Deux films très différents, regardés coup sur coup, évoquent l'éveil de la sexualité chez deux jeunes filles américaines. La première, la vingtaine à New York en 1952, est filmée par Todd Haynes ; la seconde, 15 ans à San Francisco en 1976, est l'héroïne du premier film de Marielle Heller. Carol (sortie française le 13 janvier) est un des meilleurs mélodrames sirkiens de son auteur tandis que The Diary of a Teenage Girl (sortie française le 24 janvier) est une comédie enjouée pleine de fantaisie, mais l'un comme l'autre mettent en scène des remarquables actrices dans un décorum qui sert parfaitement leur sujet. La lumière de Carol rappelle les images sombres et énigmatiques du peintre Edward Hopper, les animations incrustées pleines de couleurs de The Diary of a Teenage Girl font référence au monde psychédélique de la dessinatrice Aline Kominsky.


La jeune Therese Belivet interprétée par Rooney Mara tombe sous le charme de Carol, une bourgeoise évanescente jouée par une Cate Blanchett toujours aussi surprenante. La jeune Bel Powley incarne génialement Minnie, adolescente ne pensant qu'au sexe sans aucun tabou alors que l'homosexualité vingt cinq ans plus tôt en constituait un des plus puissants. Les deux scénarios sont des adaptations de semi-autobiographies : le premier est tiré du roman Le prix du sel de Patricia Highsmith, d'abord discrètement publié sous le pseudonyme de Claire Morgan, le second était une bande dessinée de Phoebe Gloeckner, déjà portée à la scène par Marielle Heller elle-même avant d'en faire un film avec le soutien du Sundance Festival. Là où le désir et le trouble de Therese incarne une fascination délicate pour une femme en instance de divorce qui va perdre la garde de sa fille, l'appétit et la curiosité adolescents de Minnie ne sont entachés d'aucun discours moral malgré son attirance pour l'amant de sa mère fêtarde. Si la culpabilité habite tous les protagonistes sauf elle, The Diary of a Teenage Girl reflète une époque de liberté qui faisait cruellement défaut aux années 50.


Le Summer of Love et l'année 1968 qui a suivi ont considérablement transformé les rapports intergénérationnels où il était normal de "vivre sans temps morts, jouir sans entraves", les pulsions sexuelles s'épanouissant dans une ambiance de créativité et d'expérimentation. En cela, le film de Marielle Heller nous surprend plus par sa fantaisie débridée que celui de Todd Haynes malgré sa maestria dans l'art de suggérer la moindre émotion, les deux films trouvant chacun dans leur esthétique une adéquation remarquable avec leur sujet.
Ils posent la question redoutable d'où nous en sommes aujourd'hui, coincés entre des revendications de normalisation et la peur de l'inconnu.