"Tant que les heures passent", bouillonnements, crépitements, piaillements forment les éléments d'une pâte organique qui ouvre sa porte à la matière humaine, à sa mécanique des fluides, dévorant la nature au fur et à mesure qu'elle la découvre et la traverse. Les corps sonores sont donnés pour ce qu'ils sont. Aucun anthropomorphisme ne vient pervertir ni leur rythme ferroviaire ni les timbres reconnaissables pour celle ou celui qui pratique l'art des bruits. Car si Bérangère Maximin choisit des sonorités communes à nombreuses œuvres électro-acoustiques elle sait les faire raisonner (la faute est de bon ton) en les agençant à sa façon.
Cela ne fait que commencer. "Boudmo" suinte jusqu'à transformer la baignoire en grotte humide et l'émail en puits sans fond. La main fait grincer les insectes de métal. L'alchimie devient sensuelle.
La voix parlée fait son entrée dans ""Ce corps vil", à la fois ingénue et vicieuse. Part One : échappée de son île, elle plonge dans un aquarium. On voit tout. Part Two : les murs se rapprochent, asphyxie. Qu'est-ce qui fait qu'une musique électro-acoustique se mette à vivre, à swinguer, quand tant d'autres nous endorment ? L'urgence, quelques hésitations, éviter le contrôle à tout prix, c'est dans les failles que la personnalité se dévoile. Enfermée à double tour, la compositrice devenue auteure s'échappe par les fentes du bois, par des trous de serrures mal obstrués, par de fausses lianes incarnées par le geste.
Le geste instrumental, c'est là le secret !
Les pièces sont très différentes les unes des autres. Avec gumbri, karkabas, violons tziganes et flûte océanique, le rapide intermède "Voyages morphologiques" épingle le pittoresque comme un papillon. Cruel ! Cruelle ?
"Si ce n'est toi (If It's Not You)" rappelle les archets pointus, introduit les cuivres glissants, pour finalement créer le malaise auquel on ne croyait plus, trop habitués aux convenances de l'institution. Ça dégouline, ça gerbe dans le trop plein, ça déborde. Comme on se sent mieux, après ! Après l'alerte, même si ça tourne encore...
Last but not least des surprises que recèlent l'album "Tant que les heures passent" paru chez Tzadik (dist. Orkhêstra), le magma électro-acoustique se transforme en solo de batterie, free jazz, rituel sauvage de nos jungles urbaines où le corps rejoint la machine pour des noces tant attendues qu'on n'en avait oublié l'heure qu'il est.