Je n’étais pas redescendu dans la vallée depuis dix jours. Au début, même le téléphone hertzien était en dérangement, drôle d’expression pour une coupure totale. On dit dérangé d’un corps maltraité par les orgies gastronomiques de fin d’année ou d’un esprit qui a besoin de repos après des mois de suractivité. Le technicien de France Télécom a remplacé une boîte au niveau de l’antenne, en bas, juste au-dessus de L’Ourson. Non, je n’ai pas vu d’ours, ni de biches, mais je les entendues la nuit par la fenêtre restée ouverte. Elles sont là, vingt-cinq, tout à côté, mais il faudrait les approcher en voiture, car elles se méfient des tireurs à pieds. Heureusement, pas un coup de feu n’a retenti, tout est extraordinairement calme. Le jour du départ, deux isards se sont enfuis devant nous, un aigle tournait au-dessus des bouleaux. Nous restons hébétés devant l’époustouflant spectacle des cimes éclairées par la pleine lune. Lumière irréelle qu’aucun objectif ne saura capturer. Le jour, il fait si beau que nous pouvons déjeuner dehors en bras de chemise. Le soleil éclaire le paysage en faisant ressortir les arêtes tranchantes de la montagne dessinant la frontière espagnole. À seize heures, il disparaît brutalement et nous allumons le feu. Enfin rétablie, la ligne téléphonique crache plus fort que les flammes qui crépitent dans l’âtre, comme si nous étions au bout du monde. C’est presque vrai. Seul le chemin cabossé à flanc de montagne nous y relie… Avant que la neige ne l’efface !
Bien que j’ai pensé à emporter un câble pour le modem interne du Mac, je n’ai pas trouvé le moyen de me connecter à Internet. Au retour, il faut trier des milliers de méls plus spamés les uns que les autres. Cet afflux exponentiel de détritus est-il sérieusement justifié par quelque efficacité mercantile ? Je ne peux pas l’imaginer. Cela ressemble plutôt à un immense gâchis imbécile, de temps, d’encombrement, une sorte de logorrhée éjaculatoire pour marquer désespérément son territoire, fantasme paranoïaque de l’infiltration virale de la planète tout entière. Un mystère de l’organisme, une énigme. Trouvera-t-on un de ces jours une parade efficace à cette invasion délirante ? Les messages attendus se noient dans un océan de merde, disparaissant même parfois dans la cuve des indésirables qui déborde. La nécessité de savoir le message arrivé à bon port, plus exactement, d’avoir été lu, réactivera-t-il le courrier postal et la communication directe ? Dans un autre domaine qui nous est cher, on sent déjà que la surabondance médiatique et la surproduction des multiples vont finir par profiter au spectacle vivant… De l’horreur renaît aussi l’espoir, avec son cortège de rêves à mettre en œuvre, nouvelles utopies à souhaiter impérieusement puisque nous en sommes à la période des vœux. Bonne année en perspective !