J'étais très curieux de regarder Portier de nuit, le film de Liliana Cavani que j'avais boycotté à sa sortie en 1974. Les critiques étaient épouvantables, le qualifiant de scandaleux à cause de sa complaisance avec le nazisme pour avoir mis en scène un relation sado-masochiste entre un officier S.S. et sa victime dans un camp de concentration, et leurs retrouvailles en 1957 où le couple prolongera sa sexualité sulfureuse. Or le voir à la lumière des chamboulements récents qui fustigent le patriarcat m'a donné une vision très différente de ce qui est habituellement avancé. Le film de Liliana Cavani m'est apparu comme une dramatique et réelle histoire d'amour entre un homme autoritaire et brutal comme il y en a tant et une jeune femme soumise comme il y en a hélas tout autant, avec en plus une différence d'âge symptomatique. Les circonstances de leurs retrouvailles montrent parallèlement que le nazisme n'est pas mort, certains responsables cherchant à effacer leurs traces et d'autres portant le lourd poids de la culpabilité. Le point de rencontre entre le couple et les circonstances historiques m'ont semblé plutôt anecdotiques. C'est tordu, pervers, certes. La scène où Lucia chante Wenn ich mir was wünschen dürfte devant les officiers nazis avec la référence à Salomé est du plus mauvais goût, d'autant que l'image a servi et sert encore d'icône au film, mais il n'y a pas à en tirer des généralités glauques ou révisionnistes comme cela a pu être écrit à la sortie du film. Notons que la chanson, qui accompagnait également la bande-annonce, souligne l'ambiguïté de la relation : "Si je pouvais faire un vœu je serais bien embarrassée, devrais-je souhaiter un mauvais ou un bon moment ?". On peut toujours invoquer le syndrome de Stockholm, mais le piège se referme sur les deux protagonistes, aussi épris l'un que l'autre, autant marqués par la culpabilité que par le désir.
Le rôle incarné par Dirk Bogarde rappelle forcément celui qu'il avait dans Les damnés de Luchino Visconti, pauvre type sacrifié sur l'autel d'une société corrompue. Il en va de même pour celui de Charlotte Rampling, femme forte et déterminée, condamnée, elle aussi, par son simple statut de femme. Quant à la relation sado-masochiste, elle est à double sens, et là où Max perd facilement ses moyens, Lucia garde un sang froid exceptionnel. Ses gestes à lui sont raides face à la souplesse de la panthère, tragique pas de deux chorégraphique. La passion interprétée par les deux remarquables comédiens ressemble surtout à l'amour fou des surréalistes. L'issue fatale est évidemment suggérée dès le début, le cadre historique trouvant sa fonction dramatique. La réclusion les rattrape l'un et l'autre. Dans un bonus Liliana Cavani évoque les documentaires sur le nazisme qu'elle avait réalisés préalablement et deux entretiens qui lui avaient donné l'idée du scénario. Dans un autre, ces suppléments justifient l'édition physique des films lorsqu'ils en sont pourvus et bien réalisés, Charlotte Rampling révèle que son rôle, sombre à souhait, lui servira d'étalon pour le reste de sa carrière. Portier de nuit continuera à déranger comme Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, sorti peu après.

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