Les vices platinés de Christian Marclay
Par Jean-Jacques Birgé, vendredi 21 août 2020 à 00:02 :: Musique :: #4528 :: rss
Article du 9 avril 2007 (un article peut en cacher un autre)
Franck Vigroux m'envoie ce petit sujet sur Christian Marclay pour m'éviter d'aller à la Cité de la Musique où l'artiste suisse scratcheur est exposé jusqu'au 24 juin 2007 (Replay), essentiellement des vidéos si j'ai bien compris. Bien avant que ne se manifestent les hip-hopers, j'avais découvert Marclay grâce à mon producteur allemand Jürgen Königer de Recommended Records / No Man's Land qui produira le vinyle 25cm More Encores en 1987 : chaque morceau y est scratché d'une manière cohérente avec chaque artiste esquinté, Johann Strauss, Zorn, Chopin, Frith, Armstrong, Cage, la Callas, Hendrix, Birkin & Gainsbourg ou lui-même ! Plus tard, j'achèterai le coffret Footsteps où figure l'un des disques de son expo de 89 à la Shedhalle de Zurich. Sur ce 30cm sont enregistrés des pas tandis que les visiteurs marchaient sur les exemplaires disposés par terre. Avant de faire écouter aux amis mon exemplaire qui porte encore les scotchs double face collés à son revers, j'ai pris l'habitude d'en rajouter une couche en le piétinant rageusement. Au fil des années, l'écoute s'en est toujours trouvée bonifiée. Christian eut un soir la gentillesse de nous faire une démonstration de tous ses outils de concert. J'adorai les deux diamants sur le même disque, les pédales de disto et les décentrages...
Quelques années plus tard, je fus fasciné par le groove des DJ qui œuvraient dans la soul funk et nous trouvâmes alors le collaborateur idéal en la personne de DJ Nem. À notre première rencontre, il apporta Miles et Ligeti, un bon signe en regard des inspirations des autres DJ que nous croisions... Il scratcha ensuite à mort sur les disques du Drame comme le font aujourd'hui Franck et quelques autres. Ils disent tous que le scratch est génial où que l'aiguille se pointe sur la surface du microsillon. Nous avons passé notre vie à faire du montage une technique de composition, tant en live qu'en studio, et en expirimentant sans cesse de nouvelles idées abracadabrantes. Signalons aussi le virtuose Kid Koala qui swingue comme personne sur sa platine (cd Carpal Tunnel Syndrome, cd Some of my best friends are djs).
Mais comme vous vous pouvez le constater sur ce petit film, Marclay est avant tout un artiste plasticien qui pervertit les instruments de musique et le matériel de reproduction, et ça ne tourne jamais vraiment rond.
PLAY IT AGAIN, CHRISTIAN !
Article du 28 mai 2007
Deuxième billet sur Christian Marclay dont l'exposition Replay à la Cité de la Musique est présentée. Nous en profiterons d'ailleurs pour faire un petit tour dans la collection d'instruments de musique du Musée dont le superbe aménagement est dû à l'architecte Franck Hammoutène, camarade de classe qui à l'époque jouait de l'orgue électrique. Gros bémol atténuant mon enthousiasme, on ne peut évidemment toucher à rien, et tous ces instruments en vitrine me sont d'une écœurante morbidité.
Revenons à Marclay, et si vous n'y êtes pas encore allés, foncez-y. Or just Replay ! Je pensais que n'étaient exposées que des vidéos souvent trouvables sur le Net. Que nenni, la visite est absolument indispensable, essentiellement pour trois installations, toutes trois sur quatre écrans. La première, Crossfire, est la plus spectaculaire, parce qu'elle véhicule une charge critique sur la violence, époustouflante de réalisme dans un univers cinématographique pétaradant aussi varésien que mes nuits sarajéviennes pendant le siège. J'avais l'habitude de m'endormir sur cette interprétation trop réaliste de Ionisation, en comptant les rafales et les explosions comme on compte les moutons. Ici, pas question de roupiller : placez-vous au centre de la pièce, entouré par les quatre écrans de 3,50m de base où les as de la gâchette vous tirent dessus dans une composition musicale de 8'30" digne des meilleures pièces pour percussion. Video Quartet est plus formaliste puisqu'il s'agit d'un écran de 12m de long divisé en quatre projections d'extraits de films mettant en scène des musiciens ; l'ensemble constitue une œuvre de 14' éminemment musicale, on pouvait s'en douter. Il est courant de citer Duchamp et Cage comme parains de l'artiste, mais l'influence de Charles Ives (1874-1954) est une fois de plus flagrante.
Gestures, la troisième de ces vidéos synchronisées, présente quatre écrans en carré où l'artiste scratche des vinyles pendant 9'. Comme Telephones, le résultat est plus anecdotique. J'ai plus apprécié Guitar Drag où une guitare électrique reliée à un ampli est sadiquement traînée par une camionnette, car question platines rien ne vaut un concert où Marclay scratche en direct devant vous.
Le catalogue de l'expo est très chouette, mais celui publié par Phaidon est encore plus nécessaire car il montre l'étonnante palette des œuvres de Christian Marclay, sculptures, collages, installations autres que vidéo, etc. Je suis sensible aux œuvres qui s'inspirent de leur support. En rejouant tout cela, je me remémore le premier scratch musical entendu sur un disque (je me suis redressé complètement flippé, pensant que j'avais rayé mon album fétiche, comme lorsque le projectionniste avait arrêté Persona d'Ingmar Bergman en voyant la pellicule brûler sur l'écran), ce sont les dernières mesures de Nasal Retentive Calliope Music sur l'album des Mothers of Invention, We're only in it for the money en 1968. Christian Marclay avait treize ans.
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