et faux à la fois. Le choc des électrons libres a beau faire dans le lourd, c'est le mélange des genres qui est la règle. Hard rock, free jazz, punk, électro, pop à la française et musique traditionnelle de Gascogne et de Bretagne. Les emprunts sont clairs, la fusion accouchant d'une musique qui sort résolument des clous, puissante et volontaire. Si le saxophoniste baryton et clarinettiste Francis Mounier est l'instigateur de l'association d'Artús et des Niou Bardophones, l'apport du sonneur Erwan Keravec, à la cornemuse écossaise et à la trompette préparée, met les poings sur les i pour nous envoyer au tapis.


Artús est formé des rockers Romain Colautti (guitare baryton, boha), Romain Baudoin (vielle alto), Matèu Baudoin (chant, violon, tambourin à corde, flûtes, percussions), Thomas Baudoin (chant, boha, guimbardes, flûtes, percussions) et Nicolas Godin (dispositif électronique, batterie). Avec Erwan Keravec les Niou Bardophones sont Guénolé Keravec (bombarde, trélombarde), Ronan Le Gourierec (saxophone baryton) et Jean-Marie Nivaigne (batterie). Autour de Francis Mounier, cela fait du monde, et du bruit. Tous ensemble, ils produisent Le choc des électrons libres. Pas une seule fille. C'est de la musique qui fait mâle.


La pochette cartonnée de Thomas Baudoin bénéficie de la création graphique de Jean-Marc Saint-Paul et de la sérigraphie d'Ivan Bléhaut & Benjamin Lahitte. C'est agréable à tenir en mains. Il y a du grain et de la colle, de la matière et de la découpe, c'est vrai pour la musique aussi...

→ Le choc des électrons libres, Le choc des électrons libres, 2 LP Pagans, 20€

lundi 6 janvier 2020

Un train peut en cacher un autre


Cet été j'ai photographié une affiche de Paul Colin de 1947 à l'exposition Coup de pub au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne, sans penser à ce qu'elle signifierait plus tard. J'admirais le talent du graphiste, ce qu'avaient représentées les locomotives à vapeur comme dans La bête humaine, les rails qui desservaient la moindre gare française, la lanterne qui éclairait les voies, l'importance des cheminots dans la Résistance au nazisme, le boogie-woogie des trains qui filaient dans la nuit...
Or le 1er janvier, en application de la réforme ferroviaire de 2018 qui la transforme en société anonyme à capitaux publics, la S.N.C.F. n'embauchera plus aucun cheminot. Ses salariés ne seront plus protégés contre les licenciements économiques, leur régime de Sécurité sociale et de retraite spécifique ne seront plus préservés, à moins que les grévistes aient gain de cause. Mais Emmanuel Macron calque sa manière brutale de gérer la crise sur celle de Margaret Thatcher contre les mineurs britanniques. Il vend progressivement les services publics au privé sans que la plupart des Français comprennent que c'est leur patrimoine et qu'ils l'ont payé avec leurs impôts. La S.N.C.F. est dans le collimateur comme le furent par exemple les P.T.T., E.D.F., G.D.F. et bientôt les ports et les aéroports.
La rentabilité supplante tout ce qui constituait la fierté de notre citoyenneté. On nous expliquait que payer ses impôts finançait le service public, mais ils auront servi à engraisser les banques, et à travers elles leurs principaux actionnaires. En privilégiant le privé, les nouvelles lois permettent de vendre notre pays à des investisseurs étrangers. Les autres pays d'Europe pratiquant des sports comparables, ce sont les Américains, les Chinois ou les Saoudiens qui contrôleront notre économie. Bruxelles ne fera qu'appliquer ce qu'ils dicteront. L'État pourra bientôt être attaqué en Justice si ses choix déplaisent aux entreprises en question. Suite aux grandes grèves de 1936 ou 1968, les acquis sociaux avaient relativement humanisé le travail. On repart en arrière, comme dans les premiers temps de l'industrialisation. Au lieu de supprimer les chaînes, les nouvelles machines permettent de contrôler le moindre geste des citoyens, leurs déplacements, leur consommation, leurs états d'âme. Cela se produit presque en douceur, si la police ne redoublait de zèle, éborgnant, amputant, tuant, sous les ordres de bandits, placés là par les maîtres de la Bourse.
Je me souviens des voyages en train de nuit lorsque nous étions enfants, couchés dans les filets à bagages au-dessus des sièges. Je me souviens de l'odeur de la suie et des escarbilles qu'on prenait dans les yeux en nous penchant aux fenêtres malgré le célèbre "È pericoloso sporgersi" traduit en français (il est dangereux de se pencher au dehors), anglais ou allemand. Je me souviens des terminus au petit matin avec l'herbe poussée entre les traverses. Je me souviens que ce sont des cheminots qui ont sauvé mon père en 1944 après qu'il ait sauté du train qui l'emportait vers les camps de la mort. Comme chez les employés du livre dans les imprimeries, ils entretenaient un esprit de franche camaraderie et la conscience du travail bien fait. Les trains comme le courrier arrivaient en temps et en heure alors qu'il y en avait tellement plus qu'aujourd'hui.
Il y a 25 ans, pour la chanson La peste et le choléra dans notre album Carton, j'avais écrit "C'est de l'esprit que perd le Nord tandis que le Sud souffre du corps...". Cela s'est dégradé progressivement. L'État est toujours le premier à donner l'exemple. Le mauvais esprit est une construction pyramidale. Si nous acceptons de perdre ce que nos aînés ont gagné de haute lutte, nous sombrerons corps et âme. Il est encore temps de se ressaisir. Enfin, presque. L'humanité reproduit sans cesse les mêmes erreurs, les mêmes horreurs. Seulement là nous avons le pouvoir de rendre tout retour impossible, d'éradiquer la vie sur Terre en un rien de temps. Et nous ne nous en privons pas. Chaque jour porte son lot de mauvaises nouvelles.
Je suis parti d'une affiche originale de Paul Colin. Dessus l'homme est au premier plan, la machine s'enfonce dans la brume. Elle diffuse une atmosphère rassurante, alors qu'aujourd'hui c'est sur la peur que repose le pouvoir. Si se perd l'actuelle Bataille du rail, le reste de notre économie s'effondrera comme un château de cartes. La violence se banalisera. De toutes parts. Faut-il absolument que nous traversions de terribles catastrophes pour que nous apprenions les leçons de l'Histoire ? Je préférerais rêver au bleu du ciel, sans penser que c'est aussi signe de pollution. On m'objectera que le charbon y participait. C'est vrai. Mais pourquoi n'est-on capable que de faire pire ? La République française avait un jolie devise dont chaque mot est devenu un camouflet à l'intelligence : liberté, égalité, fraternité. Ceux qui la dirigent aujourd'hui la traîne dans la fange.

vendredi 3 janvier 2020

Algues vertes, l'histoire interdite


Si les documentaires politiques, philosophiques ou militants m'ennuient lorsqu'ils ressemblent à de la radio filmée, les enquêtes en bande dessinée trouvent plus facilement leur légitimité, leurs auteurs se sentant obligés d'inventer des modes graphiques là où les filmeurs sont souvent paresseux. Ce sont évidemment des généralités. Il y a heureusement quelques cinéastes qui savent se servir des images et des sons. Pour Algues vertes, l'histoire interdite le dessinateur Pierre Van Hove illustre l'enquête d'Inès Léraud en cases et phylactères, mais il ne faut pas oublier la mise en couleur de Mathilda qui participe à l'ambiance puante d'œuf pourri de l'hydrogène sulfuré (H2S) meurtrier.


L'enquête sur les plages bretonnes relève du thriller politique. Il aura fallu un demi-siècle avant que l'assassin, qui tua au moins 3 personnes et 40 animaux, soit démasqué et reconnu. Les algues vertes sont essentiellement la conséquence de l'expansion de l'élevage de porc longtemps encouragé par le gouvernement centralisateur. Les laboratoires sont complices de l'omerta. Il aura fallu des lanceurs d’alerte, scientifiques, agriculteurs et politiques pour briser le silence de mort. À la fin de l'ouvrage, les auteurs livrent les documents, lettres, photos et coupures de presse de cette passionnante enquête révélant la mauvaise foi, l'incompétence et la manipulation criminelle des responsables. Combien de temps faudra-t-il ailleurs, sur d'autres fronts, pour que soit révélé qu'on nous empoisonne ou nous irradie sous prétexte de rentabilité économique ?

→ Inès Léraud et Pierre Van Hove, Algues vertes, l'histoire interdite, La Revue Dessinée, ed. Delcourt, 19,99€ (13,99€ édition numérique)

jeudi 2 janvier 2020

Prévert par Minvielle et Papanosh


En 2020 Jacques Prévert est toujours d'actualité, fêté cette fois par la rencontre du voc'alchimiste André Minvielle et du quintet de jazz Papanosh. Les exemplaires de Paroles, Histoires et Spectacle qui appartenaient à ma mère sont usés jusqu'à la moëlle. Je remets régulièrement sur ma platine les 6 CD du coffret paru en 1992 avec Catherine Sauvage, Les Frères Jacques, Edith Piaf, Marianne Oswald, Mouloudji, Germaine Monteiro, Juliette Greco, Yves Montand, Jean Guidoni, Serge Reggiani, Cora Vaucaire, Renée Lebas, Zette, Catherine Ribeiro, Agnès Capri, Michel Simon, Tino Rossi, Jacques Jansen, Fabien Loris, Marie Laforet, PierreBrasseur, Gilles et Julien, Marlene Dietrich, Chanson Plus Bifluorée, RichardBohringer, Claude Nougaro, Florelle, Béatrice Arnac, Simone Signoret, etc., et Prévert lui-même évidemment pour contribuer à cet extraordinaire inventaire. Chez GRRR, Michèle Buirette interprète La chanson des sardinières, et avec Isabelle Fougère, Sonia Cruchon et Mikaël Cixous je suis très fier de nos 12 ultra-courts collages vidéo Prévert Exquis réalisés il y a deux ans et diffusés sur TV5Monde. Comme pour nous, le Parade de Minvielle & Papanosh n'aurait été possible sans le soutien d'Eugénie Bachelot-Prévert, la petite-fille du poète, qui réussit à sortir la succession d'un protectionnisme rendant impossible le moindre hommage.


André Minvielle, qui a publié en décembre avec BabX et Thomas de Pourquery un magnifique CD Nougaro dont j'avais salué la création à Toulouse en 2014, a trouvé de nouveaux partenaires de fête en Papanosh. Le trompettiste Quentin Ghomari, le saxophoniste Raphaël Quenehen, le pianiste-organiste Sébastien Palis, piano, le contrebassiste Thibault Cellier, le batteur-percussionniste Jérémie Piazza et le chanteur-percussionniste ont mis en musique une douzaine de poèmes qui swinguent, valsent, fanfarent et nous émeuvent. Ils ont mis Les petits plats dans les grands pour un Cortège contre La guerreLes belles familles autorisent L'amiral à avoir Quartier Libre à Alicante. Minvielle entonne Étranges étrangers d'une manière tendre et sautillante alors que j'haranguais le foule en tribun dans notre version vidéographique. On oublie trop souvent l'engagement politique de Prévert au profit de son imagination poétique. Il serait aujourd'hui avec les Gilets Jaunes et les grévistes. Avec encore La brouette et les grandes inventions, De vos jours, Un matin rue de la colombe, Le combat avec l'ange, Destiné et Chant Song, la Prévert Parade nous donne envie de danser et de ré-imaginer le monde qui ne tourne vraiment pas rond. Comment a-t-on pu le confier à des pitoyables employés de banque et à leurs maîtres assoiffés de sang et de pouvoir alors que musiciens et poètes lui donnent les couleurs de la vie en faisant lever le soleil chaque matin pour nous réchauffer le cœur. Disque salutaire dit que salue Terre.

→ Minvielle & Papanosh, Prévert Parade, La C.A.D /Label Vibrant, dist. L'autre distribution, 13,99€, sortie le 31 janvier

mercredi 1 janvier 2020

Faisons table rase !


"Du passé faisons table rase !" ne signifie pas de tout casser comme le font les bandits qui nous gouvernent ici et là-bas, mais de s'interroger sur la justesse de nos pensées et de nos actes. Une remise à zéro des principes de base s'impose chaque jour. La nouvelle année est un rappel de cette indispensable manière d'envisager l'avenir. La commencer avec de bonnes résolutions, c'est toujours mieux que déprimer en pensant à la destruction systématique de tout ce qui nous est cher sur cette planète, que ce soit la nature, l'étonnante variété des espèces, la bienveillance des hommes et des femmes de bonne volonté, cette chose étonnante qu'on appelle la vie qui est si courte et si longue selon l'angle choisi. Alors je nous souhaite de trouver chacun et chacune à notre niveau des façons d'enrayer le gâchis, de nous débarrasser des opportunistes avides de toujours plus de pouvoir, de trouver ou d'entretenir l'amour de nos proches, humains, animaux, plantes, minéraux... Serais-je devenu animiste ? Pourquoi pas ? Nous savons si peu de choses en nous comportant comme si nous étions les maîtres du monde. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Préservons le sens de l'émerveillement de notre enfance et acceptons de grandir en aidant les autres générations à se développer. Osons nous regarder véritablement dans la glace pour y reconnaître nos contradictions, nos paradoxes, nos mensonges, nos errances. Tenons bon devant la brutalité de ceux qui détruisent les plus beaux acquis de nos aînés pour que ceux qui nous suivent aient une vie meilleure, et pas seulement quelques privilégiés. Il faut apprendre à partager, pas seulement avec nos voisins, c'est un premier pas, car il faut penser large, jusqu'au bout du monde. Si cela vous semble inaccessible, privilégiez le combat de proximité. Lorsque je parle de combat, je pense évidemment d'abord à celui que nous devons livrer contre nous-mêmes. C'est peut-être maladroit, mais tout cela pour vous souhaiter une meilleure année, en bonne santé, remplie de projets constructifs, de gestes civiques qui vous feront vous retourner sur les 366 jours précédents avec le sourire, une année où il fera bon respirer, une année ensemble ! Il ne reste plus qu'à dresser la table et nous mettre à l'œuvre...