La matinée avait mal commencée. Je suis déjà en route lorsque qu'Antoine m'appelle pour me prévenir qu'il ne sera pas à l'heure au montage de notre opéra à Bercy Village. Sa vieille Clio, sur le parking de la gare près de chez lui, s'est fait vandalisée dans la nuit. Les gamins sont allés jusqu'à déchirer en petits morceaux tous les papiers qu'ils ont trouvés, les contraventions dans la boîte à gants (!), s'attaquant au siège bébé, défonçant le tableau de bord, arrachant les leviers... En agrandissant la photo, on aperçoit la mine déconfite et médusée de sa compagne et de sa fille découvrant le sinistre. Tout au long de cette folle journée, les mœurs humaines n'en finiront pas de nous surprendre...
Sous le Passage Saint-Vivant, vestige en pierre de taille des anciens entrepôts, Benoît et Daniel m'aident à placer les 100 lapins sur les podiums en gradins. Devant la difficulté de sonoriser les petites bêtes dont le son est très discret, nous plaçons les enceintes des haut-parleurs au milieu de la ruelle couverte pour que le public entende la musique au fond de la salle tandis que les premiers rangs profitent du son direct des cent petits haut-parleurs cachés dans le ventre des Nabaztags.
Avant même que le soir ne soit tombé, l'attraction des petits robots wi-fi provoque une affluence encore jamais vue à Bercy-Village. Les scanners placés sous les portiques des entrées nous donneront bientôt les chiffres de fréquentation, des milliers de noctambules faisant la queue jusqu'à deux heures du matin bien que la fin du spectacle ait été annoncée. Dès la seconde représentation, là où nous attendions vingt enfants du Parcours Paris-Mômes, il en arrive deux cents. Nous multiplierons les séances, en enchaînant dix coup sur coup au lieu des six prévues, mais nous ne pourrons accueillir que le quart des spectateurs venus assister à notre opéra Nabaz'mob. Des dizaines de copains feront demi-tour, découragés par la foule compacte qui a envahi le Cour Saint-Emilion. France 2, France 3, TF1 se succèdent pour leurs journaux respectifs d'aujourd'hui dimanche. Antoine reste zen, donnant l'ordre aux bestioles d'entamer chacun des trois mouvements les uns après les autres, tandis que je tente de gérer la salle, l'afflux, la presse et le stress que produit chez moi autant de monde. La dernière séance est ponctuée des cris des manifestants dépités de n'avoir pu assister au spectacle. À leur tour, ils entonnent en chœur "Libérez les lapins !". Ceux-ci, stoïques jusqu'au bout de la soirée, sauront imposer le silence pour se faire écouter.
Maÿlis et Françoise nous aident à ranger les bestioles et leurs oreilles articulées dans leurs malles. Il est trois heures lorsque nous regagnons nos pénates, fourbus, mais évidemment contents du succès remporté par notre opéra contemporain, nous remémorant les milliers d'yeux pétillants que le spectacle a enchanté tout au long de cette Nuit Blanche hallucinante.