Pour fêter son 10ème anniversaire Le Cube a choisi l'empathie comme sujet du premier numéro de sa revue en ligne. Le centre de création numérique a donc demandé 2000 signes à des artistes, universitaires, journalistes, psychanalystes, chefs d'entreprises liés aux nouvelles technologies.
La question était présentée ainsi : "Dans son dernier ouvrage « Une nouvelle conscience pour un monde en crise – vers une civilisation de l’empathie », l’économiste américain Jeremy Rifkin nous invite à repenser la société dans une approche aussi radicalement nouvelle qu’a pu l’être celle des philosophes des Lumières en leur temps. Il place l’empathie au cœur de ce projet, comme vecteur d’une nouvelle conscience biosphérique. Mais le psychologue Serge Tisseron, dans son ouvrage « L’empathie au cœur du jeu social », pointe notre faculté à renoncer si facilement à l’empathie alors qu'elle est si profondément enracinée en nous. D'où viennent donc les forces qui nous en éloignent ? Comment réveiller l’empathie pour penser global et agir local, et pour qu’émerge une conscience collective qui seule, selon Rifkin, peut nous permettre de relever les grands défis à venir ? Les nouvelles technologies peuvent peut être nous y aider, en suscitant de nouvelles dynamiques d’interaction sociale, de mutualisation des connaissances, de mémoire collective, d’expression participative… Mais elles peuvent aussi nous rendre plus égoïstes, indifférents et isolés dans les virtualités d’une société de l’image ou relation rime souvent avec consommation. Le numérique est-il une chance pour construire une société de l’empathie ? Comment ? La Revue du Cube vous invite à répondre à cette question."

Y ont répondu Sylvie Allouche, Étienne Armand Amato, Roland Cahen, Jean-Louis Fréchin, Don Foresta, Christian Globensky, Gaël Hietin, Michel Jaffrenou, Éric Legale, Yann Leroux, Vincent Lévy, René Licata, Yann Minh, Dominique Moulon, Joseph Nechvatal, Éric Sadin, Dominique Sciamma, Serge Soudoplatoff, Rémi Sussan, Serge Tisseron, Hugo Verlinde...

Si quelques uns tombent dans le panneau sur le mode "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" dans le meilleur des mondes informatique, la passionnante contribution de Serge Tisseron démonte consciencieusement la mystification de l'économiste américain, en commençant par pointer la différence entre empathie, sympathie, compassion et identification. Mon humble texte d'humeur, reproduit ci-dessous, rejoint son point de vue sur la manipulation tentant de "nous faire croire que les technologies numériques augmenteraient les capacités empathiques de l’humanité" alors qu'elles "sont porteuses d’autant de menaces que de promesses".

Tout partager entre tous
Comme l’inconscient ignore les contraires, les outils peuvent servir le pire et le meilleur des desseins.
Le numérique rapproche les humains d’un bout à l’autre de la planète, mais il isole chacun face à son clavier. Avant de renvoyer les images, les écrans sont les miroirs de ceux et celles qui les saturent.
Qu’importe l’outil, il est nécessaire de fourbir nos armes si nous voulons changer le monde en évitant le pire qui se profile. Mais les multinationales qui façonnent et commercialisent hardware et software obéissent toutes aux lois de l’ultralibéralisme et de la dérégulation. Seul le détournement des objets qu’elles produisent laisse espérer un miracle, prise de conscience des peuples apprenant la manipulation dont ils sont l’objet, qui ne date pas d’hier (cf. religions, nationalismes, guerres…) et sans cesse remise au goût du jour (démocratie de façade, liberté surveillée…), avant la catastrophe. S’agit-il pour autant de désirer et d’œuvrer dans le sens de l’empathie ? Devons-nous nous identifier à qui que ce soit, vibrer en sympathie avec les propositions de nouveaux gourous ou prendre en main notre avenir par une forme de démocratie directe, rapports de proximité aidant, saine utopie à l’encontre de la solution actuellement envisagée par les politiques les plus solidaires, un gouvernement mondial imposant une régulation totale des échanges de tout acabit ? Cette éventualité, pourtant non émise de gaîté de cœur, permettrait d’enrayer le phénomène entropique entraînant notre monde à sa perte.
Dans l’Histoire l’empathie n’a jamais échappé au pire. Il faudrait préciser qu’elle devrait s’exercer sans distinction de classe, de sexe et de culture (j’évite le mot « race » toujours erroné comme celui de « religion », arme d’oppression avérée sur les trois termes précédents). Elle s’assimilerait alors à une solidarité absolue. Le numérique nécessitant une telle consommation d’énergie et de matières premières serait alors condamné à n’être qu’un avatar sur le chemin du sauvetage.

N.B. : le haut du photogramme de Leni Riefenstahl a été intentionnellement coupé pour rendre l'illustration plus universelle. Pourtant toute analogie avec celle d'hier est purement fortuite !