Il aura fallu six mois de travail à Sylvain Rifflet pour réaliser l'un de ses rêves, un hommage au compositeur américain Louis Thomas Hardin dit Moondog, figure mythique new-yorkaise des années 50, minimaliste influencé autant par Stravinski que Charlie Parker, musicien de rue aveugle déguisé en Viking, compositeur prolixe, amateur de canons, de contrepoints et de mesures impaires, fan de jazz, de traditions amérindiennes et de musique répétitive. La première de ce spectacle unique fut un enchantement, Rifflet réussissant à s'approprier les compositions de Moondog sans ne jamais jouer les décalcomanies.
Tout commence dans le noir. Les musiciens traversent le public en diffusant une petite musique désuète sur leurs smartphones. Un écran s'éclaire projetant le chef d'orchestre et son invité Jon Irabagon dans les rues de New York. Un délicat fondu s'opère entre l'enregistrement et la scène. L'orchestre enchaîne.


Le quartet Alphabet, composé de Rifflet au sax et à la clarinette, Joce Mienniel aux flûtes et au synthétiseur, Phil Gordiani à la guitare et Benjamin Flament à la batterie métallique, est augmenté du saxophoniste Irabagon et de la pianiste Ève Risser. La grande surprise interviendra après deux pièces sous un arbre où pendent des sacs en plastique, un duo pour boîte à musique et guitare sèche suivi d'un trio pour piccolo, clavecin et guitare. Tout le concert respire cette délicatesse. Lentement des enfants descendent des gradins formant une chaîne qui trace des lignes graphiques sur la scène. Ils se regroupent enfin pour former le chœur de Perpetual Motion, titre du spectacle qu'a mis en place Anne-Marion Gallois.


Il ne manque aucun enfant à l'appel. Leur implication est totale. Rifflet a passé quatre mois à raison d'un jour par semaine aux collèges Jean Vilar de La Courneuve, République, Pierre Semard et au Conservatoire Jean Wiener de Bobigny pour les faire chanter en anglais cette musique a priori pas si facile à interpréter. Nous sommes transportés par leurs sourires radieux et leur énergie communicative. Une tendresse généreuse se dégage de l'ensemble. Ces enfants du 93, réfléchissant ce qu'il y a de plus prometteur dans la France d'aujourd'hui, sont à l'image de la rencontre du musicien new-yorkais et de la tradition européenne, melting pot culturel accouchant de joyeuses et originales démarches artistiques.


La scénographie transforme le concert en spectacle multimédia. Les vidéos de Maxence Rifflet simulent gros plans et toiles de fond en faisant descendre un écran derrière l'orchestre. Des pièces de chambre, comme ce duo pour clarinette et piano, alternent avec des ensembles électriques.


Les nouvelles générations de musiciens français s'affranchissent du jazz en y puisant maintes aspirations, mais sans tenter de le copier bêtement comme le firent trop nombreux de leurs aînés. Leur culture et leurs goûts sont plus variés. Selon les uns ou les autres, ils s'inspirent de la pop, du rock, du folk, de l'électro, mais aussi de la chanson française, de la musique classique ou contemporaine, des bruits ambiants, etc. Ils mêlent leur art à d'autres formes d'expression et, un comble dans une profession si souvent individualiste, on les rencontre aux concerts des uns les autres !


Ici le trio de souffleurs répond au trio de percussion. Flûte, sax, clarinette contre piano, guitare, percussion. La musique de Moondog pétille. Rifflet a gagné son pari.


J'apprécie d'autant ce merveilleux hommage que j'avais moi-même composé il y a sept ans Young Dynamite pour la compilation CD de TraceLabel. Déjà en 1969 j'avais été conquis par le vinyle paru chez CBS où figure le célèbre Bird's Lament que l'orchestre de Perpetual Motion, a Celebration to Moondog reprendra généreusement en rappel.