À la poursuite de l'inouï
Par Jean-Jacques Birgé, mercredi 9 septembre 2009 à 00:09 :: Musique :: #1462 :: rss
La fréquentation du public au 30ème Festival Ars Electronica est étonnante. S'il est nombreux, mélangé et enthousiaste, il est aussi curieux de nouvelles technologies. C'est peut-être là que le bât blesse. La programmation est orientée techno plutôt qu'artistique. Ainsi l'Ars Electronica Center ressemble plus à une petite Cité des Sciences qu'à un centre d'art. D'un autre côté, le son est partout mis en valeur dans sa relation audio-visuelle, à ma plus grande satisfaction évidemment. Ce versant de l'Europe a toujours été plus musical que notre Hexagone. On notera néanmoins qu'à l'exposition "See This Sound" au Musée Lentos ce sont les pièces historiques qui font sens là où les contemporaines restent anecdotiques. Mêmes remarques sur l'ensemble de la programmation du festival qui, cette année, propose pourtant le thème passionnant de Human Nature ; même considéré internationalement comme le plus hip de tous les festivals du genre, Ars Electronica ressemble à la majorité des manifestations où les nouveaux médias sont en première ligne, à savoir l'affirmation technologique au détriment du sens et de l'engagement. Ici comme ailleurs on ne fait pas de vagues. Mauvais esprit, je me dis que la ville de Linz, très compromise du temps du national-socialisme, a préféré se refaire une virginité en se tournant vers le futur (Mauthausen et Gusen, deux des plus atroces camps de concentration, sont à seulement une vingtaine de kilomètres de cette ville où Adolf Hitler passa sa jeunesse). Nous n'avons hélas pas de leçon à donner tant l'ensemble de la production actuelle reste tiède et les perspectives bouchées par une politique assassine. En Sarkozie on sait bien que la culture est le meilleur rempart contre la barbarie, et les révolvers sont sortis de leurs fourreaux.
Si voir sauter les balles sur le marimba de Quartet de Jeff Lieberman et Dan Paluska (photo 2) m'a fait plaisir, j’ai apprécié les petites mécaniques d’Arthur Ganson, la Morpho Tower de Sachiko Kodama et Minako Takeno et la projection immersive de Markus Huber sur le sol de l’un des ascenseurs de l’Ars Electronica Center. De l’autre côté du pont qui enjambe le Danube, sous le titre Pursuit of the Unheard, la Great Concert Evening que nous avons eu la chance d'ouvrir avec Nabaz'mob se poursuivait avec la rencontre répétée de musique électronique et de musiciens vivants. Tritan Perich mêlait dix cordes à ses séquences binaires 1-Bit, la symphonie Games, op. 45 de Norbert Zehm (photo 3) orchestrait des musiques de jeu vidéo, Elisabeth Schimana composait pour le synthétiseur de Max Brand (photo 1), ancêtre du Moog, et Christian Fennesz nous assourdissait d’une monotone noise tout aussi virile que les concerts du lendemain avec Alva Noto et Ryoji Ikeda. Ce dernier a le mérite de structurer son discours et de créer des surprises dans son brutal continuum, mais ces images me plairaient plus dans une séquence de film à la Matrix que pendant un interminable concert. On peut surtout espérer pour l'avenir d'autres utopies que les éternelles tourneries technoïdes de vieux garçons en mal de jeux guerriers. Je passe sur l'interprétation des œuvres néoclassiques de Arvo Pärt et Alan Hovhaness par le Bruckner Orchester Linz (en soulignant, pour les amateurs d’exotisme local, que nos lapins citèrent deux fois Anton Bruckner, figure notoire de Linz !), et sur l'enregistrement déplacé de Big Ben par Bill Fontana...
L'absence de dialectique caractérise dramatiquement les expériences des années 80 éternellement reconduites par les apôtres de la techno. Les spectateurs critiques (français pour la plupart, quel hasard !) ne peuvent s'empêcher de se traiter sarcastiquement de "vieux cons" alors qu'il ne s'agit en aucun cas d'une nostalgie du passé, mais de la révolte qu'inspirent le manque de combativité et l'absence de propositions constructives de ces anciens jeunes devenus profs, soutenus par leurs élèves. Ces artistes adeptes des nouveaux médias auraient-ils baissé les bras devant la puissance de l'industrie, du capital et de leurs sirènes ? Où réside leur urgence ? Que réservons-nous à cette nature humaine ? Alibi et sujet d'expériences douteuses ou recherche d'un nouvel équilibre qui devra s'affranchir de la peur qu'engendrent les révolutions ? Quel monde nous prépare-t-on et quelles alternatives pouvons-nous y opposer ? Les artistes de demain ont du pain sur la planche s'ils ne veulent pas prendre de la brioche.
Mise en ligne : le 09/09/09 à 09'09"
Commentaires
1. Le mercredi 9 septembre 2009 à 10:20, par pol
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