Membre du jury du Prix (radiophonique) Pierre Schaeffer, j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir Los gritos de Mexico (Les cris de Mexico City) de Felix Blume. Vivant au Mexique, ce jeune ingénieur du son français concourait avec une œuvre personnelle très différente de ses emplois habituels. Le clou de sa pièce de vingt minutes est une polyphonie des vendeurs ambulants, probablement reconstituée en studio, rappelant les célèbres Cris de Paris, eux-mêmes enregistrés au début du XXe siècle forcément à l'écart de la rue. Ils renvoient aux premiers déphasages de Steve Reich, et évidemment à Oulez ouÿr les cris de Paris ? de Clément Janequin ou aux Cris de Londres d’Orlando Gibbons. Plus loin les prières murmurées répondent aux manifestants scandant "El pueblo unido jamás será vencido", les mariachis et les catcheurs se disputent l'ambiance de la ville, même si l'on peut parfois regretter l'ordre des séquences, plus arbitraire que dramatiquement articulé. La plasticité des enchaînements ne suffit pas à mettre en valeur la dialectique théâtrale, écoute critique qui pourrait s'installer au delà de la virtuosité technique. Les ambiances sonores sont néanmoins saisissantes et le pari de transformer la ville de 20 millions d'habitants en ville sonore réussi comme celui d'archiver un univers qui risque de disparaître à l'image du lac englouti sous cette ancienne île ! Le site de Felix Blume offre également de superbes cartes postales sonores du Vénézuela, du Mali et d'Argentine, des sons seuls enregistrés lors des tournages cinéma auxquels il participe, un florilège de chants de coq et quantité d'autres pépites comme ce jeu qui consiste à combiner 300 sons à votre gré !


Bien mérité, ce Prix Pierre Schaeffer récompense des créations de jeunes de moins de trente ans tandis que le Prix Phonurgia Nova concerne des professionnels reconnus. L'un et l'autre ont pour critères la capacité à aiguiser l'écoute et à briser les carcans stylistiques et éditoriaux. Cela tombe bien, en tant que varésien et dans sa continuité cagienne j'ai toujours considéré que toute organisation sonore est musique. Le Grand Prix Phonurgia Nova va également dans ce sens puisqu'il est attribué cette année à Amandine Casadamont pour sa création Zone de silence, réalisée par Angélique Tibau et mixée par Bruno Mourlan pour France Culture. Coïncidence, les sons de cet ACR furent également enregistrés au Mexique ! Lorsque l'on connaît la peur du silence à Radio France, crainte que l'auditeur ne zappe face à une absence de signal, l'évocation de cette zone désertique est extrêmement gonflée. 400 000 mètres carrés de désert considérés "zone rouge" par les autorités en raison du narcotrafic, mais aussi lieu magique à fortes turbulences électromagnétiques. Amandine Casadamont et Angélique Tibau faillirent en faire les frais, chassées de leur laboratoire en pleine nuit par des narcotrafiquants armés de Kalachnikov. La musique adoucit peut-être les mœurs, car tout finit par s'arranger. Amandine Casadamont ne se contente pas de capter les éléments naturels, elle les sculpte, les tord, les filtre, les rythme, les confronte aux voix et à son imaginaire poétique. Pour cette œuvre délicate où la membrane fragile du microphone est mise à contribution de façon évidente, l'auteur recommande l'écoute au casque, processus technique réciproque où la forme souligne la dramaturgie. Elle possède aussi un site riche d'autres merveilles sonores.

Les deux créations sont accessibles en ligne (cliquer sur les liens de leurs noms).
Photogramme © Felix Blume / Photo © Amandine Casadamont