Agitation de Ilhan Mimaroğlu
Par Jean-Jacques Birgé, jeudi 7 mars 2013 à 01:41 :: Musique :: #2533 :: rss
C'est incroyable. Comment ai-je pu oublier Ilhan Mimaroğlu ? Je ne suis pas le seul, d'autant que ce compositeur turc n'est pas des plus connus parmi les amateurs de musique contemporaine. Son originalité et son implication politique expliquent peut-être sa marginalisation. Émigré aux États Unis, il fut l'élève de Vladimir Ussachevsky, mais aussi d'Edgard Varèse et Stefan Wolpe. Sa musique électronique possède d'ailleurs le swing et l'ouverture d'esprit du Poème électronique de Varèse, Varèse qui dirigea des jam-sessions avec Charges Mingus dès 1957 ! Et Mimaroğlu de produire en 1974 Changes One et Changes Two de Mingus, albums dédiés à la mutinerie de la prison d'Attica, ou Ornette Coleman. Trois ans plus tôt il avait cosigné l'album Sing Me a Song of Songmy avec le trompettiste Freddie Hubbard contre la guerre du Viêtnam. Sa musique peut avoir des intonations classiques, free jazz ou ressembler à un cut-up pop plus efficace que tous les plunderphonics actuels, mélange de György Ligeti, Conlon Nancarrow, Cecil Taylor, Jimi Hendrix et Charles Ives.
Sacha Gattino a ravivé ma mémoire en me faisant écouter Tract: A Composition Of Agitprop Music For Electromagnetic Tape qui figure dans Agitation avec To Kill A Sunrise: A Requiem For Those Shot In The Back et La Ruche: An Elegy For Electromagnetic Tape. Je retrouve l'une des sources de mon inspiration tant pour mon engagement politique que dans la manière de l'exprimer en musique. Tout y est, le chaos encyclopédique des voix et des citations, les montages radiophoniques qui s'entrechoquent pour faire ressortir les paysages sociaux cachés derrière les notes, la mécanique de l'électronique, les grands mouvements d'orchestre et les masses qui tombent des cintres comme des couperets, le discours de la méthode, des sonorités inouïes, un univers sonore où tout est possible, même le réel. Mimaroğlu appartient à une génération où l'échantillonnage faisait partie de notre panoplie sans que les avocats bloquent tout ou fassent cracher quiconque détournerait une seconde du répertoire qu'ils prétendent protéger ! Il fait surgir des émotions enfouies qui datent d'avant mon entrée en musique, avant la révélation de Frank Zappa lorsque j'avais 15 ans. J'avais déjà parlé des évocations radiophoniques, de la musique tachiste de Michel Magne, du piano préparé, de Miss Téléphone, mais là se révèle un monde aussi riche que les Histoire(s) du cinéma de Godard, comme si je retrouvais mon père, du moins l'un d'entre eux puisque je fus engendré plus d'une fois dans ma vie. Ilhan Mimaroğlu est mort le 17 juillet dernier à 86 ans.
Commentaires
1. Le jeudi 7 mars 2013 à 17:00, par jjb
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