Les événements se précipitant, mais toute ma vie les événements se sont précipités, je regarde mon dernier disque, l'album de mon Centenaire, avec des yeux nouveaux. Je craignais que certains textes le renvoient aux orties, qu'ils piquent et démangent. Or je constate avec effarement que tout ce que j'ai écrit est prémonitoire. Là encore j'ai le sentiment que toute ma vie fut prémonitoire. Probablement l'ai-je orientée pour qu'elle coïncide avec mes désirs et mes appréhensions. J'avais peur que la charnière, cette bascule du passé au futur, me handicape dans la construction que je devrai affronter bientôt et que je n'avais pas su prévoir. Il n'en est rien. Bien au contraire. Je relis les signes comme si j'avais été écrit, comme si l'avenir m'était dicté par une force inconsciente. Cocteau parle très bien du mystère de la création artistique, cette poésie qu'il décline à toutes les sauces, du roman au cinéma, du théâtre au journalisme... Cet héliocentrisme lacanien interroge évidemment le matérialisme historique dont je suis friand. Si mes années 80 tournent autour de la parentalité alors qu'une nouvelle génération allait naître, facteur déterminant qui m'avait échappé et jouant le rôle involontaire de mise à feu, ce sont les années 2000 et 2010 qui me préoccupaient. Leur évocation était-elle compatible avec la nouvelle donne ? En réalité l'aventure fonctionne à merveille si j'accepte un décalage de quelques mois pour que tout rentre dans le merveilleux désordre où tout semble à sa place ! Je recopie donc ici le texte de la valse du nouveau siècle :

Comme je suis toqué
Étourdi par la danse
Je ne sens plus mes pieds
Je n’ai même plus pied
Et j’oppose au paquet
De la vie qui s’avance
Les amours libérés
De la maturité

Comme je suis coquet
Tous les mots ont un sens
Pas besoin de verre à pied
Mais des vers à six pieds
Pour ensemble trinquer
À cette renaissance
Repoussant le guêpier
D’un sous terre à six pieds

Évidemment je suis probablement le seul avec quelques amis proches à qui j'aurai pu me confier à saisir toutes les allusions que j'y décèle. Je croyais refléter ce que je vivais alors que j'avais un ou deux métros d'avance. On dit qu'un train peut en cacher un autre. Il me reste tout de même à patienter au passage à niveau. J'espère que celui qui croise ma route n'est pas aussi long que certains convois américains interminables dont j'ai le souvenir et qui nous bloquaient en rase campagne. Les quais de gares sont plus prometteurs.
C'est donc seulement ce matin que je suis capable d'aborder la décennie suivante qui est en cours sous un angle nouveau. Mon texte, écrit pourtant il y a vint ans et mis en musique il y a six avec Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino, ne rencontrera son actualité qu'avec les temps futurs. Mais déjà se dessine une perspective cohérente, l'ombre d'un dénouement, si ce n'est réel, du moins rêvé. Car toute cette histoire est définitivement affaire de contretemps... Si certains propos paraissent abscons ou mystérieux, c'est que je marche sur des œufs, à n'en pas croire mes yeux !

Combien de jours
Résisterai-je
Mon tendre amour
Ma Blanche-Neige

Combien de nuits
A vous attendre
Sans faire de bruit
Sans vous entendre

Combien de temps
Prend un baiser
Pour maintenant
Vous réveiller

Combien fait mal
Si le temps passe
Sans que nos râles
Laissent une trace

Approchez-vous
Même en dormant
Délivrez-nous
Du contretemps

Photo et conception graphique de l'album : Étienne Mineur