La Maison Berthillon ferme toujours au moment des vacances scolaires. Juillet et août n'échappent pas à la règle, chose assez surprenante pour un glacier. La queue des touristes venus déguster les célèbres sorbets et crèmes glacées s'allonge sur l'île Saint-Louis, ailleurs que devant la maison-mère, étonnamment close pour un tel lieu de plaisir. Comme les restaurants abonnés, les dépôts du quartier auront su prévoir leurs stocks. Le magasin est fermé, mais le laboratoire continue à tourner presque tout l'été sous la houlette du gendre du fondateur (si je ne m'emmêle pas les pinceaux dans la généalogie de la famille). Si commander un cornet réclame de la patience, il n'y a jamais cohue pour acheter les boîtes en ¼, ½, ¾ ou litre. Il ne reste donc plus que quelques jours (réouverture le 2 septembre) pour faire ses provisions avant la fatale pénurie.
Déjà enfant, les glaces me faisaient rêver. Nous allions en famille à L'igloo, rue de Sèvres. Je me souviens du verre d'eau rempli de glaçons que le couple de propriétaires servait avec. Lors d'un séjour à St-Johann-im-Tyrol où mes parents m'avaient envoyé pour apprendre l'allemand (!), je m'ennuyais tant qu'un samedi après-midi je m'enfournai 17 boules, testant systématiquement tous les parfums. Le choix draconien que je m'étais imposé provoquait probablement les séances de revenez-y. Mes amis se sont souvent étonnés de nous voir savourer ce mets glacé en toutes saisons. Aujourd'hui, c'est devenu commun, mais à l'époque les appartements n'abritaient pas tous un réfrigérateur et les congélateurs domestiques étaient encore rares. Je me souviens des premières crèmes glacées à emporter que l'on trouvait dans certains supermarchés tel Inno. Lors de mes promenades sur les grands boulevards, près de la rue Vivienne où je passais mes premières années, les glaces italiennes à la pression formaient monticule en petites torsades. À nos palais Motta succéda à Gervais, les esquimaux à l'entr'acte, Sip Babylone et tour du monde en cornets.
Il m'est impossible de revenir de chez Berthillon, dernière station avant l'autoroute qui nous ramène à la maison, sans rapporter un sorbet au cacao extrabitter, d'une densité à couper au couteau en se faisant les muscles. Ensuite j'oscille : chocolat au nougat, marron glacé (selon saison), praliné au pignons ou au citron et coriandre, noix de coco, pistache, réglisse, earl grey, lait d'amande, feuille de menthe, poire, fraise des bois (selon saison), framboise, mangue, sans oublier l'incontournable caramel au beurre salé ou au gingembre pour Françoise et le petit pot au fois gras pour Noël...