mardi 7 février 2012
Blue Door et Crescendo in Duke
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 7 février 2012 à 00:10 :: Musique
Pourquoi n'ai-je jamais été particulièrement friand des disques de pianiste ? Ça tricote trop à mon goût, pas assez de variations de timbre, trop de doigts, ou pas assez, rappelez Fats Waller, Glenn Gould, Cecil Taylor, et pendant qu'on y est, Granados, Mahler ou Saint-Saëns dans leurs enregistrements sur Welte-Mignon, trouvez un concept qui explose l'approche du clavier, une voix qui se superpose aux cordes frappées... Par exemple, le piano préparé correspond mieux à mon désir, les petits machins qu'on y glisse pervertissent l'instrument, comme chez John Cage, ou encore François Tusques, Benoît Delbecq, Ève Risser. J'ai besoin des déviances de Charlemagne Palestine et Conlon Nancarrow pour accepter ce meuble bourgeois qui sent l'encaustique ou dont la laque renvoie une image trop brillante... Et puis voilà que le label nato sort coup sur coup deux nouveaux albums dirigés, l'un par Tony Hymas, l'autre par Benoît Delbecq, deux relectures !
Hymas passe en revue sa discographie nato accompagné des frères Bates, Chris et JT, trio piano-basse-batterie, formule a priori trop conventionnelle pour exciter mon imagination ; pourtant le blues ne touche pas que le jazz, éclectique, il lorgne vers la pop de plusieurs continents, on se laisse bercer sur une embarcation qui s'appelle reviens, avec le temps, va, tout s'en va, mais les souvenirs réécrivent l'histoire au goût du jour, vingt-sept ans chez nato, une odyssée revue et corrigée ; Blue Door est une plongée extra dry dans le vrai bleu, avec les ecchymoses seyantes d'un compositeur qui a roulé sa bosse aux côtés de Jeff Beck, Jack Bruce, Sam Rivers, Frank Sinatra, Michel Portal, Jacques Thollot, Barney Bush et au sein d'Ursus Minor...
De son côté Benoît Delbecq rend hommage avec Crescendo in Duke à l'un de ses maîtres, l'immense Edward Kennedy Ellington, compositeur avant d'être pianiste, ou quand l'orchestre prolonge les mains du praticien, tout en délicatesse comme à son agaçante habitude, laissant la musique s'insinuer chez ses acolytes, ici Yohannes Tona, Michael Bland et The Hornheads enregistrés à Minneapolis, ou à Meudon Tony Coe, Tony Malaby, Antonin-Tri Hoang, Jean-Jacques Avenel, Steve Arguëlles. Bon d'accord, c'est du jazz et pas ma période préférée du Duke, nobody's perfect, mais je suis obligé de remettre l'album plusieurs fois sur la platine pour m'en faire une idée. Bon signe ! J'entends des points d'interrogation posés ici et là dans la partition. Bois facétieux, piano monté sur roulettes, les cuivres assurent le service d'ordre tandis que le cortège emprunte les rues parallèles...
Heureux les musiciens qui ont rencontré leur alter producteur, poursuivant ensemble la longue route semée d'embûches, et Jean Rochard s'y entend, âme damnée et bras armé du label nato, ainsi Tony Hymas, comme avant ou après lui Lol Coxhill, Tony Coe, Violetta Ferrer, The Melody Four, Alan Hacker, Steve Beresford, Jacques Thollot, Jef Lee Johnson, Denis Colin, Didier Petit, Ursus Minor... Et ce JR de Minneapolis (et non de Dallas) emballe ces madeleines chaque fois dans une présentation graphique haute en couleurs, convoquant aux agapes les meilleurs dessinateurs et photographes pour que l'objet disque perdure aussi longtemps que possible.