samedi 19 avril 2008
Enième discours de la méthode
Par Jean-Jacques Birgé,
samedi 19 avril 2008 à 08:50 :: Musique
Les jantes d'hier matin ont fait place aux rotules, et toujours pas moyen de récupérer. L'enregistrement s'est passé comme sur des roulettes, une partie de plaisir. Avant l'arrivée de l'équipe, j'avais installé le studio en préparant toute une panoplie de claviers. Je fais le tour de mes programmes de synthé et note les numéros des uns et des autres qui pourraient convenir à l'ambiance requise : contemporaine, sobre, élégante, évidemment surtout pas angoissante, ni lyrique ni dramatique. Je vais de plus en plus vite, comme on feuillette un album ou comme on bat les cartes, frrrrrrrout ! Un après-midi, j'avais rencontré le réalisateur Richard Hamon, le producteur-chef opérateur Christophe Bidot et Valéry Faidherbe qui monte le film et m'en a envoyé une version la nuit précédente par Internet, un point c'est tout. Mais j'avais eu le temps d'y réfléchir ou, plus certainement, le temps avait fait son travail, sans que je m'en préoccupe. Je crois que surtout j'avais bien accroché avec eux. On n'est jamais si efficace que lorsque l'on se sent en confiance et qu'on estime les personnes à qui l'on a affaire. On se comprend : je traduis leurs mots qu'ils soient évasifs ou précis, j'écoute leurs réticences, leurs doutes, leurs enthousiasmes, leurs soulagements, ils ne sont pas si différents de ce qui tombe sous mes doigts lorsque j'improvise la musique au fur et à mesure des séquences, mélange de surprise et d'évidence. Tout s'enchaîne sans problème jusqu'au générique de fin où je bloque un moment. Il faut toujours qu'il y ait un passage qui coince. Ce serait trop simple. On polarise tout à coup ses incertitudes. Quand le courant passe, on se sent aidé et la paranoïa n'a pas de prise...
J'enregistre sur plusieurs pistes et je place les sons au fur et à mesure avec un bip au début pour recaler l'ensemble au montage. Les délais sont évidemment au plus serré, comme souvent dans ce genre de commande où les clients prennent trop de temps pour valider chaque étape. C'est l'inconnue, mais le paramètre est au moins de leur responsabilité. Cela n'empêche, c'est sur nous que repose le respect du planning. Je regarde l'image du coin de l'œil tandis que mes doigts font semblant d'obéir à ma tête. La première prise, comme d'habitude, est la bonne. L'exercice consiste à reconnaître quand est censée poindre cette première prise : entre la recherche des timbres, celle du phrasé, les notes correctes, le sentiment qu'on va l'avoir, il faut savoir dire "on la tourne" juste avant d'être au point. Marche sur le fil, avec ombrelle.
Je suis entouré de possibles. J'ai donc exhumé le PPG, mon vieux synthé en tables d'ondes dont j'utilise le clavier préparé (si je tape sur la même touche, ce n'est pas la même note qui se répète, mais une séquence, alors les phrases ont un petit quelque chose d'aléatoire et dans le même temps de mâché), sa finesse et sa transparence me font penser à de la crème Chantilly, du luft, de la légèreté, comme on chante sans ouvrir la bouche... Pour les percussions contemporaines, je me sers d'une petite panoplie sur GarageBand. Le reste est un mélange d'orgues baroques du JV, de claviers percussifs du V-Synth et du VFX (coloration de pierre), d'échantillons de cloches tubulaires construites par Bernard et de réinjection dans un de mes programmes préférés du H3000, toute une cuisine concoctée au pupitre de quatre claviers en temps réel.
Pour accompagner ce film sur le collège des Bernardins, j'ai marché toute la journée sur des œufs. Il s'agissait de donner la perspective historique du passé, huit siècles en arrière (le bâtiment est magnifique) et de proposer une lecture futuriste du travail architectural de Wilmotte et du projet œcuménique et intellectuel, évidemment sans faire grincer de dents avec des dissonnances "angoissantes" ni de mélodies automatiquement connotées variétoche. À la fin de la journée, on est toujours surpris d'entendre comment tout se tient, dix minutes au total, pour un résultat musical auquel je ne m'attendais pas, mais qui répond exactement à ce que j'imaginais.
Jusque tard dans la nuit, je m'achève avec une stimulante pendaison de crémaillère boulevard de Ménilmontant où une centaine de jeunes gens nous redonnent la pêche au son des guitares, du piano, de la contrebasse et des chants tziganes.