Aucune surprise. Je m'y attendais. En fait c'est le contraire. Le nouvel album d'Ursus Minor est un chef d'œuvre. C'est la surprise ! Ce n'est pas une contradiction, juste un poil de dialectique. Un poil de raton laveur, un "chat sauvage" que la Communauté européenne a scandaleusement décidé d'éradiquer, ici avec un bâillon rouge sur le museau pour éviter les puanteurs de nos sociétés sous contrôle, les gaz lacrymo de la ZAD et des manifs engrillagées de Paris. What Matters Now file la pêche parce qu'il est d'une énergie débordante et qu'il invente de nouvelles utopies. Le livret de 140 pages, bourré d'illustrations et de photographies, est un pavé dans la gueule de celles et ceux qui n'y croient plus ou qui font la sourde oreille. L'affirmation aussi de l'objet physique contre la dématérialisation de la virtualité vampirique.
Ce qui compte maintenant se décline en quatre parties : The Living Present, Land of The Tree, Talking Drums et A Simple Chronological Series. Au début la voix de Serge Quadruppani lance "la joie et la colère sont les deux passions de ce mouvement" pour qu'enchaînent et se déchaînent les rappeurs minnesotiens Desdamona et deM atlas. Leurs syllabes sont des cocktails Molotov, leurs vers des cris d'espoir. Mais Ursus Minor c'est d'abord le compositeur Tony Hymas, toujours aussi discret et efficace au clavier. Il est entouré du trio de choc constitué du sax baryton François Corneloup, du batteur Stokley Williams et d'un nouveau guitariste, Grego Simmons, encore plus hendrixien que ses prédécesseurs, Jef Lee Johnson et Mike Scott. De Jef Lee, passé dans un pays de nulle part, il reprennent le Move avec son dernier batteur, Patrick Dorcéan, parmi d'autres covers comme Notre Dame des Oiseaux de Fer de la bande Hamon Martin, Brown Baby d'Oscar Brown Jr ou Rythme Futur de Django Reinhardt... Plus rock que jazz, plus funk que pop, le double CD me fait danser sur ma chaise. Il rappelle les meilleures heures de l'Histoire de la musique populaire, quand elle épouse ou annonce les temps à venir, sans jamais désarmer parce qu'on n'a pas le choix, qu'on ne l'a jamais eu et qu'on ne l'aura jamais. On peut préférer dormir, calfeutré dans son petit confort, mais la mort est au bout du chemin. Pour chacune et chacun. Il reste peu de temps.
Seconde partie après un tendre intermède par Le Pont sur la Vézère où la clarinette de Manon Glibert rappelle que l'enregistrement s'est tenu à Treignac, berceau du festival Kind of Belou, complice de cette équipée ravageuse. La chanteuse soul Ada Dyer entre en scène avec un I Don't Live Today, Hendrix de circonstance. Puis c'est au tour de Dominique Pifarély de rejoindre le quartet et les Américaines. Son violon allume de nouvelles mèches, clins d'œil aux USA, parce qu'il est évident que c'est à leur rythme qu'Ursus Minor nous fait vibrer, même si le duo du Bénéfice du Doute, Mael Lhopiteau à la harpe celtique et Timothée Le Net à l'accordéon, et le Chœur des Belous viennent renforcer la ZAD Song qu'ouvre Sylvain Giro : "Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous empruntons celle de nos enfants". Le premier disque s'achève avec un tendre et bel hommage à Val, Valérie Crinière qui nous manque cruellement, murmuré par la jeune Anna Mazaud.
Après les revendications anarchistes de The Words of Lucy Parsons, le comédien Frédéric Pierrot déclame La meilleure des polices de Mohamed Bourokba (La Rumeur), le jeune Léo Remke-Rochard slame de l'autre côté du miroir noir, le limousin Bernat Combi à son tour excitant occitan, Stokley toujours aussi Wonder, et les illustrateurs Zou, Laurent Lebot, Emre Ohrun, Florence Dupré la Tour, James, Val K, et toute la bande au groove impeccable, à la tchatche qui raconte comment le monde est et comment il pourrait être, sans la gabegie des profiteurs du Capital... J'oubliais : et un raton laveur ! What Matters Now est un disque dense d'un groupe qui danse, un pansement qui pense, une sentence qui fait sens...

→ Ursus Minor, What Matters Now, Hope Street, dist. L'autre distribution