Il y a très longtemps que je n'avais entendu le trompettiste Jacques Coursil. Il refait surface après plus de trente-cinq ans avec un album magnifique (produit par Universal Jazz) que m'a signalé Loupias. Comme si à 69 ans on pouvait acquérir le son de la maturité, velouté et détermination, avec la rage de vivre et de se battre comme un jeune homme que l'on n'aurait jamais cessé d'être, mais en prenant son temps parce que le chemin est long et semé d'embûches ! La vie est une course d'obstacles qu'il faut sauter pour pouvoir affronter les suivants. Clameurs reprend le combat de Franz Fanon, Edouard Glissant, Monchoachi et Antar en "quatre suites enchaînées" aux fers de l'esclavage et de la colonisation, quatre oratorios revendiqués dans leur langue d'origine, créole, français, arabe, quatre fois la musique d'aujourd'hui par le jazzman d'origine martiniquaise que l'on connaissait aux côtés de Sunny Murray, Franck Wright, Sun Ra, Albert Ayler, Anthony Braxton, Henry Grimes, Marion Brown ou dans ses propres disques noirs chez Byg... Une furieuse envie me prend de tout réentendre, là maintenant, parce que le monde a changé, mais que les esclaves sont toujours à leur place assignée, reléguée dans leurs quartiers. Soufflant droit comme on marche droit, comme on parle d'une seule bouche, Coursil affirme son chant, il sait que la musique fera passer les mots dans les oreilles des demi-sourds. Jeff Baillard l'accompagne de la pulsation sobre de ses synthétiseurs et de nappes simples pour remettre le couvert ; le mouvement électro n'a rien de nouveau, les effets ravivent la parole au goût du jour pour l'extirper de sa nuit. Les voix sont graves, Joby Bernabé, Jean Obeid. La contrebasse d'Alex Bernard et les percussions de Mino Cinelu les renforcent. Linguiste émérite, spécialiste de Saussure, docteur es Lettres et es Sciences, Jacques Coursil n'a jamais cessé de souffler, en continu, attaques de la langue, son mat, affirmation de la présence noire quand le renoncement et le pardon étouffent les clameurs des peuples opprimés.

N.B. : le cd ne paraîtra que le 24 avril, mais en publiant ce billet dès maintenant j'espère attirer l'attention des camarades journalistes pour qu'il soit chroniqué en temps et en heure. Lorsque je constate les semaines ou les mois que ça met pour que la presse se déchaîne sur mes propres productions, mieux vaut s'y prendre à l'avance. Si les critiques sortent trop tard, les disques disparaissent des rayons. Trop tôt, les consommateurs ne les trouvent pas et les oublient. Pensez-y et notez bien la date de sortie...