mercredi 27 novembre 2019
Marbre surréaliste du 1er siècle av. J-C
Par Jean-Jacques Birgé,
mercredi 27 novembre 2019 à 00:07 :: Expositions
Le mois dernier, visitant l'exposition rétrospective sur Caravaggio et Bernini au Musée d'Histoire de l'Art de Vienne, je suis brutalement arrêté par un marbre attribué à Alessandro Algardi. En réalité l'Algarde a restauré en 1628 ce jeune satyre portant un masque de Silène datant environ du 1er siècle avant Jésus-Christ. Cet étrange assemblage (d'une seule pièce !) permet de voir la figure d'un enfant derrière la masque d'un vieux satyre, sa petite main ressortant de l'énorme bouche du barbu. Est-ce une farce puérile pour effrayer je-ne-sais-qui ou une interrogation cruelle sur les vicissitudes de la vie ? Je ne suis pas un spécialiste, mais cette sculpture me semble surtout préfigurer de vingt siècles les assemblages de Rodin, le surréalisme (Picasso, Dali...), le nouveau réalisme (Spoerri, Nikki de Saint-Phalle...) ou le pop-art (Combines de Rauschenberg) ? J'ai toujours aimé ces œuvres de montage, de celles qui allient la chèvre et le chou, le beurre et l'argent du beurre. Une petite enquête, telle qu'en permet Internet sans bouger de chez soi (un autre assemblage !), me guide jusqu'à Sotheby's où l'œuvre était aux enchères il y a six ans. Estimée entre 3 et 5 millions de dollars, elle est partie à 3,525,000 $, probablement acquise par l'Art Institute of Chicago ! Elle aurait été découverte entre 1620 et 16233 dans les ruines des jardins de Salluste à Rome, lorsque la villa fut rachetée par le pape Grégoire XV. Plus récemment ce qui pourrait être un faune fut récupéré après la défaite des Nazis qui l'avaient dérobé dans la maison d'un collectionneur juif ayant fui en 1938. Une petite queue, invisible sur ma photo, laisse penser que ce satyre accompagnait Dyonisos, dieu du vin et de l'extase, mais aussi père de la comédie et de la tragédie. Mon goût pour les flûtes et percussions n'y est pas étranger. Dans la Grèce Antique les flûtistes n'étaient pas considérés comme des musiciens, mais comme des bateleurs, car leur instrument leur déformait la bouche. Travaillant actuellement à un disque qui s'appuie sur de très vieux enregistrements historiques pour imaginer la musique d'après la catastrophe, une forme dyonisienne de l'utopie poste-collapse, je suis évidemment sensible à la variété de timbres des percussions. J'espère d'ailleurs bientôt intégrer d'anciens idiophones de bronze à mon projet... Cela peut expliquer mon intérêt actuel pour les "vieilles pierres" !