J'ai longtemps rêvé du piano préparé. Lorsque j'étais adolescent, j'avais été fasciné par le disque du Chant du Monde enregistré par François Tusques avant de découvrir les Sonates et interludes de John Cage dans la collection économique d'Harmonia Mundi, ou encore Henry Cowell, son initiateur. Il m'est arrivé de frapper la harpe d'un piano désossé, mais c'est seulement très tard que j'eus l'immense plaisir de jouer avec la pianiste Ève Risser ou de me laisser emballer par Benoît Delbecq, deux inimitables maîtres du piano préparé, qui risquent tout de même de craquer en entendant ma nouvelle acquisition.

Une tuerie ! C'est le mot. Le nouvel instrument virtuel développé par UVI et l'IRCAM m'a tué. Je me suis escrimé comme un fou sur mon nouveau clavier 88 touches pour tester le renversant piano préparé enregistré à partir d'un Yamaha C7. On peut affecter chacun des 45 modes de préparation indépendamment à chaque corde ; mieux, on peut placer vis, gommes, pièces de monnaie, pinces à linge, baguettes, sourdines, simultanément dans les parties haute et basse des cordes. D'aucuns objecteront que cela ne vaut pas un vrai piano préparé. C'est vrai et c'est faux. Comme avec n'importe quel instrument réel ou virtuel tout dépend de ce que l'on en fait. Et l'on ne fera pas avec l'un ce que l'on peut réaliser avec l'autre. Mais c'est réciproque. Comment un pianiste pourrait-il jouer de l'archet, de l'EBow (un archet électronique qui met les cordes en vibration par effet magnétique), du bottleneck avec la même dextérité qu'il frappe sur les touches ou gratte les cordes dans le cadre du piano ? L'IRCAM Prepared Piano est un nouvel instrument qui s'ajoutera à la palette infinie des timbres offerts par l'électronique et l'informatique. Le multi-échantillonnage donne une vie incroyable à l'instrument, magnifié par la SparkVerb™, une réverbération toute nouvelle, merveilleusement adaptée. On pourra faire vibrer les cordes avec une mailloche, un plectre, un archet ou l'EBow, on pourra régler les deux effets pour chaque note en hauteur et en intensité, choisir le son des micros Schoeps ou DPA, travailler la tonalité ou les enveloppes, ou profiter de toutes les ressources de la UVI Workstation comme l'arpégiateur et les dizaines d'effets déments applicables à tous les logiciels supportant ce format tels les instruments solo de l'Ircam ou les jouets musicaux précédemment publiés.

J'adore me laisser surprendre par les sonorités inouïes qui jaillissent de chaque touche de mon clavier. Le piano se transforme alors en orchestre de percussion, gamelan occidental aux possibilités infinies. Je suis dans les cordes. K.O. technique. Le gong a sonné. Il est tard. Je vais me coucher.