Voici enfin une bande dessinée avec un scénario d'enfer ! Cela me change du bel album Animal'z de Enki Bilal dont j'ai renoncé à comprendre les histoires décousues depuis longtemps. Denis Robert, le journaliste qui a révélé, entre autres, l'affaire Clearstream, signe celui de L'affaire des affaires avec le dessinateur Laurent Astier et Yan Lindingre pour le story-board. Ce roman autobiographique de 200 pages en images et phylactères nous en apprend plus que la lecture de votre quotidien préféré (soit le moins détestable) et raconte ce que vous ne verrez jamais à la télévision, le dessous des cartes, la saga de L'argent invisible, titre de ce premier volume d'une série dont on attendra la suite avec impatience. Depuis dix ans, Denis Robert s'escrime à démasquer les paradis fiscaux où se blanchit l'argent sale. La crise actuelle valide ses pires craintes. En faisant monter les affaires comme de la pâte à beignets, il révèle les bases mêmes du système capitaliste et nous entraîne dans une jungle en cols blancs qui fait froid dans le dos. Son engagement professionnel l'emporte sur sa mauvaise conscience de ne pas assez s'occuper de sa famille et sur sa fatigue devant la faune qui le harcèle de questions comme une bête de cirque. Le personnage qu'il incarne en vignettes ressemble à tous les détectives de roman noir, à la fois dépité et pitoyable, pugnace et héroïque, animé du masochisme de l'irrépressible besoin de savoir qu'il partagera avec ses lecteurs.
"Les hommes politiques, tous pays confondus, nous assomment avec la 'mondialisation' comme seule excuse à leur incapacité à proposer la moindre alternative au libéralisme... Les Etats sont affaiblis, l'Europe est bancale... Les capitaux circulent librement mais les juridictions restent cadenassées dans leurs frontières nationales... En ouvrant les frontières économiques sans changer les règles politiques, judiciaires, ni les missions des Etats, on a donné un formidable coup d'accélérateur à la dictature de l'argent-roi. (...) Les capitaux clandestins ont toujours existé, tout comme les mafias, ou les paradis fiscaux... Ce qui est nouveau, c'est leur explosion, la vitesse des échanges et la parfaite inadaptation des systèmes de contrôle... (...) John Maynard Ferguson a dit que le capitalisme était la croyance stupéfiante que les pires hommes allaient faire les pires choses pour le plus grand bien de l'humanité... Vous voulez que je répète ?"
Rien de personnel, et pourtant ! Denis Robert n'est qu'un homme. Il est vivant et bien vivant. Fragile et volontaire. L'enquête le bringuebale dans les arcanes du pouvoir qui lui en fera voir de toutes les couleurs, mais ça c'est une autre histoire, à suivre !