Composer le monde
Par Jean-Jacques Birgé, lundi 24 février 2014 à 07:02 :: Musique :: #2787 :: rss
La commémoration des 22 ans du Festival des 38e Rugissants à Grenoble valait bien que l'on en attende trois pour savourer la somme des contributions faisant de l'ouvrage un outil passionnant pour comprendre la musique du monde, plus contemporaine que nulle part ailleurs car émergeant de partout à la fois. Le remarquable texte de son directeur Benoît Thiebergien place d'emblée le sujet sur le terrain politique du colonialisme et des traditions. Il révèle les paradoxes transculturels qu'une quinzaine de compositeurs, interprètes, musicologues et acteurs culturels vont développer sur 160 pages de ce livre-DVD. Coordonné par Catherine Peillon, l'ensemble présente une réflexion originale indispensable sur la création musicale contemporaine.
Alexis Nouss secoue l'objet philosophique entre nomadité et nomadisme. Bruno Messina invite à prendre le large loin des chemins balisés. Thierry Pécou revalorise le geste. Zad Moultaka analyse sa genèse hétérophonique depuis le balcon libanais de son enfance. Pierre Sauvageot assène un alphabétique coup de pied dans la fourmilière. Au travers de l'histoire des Percussions de Strasbourg Jean-Paul Bernard avertit du danger du métissage s'il consiste à unifier au lieu d'accepter l'autre tandis que Bernard Fort préfère respecter les biolimites. Carlo Rizzo souligne l'importance de la relation humaine de personne à personne, antidote à la mondialisation formatée, et Keyvan Chemirani d'insister sur la qualité du casting pour que les rencontres soient productives. Quant à Henry Fourès, Laure-Marcel Berlioz et Cécile Gilly, ils se font essentiellement les porte-voix des institutions.
Pour l'ensemble Ars Nova Benoist Baillergeau évoque la rencontre du texte et de la musique, ce que Bernard Cavanna raconte merveilleusement dans son choix de la langue populaire, quotidienne, vulgaire, loin de "l'enculage de mouches" de tant de précieux. Et Jean-Paul Dessy d'en remettre une couche en revendiquant une musique intemporaine, comme François Rossé de revenir sur l'histoire de la musique depuis le milieu du XIXe siècle pour revaloriser un primitivisme nécessaire, pulvérisant la géographie au profit d'une intemporalité et d'un pluralisme des identités biologiques. La musique dite contemporaine en prend pour son grade et je me reconnais évidemment chez ces empêcheurs de tourner rond. Je reproduirai donc demain ma contribution intitulée L'art du partage, concept dans l'air du temps puisqu'il est le thème de la prochaine Revue du Cube à laquelle je participe également !
L'ouvrage se poursuit avec quantité de petites photos et les alléchants programmes des 22 éditions avant que le festival des 38e Rugissants se transforme en Détours de Babel. Extraits et entretiens composent le film autour de sept aventures "transculturelles" : les Percussions de Strasbourg avec Adama Dramé et Jean-Pierre Drouet, Passeurs d'eau de Thierry Pécou et Yaki Kandru, Sarangî Strings Sound System de Jean-Paul Dessy et Drhuba Gosh, Zhiyin de Xu Yi, An-Nâs de Zad Moultaka, Gazing Point de Kudsi Erguner et des improvisations de François Rossé. Simple bonus, ce témoignage vidéographique ne reflète pourtant pas la dimension critique des textes du livre, ni la démarche créative de ce festival hors normes, exemplaire sous bien des angles.
P.S.: le livre paraîtra en juin sur le label l'empreinte digitale, distribution Abeille Musique à la rubrique DVD.
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