15 inédits pour piano des plus grands compositeurs classiques de Bach à Bartók
Par Jean-Jacques Birgé, vendredi 26 avril 2013 à 01:09 :: Musique :: #2572 :: rss
En exclusivité, les disques GRRR mettent gratuitement en ligne 15 inédits pour piano des plus grands compositeurs, de Bach à Bartók. Agréable façon de fêter avec vous la 100ème heure de notre radio aléatoire, Radio Drame ! L'incroyable coffre au trésor recèle des partitions attribuées à Scarlatti, Schubert, Chopin, Liszt, Brahms, Rachmaninov, Fauré, Debussy, Satie, Ravel, Roussel, Scriabine. En 1996, Bernard Vitet et moi-même passons plusieurs mois à travailler sur ce projet digne d'Orson Welles. Plusieurs majors sont intéressées, mais leurs services juridiques bloquent chaque fois et le disque interprété par la mythique Brigitte Vée, un prodige d'à peine douze ans, ne sortira jamais.
Se succèdent la Sonate anglaise attribuée à Domenico Scarlatti, Praeambulum en mi bémol majeur de Bach, Le saule de Schubert, Romance en mi bémol mineur de Chopin, Les adieux de Liszt, Minuetto en la mineur de Brahms, Prélude en la bémol mineur de Rachmaninov, Nénuphars de Fauré, Kite Ribbons de Debussy, Un chat andalou de Debussy, Crevette haltérophile de Satie, À l’école de Ravel, Impressions flamandes de Roussel, Lettre à Marina Scriabine, Pour les enfants de Bartók.
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Ci-dessous le livret original de 1996 rédigé par Pierre Ménart :
Comment un tel trésor a-t-il pu rester caché si longtemps ?
L’aventure commence pour nous à Paris un soir de novembre 1989. C’est en fait là qu’elle se termine après un long et invraisemblable périple débuté deux siècles plus tôt. Il est vingt trois heures. Jean-Jacques Birgé reçoit un coup de téléphone d’un très vieux monsieur, un certain John Birge, homonyme américain à la recherche de ses origines en Europe. Il arrive de Stockholm et tient absolument à rencontrer Jean-Jacques Birgé le soir-même à l’Hôtel Intercontinental. L’entrevue est chaleureuse, on parle beaucoup de musique, de Charles Ives, d’Arnold Schönberg, d’Edgard Varèse, mais aussi de Sidney Bechet et Duke Ellington. Quant à leurs origines il semble impossible que les deux hommes aient quelque lien de parenté que ce soit. Trois ans plus tard, John Birge meurt sans descendance en léguant à Jean-Jacques Birgé un trésor inestimable. Dans la lettre bouleversante accompagnant son testament il estime que les manuscrits autographes seront mieux placées entre les mains d’un musicien, charge à lui de les faire connaître au public.
Il précise tenir ces partitions de son grand-père, Abraham Birge, qui avait été conducteur de convoi avec le jeune Buffalo Bill et avait fait fortune dans les mines de cuivre au Chili. C’est à Valparaiso qu’Abraham rencontre un éditeur ruiné transportant avec lui deux malles remplies de partitions et de manuscrits autographes, autant de musique que de littérature. Le nom de l’éditeur n’est jamais cité. La seule chose qui soit suggérée dans la lettre c’est que la quasi intégralité de ces merveilles lui fut probablement ravie par Abraham Birge d’une manière tout aussi malhonnête que l’avait été leur acquisition par lui-même. Des recherches sont effectuées aujourd’hui pour tenter de découvrir comment autant de manuscrits d’origines si diverses et d’époques si différentes aient pu tomber entre les mains d’un seul homme.
Avec les partitions Jean-Jacques Birgé reçoit la statuette en verre d’un trompettiste nègre et un sabre de cavalerie ! (La photo de ces deux objets devaient figurer dans le livret)
Un magnifique travail de déchiffrage
Compositeur iconoclaste, improvisateur et inventeur de génie, Jean-Jacques Birgé propose naturellement à Bernard Vitet, son associé depuis vingt ans, de se lancer dans une aventure qui va les entraîner au-delà encore de toute préoccupation temporelle. Cet héritage improbable les plonge dans les zones d’ombre du passé pour leur en révéler les angles morts.
Loin d’en être à leur coup d’essai ils furent ensemble (avec Francis Gorgé qui quittera le groupe en 1992) les fondateurs d’Un Drame Musical Instantané : collectif de compositeurs, orchestre à géométrie variable, Un D.M.I. reste un des pionniers de la création contemporaine, produisant de nombreux spectacles et enregistrements qui tiennent tant du jazz, du rock, de la musique contemporaine que du cinéma. Écriture collective, goût pour les fictions musicales, mélange d’instruments acoustiques et électroniques, composition préalable et improvisation (qu’ils nomment composition instantanée), leur musique est avant tout l’aboutissement original d’une démarche politique et artistique extrêmement personnelle qu’ils ont nommée “musique à propos”. On leur doit l’initiative du retour de l’interprétation musicale en direct sur des films muets (vingt trois longs-métrages à leur répertoire depuis 1976), le concept de “cinéma aveugle”, des œuvres pour la jeunesse (nomination aux Victoires de la Musique pour “Le K” avec Richard Bohringer), une discographie de plus de vingt albums, des spectacles étonnants, des musiques pour la scène, le cinéma et le multimédia, des chansons, etc.
Jean-Jacques Birgé partage son temps entre la musique et le cinéma. Il est réalisateur de films : “Idir et Johnny Clegg a capella”, il participe à l’extraordinaire série de deux minutes “Chaque jour pour Sarajevo” (British Academy Award, Grand Prix Vidéo du Festival de Locarno) et réalise “Le sniper” qui sera projeté dans le monde entier, et en France dans plus de mille salles. Il prépare le tournage de son premier long-métrage, “L’astre”. Auteur, compositeur, ingénieur du son, il est spécialiste des instruments de synthèse, ce qui ne l’empêche pas d’être un virtuose de la guimbarde ! Il est également directeur musical de l’exposition-spectacle “Il était une fois la fête foraine” et du bouleversant projet “Sarajevo Suite” (pour lequel la chanteuse Dee Dee Bridgewater et le Quatuor Balanescu enregistrent la musique du Drame).
Après une longue carrière de trompettiste Bernard Vitet consacre aujourd’hui son temps à la composition. Il est du premier groupe de free jazz en France avec François Tusques, de la première rencontre entre jazz et musique contemporaine avec Bernard Parmegiani, crée le Unit avec Michel Portal, il accompagne Serge Gainsbourg, Barbara, Yves Montand, Claude François, Brigitte Bardot, Marianne Faithfull, Colette Magny et Brigitte Fontaine, et joue surtout avec les plus grands jazzmen, de Lester Young à Archie Shepp, d’Antony Braxton à Don Cherry, de Chet Baker à l’Art Ensemble de Chicago, de Jean-Luc Ponty à Martial Solal… Le temps d’un soir il remplace même Miles Davis dans le “Quintet de rêve” ! Il invente aussi des instruments étonnants tels la trompette à anche, la contrebasse à tension variable, le dragon, gigantesque balafon et clavier de poêles à frire et de pots de fleurs, et un système d’horloges modales particulièrement ingénieux.
C’est à lui qu’incombe le soin de superviser le décryptage des manuscrits tandis que Jean-Jacques Birgé prend en charge l’organisation de l’ensemble.
Tous deux furent frappés d’emblée par l’aspect dédicataire que revêt chacune des quinze œuvres. A leur tour ils ont souhaité dédier l’ensemble à Jorge Luis Borges, Theodore Baker et Nicolas Slonimsky, Remo Giazotto, Michael Snow, Valerie Tryon et Orson Welles.
Pour un événement exceptionnel il fallait une interprète exceptionnelle
Brigitte Vée est un de ces jeunes prodiges qui nous émeuvent autant qu’ils nous inquiètent. Quelle puissance et quelle poésie se dégagent de ses interprétations fulgurantes! Mais ces enfants dont les muses ont survolé le berceau ont-ils gagné au change en acquérant la maturité de leur jeu musical alors qu’ils perdaient à jamais la naïveté de leurs jeux d’enfant ? N’y a-t-il pas quelque chose de terrifiant dans cette incroyable main gauche ? Peut-on mener une vie heureuse en restant assise devant le clavier près de dix heures par jour, lorsque chaque moment de liberté est volé au piano ? Brigitte Vée est un cas à-part. Elle a bientôt douze ans lorsqu’elle enregistre ces chefs d’œuvre fraîchement exhumés. C’est une enfant à la constitution robuste et au caractère fragile. Elle refuse catégoriquement de se produire en public. Elle supporte très mal la fréquentation des adultes, mais elle a su garder l’amitié des camarades de son âge avec qui elle joue comme n’importe quelle petite fille. Malgré le danger que cela représente pour ses poignets personne n’a pu la dissuader d’abandonner le trapèze, sport qu’elle pratique avec toujours la même grâce et la même détermination. Brigitte est entêtée, enjouée, timide, spontanée, drôle et parfois terriblement sérieuse. Elle a surtout un esprit de contradiction très développé, et si elle a accepté d’interpréter ces quinze incunables c’est justement qu’elle ne peut en souffrir la comparaison avec aucun autre pianiste. Elle n’en fait pas mystère, comme elle se vante de ne pas lire la musique ! C’est époustouflant, Brigitte apprend tout par cœur, à l’oreille ! Elle s'approprie chaque œuvre en s'immergeant dans l'univers de chaque compositeur. Plutôt que d’entrer à la prestigieuse école Gneissin de Moscou comme on lui proposait, Brigitte a préféré continuer ses études avec le professeur qui la suit depuis l’âge de deux ans, Carla Dil-Hardway. C’est une méthode totalement révolutionnaire, croisement de l’école américaine et de la musique baroque, dont Brigitte est un des plus beaux exemples. Brigitte apprend à une vitesse faramineuse, et il lui suffit souvent d’entendre une seule fois l’œuvre pour la mémoriser. Le reste est affaire de technique, et de sensibilité. La délicatesse de son phrasé délié nous frappe et nous emporte au fil des œuvres. La maturité naissante de son regard unique sur ces pages toutes neuves nous plonge dans un plaisir sans mélange. Pour les apprendre à Brigitte, Bernard Vitet, dont les facultés pianistiques sont très limitées, les a transcrites sur un ordinateur. Vitet et Birgé ont fait un pari complètement fou en choisissant une interprète aussi peu conventionnelle. Cela s’avère une idée de génie. Pour ces partitions hors du commun, ils ont voulu conserver dans l’interprétation-même la fraîcheur de leur découverte. Fraîcheur c’est bien le sentiment qui perdure au-delà de l’écoute.
1. Sonate anglaise attribuée à Domenico Scarlatti
Si l’origine des sonates de ce compositeur fut souvent douteuse celle-ci semble bien être du Maître lui-même bien que le manuscrit ne soit pas de sa main. A son écoute et à l’étude de la partition on peut même penser que cette œuvre fait partie des rares pièces qu’il composa sur le pianoforte de la Reine d’Espagne Maria Barbara.
2. Praeambulum en mi bémol majeur de Bach
Remarquable invention à deux voix, ce ne serait que justice que ce Praeambulum porte le numéro BWV 1081 dans la prochaine édition du Thematisch-systematisches Verzeichnis der Musikalischen Werke von J.S.B.-Werke-Verzeichnis.
3. Le saule de Schubert
C’est encore une fois la musique d’un rêveur, la langueur d’une rivière, mais déjà planent les ombres de la mort dont le saule est le symbole. Le manuscrit du Saule, “Die Weide”, est d’ailleurs accompagné des deux premières pages d’une œuvre d’une brutalité inhabituelle pour le compositeur, intitulée “Der schwarze Schwan” (Le cygne noir). Ces pièces, souvenirs d’un temps révolu, faisaient certainement partie d’un ensemble beaucoup plus important.
4. Romance en mi bémol mineur de Chopin
Reconnaissons bien là l’exaltation révolutionnaire de ses œuvres de jeunesse. Cette Romance a été composée peu après son arrivée à Paris. Le jeune compositeur y fréquente les milieux issus de son pays natal. Étrangement, seul le musicographe Maurycy Karasowski fit référence à cette œuvre dans un article antérieur de vingt ans à la publication de ses deux volumes publiés à Dresde. L’œuvre, probablement considérée comme détruite, disparaît de l’ouvrage “Friedrich Chopin : Sein Leben, seine Werke und Briefe”.
5. Les adieux de Liszt
Dans “Les adieux de Liszt” de qui le compositeur prend-il congé ? Nous sommes en mai 1847. D’après une lettre qu’il écrit à son ancienne compagne, Marie d’Agoult, on suppose qu’il doit s’agir de la “Dame aux Camélias”, Marie Duplessis, qui vient de mourir de la tuberculose (Alexandre Dumas fils publiera son roman l’année suivante). Mais le ton de cette pièce ne reflète pas la tristesse de cette séparation annoncée. On penche alors plutôt pour la tumultueuse liaison qu’il entretient avec la séduisante danseuse Lola Montez et qui vient de prendre fin dans un relais de poste.
6. Minuetto en la mineur de Brahms
Ce Minuetto ne pourrait-il pas être le renversement d’une œuvre d’un autre compositeur quand on sait qu’il ne répugnait pas à écrire d’après Bach ou Mozart, Gluck ou Beethoven, Weber ou Chopin ? L’Histoire de la Musique est pleine de ces démarquages, hommages déguisés aux aînés, identifications rêvées… Mais n’est-ce pas l’apanage de toute musique que d’être écrite d’après les œuvres du patrimoine auquel elle appartient ?
7. Prélude en la bémol mineur de Rachmaninov
Magnifique prélude qu’on croyait avoir été détruit par le compositeur en même temps que le manuscrit de sa Première Symphonie. Le jeune pianiste, découragé par le peu d’enthousiasme que rencontrent ses propres compositions, sombre alors dans une terrible dépression qui lui fait rejeter tout ce qu’il peut écrire. Il se sent incapable de réitérer le triomphe que lui a valu son précédent Prélude. Cette œuvre posthume est pourtant bien de l’étoffe de celles qui firent son immense succès populaire à travers le monde.
8. Nénuphars de Fauré
Voilà bien une pièce qui préfigure la musique impressionniste tandis que son titre-même laisse supposer que l’auteur s’est très probablement inspiré des Nymphéas de Monet en peignant délicieusement ces “Nénuphars” aux dissonances non résolues.
9. Kite Ribbons de Debussy
Cette œuvre n’aurait-elle pu faire partie en son temps des “Children’s Corner” ? Le compositeur s’en serait ouvert à son ami André Caplet. Le continuo sur un si aigü évoquant bien le regard d’un enfant levé vers le ciel rythme avec légèreté l’ensemble de la pièce.
10. Un chat andalou de Debussy
Dans ses Conversations avec Max Aub à propos de “Un chien andalou” Luis Buñuel répond que son film n’a d’absurde que son titre. En le nommant ainsi Salvador Dali et lui-même pensent probablement associer deux rêves. L’inconscient de Buñuel aurait-il simplement enregistrer l’annonce de cette pièce dans le programme de l’hiver 1917 de l’Athénée de Madrid ? Le jeune homme, violoniste et grand amateur de piano, avait coutume de s’y rendre avec le célèbre Ricardo Viñes (avec qui il monta plus tard “Les Tréteaux de Maître Pierre”). Au dernier moment l’œuvre fut remplacée par “La sérénade interrompue”, elle disparut ensuite étrangement pour ne réapparaître qu’aujourd’hui.
11. Crevette haltérophile de Satie
Rien à ajouter. Ce n’est probablement pas la seule pièce que ce compositeur fantasque crut avoir perdue et que l’on retrouvera après sa mort. L’édition de son catalogue est loin d’être complète.
12. À l’école de Ravel
Quelle est cette école ? L’auteur n’a certes jamais enseigné, et cette pièce rappelle plutôt l’époque où le jeune compositeur suivait les cours de Fauré et de Gédalge. “A l’école” est certainement à rapprocher de ces rêves d’enfance qui ont alimenté nombre des pièces tendres et humoristiques que l’auteur composa tout au long de sa vie.
13. Impressions flamandes de Roussel
Lorsque l’auteur écrit ces “Impressions flamandes” il n’a jamais mis les pieds dans le plat pays. Pour cet homme féru de mathématiques et de légendes exotiques cette pièce est à considérer comme une parenthèse dans le reste de son œuvre, un arrêt au port, une expérience qu’il ne vivra jamais.
14. Lettre à Marina Scriabine
Cette lettre qui porte la signature de l’auteur au bas de la dernière portée a une valeur inestimable. Œuvre ultime, elle fut écrite par une forte fièvre pour être lue des années plus tard par sa destinataire. Bien que l’auteur se sache probablement condamné il prend le soin de changer plusieurs fois de porte-plume pour dessiner ses notes avec les couleurs de l’arc-en-ciel. Mais il ne dit rien sur la manière d’interpréter les tonalités colorées par les encres. L’exceptionnelle modernité de cette œuvre laisse-t-elle présager une nouvelle direction qui s’éteint hélas avec son émergence ou bien est-ce simplement l’état d’extrême fébrilité qui le pousse à ces outrances ?
15. Pour les enfants de Bartók
Cette pièce charmante qui clôt ce magique récital n’est pas sans rappeler le recueil des Mikrokosmos. L’auteur, la jugeant momentanément trop difficile, l’écarta et l’oublia. Nous la retrouvons ainsi interprétée dans toute sa fraîcheur sous les doigts de la petite fée Brigitte.
Pierre Ménart.
Commentaires
1. Le lundi 29 avril 2013 à 12:29, par Damien
2. Le lundi 29 avril 2013 à 12:30, par jjb
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