J'attendais que Françoise Romand ait monté cet extrait de notre concert pour revenir sur ma rencontre musicale avec Donkey Monkey, le duo formé par la pianiste alsacienne Ève Risser et la percussionniste japonaise Yuko Oshima. Le résultat fut à la hauteur de nos espérances. La complicité humainement partagée s'est laissée transposer naturellement sur la scène du Triton. La première partie, s'appuyant sur des morceaux du duo, était plus popisante tandis que la seconde, basée sur mes programmations virtuelles, était plus explosée. Comme chaque fois, il en faut pour tous les goûts et nous avons entendu assez de commentaires pour saisir que les uns ou les autres préfèrent tel ou tel morceau. C'est toujours ainsi. Si l'on écoute les avis des spectateurs, il faut en récolter suffisamment pour que tous les passages trouvent leurs admirateurs ou leurs détracteurs. Tout entendre, mais n'en faire qu'à sa tête, en l'occurrence un être tricéphale dont les méninges carburent au-delà de la vitesse autorisée. Après cette première rencontre sans véritable répétition, nous nous sommes découverts dans l'action. Je perçois ce que je pourrais améliorer à mon niveau : soigner les codas et développer les complicités avec chaque musicienne indépendamment de leur duo, dramatiser mon apport par des ambiances de reportage et des évènements narratifs, étoffer mon instrumentation acoustique lorsque les morceaux durent plus que prévu, par exemple j'emporterais bien le trombone et le violon vietnamien, mais je supprimerais les projections sur écran difficilement compréhensibles pour le public en les remplaçant par des compositions où l'improvisation libre se construit autour de modèles dramatiques.
J'en saurai plus après avoir écouté l'enregistrement de la radio. Nous avions en effet commencé la soirée par un petit entretien avec Anne Montaron puisque France Musique diffusera la soirée le 23 avril à 22h30 dans le cadre de son émission "À l'improviste".
Les filles ont lancé le mouvement, je les ai rejointes en commençant à jouer depuis les coulisses avec un petit instrument improbable que j'ai acheté dans un magasin de farces et attrapes il y a près de 40 ans ! C'est une sorte d'appeau dans lequel je dois souffler comme un malade pour en sortir de puissants sons de sax suraigus. Sur le dessus de cet instrument tricolore affublé d'une petite percussion en métal sur bois, je bouche le trou unique pour rythmer mes phrases. J'accompagne mon solo de déhanchements suggestifs tandis que je rencontre l'objectif d'Agnès Varda venue filmer notre performance en vue de son prochain film provisoirement intitulé Les plages d'Agnès. Mes guimbardes tiennent alternativement le rôle de basse et de contrepoint rythmique au duo excité du piano et de la batterie. Le second morceau est plein d'humour, Ève et Yuko chantant en japonais un blues nippon que j'accompagne avec des effets vocaux qui vont de l'électroacoustique déglinguée à des imitations yakuzesques de comédiens nô. La première partie se clôt sur un longue pièce de pluie où les sons tournent des unes à l'autre sans que l'on ne sache plus à qui sont les gouttes qui éclatent ici et là. Ève a préparé le piano avec des tas de petits objets étranges tandis que Yuko est passée au sampleur... Après l'entr'acte, les filles s'amusent à suivre ou contrarier de nouvelles gouttes, cette fois sorties tout droit du diagramme de FluxTunes projeté sur l'écran derrière nous, ping-pong qui nous oblige à rattraper les notes comme si c'était des balles. Les trois garnements étalent ensuite leurs jouets pour trois petits solos et une coda en trio (carillon, toy-piano, jeu de cloches, synthétiseurs et Theremin à deux balles) suivi d'un duo de pianos où Ève doit sans cesse rebondir face à mes quarts de ton renversés. Nous terminons par un zapping de ouf où je joue du module Big Bang face aux deux filles qui usent, abusent et rusent irrévérencieusement avec leur répertoire pour me couper systématiquement et alternativement la chique. Le petit rappel est on ne peut plus tendre, Ève s'étant saisie de sa flûte traversière, Yuko nous enchantant de sa langue maternelle et ma pomme terminant dans le grave de ma trompette à anche. Nous espérons maintenant pouvoir remettre ça un de ces soirs, ça, une véritable partie de plaisir !
Sauf les rares jam-sessions où je ne jouais que du Theremin, c'est la première fois que je jouais aussi peu de clavier. Mes touches noires et blanches et mes programmes construits au fil des années incarnent une sécurité dont je souhaite me débarrasser. Aussi, le lendemain, pour mon duo avec Nicolas Clauss à L'Échangeur, je n'en emporterai carrément pas... (à suivre)