Je travaille à nouveau pour Hyptique ; cela faisait presque deux ans que nous n'avions pas collaboré. Valéry Faidherbe a demandé à Pierre Lavoie que je compose la bande son du triple écran qu'il réalise. J'ai d'emblée écarté la proposition d'enregistrer l'ambiance du Musée des Beaux-Arts d'Angers qui en est le sujet et le commanditaire. Il s'agit d'imaginer quelque chose qui se détache de l'univers bruyant du salon d’exposition où sera projeté le reportage de quatre minutes. Se distinguer du brouhaha produit par les visiteurs et par les autres stands tous susceptibles de diffuser du son. On évitera d’en rajouter dans la confusion ambiante en écartant les timbres proches de ceux produits par la foule des visiteurs (bruits « blancs » où se superposent toutes les fréquences) et les basses qui ont la propriété d’être inlocalisables (« bavant » un peu partout dans un rayon souvent très large).
Je souhaite donc composer une partition aérée qui respire et laisse respirer en générant des sons relativement courts. Les entrecouper de petits silences transforme chaque note en signal pour attirer les passants des allées du salon. Le rythme régulier qui les anime permet ensuite d’entraîner ces visiteurs dans le spectacle créé par les trois écrans. Le timbre principal est celui d’un marimba (clavier de lames de bois tel un xylophone basse). Son timbre boisé fonctionne particulièrement bien avec l’univers muséographique des tableaux qui s’échelonnent sur les siècles. Le rythme est médium, ni trop rapide ni trop lent, pas de sollicitation cardiaque ni de relaxation soporifique ! Tempo de la promenade : 50. Le jeu en arpèges construit un système de boucles qui pourront évoluer dans le temps.
Des notes plus aigues viennent se superposer pour créer des ponctuations plus nettes. Ce sont de petites crêtes qui produisent le même effet d’appel que les notes plus resserrées du marimba. Ces notes se rapprochent du piano pour conserver un aspect classique à l’ensemble. Elles peuvent également appuyer un effet présent à l’image. Enfin, ces timbres sont de temps en temps habillés par d’autres textures pour varier les ambiances, doucement, sans heurt, tout en enrichissant la palette de timbres. Le propos est de rendre avant tout l’espace agréable, sans perdre le côté entraînant de la rythmique. La simplicité de la partition fait ressortir chaque note et laisse tout son pouvoir aux images.

Tout ce qui touche à la ville d'Angers m'émeut toujours. C'est celle de mon père et de mon grand-père "déporté mort pour la France", comme il est stipulé sur la plaque du Boulevard Gaston Birgé. De lui, je n'ai rien d'autre qu'une plaque en émail bleue un peu ébréchée. Lorsque j'étais enfant, mes parents m'envoyaient souvent en vacances rue Béranger chez Cypri, l'ancienne secrétaire de mon grand-père qui s'était occupée de mon père à la mort de sa mère lorsqu'il avait trois ans. Je jouais avec la tortue Jeannette et ma poule préférée, Cocotte Jaune, avec les drapeaux français, anglais et américain cousus par Cypri pour la Libération et je dévorais les groseilles du jardin. Le souvenir d'enfant le plus puissant est évidemment le château fort, son pont-levis et ses douves peuplées de cervidés, sans parler de l'enseigne d'un certain "Jean Bon, charcutier du château". Il y a une quinzaine d'années, Un Drame Musical Instantané créera en direct la partition de Jeanne d'Arc de Dreyer au Festival de cinéma Premiers Plans... Un autre épisode de la Résistance.

Mais aujourd'hui je dois seulement enregistrer un petit bout de 58 secondes. Je déteste faire les choses à moitié. J'aurais préféré attaquer tout de suite les quatre minutes montées. Cela me donne souvent plus de travail de réaliser une maquette que le définitif. Question de foi. Il est pénible de faire quelque chose lorsque l'on sait que ce sera forcément jeté à la poubelle pour être remplacé. Je m'y plie pour faire plaisir à mes camarades parce que leur client doit valider le travail, mais je n'en retire aucune satisfaction contrairement au moment où je jouerai la partition finale à l'image. Heureusement, que ce soit pour Hyptique ou les Rencontres d'Arles de la Photographie, c'est toujours agréable de travailler avec Valéry.