vendredi 1 mars 2019
Chasseurs
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 1 mars 2019 à 00:00 :: Multimedia
Je me souviens de mon embarras il y a 16 ans lorsque Françoise m'avait raconté que son père était chasseur. En 1983, sur le disque Les bons contes font les bons amis d'Un Drame Musical Instantané, nous avions enregistré Ne pas être admiré, être cru qui était une pièce contre la chasse et Bernard Vitet en avait remis une couche avec Bonne Nouvelle en 1987. J'avais accompagné des chasseurs en Sologne pour en capter l'ambiance dans la forêt. Après avoir longtemps discuté avec mon ex-beau-père, qui est aussi pêcheur et cueilleur, ainsi que lu son livre Passion Chasse, ma critique était plus nuancée, même si la fréquentation des chasseurs ne m'est pas particulièrement agréable. Jean-Claude cachait d'ailleurs à ses camarades du Parti Communiste qu'il était chasseur et il évitait de parler du PCF à ses amis de la Fédération de Chasse. Je n'avais jamais rencontré personne qui connaissait aussi bien la nature. Comme j'apprécie toujours le gibier, la viande et le foie gras, il m'est difficile de rejeter les chasseurs, les éleveurs et les bouchers dont je paie les basses œuvres ! Contrairement aux végétariens et végans je n'ignore pas le cri de la carotte. Je pense sérieusement que les plantes communiquent entre elles et que nous ne connaissons rien de leur vie et de leur mort. J'avoue avoir même des doutes sur le fauteuil sur lequel je suis assis en train de taper ces lignes. Aucun mysticisme là-dedans, mais une interrogation fondamentale sur les atomes et leurs combinaisons, puisque rien ne se perd ni ne se crée.
En écoutant Chasseurs, l'œuvre radiophonique qu'Amandine Casadamont présentait mercredi soir au Musée de la Chasse et de la Nature en son spatialisé pour 20 haut-parleurs, j'étais rassuré d'entendre un autre son de cloche à la fin de la pièce après avoir été immergé pendant une heure dans une battue magnifiquement rendue. J'ai fondamentalement besoin de dialectique pour comprendre la moindre chose. Dans le cadre de la Saison France-Roumanie 2019 avec l'Institut français et l'Institut culturel roumain, elle a réalisé ce documentaire pour l’Atelier de Création Radiophonique et la nouvelle émission de France Culture, L’Expérience, enregistrant avec deux systèmes de prise de son, le premier, immersif, tenu par Bruno Mourlan, et un couple stéréo ou deux micros mono dont un canon qu'elle tenait au bout d'une perche pour avoir des sons de proximité. Elle a ensuite monté trois battues pour rendre cette impression étonnante d'y participer, du moins en auditeur libre ! Comme l'a souligné la sociologue Dana Diminescu à l'issue de l'avant première au Musée de la Chasse, Amandine a relevé les traces des chasseurs comme eux-mêmes le font avec les sangliers, les lynx ou les chacals. On suit ainsi les "respirations, marches à travers la neige et les feuilles, cris lancés dans l’écho des montagnes, coups de feu et feux de joie" dans cette Transylvanie, restée pays fantasmé dans l'obscurité de l'auditorium. En choisissant la voix enfantine d'India Hair pour traduire et accompagner les voix roumaines, Amandine indique le jeu puéril de cette ambiance virile. Parallèlement à ce que nous improvisons ensemble avec Harpon, les évocations radiophoniques d'Amandine Casadamont, que ce soit au Costa Rica avec les courriers de la drogue, à Fukushima en zone interdite, au Mexique sur le silence ou en Birmanie, abordent toujours des zones d'inconfort qui l'interrogent en nous entraînant avec elle.
Photos : Mirela Popa - Amandine Casadamont
→ Chasseurs, diffusion stéréophonique sur France Culture dimanche 3 mars 2019 à 23h
→ Le site de l'émission avec le podcast et plein de photos !