70 août 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 août 2006

La fin du moi(s)


Le 31 août marque la fin des vacances. Les années sont étonnamment restées scolaires. En septembre, l'intermittent se tient prêt à découvrir son nouveau métier comme l'élève guette la tronche de ses profs au détour du couloir. Que signifie la rentrée pour le blogueur insatiable ? 15 heures par jour, 7 jours sur 7, 365 jours par an, l'artiste muse et bosse sans faillir, remettant cent fois le travail sur la table, les sens en éveil, les yeux brûlés par l'impossible point, à l'écoute d'un mistral qui s'est tu dans la nuit, enfin. L'homme le sait trop bien, tout cela recommencera. Il n'y a que le vide pour l'aspirer, le vertige de l'inconnu fait le reste. La spirale ascendante ouvre sur une petite porte. Sans trucage. Comme par magie. Le lapin blanc scande pourtant "en retard, en retard...". Ses rêves s'évaporent au fur et à mesure qu'il s'en approche. Cette course vaine, enivrante et terrible, occupe à jamais ses nuits sans sommeil, et le jour venu, il ne sera plus là pour entendre ces derniers mots : "Ici repose..."

mercredi 30 août 2006

Violence des échanges en milieu tempéré


J'aime bien les titres composés dont il est souvent difficile de se souvenir, comme Beau temps mais orageux en fin de journée, Extension du domaine de la lutte, Établissement d'un ciel d'alternance, Eternal Sunshine of a Spotless Mind, Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages, We're Only in It for the Money, Gruppo di famiglia in un interno, etc. En changeant habilement le titre de son premier long-métrage initialement appelé Organisation, Jean-Marc Moutout dresse parfaitement le paysage social du monde du travail aux prises avec le cynisme du capital. Filmé comme une comédie dramatique, c'est en réalité un drame qui se joue lorsqu'un jeune ingénu est engagé pour réaliser un audit sur une usine de métaux en but au rachat par une société plus importante. Le casting est si réussi, le mécanisme si précis que Moutout peut parler de "fiction documentée". Le film est devenu un incontournable dans toutes les boîtes de consulting, que ça les arrange ou pas. Je l'avais vu à sa sortie en 2004, il est repassé hier soir sur Arte, il existe en double DVD avec les courts métrages de Moutout, Tout doit disparaître et Électrons statiques ainsi qu'un documentaire inédit, Par Ici la sortie. Je le commande illico. C'est probablement l'un des meilleurs films français de ces dernières années, le genre de truc que la télévision devrait produire, question de salubrité publique. Il ne s'agit pas seulement de la restructuration d'une entreprise mais de la façon dont chacune et chacun prend la vie et considère le travail. La fin laisse d'ailleurs à chaque protagoniste le soin de s'inventer un avenir, dépression ou joie de vivre, combat ou compromission...

mardi 29 août 2006

Derrière l'horizon


L'horizon est un hors champ sans cadre, sans limites. Il respire les récits de Conrad et les aventures du capitaine Troy. Tout y semble possible, îles désertes, civilisations perdues, trésors cachés. On s'attend à ce qu'en surgissent une Armada, des naufragés victimes de passeurs assassins, le Nautilus, Moby Dick, l'Atlantide ou de simples navigateurs solitaires. Le soleil y fait surface chaque matin pour s'y plonger chaque soir. Alors seul un miroir étoilé scintille au-dessus des flots, encore plus loin, mais on n'entend rien d'autre que le bruit des vagues. Un vol d'oiseaux migrateurs ne ferait que poser de nouvelles questions. Pris en photo, l'horizon reste le plus mystérieux des castelets. La courbure enfin visible donne le vertige. L'eau donne son volume à la sphère. La ligne sans cesse repoussée reflète les profondeurs, mais la distance est immuable. Dis, Papa, c'est encore loin ? Tais-toi et nage !
En haute montagne ou dans le désert, il m'est arrivé de recevoir notre planète en pleine figure, sa nature certes, mais jamais cette appréhension globale...

lundi 28 août 2006

Il y a des justes, mais ce ne sont pas toujours les mêmes


Si The Wind Shakes the Barley (Le vent se lève) de Kenneth Loach est filmé à la papa, si la première heure aurait pu être allégée de sa moitié, trop de brutalités appuyées pour que le public comprenne que l'on a raison de se révolter, il pose des questions intéressantes et révèle une page d'histoire comme il s'en écrit hélas tous les jours. L'authenticité des accents irlandais profite à cette épopée et lui donne un aspect documentaire sans manichéisme excessif, faille de presque tous les films du cinéaste anglais.
En rentrant à la maison, j'avais envie d'en savoir plus sur la constitution de la République d'Irlande, c'est déjà ça. Comme chaque fois, la famine précède cette révolution. Les idées de 1917 ont mis le feu aux poudres. Trois ans plus tard, la Couronne britannique défend le capitalisme contre les velléités républicaines des catholiques irlandais. Cette guerre d'indépendance préfigure toutes les guerres coloniales à venir, en Inde, en Afrique...
La trahison, le compromis, la radicalisation sont le lot des batailles et des guerres civiles qui suivent souvent la Libération. Un samedi soir de 1994, tandis que je suis encore sous le coup de mon séjour à Sarajevo pendant le siège, je vais à une fête chez mon ami Alain pour me changer les idées. Préférant la tchatche au sport, j'ai l'habitude de fréquenter la cuisine au détriment de la piste de danse. Recherchant donc un coin calme, je tombe sur un type taciturne occupé à changer les disques. Comme nous faisons connaissance, le gars me dit qu'il est responsable de mission humanitaire dans les cas de grande urgence. Il en a gros sur le cœur. Je comprends qu'il revient du Rwanda. Il est écœuré que 80% de l'humanité qui ne mange pas à sa faim... Il souligne que "pourtant il y a des justes", mais, et cela continue à me faire dresser les poils sur les bras chaque fois que je l'évoque, il ajoute "mais ce ne sont pas toujours les mêmes".
Rien n'est jamais acquis. Le qui vive et la réflexion s'imposent chaque fois. Il arrive que l'on prenne les mauvaises décisions, que l'on se trompe d'amis, que l'on se fourvoie, mais il n'est jamais trop tard pour rectifier le tir.

dimanche 27 août 2006

Humanité (Le Corbusier 3)


Aux beaux jours, les enfants pataugent dans le bassin situé sur le toit. À humanité égale, c'est une image plus tendre que celle du plongeoir sur le vide construit à côté. Pourtant, le père de la cité radieuse s'est noyé il y a exactement trente et un an aujourd'hui.

samedi 26 août 2006

Le modulor (Le Corbusier 2)


Autour de la cité radieuse, commencée en 1945 et livrée en 1952, s’étalent un jardin, un tennis, des jeux pour les enfants, un parking. À l'entrée de ce monument historique de 337 appartements tous habités par une clientèle de plus en plus bobo (il n'existe même plus d'appartement témoin), et abritant hôtel, restaurant, bibliothèque, école maternelle, supérette, boulangerie, boutiques, cabinets d’architectes, piste de jogging, sauna, ciné-club, etc., les gardiens sont obligés d’être présents 24 heures sur 24.

Les couloirs, qu’on appelle la rue, me font penser à ceux des hôtels de Las Vegas. Les portes dessinent des tâches de couleurs dans l’obscurité. Le Corbusier imaginait que les habitants pourraient les laisser ouvertes, et qu’en bon voisinage, les passants auraient envie d’entrer, attirés par la lumière.

Sauf quelques rares doubles, tous les appartements font 3,66 mètres de large, c’est le module. Conçus tout en longueur, sans aucune place perdue, la plupart bénéficient de la double exposition. Il y a des studios, des apparts avec trois chambres, et quelques plus grands. Séparés les uns des autres par de l’air et reposant sur des plots de plomb, ils sont insonorisés.

Adelaide est fascinée par la place prévue pour accrocher les casseroles. Rosette adore le passe-plat et les boîtes sur le palier qui servaient à la livraison des plats ou de la glace (Corbu n'avait pas imaginé la place qu'allait prendre le réfrigérateur !). Françoise rappelle le travail de Charlotte Perriand qui a conçu le mobilier.

Tous les éléments architecturaux et le mobilier sont calculés sur une sorte de nombre d’or à partir de la taille des Français des années 50, le modulor. Les plafonds peuvent sembler un peu bas, maintenant que les jeunes ont grandi.

Après nous avoir fait visiter son duplex, Emmanuel a la gentillesse de nous guider jusqu’au toit. Vue à 360° sur Marseille. Lire le billet d'hier. Le Corbusier a pensé au moindre détail pour que la vie communautaire soit favorisée.

P.S.: une dernière image.

vendredi 25 août 2006

Invitation au suicide (Le Corbusier 1)


Le Corbusier rêvait d’un autre monde. En visitant la cité radieuse à Marseille, je suis sidéré par sa rigueur et son imagination. Tout est si cartésien qu’en regardant le plongeoir construit sur le toit, au neuvième étage, on a du mal à imaginer autre chose qu’une invitation au suicide. On dit qu’il rêva la cité radieuse si emblématique que l’on aurait envie de choisir son immeuble pour en finir avec la vie. Et Le Corbusier de construire ce promontoire au-dessus du vide, à côté du gymnase, de la pataugeoire pour les enfants, de la salle de spectacles et de l’écran en plein air. Tous les deux ans, un désespéré ne manque d’ailleurs pas de sauter. Depuis deux ans, la fréquence s'est accrue, deux par trimestre.
Le suicide est une affaire intime, comme la morale ou la psychanalyse. Drôle de comparaison, m’objecterez-vous. La folie, la rebellion, la délinquance, l’expression artistique sont des réponses si peu satisfaisantes face aux difficultés de vivre là. Il y est question de son rapport au social, et l’on peut respecter le choix de chacun, même si ce n’est pas une partie de rigolade pour celles et ceux qui lui survivent. Parfois un peu de patience aurait peut-être eu raison des idées noires. L’humour tout aussi noir du génial « fada » serait-il une leçon de savoir vivre ?
Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier voire Corbu, s’est mystérieusement noyé le 27 août 1965 à Cap Martin. Il est enterré à côté de sa femme, dans la tombe qu'il avait dessinée, au cimetière de Roquebrune.

jeudi 24 août 2006

Rechercher un logiciel


Rien de plus simple que de chercher une application pour tel ou tel usage avec le site VersionTracker. Comme avec tous les moteurs de recherche, il suffit de taper les mots (en anglais) les plus appropriés et VersionTracker propose les versions les plus récentes des logiciels désirés, freeware, shareware ou commerciaux, tant pour Mac que pour Windows. On peut aussi en surveiller les mises à jour, ou s'abonner pour recevoir cette information une fois par semaine.

mercredi 23 août 2006

Dodéca Couac


Chaque fois que nous voyons voler les Canadair devant la plage, nous comprenons qu'un feu de forêt est en train de réduire en fumée des centaines d'hectares. Même si ce n'est pas toujours intentionnel, ces incendies sont toujours criminels. Il suffit d'une clope mal éteinte lancée au milieu de quelques épines de pin. Une rumeur raconte qu'un jour un plongeur aurait été aspiré par un de ces bombardiers d'eau et qu'on l'aurait ensuite retrouvé au milieu des cendres. Les écopes utilisées par les Canadair étant de la taille d'un verre d'eau pour ne pas freiner l'avion en phase d'écopage, un tel accident est donc impossible. Tandis que les avions de la protection civile jaune et rouge passent et repassent, je me souviens d'une chanson de l'album Carton, hommage à Bobby Lapointe qui m'avait pris plusieurs mois à écrire en 1992 et où j'utilisais un de ces avions extincteurs. D'habitude, lorsque je suis rôdé, le texte d'une chanson ne me prend pas plus d'une journée. J'avais trouvé une manière originale de composer sa rythmique endiablée, par un système d'élisions aléatoires. Comme j'étais exceptionnellement le chanteur de ce free rock graveleux, cela permettait à Bernard de jouer enfin un peu de trompette.

DODÉCA COUAC

Que de codas codées qui durent
Décodèrent des cadors qu'adorent
Des cadeaux du kid qui dort
Trois quat' dicos dans deux caddies,
Dans des décors d'un coup d'équerre
Déconnèrent dur des cons du coin
Des cascadeurs du camp qu'adulent
Des décadents du cal du cœur.

Deux doigts de kir ou du déca
Dans deux doigts d'eau qu'on dit que d'eau
D'accus que dalle, du cul d'accord :

Du cul dodu d'ados dadais
Code qu'Odette du coup décale
Dès que des queues dures des dix doigts
Dare-dare guidèrent des doux dadas
Du con doré auquel adhèrent
Des dards d'où coule une liqueur,
Dis donc quels dons quel quart d'heure
Qu'on dut dédier dix Canadair !

Deux doigts de kir ou du déca
Dans deux doigts d'eau qu'on dit que d'eau
D'accus que dalle, dodo d'andouille :

Du kid qui dort on dit qu'il dut
Découder des condoms crados
Découdre au cure-dents des doudous
Claquer des deals dans des clandés,
Deux doigts de coco en cas d'accros
Quand des quidams rendaient caduques
Des credo d'aider des cadets
Dédale du dédain des dandys.

Deux doigts de kir ou du déca
Dans deux doigts d'eau qu'on dit que d'eau
D'accus que dalle, dodéca couac.

mardi 22 août 2006

Le cap


Nous sommes une dizaine sur la terrasse, autour d'un feu imaginaire qu'entretient Giraï. Sa flamme vacille dans la nuit lorsqu'il raconte "la barrière" dont il se rapproche. Il a encore cinq ans à tenir pour devenir centenaire. C'est le but qu'il s'est fixé. Les filles lui font des tas de compliments, mais s'il nous fait rire il dit jalouser notre jeunesse. Giraï est élégant, charmant, spirituel. Adelaide dit que "c'est un beau mec". Mina lui demandant s'il a été marié, il répond "deux fois", mais ne parle que d'Angèle, la compagne partie avant lui, et chante "la tristesse", et la solitude de la vieillesse. Il choisit souvent une chanson en rapport avec la situation, commentaire en sous-titre, analyse en filigranes de l'instant fugace. Pour être certain de bien se faire comprendre, il insiste sur les mots les plus significatifs. Mais sa mémoire a désormais choisi les stations qui l'ont marquées. Il a totalement oublié d'énormes passages de sa vie pour se concentrer sur toujours les mêmes événements marquants, le génocide arménien et la drôle de guerre suivie de l'exode. Il répète ces histoires comme une mission qu'il s'est assignée, pour instruire cette jeunesse insouciante qui, au mieux, se préoccupe des injustices sociales et politiques contre lesquelles elle s'insurge, mais qui ne la touche plus jamais avec la brutalité de la guerre. Ici, du moins !
Après son départ, Elsa s'émeut de la famille de Françoise, de ses parents qui nous reçoivent merveilleusement malgré leur âge (encore qu'ils ont vingt ans de moins que Giraï, s'amuse-t-il lui-même à faire remarquer !). Une vraie famille ! Dès l'aube, Jean-Claude travaille au jardin, désherbant, épluchant, cuisinant. Rosette nourrit les canards, elle est partout à la fois. Et Giraï fait des allés et venues entre son cabanon, la maison des parents où nous prenons les repas et la maison carrée qui nous abrite. À minuit, si les jeunes (21 à 53 ans !) ne s'écroulaient pas de fatigue les uns après les autres, Tonton aurait bien refait une petite belote, "et puis ça va"...
Le lendemain matin, tandis que "les gamins" dorment encore, les vieux sont déjà tous debout.

lundi 21 août 2006

Il n'en a rien été


J'avais imaginé lever le pied pendant les vacances et prendre quelque distance d'avec mon journal, sauter des jours, laisser l'écriture de côté. Il n'en a rien été. J'ai continué chaque matin sans jamais faillir. Pas de grasse matinée. Je me réveille tôt, après avoir empilé les rêves comme on enfile des perles, libéré de la nuit. En me levant, je pensai qu'hier il ne s'était rien passé de marquant. Aucune interrogation, aucune réflexion, rien ne justifiait ces lignes. Je ressassais ma journée à l'affût de quelque point de vue.
J'avais commencé par m'inscrire sur MySpace.com sur les conseils de Jean Morières, histoire de partager, de la musique, des idées... Ils appellent ça se faire des amis... J'avais fait le ménage pour recevoir Elsa et Yann-Yvon qui arrivent aujourd'hui, cette chambre n'ayant pas été ouverte depuis plus de trois ans, à la mort du grand-père. J'ai fait glissé les lourds volets roulants bloqués par des vis et des targettes pour retrouver la lumière. Nous étions ensuite allés nous baigner avec nos nouveaux masques devant la villa des tours, découvrant de nouveaux spécimen, un petit poisson orange à points noirs et trois énormes bestioles que je fus incapable d'identifier. Le tuba a une valve qui permet d'expulser l'eau du tuyau sans avoir besoin de souffler comme un malade. Pendant ce temps, Jean-Claude avait eu le temps de presser du jus de raisin, épais et sucré, et de cuisiner un gratin de pourpier. Après la sieste, nous étions allés au Lumière voir le dernier Michael Mann, un film d'action haletant avec deux flics à Miami. Plus tard, nous avons regardé Un homme avec les loups sur Arte, suivi d'un documentaire formidable sur le cinéaste Jean Painlevé.
Son bestiaire présente des chorégraphies merveilleuses sur des musiques de Maurice Jaubert (Barbe Bleue, film d'animation en pâte à modeler de 1938 tourné en Gasparcolor), Darius Milhaud (le célèbre Hippocampe), Duke Ellington (Black and Tan et Echoes of the Jungle pour Le vampire et Les assassins d'eau douce), Pierre Henry (Les amours d'une pieuvre), François de Roubaix (Cristaux liquides) ou de lui-même (bruits organisés en hommage à Edgar Varèse pour Les Oursins)... Intemporel, Jean Painlevé allie science et fiction sans trait d'union. Nous sommes plus proches d'un surréalisme naturaliste. Fils rebelle du mathématicien et homme politique Paul Painlevé, il est l'auteur de plus de 200 films dont La pieuvre, Le Bernard l'ermite, Crabes et crevettes, Caprelles et pantopodes, Hyas et sténorinques... Il existe d'ailleurs deux DVD, Compilations n°1 et n°2. Sur le site des Documents Cinématographiques fondés par Painlevé, on peut lire un très bon résumé de ses films "issus tant de la recherche scientifique que de l'esprit rebelle de l'avant-garde. Proche de Vigo, Eisenstein, Artaud, il a consacré sa vie à une radiographie luxuriante et joyeuse de l'infiniment petit, avec une prédilection particulière pour la faune aquatique qu'il aborde avec une obstination singulière, une curiosité presque jubilatoire et une absence de sentimentalisme. À l'affût de leçons d'humanité dans l'animalité, pionnier subversif du multimédia, Painlevé a su utiliser et développer les technologies les plus pointues de son époque (caméra sous-marine, trucage, ancêtre du steadycam) et mêler, en visionnaire, ses images aux musiques les plus contemporaines..."
Une journée comme les autres. Quel été !

dimanche 20 août 2006

Le goût de défaire


357. Voix off. À détruire, le goût de la destruction vous vient pour la seule destruction. Avant même qu'on soit ivre de vin, car il n'y a pas que cette ivresse.
358. Ils couchent le tonneau sur une table,
ils vont tirer le vin au robinet.
359. Mais ça ne va pas assez vite ;
ils mettent le tonneau debout,
ils le défoncent.
360. Ils puisent dedans.
Voix off. On voit qu'il y a un plaisir plus grand que de boire.
361 à 367. Les tableaux qui sont aux murs,
le vaisselier garni de verres,
les chopines alignées,
les bouteilles de liqueurs,
la machine à tirer la bière,
les vitres,
les chaises,
les bancs,
tout y passe.
Voix off. Et il y a de même un travail plus beau que de faire, une plus belle espèce de travail : c'est de défaire. Ils n'étaient plus fatigués.
368/369. L'aubergiste, qui avait été attaché, puis poussé dans un coin,
se trouve s'être débarrassé de ses cordes.
Il se jette sur ceux qui sont le plus près de lui (P.L.)
Une bouteille se brise sur son crâne (G.P.)
Voix off. Alors aussi on a connu qu'il y a encore plus de plaisir dans une autre espèce de destruction : quand ils virent couler le sang.

Hier à la plage, je repensais à cet extrait de L'Astre, scénario d'un long-métrage que j'ai écrit il y a dix ans d'après C.F.Ramuz. Un père à casquette faisait des pâtés avec le sable pour que son fils de deux ans puisse shooter dedans jusqu'à destruction totale. Et le père de refaire deux pâtés et de rappeler son fils à l'entraînement. Au delà du geste, ce qui me fit frissonner c'est le regard du père. Il ressemblait à celui que j'avais pu croiser aux check-points serbes en 1993.

samedi 19 août 2006

Le Palais Lumière


À La Ciotat, l'empreinte des frères Lumière est bizarrement sous-exploitée touristiquement. La résidence de la famille Lumière a été transformée en appartements. Les plus beaux bâtiments sont en bordure de mer, alors qu'à l'époque ils étaient destinés aux gardiens et au personnel. Les Allées Lumière, bordées de deux rangées de palmiers trop serrées, sont semées de sphères de ciment pour empêcher le parking sauvage. L'Eden Théâtre, la plus vieille salle de cinéma du monde, est annoncé en réfection depuis belles lurettes. Pas une seule carte postale d'un film, d'une photo ou d'un de ces édifices n'est proposée sur les tourniquets encombrés de vues maritimes toutes plus tartes les unes que les autres... Tout juste une grande toile peinte sur le cinéma local baptisé Le Lumière et un monument, stelle parallélépipédique sans style, au bord de la plage, proche de l'hommage au fondateur de la Cinémathèque Française, Henri Langlois, rappellent la présence des inventeurs du cinématographe. On pourrait s'attendre à trouver des photogrammes de l'arrivée du train en gare, de l'arroseur arrosé au milieu des vignes remplacées par des villas, ou bien des vues anciennes en couleurs, ou simplement un rappel de l'importance des Lyonnais avant la seconde spécialité ciotadène, les chantiers navals désaffectés, mais rien, rien non plus de cette magnifique architecture industrielle ! La ville semble banalisée, réduite à ses attraits de station balnéaire.

vendredi 18 août 2006

Gaga des chats (1)


Enfant, je n'ai élevé que des poissons rouges et une couvée de poussins. Les poussins n'ont pas tenu dix jours, les poissons rouges se sont suicidés les uns après les autres en sautant de l'aquarium. Mon père les ranimait en les massant et les requinquait avec des petits morceaux d'aspirine. À vingt ans, je me suis engueulé avec ma mère parce que j'étais venu avec Zappa, le chien des copains avec qui je partageais l'appartement. Il a dû tout comprendre, il a pissé le long de la porte d'entrée, ce qu'il ne faisait jamais. Comme elle me demandait de choisir entre elle ou lui, je suis parti furieux en claquant la dite porte. Sa phobie hygiénique m'empêcha d'avoir tout contact avec d'autres espèces sans que la question se pose vraiment. L'esclavage réciproque des chiens en ville ne me convainc jamais, mais la fréquentation des chats m'ouvrit à un monde que je ne soupçonnais pas. Je le dois à Lupin, un grand noir d'une intelligence prodigieuse et d'une poésie inhabituelle avec qui j'ai partagé dix huit ans de complicité.
Le chat occupe le même espace que nous, il se l'approprie totalement, mais d'une manière si différente qu'il me permet de m'interroger sur nos coutumes et nos manies. J'ai aussi un doute profond sur l'identité du maître. Le chat a réussi à domestiquer l'homme. Il possède le clos et le couvert, il est nourri, et, de plus, il a un masseur personnel à demeure, sans avoir besoin de contribuer d'aucune façon aux tâches ménagères.
Lorsque cette vie paradisiaque s'agrémente de gâteries outrancières, le chat devient un patapouf et perd son esprit malin. La vie d'appartement lui convient mieux qu'au chien, mais la plupart y deviennent tout de même neurasthéniques. L'idéal, comme pour tous les individus, est de lui laisser un espace de liberté. Il est certainement plus sain qu'il habite dans une maison avec chatière pour entrer et sortir à son gré. Le plat d'aisance est une solution de pis aller. Il est tellement plus naturel que votre chat aille faire ses besoins dans le jardin de vos voisins ! Ouist, l'un des chats d'Elsa, arrête instantanément de pisser partout dès qu'il peut sortir dehors. On dirait ces gamins impossibles dont les amis chez qui vous le laissez font ensuite tant de compliments.
Comme tout félinophile, je pourrais deviser des heures sur leur intelligence ou leur névrose. Tous les chats sont un peu dingues, mais de ce côté il n'ont rien à nous envier. Leur attachement à leur demeure plus qu'à leurs humains les rend casaniers et un poil maniaques, et chacun a sa névrose personnelle. Comme pour toute relation intime, il y a façon de l'accepter ou de la rendre viable... Et cela ne peut se faire qu'en douceur !
Nos chats marquent nos vies par la longévité de la leur. Vingt ans, c'est long, mais pas assez pour nous accompagner tout du long. Les adoptions se succèdent et jalonnent notre histoire. On peut vivre autrement, mais pour les amoureux de ces petites bêtes à fourrure une maison sans chat c'est une maison sans âme.
Lorsque Scotch voyage, il est sage comme une image. Son nom lui vient de son attachement à nos basques. Comme la déclaration en mairie n'est pas obligatoire dans les premiers jours du nouveau né, j'attends toujours de connaître son caractère pour lui trouver son nom. Il est né il y a quatre ans, un 3 juillet, comme Elsa. Il est revenu de sa colonie de vacances en Bretagne, spécialisée semble-t-il dans les sports de l'extrême, avec la cornée déchirée par un coup de griffe. Il se laisse faire lorsque nous faisons tomber dans son œil une goutte de collyre, quatre fois par jour. Comme il est terrorisé par Loulou, un vieux labrador à la retraite, il cherche un coin sûr pour se reposer. Nous avons fini par le trouver perché à l'intérieur d'une armoire à glace dans une pièce désaffectée...

jeudi 17 août 2006

Le jardin des délices (2)


Nouvelle arrivée du train en gare de La Ciotat. Il faut chaque fois se coltiner les marches pour descendre sous la voie et remonter sur le quai d'en face où nous attend Rosette. La caisse du chat me scie l'épaule et la valise est lourde des courses réalisées hier à Belleville. J'apporte à Jean-Claude huile de sésame, sauce d'huître, sauce pimentée, basilic chinois, coriandre, kimchi, pâte d'olive, wasabi, piment en poudre au sésame, bœuf séché, nems (couenne de porc fermentée), œufs de cent ans, saucisses à la citronnelle, échalotes confites...
En quinze jours, le jardin a changé de frimousse. J'en fais le tour avec Jean-Claude qui a épluché des noisettes fraîches pour un avant-goût de ce qui nous attend ces jours-ci ! Les petites figues vertes qu'on appelle des marseillaises commencent à être mûres, on les cueille lorsqu'elles commencent à jaunir et qu'elles pendent. Elles sont si parfumées que les grosses grises ou violettes en pâlissent. En piquant dedans une amande fraîche, on concocte un fruit déguisé, incroyable mais frais ! Tout aussi sucrés, les raisins noirs éclatent entre la langue et le palais. Je grimpe dans un arbre pour cueillir les dernières prunes noires, je me baisse pour ramasser les azéroles, comme de petites pommes de la taille d'une cerise. Ce festival de saveurs ravive la mémoire. Les tomates regorgent de soleil. Il reste de petites aubergines qui se tordent comme de grosses virgules. Météorites encore brûlantes, les potimarrons égaient la terre de leur boursouflure orange. La brume annonce de belles journées ensoleillées.

mercredi 16 août 2006

Les gardiens du temple


C'est rassurant de savoir que la maison est en de bonnes mains. Qu'il vente ou qu'il pleuve, canicule ou front polaire, le jardin continue à devenir une jungle en notre absence, et la maison respire comme un gros poumon extatique. Les amis des amis affluent et laissent des messages réjouissants que l'on découvre au retour. J'adore partir et revenir, sachant que tout ce calme profite à celles et ceux qui sont restés.
Lorsque les bambous prolifèrent, il est nécessaire de les couper pour qu'ils ne détruisent pas tout autour en se développant. Les canes font de fantastiques tuteurs, leur feuillage est la nourriture favorite des cochons d'Inde de nos voisines. Je creuse un peu pour sectionner les rhizomes puisque les bambous s'étendent autant horizontalement que verticalement. Les nôtres ont dépassé sept mètres.

mardi 15 août 2006

Projection


L'excellent scénario (Prix à Cannes en 2000) est servi par des acteurs remarquables. Il faut cela pour nous faire avaler cette histoire de fous devenue tellement vraisemblable et banale qu'après la projection nous étions tous devenus un peu schizos. Nurse Betty est une comédie hilarante, dont la brutalité éphémère peut être difficile à regarder tant les ressorts dramatiques qui la soutiennent doivent être solides pour que l'intrigue soit crédible. L'énigme réside surtout dans la confidentialité en France d'une telle réussite. Le dvd est vendu une bouchée de pain (entre 1 et 10 euros !) sur 2xmoinscher, PriceMinister, DvdFolies, Cdiscount, etc. Renée Zellweger y est beaucoup plus intéressante que dans les Bridget Jones qui ont fait sa renommée, Morgan Freeman et Chris Rock ont un jeu étonnamment sobre, Gregg Kinnear a un rôle tout en finesse, pas plus facile à interpréter que tous les personnages du film. Un étrange site mormon auquel semble rattaché le réalisateur Neil LaBute (En compagnie des hommes, Entre amis et voisins, Possession, Fausses apparences...) divulgue sa biographie. Son prochain film, The Wicker Man, avec Nicolas Cage, sortira aux USA en octobre. À suivre.

lundi 14 août 2006

Wi-Fi Zone


Paris pourrait devenir une ville pilote si le projet de l'équiper entièrement en wi-fi voyait effectivement le jour. Du haut du Centre Pompidou, on voit cet immense signe, peint sur le parvis, avant-coureur de ce que l'avenir nous réserve. Le téléphone est devenu mobile, et bientôt, c'est le cerveau central qui suivra le même chemin. L'ordinateur se connecte à Internet, véritable couteau suisse de la communication et de toute la technologie moderne. Autour de ce noyau, se greffent, en fonction des besoins, appareil-photo, caméra, magnétophone, lecteur audio et vidéo, tablette graphique, scanner, imprimante, etc. Les appareils de contrôle médicaux suivront, comme les traducteurs ou les distributeurs d'argent... Chez les nantis le nomadisme est ainsi encouragé, tandis que les pauvres se sédentarisent autour de leur poste de télé, ligotés par l'accession à la propriété. Les foyers s'endettent et tombent à la merci des prêteurs et de ceux qui les encouragent, nouveaux maîtres de l'État... Les automobiles s'étaient multipliées comme un cancer. Les produits millésimés avaient disparu au profit de la date de préemption. On appelle ça le progrès. Pourtant, j'adore tous ces gadgets de la vie moderne, ces jouets entre les mains d'enfants qui ont du mal à grandir, et qui ne grandiront peut-être jamais. Tant qu'ils ne jouent pas au Docteur Folamour...

dimanche 13 août 2006

Dans les labyrinthes de l'art moderne


Paris pétille sous la pluie comme un cachet effervescent. C'est un temps de Bretagne, mais la pêche à la crevette semble ici définitivement inadaptée. Il reste heureusement les musées, ouverts le dimanche, fermés le mardi. Hier, nous sommes donc allés au Centre Pompidou voir l'exposition David Smith (jusqu'au 21 août). Je me suis encore fait engueulé parce que je prenais une photo pour illustrer mon blog.
Les scénographies des expos prennent de plus en plus le pas sur les œuvres. En France, la mise en espace, longtemps négligée, fait pourtant ressortir leur plastique, mais c'est au détriment du sens. Encore une fois, les conservateurs semblent dépassés par cette approche néo-spectaculaire, puisqu'ils confient au scénographe le soin de mettre le travail en valeur, sans contrôler réellement ce que cela va impliquer sémiographiquement. La catastrophe devient évidente lorsqu'ils abordent quoi que ce soit en rapport avec les nouvelles technologies. L'art vidé(o) de sa substance n'en est trop souvent qu'un terrible exemple d'inculture. Les repères ont changé. Le bricolage enseigné dans les écoles des beaux-arts ne remplace pas un siècle de culture audiovisuelle. Nous reviendrons plus tard tant sur le rôle du metteur en espace que sur les formes d'expression artistique émergeant un peu partout sous la patte des jeunes créateurs. Mais ici et là, en deçà des raisons qui les fait agir, manque la pâte, le geste, la physique des corps. Si l'art est aujourd'hui si souvent vide de sens, l'urgence ne semblant hélas pas de saison, il est tout autant désincarné. Même si ce n'est pas ma tasse d'été, les grapheurs de la rue, à l'instar des rappeurs des cités, allient cette nécessité avec un engagement physique qui fait majoritairement défaut aux étudiants proprets des Beaux-arts.
Avec le sculpteur David Smith (1933-1964) dont la vie s'est arrêtée brutalement en crash automobile, on est servi pour l'engagement du corps. Le fer et l'acier qu'il martèle, qu'il découpe, qu'il soude ou qu'il grave vibrent sous sa force et son engagement. La salle rectangulaire ressemble à un labyrinthe, malgré ses allées rectilignes et ses podiums à peine visibles. On embrasse toute son œuvre d'un coup d'œil, dans sa diversité, sans être gêné pour se concentrer sur telle ou telle sculpture.
Passons sur la peinture, bigote bien qu'il s'en défende, du peintre abstrait Alfred Manessier (1911-1993, mort également d'un accident de la route), exposé au quatrième étage, c'est d'une platitude que seule la foi prudente peut susciter, que ce soit pour Dieu, la nature ou les injustices de ce bas monde.
Non, il vaut mieux retourner de toute urgence ou courir voir et entendre Voyage(s) en utopie (JLG, 1946-2006 - À la recherche du théorème perdu), la formidable et injustement boycottée exposition critique de Jean-Luc Godard qui se termine demain lundi. FONCEZ-Y ! Pour une fois qu'une installation fait sens ! Tandis que Françoise filme les écrans, la rue rentre brutalement dans l'aquarium uniformisé du Centre Pompidou. À la foule saisie par Godard, se mêle celle de la rue du Renard. Une grosse femme s'accroupit pour pisser à côté des plantes vertes agglutinées de notre côté de la vitrine. Derrière le mur de verre opposé, vers la place, les tentes des SDF forment campement, abritées des passants par des palissades, mais intégrées à la lecture que Godard réalise de notre monde. Son chantier éphémère fait écho au monde qui bouge et toute cette cruauté lui répond à son tour. L'exposition JLG est définitivement ancrée dans le réel, par le biais de fictions qui doivent beaucoup au réalisme poétique, n'en déplaise aux puristes de tous bords. Un bel éphèbe sort de sa tente avec entre les mains de tout petits chiots noirs... Rebel without a cause s'est traduit La fureur de vivre.
Après une halte pour acheter masques et tubas, ce n'est pas qu'il pleuve tant, mais changer de latitude semble être devenue une sage résolution, nous avons terminé notre périple à l'Atelier Brancusi, reconstitué par l'État sur la place devant le Centre Pompidou, condition sine qua non pour le legs du sculpteur. Il y a quelque chose qui vibre là parce que les outils sont pendus le long du mur et qu'ils partagent l'espace avec ce qu'ils ont permis de créer. Alta (White), la petite installation de James Turrell y est horriblement décevante. Affamés, nous terminons au restaurant chinois de la rue au Maire, histoire de faire un saut vers la vraie Chine, cuisine populaire éclairée crûment au néon, sans chichi, avec seulement l'effervescence de la ruche, tandis que dehors il pleut de plus belle.

samedi 12 août 2006

Le noir n'est pas une couleur


Le décorateur Bernard Evein s'est éteint mardi dans l'île de Noirmoutier à l'âge de 77 ans. Les parapluies de Cherbourg, Les demoiselles de Rochefort, c'est lui. Son nom est associé à celui de Jacques Demy, comme celui de Jacques Saulnier l'est à Alain Resnais. Les deux amis s'étaient connus à l'Idhec à la fin des années 40, après qu'Evein eut été élève aux Beaux-Arts de Nantes où il rencontra sa femme, la costumière Jacqueline Moreau. Bernard Evein signa les décors de la sublimissime comédie musicale de Jean-Luc Godard, Une femme est une femme (dvd exceptionnel en Zone 1 chez Criterion), et ceux des films de nombreux auteurs de la Nouvelle Vague comme Agnès Varda (Cléo de 5 à 7), Claude Chabrol (Les Cousins, Zazie dans le métro, À double tour), François Truffaut (Les 400 coups), mais aussi Louis Malle (Les amants, Le feu follet, Viva Maria !), Alain Cavalier (Le combat dans l'île, Thérèse), William Klein (Qui êtes-vous Polly Maggoo ?), Philippe de Broca (Les jeux de l'amour), Bertrand Blier (Notre histoire) ou Costa-Gavras (L'aveu). Son travail sur la couleur a marqué le cinéma de Jacques Demy, qu'il a connu en 1948 à Nantes et avec qui il a collaboré dès son petit film de marionnettes, La belle endormie en 1953, et surtout Le Bel Indifférent en 1957, jusqu'à Une chambre en ville et Trois places pour le 26 en 1988. Il travailla également pour le théâtre, avec Jean-Louis Barrault, Jean Desailly, Jean-Luc Tardieu et bien d'autres. Il dessina aussi les costumes de L'année dernière à Marienbad de Resnais...
En illustrations, les maquettes du bar des Parapluies de Cherbourg (ci-dessus) et de la salle de danse des Demoiselles de Rochefort (ci-dessous), deux films qui figurent dans mon Panthéon. Le premier ne manque jamais de me tirer les larmes, le second me redonne le sourire les soirs de déprime ! Très belles copies remasterisées disponibles en dvd.

Sa disparition me rappelle la magnifique histoire contée par Sacha Guitry dans Ceux de chez nous. Lorsque Monet cessa de voir, il s'éteignit. Alors que l'entrepreneur des pompes funèbres recouvrait le cercueil d'un voile noir, son vieil ami, Georges Clémenceau, l'arrêta et, arrachant les grands rideaux de toile fleurie de la fenêtre, recouvrit le cercueil du peintre, en disant : "Pas de noir pour Monet ! Le noir n'est pas une couleur !"
J'imagine mal un Almodovar sans penser à quelque filiation avec Evein qui inspira maints décorateurs, et pas seulement au cinéma...

vendredi 11 août 2006

L'être et le néon


Profitant d'un moment d'inattention d'un gardien, je photographie l'exposition Dan Flavin au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, réouvert après de longs travaux. Juste revanche après l'accueil toujours aussi désagréable de la caissière et tant il est anormal que les musées de la Ville de Paris n'offrent pas la gratuité aux chômeurs comme le font les nationaux. L'entrée aux expositions temporaires est prohibitive, alors que le Musée lui-même, situé au sous-sol, est gratuit pour tous les visiteurs sans exception. Il y a probablement une logique qui m'échappe...
Dan Flavin est l'un des fondateurs de l'art minimal américain. Son œuvre est essentiellement constituée d'installations composées de tubes fluorescents. La grille d'angle intitulée sans titre (in honor of harold Joachim) est faite de six tubes verticaux de lumière froide bleus et verts tournés vers le mur et de six tubes horizontaux aux couleurs chaudes, roses et jaunes, diffusant vers l'avant. La dimension généreuse du parcours, salle après salle, profite à cette rétrospective. Je ne pense pas pouvoir être touché par les pièces individuellement, mais l'ensemble est agréable et reposant. Cela n'empêche pas tous les gardiens de porter des lunettes noires pour se protéger de la lumière agressive des tubes. Pourtant, il est envoûtant de se promener parmi les couleurs, de se laisser porter...
Je préfère évidemment le travail beaucoup plus magique de James Turrell qui sculptera à son tour la lumière, mais je n'ai pas eu la chance de voir grand chose depuis sa vertigineuse rétrospective au Musée des Arts Appliqués de Vienne en Autriche il y a huit ans. Chez Turrell, on ne sait pas d'où vient la lumière, c'est une énigme. Ce mystère produit en nous un flottement, particulièrement lorsqu'il joue des effets de rémanence comme dans Wide Out ou qu'il nous plonge dans l'obscurité.
Pour Dan Flavin, tout est simple, le matériau comme sa disposition. Sur l'un des murs de l'exposition, est recopiée une citation de l'artiste où il affirme qu'il préfère réfléchir que travailler. L'être et le néon sont pourtant ici intimement liés.

jeudi 10 août 2006

Tomates


Ce ne sont pas "les dernières tomates", à moins qu'on l'entende dans son sens populaire pour "les dernières nouvelles" ! En nous dirigeant vers le Musée d'Art Moderne à l'Alma (article demain matin), nous tombons sur le marché du mercredi (ouvert aussi le samedi matin). Nous marchons en dévorant d'authentiques sandwiches libanais, une pita avec viande, véritable taboulé (le persil domine), houmous (purée de pois chiche au sésame) et baba kanouj (hachis d'aubergines à l'ail), une crêpe au za'tar (huile d'olive, thym, sumac) et une autre aux épinards.
A parte : sandwich vient de John Montagu, comte de Sandwich, à qui son cuisinier confectionnait ce repas simple pour lui éviter de quitter sa table de jeu (source : le Dictionnaire historique de la langue française en 3 volumes, d'Alain Rey).
Second a parte : le sumac est un fruit rouge des régions chaudes que l'on fait sécher et que l'on moud pour obtenir une épice au goût acidulé. Utilisées dans l'ensemble du Moyen-Orient, les feuilles en poudre peuvent remplacer le citron dans de nombreuses recettes, parfumer les fruits de mer, les salades, les volailles, la viande, aromatiser les farces, le riz... Mélangé au yaourt avec quelques fines herbes, il devient une excellente sauce d'accompagnement. J'ai l'habitude de mélanger le sumac et le thym libanais (de grandes feuilles moulues également) et d'en couvrir la viande ou le poisson. J'en avais rapporté une cargaison de Beyrouth dont le goût ne s'est nullement altéré avec le temps ! Je pense que celui de la poudre doit y être aujourd'hui beaucoup moins digeste.
Mais notre attention est happée par les surprenants fruits et légumes étalés sur les tréteaux de Maître Joël Thiébault (à gauche sur la photo). Apercevant les herbes du jardin dont le pourpier et la bourrache, je pense à Jean-Claude, le père de Françoise, qui confectionne d'exquises salades seulement en se penchant. Il cueille ce qui pousse à nos pieds sans que nous sachions que c'est comestible, lavande, coquelicot, pissenlit et un tas de plantes dont il faudra que j'apprenne les noms.

Je ne peux pas résister à acheter un échantillon de tomates variées qui me font rêver : la Branly Wine jaune que la communauté Amish a réussi à préserver, la Green Zebra, une autre tomate nord-américaine, la noire de Crimée emportée aux USA par les Tchèques en 1968 quand les chars russes entrent à Prague, la Prince Noir de Sibérie... C'est un plaisir d'écouter Joël parler de ses cultures, vingt-deux hectares à Carrière-sur-Seine. Il partage sa passion avec ses clients en toute gourmandise. Je retrouve ce qui me fascinait chez Paul Corcellet : manger devient un art, et l'on n'a même pas besoin ici d'entrer en cuisine, ce sont des aliments simples, on n'a qu'à les cueillir ! Françoise est toute heureuse de dégotter des blettes rouges appelées Charlotte qu'elle n'a jamais trouvées qu'aux États-Unis. Avant de le quitter, Joël nous offre une poignée de légumes miniatures, aubergines, courgettes, patissons, à faire revenir dans des poëlles séparées. Comme nous lui parlons de Kokopelli (production de graines bio pour le jardin), il nous conseille de prélever une cuillérée de chaque tomate, de laisser moisir chaque espèce dans un verre pendant cinq jours, puis de laver les graines et les laisser sécher sur une étoffe (surtout pas sur du papier, ça colle !), pour pouvoir les replanter l'année prochaine.

mercredi 9 août 2006

Si Tati et Keaton étaient palestiniens...


En commandant le deuxième long-métrage d'Elia Suleiman, Intervention divine (Yadon ilaheyya) sur dvdfolies, j'ai eu la surprise de trouver également sur cette édition spéciale belge son premier long, Chronique d'une disparition, deux films formidables pour seulement 7,50 euros !
Voilà de quoi me remonter le moral après le terriblement décevant Cronenberg, A History of Violence, au scénario bâclé. Dans le genre "le passé vous rattrappe", mieux vaut revoir le fabuleux Out of the past (La griffe du passé) de Jacques Tourneur avec Robert Mitchum. Pendant que nous en sommes à Tourneur, le fils de Maurice, tous ses films sont à conseiller vivement, en particulier le coffret collector réunissant La Féline, Vaudou et L'Homme léopard. Scénarios époustouflants, magnifique noir et blanc, bande-son superbe d'intelligence cinématographique, ce qui nous change du sirop musical holywoodien auquel il est actuellement si difficile d'échapper.
Les films d'Elia Suleiman sont une réponse très fine à l'occupation israélienne et un remède à la dépression de la société palestinienne. Il a souvent été comparé, à juste titre, à Jacques Tati pour son humour et le rythme des scènes, et à Buster Keaton auquel il ressemble beaucoup, Suleiman interprétant chaque fois le rôle principal. Réaliser des comédies dramatiques pour ce Palestinien, c'est résister avec fierté à l'horreur et au désespoir vécus par les Arabes d'Israël.
Après avoir vécu une douzaine d'années à New York, le réalisateur revient dans son pays natal pour faire un film. Chronique d'une disparition (Prix du 1er film à Venise en 1996) est construit en deux parties, "Nazareth, journal intime" et "Jérusalem, journal politique", mais le même ton unit l'ensemble, nous faisant totalement oublier qu'il s'agit d'un documentaire où il filme sa famille et ses amis. Son utilisation du son, souvent anticipé par rapport à son image et produisant donc chaque fois un double sens, est formidable. Les gags répétitifs, la véracité des personnages qu'il évite soigneusement de glorifier, comme il préfère tourner en ridicule les policiers israéliens plutôt que les diaboliser, l'absurdité des situations annoncent son second film qui recevra le Prix du Jury et celui de la Critique Internationale à Cannes en 2002.
Les principaux personnages d'Intervention divine sont pratiquement muets. Leurs actes et leurs expressions leur suffisent pour s'exprimer. Deux amants, un Palestinien de Jérusalem et une Palestinienne de Ramallah, séparés par un check point militaire israélien, ne peuvent se voir que clandestinement. Mais leur désir complice va engendrer des répercussions violentes, leurs fantasmes se traduisant en prouesses... Ayant construit son film également en deux parties, Suleiman met d'abord en scène la mesquinerie du quotidien, avec un humour souvent non-sensique et une tendre méchanceté. La seconde moitié aborde cette histoire d'amour impossible, avec toujours autant de poésie, d'invention, d'humour grinçant... La scène de l'odeur de merde qui flotte dans la voiture des militaires répond à celle de leur envie de pisser dans le précédent film, histoire de dégonfler la baudruche. Baudruche gonflée cette fois avec les ballons à l'effigie d'Arafat volant à la conquête de Jérusalem ! Le film devient plus radical, car le temps passe en Palestine sans que les choses ne s'améliorent. Gageons que si Suleiman en réalisait un troisième, il serait encore plus agressif.

mardi 8 août 2006

Visites


Au verso de ma carte de visite, une phrase de Jean Cocteau, "le matin, ne pas se raser les antennes", sous une photo de tournage du Faust de Murnau.
Pas si facile de tourner autour, jour après jour... Le graphisme est d'Étienne Mineur, le choix du papier et de l'encre de Claire Mineur. Mon adresse Internet a changé, mais ça m'ennuie de refaire de nouvelles cartes. Ainsi j'ai conservé toutes mes anciennes adresses mail, et chaque fois que je les relève je suis d'autant plus inondé de spams qu'elles sont nombreuses. Tout ce courrier poubelle qui envahit le Net reste un mystère.

Lorsqu'avec Raymond Sarti et Zeev Gourarier, nous montions l'exposition The Extraordinary Museum, l'organisateur, le journal Chunichi Shimbun, m'avait fait imprimer des cartes avec sur un côté mes coordonnées en français et sur l'autre en japonais. Il est impensable de ne pas avoir de carte de visite au Japon.
Raymond se fait faire les siennes chez un petit imprimeur de Venise qui travaille sur de vieilles presses à main. Sa vitrine est située près de l'embarcadère pour le cimetière de San Michele, sur les Fondamente Nuove. Cela me rappelle le jour où nous étions allés, avec Jean-André, porter des fleurs sur la tombe de Stravinsky de la part de je ne sais plus qui. Â côté de sa tombe, sur celle de Diaghilev qui lui tient compagnie, il y avait un chausson de danse avec un poème... Un soir, place de la Concorde à Paris, l'administrateur des ballets russes avait dit à Cocteau : "Étonne-moi". Ces mots sont souvent attribués à tort à Cocteau lui-même, ou bien supposés avoir été adressés à Nijinsky, en effet présent ce soir de 1917, ou même à Stravinsky. Cocteau, qui allait présenter Parade avec Satie, Picasso et Massine, avait eu l'idée d'intégrer des sons de sirènes, machines à écrire, aéroplanes, dynamos, coups de feu à la partition, mais il n'en eut pas le temps et seuls quelques bruits subsistèrent.

lundi 7 août 2006

Sauve qui peut !


Zappa à l'Olympia en 1968.
Le 26 octobre 1968, j'assiste à mon premier concert des Mothers of Invention dans un Olympia très loin d'être plein. Je récupère le programme de leur tournée européenne (photos) organisée par Norman Granz, qui s'achève ici, à Paris. Revenu alors récemment des USA avec leurs trois premiers albums, les voir sur scène m'emballe définitivement. Fatigués par cinq semaines de concerts, les Mothers se lâchent, jouant probablement beaucoup plus d'instrumentaux qu'aux USA, pour un public non anglophone. À cette époque, ils improvisent beaucoup sur scène, s'accompagnant d'une panoplie de mimiques scabreuses. Zappa y exprime déjà son dégoût pour la crasse des wc français ! Il est aussi extraordinaire qu'émouvant de pouvoir écouter cette soirée 38 ans plus tard : improvisations très jazz, King Kong, Plastic People, Hungry Freaks Daddy, Son of Mr Green Genes... J'ai été encore une fois surpris de trouver cet enregistrement, dû à un certain JN, sur mon site de téléchargement favori. Tout remonte doucement, mais sûrement, à la surface. L'année suivante, j'enjambai les barrières de sécurité et rencontrai enfin Zappa dans les loges du Festival d'Amougies, mais ça c'est une autre histoire...
La distribution de la tournée semble un peu différente des notes du programme : Art Dyer Tripp III (batterie), Ian Underwood (vents & claviers) et Jim Motorhead Sherwood (sax baryton) relmplacent Billy Mundi et Ray Collins.

La nouvelle loi sur les droits d'auteur risque de rejeter tous ces trésors aux oubliettes. Les généreux donateurs (partageurs serait un terme plus juste), bientôt passés au rang de délinquants, auront malgré tout multiplié et semé les copies tout autour du globe, sauvant un patrimoine inestimable, voué à l'usure du temps. Les bandes (souvent enregistrées par des amateurs) s'effacent au fur et à mesure, la couche magnétique se désagrégeant petit à petit. Le Peer to Peer aura ainsi permis de réaliser de nombreuses copies de sécurité sur de nouveaux supports qu'il faudra un jour penser dupliquer avant qu'ils ne se détruisent à leur tour... Voilà une œuvre de salut public !
Je suis écœuré par l'entretien pleine page en dernière de couverture de La lettre des sociétaires de la Sacem avec le PDG de la Fnac, Denis Olivennes. Ce fossoyeur de la culture se gargarise de "diversité culturelle" alors qu'on n'y trouve plus rien en dehors des blockbusters. Il s'érige en défenseur des auteurs et des producteurs alors que les marges de son magasin sont prohibitives et que son système informatique est criminel. Non content d'avoir assassiné les disquaires indépendants il y a trente ans, se prépare la Saint-Valentin des producteurs indépendants. Le sort des distributeurs, toujours des indépendants, est déjà réglé. En juillet, c'était au tour de Night & Day de mettre la clef sous la porte... La Sacem s'est laissée entraînée par l'industrie et, même si ce n'est pas un service public (c'est une société privée), la Sacem a oublié sa mission de protéger les auteurs, tous les auteurs, pas seulement ceux qui rapportent beaucoup de droits. La dernière de couverture du bulletin de la Sacd n'est pas mal non plus, c'est une pub pour Hertz. La Scam, qui a également emboîté le pas de ces aveugles fanatiques du tout sécuritaire (la Sacem se flatte de sanctions graduées contre le téléchargement illégal, mais le Conseil Constitutionnel a annulé cette clause et nous sommes revenus à la répression maximale), commence à comprendre sur quelle planche pourrie elle a glissé, mais elle ne reviendra pas en arrière non plus, du moins tant que toutes nos belles sociétés d'auteurs n'auront pas saisi à quelle catastrophe cette nouvelle loi va nous mener. Heureusement, les deux sociétés d'interprètes, la Spedidam et l'Adami, opposées à cette loi et initiateurs de la licence globale, n'ont pas dit leur dernier mot. Je me rends compte que la sécurité est devenue le maître mot de notre époque. Les sociétés d'auteurs croient sincèrement protéger leurs adhérents, alors qu'ils font le lit d'une culture industrialisée et policièrement encadrée. La mort de l'art ? Certainement pas, car la résistance, heureusement, s'organise...

Pour plus de précisions, voir les billets du 7 janvier (Le drapeau noir flotte sur la création numérique), du 21 janvier (Le commencement de la fin ?) et du 18 mars (Propriété Légalité Sécurité).

dimanche 6 août 2006

Le musée colonial du quai Branly


Le musée du quai Branly s'admire d'abord du quai lui-même. Le jardin vertical de Patrick Blanc orne la seule façade qui ne soit pas de verre, les plantes poussant dans des poches de feutre sans apport d'aucune terre. À sa gauche, l'extérieur ressemble à la Fondation Cartier, un très haut mur de verre abritant le jardin "naturel", théâtre de verdure conçu par Gilles Clément pour qui Raymond (Sarti) avait réalisé Le jardin planétaire à la Grande Halle de la Villette. Le bâtiment, dessiné par l'architecte Jean Nouvel, est un somptueux et malicieux écrin qui n'attendait plus que les "bijoux" offerts en pâture aux visiteurs...
Si l'architecture est formidablement réussie, la circulation dans les galeries intelligente et tortueuse favorisant une certaine intimité, la décoration chaleureuse et confortable et la lumière sombre et douce mettant en valeur les œuvres exposées, on ne peut en dire autant du sens de la démarche. Ce musée qui présente des formes artistiques d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et d’Amérique, préserve avant tout l'esprit colonial. Le décor est formidable, mais, coupés de leur sens, les objets, plus merveilleux les uns que les autres, sont réduits au statut de belles images. La scénographie ne réfléchit absolument pas la dimension ethnologique qu'on est en droit d'espérer. L'ethnographie y deviendrait-elle une trahison de l'ethnologie ? Une impression de vol honteux se dégage de la contemplation de tous ces trésors.
Le 20 juillet dernier, Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture et du tourisme du Mali, a publié dans les pages Rebonds de Libération un remarquable article intitulé Quai Branly, musée des oubliés : "Nos œuvres ont droit de cité là où nous sommes, dans l'ensemble, interdits de séjour... Les œuvres célébrées appartiennent avant tout aux peuples refoulés par la loi Sarkozy."
Malgré toutes ces réserves, le musée mérite la visite, et plus d'une fois tant les objets font rêver. C'est un des plus agréables à arpenter, y compris la galerie multimédia, c'est tout dire ! Je dois avouer que j'ai participé, très humblement, à l'ensemble des bornes interactives disséminées dans tous les espaces en en réalisant, pour Riff, le sobre habillage sonore. La réserve d'instruments de musique, sur plusieurs niveaux, m'a évidemment attiré, mais il est si dommage qu'ils ne soient jamais à portée de mains. Les musées resteront toujours des endroits morbides...

samedi 5 août 2006

Où fait-il bon vivre ?


C'est étrange. Il me semble qu'être juif à Paris ou à New York est beaucoup moins dangereux que de vivre en Israël. Or, c'est sur cette paranoïa sécuritaire qu'est né l'état hébreu. La diaspora ressemble à un concept républicain plutôt sympathique où toutes les communautés s'interpénètrent, où les protectionnismes racistes se dissolvent dans la masse. Les mariages interraciaux ou interconfessionaux me semblent indiquer le degré d'évolution d'une société. Les nazis cherchaient à fabriquer une race pure, mais quel modèle ségrégationniste jalousaient-ils ? On comprendra que la religion est une de mes bêtes noires, quelle qu'elle soit.

La politique étatsunienne ressemble à un western. L'Amérique apporte civilisation et démocratie aux vilains sauvages avec force massacres et parquages dans des camps. Les enjeux sont évidemment économiques, appropriation des terres ou des minerais qu'elles recèlent. Cette politique, explicite depuis le canal de Panama il y a un siècle, s'est construite sur le génocide indien et ne pourra jamais changer sans que le colonialisme nord-américain ne reconnaisse ses crimes fondateurs.

L'image, kidnappée sur le site de Jerusalemonline, ne correspond pas à son interprétation en français, mais je n'ai pu résister à l'envie de la publier telle quelle ! Sur ce site, le discours d'Olmert montre cruellement la folie (auto)destructrice qui s'est emparée d'Israël.

vendredi 4 août 2006

Dernier bain


L'eau était glacée. Il paraît que c'est excellent pour la santé. Le mistral avait fait chuter sa température de 12°. Une dégringolade de 30 à 18 ! On dit aussi que le vent souffle trois, six ou neuf jours et qu'il faut encore attendre une petite semaine avant que la mer se réchauffe.
Nous avons raté Pierre et Flo, coincés à Port Cros avec un vent de face de force 8. Ils arrivaient de Corse, après avoir terminé leur déménagement à Marseille.
À la Gare de Lyon, Adelaide et Nicolas nous attendaient pour nous emmener à la maison. Leur présence et celle de Jonathan m'a empêché de me livrer à la folie obsessionnelle du retour, où j'épluche le courrier, range les dvd, et remet à zéro les compteurs domestiques ! À la place, je me suis affalé dans les coussins jusque tard dans la nuit et j'ai attendu ce matin pour me livrer à ces occupations maniaques...

jeudi 3 août 2006

Les sujets qui fâchent


Pablo, fouteur de merde notoire et esprit des plus aiguisés, suggère d'inaugurer, dans le Journal des Allumés du Jazz, une rubrique sur les sujets qui fâchent, en demandant des avis forcément divergents.
Rédiger un blog est une bonne gymnastique en la matière. J'ai plusieurs fois mérité les remontrances de proches pour ne pas les avoir avertis avant d'avoir divulgué leurs "intimités" ici même. Les sujets épineux génèrent également un important courrier, beaucoup plus dense que les commentaires enregistrables en bas des billets. Si elle consistait à écrire uniquement du contenu consensuel, cette prose serait d'un profond ennui. L'honnêteté peut parfois pousser jusqu'à une trahison nécessaire. S'il y a des sujets qui fâchent, il en existe qui vous rendent irrémédiablement tristes ou vous mettent en colère. Libre à chacune ou chacun de prendre la balle au bond et d'y répondre, avec la même passion. La polémique, si elle oppose des arguments sincères et pousse à la réflexion, est inévitable, mieux, souhaitable.
Pablo Cueco est un des meilleurs percussionnistes que je connaisse. Il joue essentiellement du zarb, instrument à peau iranien, dont il tire une palette de timbres à couper le souffle, ce qui n'enlève rien à ses prouesses de rythmicien ni à mes qualités de flûtiste. Ses talents de compositeur enrichissent encore sa pratique quotidienne, je ne parle pas seulement du bistro en bas de chez lui, quartier général d'un grand amateur, et pas uniquement de maté ! J'accumule les restrictions qui sont légion chez ce polémiste dont l'esprit de contradiction n'a d'égal que son sens de la formule lapidaire et un humour décapant. Pablo dirige aussi le label Transes Européennes et joue régulièrement au sein du trio du clarinettiste basse Denis Colin (billet du 22 avril 2006) avec le violoncelliste Didier Petit. On lui doit le mémorable Bal de la contemporaine, et, plus récemment avec Pierre Etienne Heymann, L'intégrale de Gargantua de François Rabelais en huit CD. J'ai eu la chance de le côtoyer sur scène dans un contexte électro où nous étions l'un et l'autre aussi décalés, ce qui eut le mérite de nous rapprocher. Il participa également, comme tant d'autres, à l'expérience d'Urgent Meeting d'Un Drame Musical Instantané (cd GRRR 2018).
Encore en vacances, je n'ai pas accès à toute ma photothèque, mais j'ai trouvé un plan de Pablo (c'est le barbu avec les bras croisés et l'air narquois) que j'ai saisi avec mon téléphone Bluetooth pendant le dernier conseil d'administration des Allumés, dans les caves voûtées d'un Ministère déchu que la droite aimerait bien réunir avec celui de l'Éducation nationale, histoire de s'en débarasser ! À sa gauche, ce qui est encore paradoxal, on aperçoit les producteurs Nicolas Netter (Chief Inspector), Thierry Mathias (la nuit transfigurée) et Jacques Oger (Potlatch).

mercredi 2 août 2006

D'une calanque


La calanque du Mugel est à l'abris du Mistral qui s'est mis à souffler depuis hier. Dès que je nage avec un masque, je ne sens plus ma fatigue. Je me laisse entraîner loin du large par les poissons facétieux. Mon rêve est de retourner plonger dans les mers chaudes, dans les fonds sous-marins qui ressemblent à des jardins zen, au milieu de bestioles qui ont oublié d'enlever leurs pyjamas et portent des chaussures de clown. On ne les connaît qu'en captivité, dans des aquariums. Libres, ils jouent comme de jeunes chiots, chacun a sa propre personnalité. Les bouteilles donnent au corps une illusion d'apesanteur. Nager sous l'eau me plonge dans la plus grande perplexité. 70% de la surface du globe sont occupés par les océans. J'aime le désert et l'aventure des terrains vierges.

mardi 1 août 2006

En Israël, le communautarisme a enseveli la réflexion politique


La Shoah ne peut éternellement excuser la politique d'Israël. Même si les Israéliens ne descendent pas tous des innombrables familles décimées par la barbarie nazie, rien ne justifie que les victimes deviennent bourreaux. Le passé des Juifs d'Afrique du Nord, par exemple, ne suffirait pas non plus à expliquer une politique colonialiste qui dure depuis près de soixante ans. L'holocauste est, sans aucun doute, le plus sinistre prétexte pour se livrer aux pires exactions contre un autre peuple sémite, les Palestiniens. Pendant des siècles, l'antisémitisme a fait les choux gras d'une Chrétienté dans la nécessité de s'affranchir de ses origines juives. La culpabilité de l'Occident le muselle : il s'est débarrassé de la question juive en fondant un état colonialiste et religieux sur les ruines d'un passé mythique. De quoi donner naissance à une sérieuse paranoïa ! Toute critique de la politique israélienne risque d'être taxée d'antisémitisme. C'est donc aux Juifs du monde entier de réagir et de condamner un état capitaliste et colonialiste, aussi suicidaire que meurtrier.
Le pouvoir, assumant sa paranoïa, galvanisant son peuple, n'a plus aucun recul sur les crimes qu'il commet. L'escalade semble interminable. Qu'est-il arrivé aux Juifs pour qu'ils oublient d'où ils viennent ? J'écris "d'où ils viennent" et non "par où ils sont passés". L'histoire nous appartient, pas la géographie. C'est bien de culture qu'il s'agit, et de morale... On ne naît pas juste, ce n'est pas inné, on ne le reste pas à vie, c'est un travail, un combat sur soi, contre l'horreur, et la honte qu'à terme elle ne manquera pas de générer.
Les juifs de la diaspora doivent s'interroger : est-il juste de chasser de leurs terres ceux qui y vivent depuis des siècles ? Est-il juste de ne pas respecter les ordonnances des Nations Unies sous prétexte que le pays le plus puissant de la planète vous soutient ? D'affamer des populations ? D'attaquer un pays qui n'est pas en guerre (comme l'histoire se répète !) ? Est-il juste d'ériger un mur pour parquer des innocents (cela rappelle d'autres ghettos) ? D'assassiner des centaines de civils sous le prétexte de deux enlèvements (cette fois, cela ressemble à des otages civils fusillés) ? Ma tristesse et ma colère sont si grandes que la liste pourrait ne jamais s'épuiser. Est-ce une déviance freudienne de conjurer le martyre que l'on a subi, à l'image de ces violeurs d'enfants qui se révèlent avoir été eux-mêmes abusés lorsqu'ils étaient petits ? Il doit bien y avoir une explication à tant d'obscurantisme et de cruauté...
Les Israéliens répondent que les "terroristes" se font sauter en assassinant des enfants, qu'avoir un cousin mort dans ces conditions est inacceptable... Mais les Palestiniens rétorquent que leurs enfants meurent sous les bombes et qu'avoir un cousin mort dans ces conditions est inacceptable... Et les Chrétiens libanais surenchérissent qu'avoir un cousin mort etc. Tous les crimes trouveront leur justification, parce que chacun est meurtri dans sa chair. On pourra s'entretuer jusqu'au dernier. Les guerres ont pourtant une fin : combien faudra-t-il de morts encore cette fois pour apaiser leurs dieux ? Jusqu'à quelle catastrophe devra-t-on courir pour que la machine de mort s'enraye enfin ?
Nous pourrions nous en tenir à la morale, invoquer la tolérance, rappeler que les Juifs ont traversé l'histoire sans jamais manier le bâton, cela devrait suffire à stopper la folie paranoïaque d'un peuple qui a perdu tous ses repères philosophiques et culturels. Mais ce qui doit être, avant tout, condamné, c'est une politique. Sur le modèle des États Unis, Israël pratique impunément un colonialisme des plus abjects, inique et suicidaire, et ses guerres sont simplement et cyniquement impérialistes. Il ne faut pas non plus confondre la longue et vénérable histoire des Juifs et la courte et monstrueuse histoire d'Israël. Ne soyons pas complices ! Tant d'iniquité ne peut que donner naissance à des générations d'opprimés, élevés sous l'occupation et les brimades quotidiennes, ne pouvant retrouver leur dignité que dans la révolte. Même si tout a commencé avec la création de l'état sioniste, on ne peut revenir en arrière. Alors, il ne suffira pas aux Israéliens de négocier, ils devront s'affranchir de la tutelle américaine qui les pousse au massacre. Certes, leur économie n'y résistera pas, aussi devront-ils trouver un nouvel équilibre avec tous les peuples qui les entourent. Ils devront probablement constituer un état laïque. Et les pays arabes ne pourront être en reste. C'est à ce seul prix que le Proche Orient peut envisager une paix durable, un avenir.
Répétons-le, les intérêts d'Israël ne sont pas les mêmes que ceux des USA. Le gouvernement américain manipule les Israéliens comme les autres peuples de la planète. Les Juifs du monde entier leur embraient le pas, parce que le communautarisme a enseveli la réflexion politique. Nombreux Israéliens résistent à la barbarie de leur gouvernement. C'est donc aux Juifs "de gauche" que je m'adresse, ils sont nombreux, car de partout affluent leurs appels à la paix, condamnant sans répit la politique d'Israël.

Cet article est directement lié à celui du 14 juillet dernier, intitulé Autodestruction.

P.S.: Excellent article de l'écrivain Mohamed Kacimi ce matin dans les colonnes Rebonds de Libération.