lundi 14 septembre 2020
Jazz Migration
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 14 septembre 2020 à 07:08 :: Musique
J'ai probablement raté deux ou trois intersections, car mon dernier article sur les promotions Jazz Migration concernait la troisième, datée de 2017. Or nous en sommes déjà à la sixième. Les lauréats d'alors ont tenu leurs promesses, ce qui est de bon augure pour la suite. Comme précédemment, on note l'influence grandissante de la musique répétitive sur les "jazzeux". Cela n'a rien d'étonnant tant les musiques populaires sont systématiquement en quête de l'ivresse des derviches. N'allez pas croire pour autant que les adeptes de l'improvisation fabriquent des produits de grande consommation ! Les impressionnistes français du début du XXe siècle (qui avaient eux-mêmes influencé les minimalistes américains) et le free jazz (l'émigré Edgard Varèse y serait-il pour quelque chose ?) se chargent de mettre des bâtons dans les rayons de toute orthodoxie. J'écris rayons plutôt que roues, parce qu'il y a plus de vélo que d'auto chez ces amateurs de vitesse, qu'ils fassent tourner rapidement ou lentement leurs petites machines bien réglées, encore là, que ce soit sur un circuit crescendo ou dans les épingles à cheveux qui brisent l'allure.
La compilation CD s'ouvre sur le trio Rouge composé par Madeleine Cazenave dont la percussion sonne tranchante sous le bois des touches noires et blanches. La basse de Sylvain Didou et la batterie de Boris Louvet font s'envoler les volutes vers les cimes, ou vers les abysses selon la situation planétaire de l'auditeur (ceux de l'hémisphère sud marcheraient-ils la tête en bas ?). Si Fantôme, qui rassemble la saxophoniste-clarinettiste Morgane Carnet, le clarinettiste Jean-Brice Godet, le vibraphoniste Luca Ventimiglia et le pianiste Alexandre du Closel, se réclame de Terry Riley, il faut savoir que cet initiateur s'est toujours affranchi de la stricte répétitivité, improvisant lui-même essentiellement, pour finir par se consacrer presque exclusivement à la composition pour quatuor à cordes. Le quartet (on dit quartet en jazz parce que c'est un mot américain) soigne les couleurs dont il se barbouille en en redemandant encore. Le quintet Go To The Dogs! se joue des styles puisqu'il y a longtemps que les étiquettes ne riment plus à rien. Aristide D'Agostino à la trompette, Arnaud Edel à la guitare, Thibaud Thiolon à la basse et Jean-Emmanuel Doucet à la batterie zappent à la Zorn, swinguent funk et rockent impertinents. Pour finir, La litanie des cimes (reprenez le remonte-pente dès que vous êtes arrivés en bas) retrouve le vertige des hauteurs et des tintes dressées au milieu des chants instrumentaux. Le violoniste Clément Janinet qui a composé les pièces de ce trio, la clarinettiste Élodie Pasquier et le violoncelliste Bruno Ducret sont sur le même versant que ceux qui tournent et retournent. La neige ne fond pas même s'il pleut. Ils avancent, ils glissent et maudissent...
La tendance à développer les instruments classiques européens me réjouit, soit ici les clarinettes et les cordes. Il y a en France de plus en plus de violonistes, violoncellistes, clarinettistes, et encore de rares hautboïstes et bassonistes. Ils montrent une délicatesse européenne face aux clameurs américaines des saxophones et de la batterie... Ces amuse-gueules migratoires donnent envie de se mettre à table puisqu'ils sont tous morceaux issus de plats complets parus ou à paraître.
On peut écouter le CD qui est gratuit ici. Et pour savoir la mission de Jazz Migration et son fonctionnement, le mieux est d'aller sur leur site, mais c'est un véritable accompagnement dont bénéficient les lauréats !