Chez Tzadik 2 DVD très différents qui se complètent à merveille.
D'abord la Nervous Magic Lantern 3D du cinéaste Ken Jacobs projette Celestial Subway Lines / Salvaging Noise accompagné par la musique de John Zorn.
J'avais découvert Ken Jacobs en 1976 au CNAC rue Berryer avec Tom Tom The Piper's Son, film muet en noir et blanc de près de deux heures réalisé en 69-71 et édité en VHS par Re:Voir avec un livre bilingue de 214 pages, hors série d'Exploding. Tom Tom présente d'abord un petit film de dix minutes, poursuite burlesque tournée à Hollywood en 1905 par un futur technicien de D.W. Griffith, mais Jacobs recadre ensuite le film dans le détail allant jusqu'au grain de la pellicule. Il joue d'effets de cache et offre une des plus extraordinaires anlyses de film de l'histoire du cinéma. À la fin, le cinéaste montre à nouveau le petit film tel la première fois. Sa vision en est transformée, ce n'est plus le même film !
Je n'avais rien vu d'autre, entre temps, avant ce DVD. Pas de lunettes polaroïd, un seul écran, le mien, et pourtant ça marche. À l'aide de deux projecteurs diffusant le même film en léger différé, avec des filtres spéciaux et des effets stroboscopiques, Jacobs transforme cette fois des images issues de vieux films en expérience 3D. Miracle de l'effet Pulfrich ! C'est un peu fatigant puisque l'image ne cesse de clignoter, c'est aussi fascinant, évidemment hypnotique. La musique de JZ, secondé par Ikue Mori avec un ordi portable, est chaotique, industrielle, métallique et fonctionne bien avec cette drôle d'invention qu'est la lanterne magique nerveuse.
Deuxième Tzadik (même distributeur : Orkhêstra), A Bookshelf on Top of the Sky, le film que Claudia Heuermann a consacré au compositeur new-yorkais en le filmant sur une période de dix ans. Joli travail où la cinéaste allemande se met en scène dans son rôle de fan-intervieweuse pour filmer un musicien qui rechigne toujours au moindre entretien avec un journaliste "professionnel". Le film est forcément passionnant, même si ce n'est pas tout à fait du niveau du Step Across the Border d'Humbert et Penzel. JZ joue le jeu et de nombreux extraits sont généreusement intégrés au montage, avec les projets Cobra, Naked City, Masada comme en impro ou avec des interprètes classiques.
Il saute aux yeux comme aux oreilles que John Zorn est un des compositeurs et producteurs (il est l'âme de Tzadik) les plus intéressants de la scène américaine. Son enracinement culturel lui donne une légitimité incontournable, je pense à Charles Ives, Stravinsky, Partch, Cage, Zappa, Ornette Coleman, et son fétiche, Carl Stalling, le génial compositeur de musique de dessins animés dont JZ a supervisé chez Warner un CD sublimissime de folie endiablée, d'orchestration maboule et d'humour mortel. Ces dernières années, JZ s'est consacré à une relecture de la musique klezmer (projet Masada) et s'est laissé aller à une crise identitaire juive qui l'ont poussé jusqu'à promouvoir son label Great Jewish Music où figurent des artistes comme Serge Gainsbourg, Burt Bacharach et Marc Bolan ! Un peu inquiétant... À suivre du coin de l'œil, mais des deux oreilles parce que c'est vraiment parmi ce qui se fait de mieux dans le genre. Quel genre ? Bah justement, c'est la question, et c'est pour ça que c'est bien.