Jimi Hendrix a laissé un corpus d'enregistrements incroyable pour une carrière qui ne dura que cinq ans. Depuis sa disparition à l'âge de 27 ans, quantité de guitaristes l'ont imité ou s'en sont inspirés sans ne jamais l'égaler, même si quelques musiciens se sont risqués à arranger son répertoire dans des orchestrations inhabituelles. Je me souviens, par exemple, avec délectation du Purple Haze du Kronos String Quartet en 1985 ou de If 6 was 9 par Denis Colin et les Arpenteurs en 2002. Quarante-trois ans après la disparition d'un des plus grands musiciens du XXe siècle tous genres confondus, le Trio Journal Intime a enregistré Lips on Fire, un album qui lui rend hommage en prenant des libertés qui auraient probablement plu à cet expérimentateur de génie. On sait qu'avant de mourir il envisageait de travailler avec Gil Evans et Miles Davis, s'étant déjà rapproché des jazzmen, jouant avec Roland Kirk, Larry Young, John McLaughlin, Dave Holland...
Sur l'album Lips on Fire le trio de souffleurs Journal Intime propose des versions renversantes, d'une étonnante invention, de Lover Man, If 6 was 9, Angel, Hey Baby, 1983... (A Mermaid I should Turn To Be), Villanova Junction et All Along The Watchtower, titre composé par Bob Dylan. Bien au delà de l'hommage qu'ils perpétuent avec des pièces de leur composition comme Foxy People, Viens!, Odysseus Praeludium, Lips on Fire, Little Blowing, le trompettiste Sylvain Bardiau, le trombone Matthias Mahler et le saxophoniste basse Frédéric Gastard s'approchent de l'essence-même de la musique d'Hendrix, distordant les harmonies par des effets de timbres, éructant, slapant, vrombissant et swinguant comme des fous. Pour le répertoire d'origine ils ont invité deux cautions rock, le percussionniste Denis Charolles et le chanteur-guitariste Rodolphe Burger qui s'en sortent très bien, le premier connu pour ses couleurs extravagantes, le second en mezzo-voce dramatique. Étonnamment je n'ai jamais retrouvé, ici ou ailleurs, le placement de la voix d'Hendrix, cri mixé légèrement en arrière, comme s'il accompagnait la guitare par son chant, contrairement à l'usage. Effet chewing-gum lysergique. En coda la ghost track convoque le mythe, fantôme magnétique qui continuera longtemps à hanter nos jours et nos nuits.
Lips on Fire est un album explosif, de mystérieux alliages de cuivres se fondant en une alchimie abrasive où le trio met le feu aux poudres en soufflant sur les braises.