Autant commencer par une photo de Tétouan, au nord du Maroc où nous avons passé le plus de temps. Très peu touristique, extrêmement religieuse, cette ville à l'architecture influencée par le sud de l'Espagne, possède par ailleurs une médina magnifique nous plongeant dans un espace-temps à rebours de notre quotidien. Nous nous sommes longuement perdus avec délectation dans le labyrinthe des ruelles aux murs blancs et aux portes sculptées ou ouvragées. À comparer avec mes voyages marocains précédents qui remontent aux années 70 et 90, j'y ai constaté une pauvreté considérable (on rencontre un mendiant tous les vingt mètres), une plongée dans la religion expansive (la plupart des femmes sont voilées) et une gentillesse légendaire. La différence de régime entre les hommes et les femmes y est considérable, les uns libres d'aller comme ils le souhaitent, les autres contraintes à l'anonymat dans les espaces publics. J'ignore l'effet produit sur les autochtones, mais ces visages et corps camouflés m'apparurent particulièrement érotiques, comme tout ce qui est caché, mais immanquablement suggéré. Je continue de considérer toutes les religions particulièrement perverses, propres à opprimer les classes sociales les plus défavorisées et les femmes particulièrement, quelle que soit leur origine.


J'étais parti pour m'occuper de mon petit-fils qui a cinq ans et dont les parents travaillaient là-bas pendant ces deux semaines. Le soir il les retrouvait, sauf pendant deux séjours, dans les gorges d'Akchour et à Tanger, choisis pour échapper à la fête de l'Aïd où absolument tout est fermé. Tétouan était donc le lieu de résidence du Spat' sonore, invité par l'Institut Français. Nicolas Chedmail, Linda Edsjö, Elsa Birgé, Nina Daigremont et Philippe Bord y travaillaient leur prochaine création intitulée Näcken, collaboration des Spat' et du duo Söta Sälta. Je leur laisse le soin de raconter leurs aventures épiques qui commencèrent avec la perte d'une des valises de matériel par Air France. Leurs représentations durent être ainsi reportées d'une semaine, le temps de retrouver la valise et qu'elle soit acheminée jusqu'à Tetouan, les nombreuses surprises dont ils furent victimes n'incombant pratiquement jamais aux Marocains !


La nuit est particulièrement magique dans la médina, lorsque les ruelles sont vides et que l'on se retrouve souvent au fond d'inquiétantes impasses. La grande différence avec le passé est le recours au GPS qui permet de retrouver son chemin. C'est pourtant en plein jour que je suis tombé par hasard sur le souk des teinturiers. L'odeur suffocante habituelle était légère, les cuves probablement en attente des peaux des sept millions de moutons et chèvres qui seront sacrifiés la semaine suivante pour l'Aïd...


Pour des raisons religieuses les mannequins n'ont pas de visage ou même pas de têtes du tout. Au détour d'une ruelle je suis saisi par ceux de petits garçons affublés de chemisettes et T-shirts imprimés. Pour l'essentiel, tout ce qui est typique du Maroc est situé dans la médina, et tout ce qui est moderne est vendu dans la nouvelle ville. Cela signifie qu'on y trouve pas mal d'importations chinoises, comme dans le reste du monde. Il y a évidemment beaucoup d'imitations dans ce qui plaît aux jeunes. Les prix ne sont pas les mêmes. La différence de statut économique de la population fait le grand écart entre les quelques riches, voire les ultra-riches liés au régime royal, et la masse des pauvres.


Comme je l'ai écrit dans un précédent article la déception fut d'ordre gastronomique. Je connaissais l'excellence de la cuisine marocaine, mais le nord semble y échapper brutalement. L'offre est extrêmement réduite. Ce sont essentiellement des tajines rudimentaires, un bout de viande sur lit de pommes de terre avec deux ou trois morceaux de courgettes et de carottes. Le couscous du vendredi ajoute simplement de la semoule, mais sans bouillon contrairement à son cousin algérien auquel nous sommes habitués. Les épices sont rares. On nous sert quelques olives pimentées en guise d'apéritif, mais la fantaisie se résume à quelques poissons grillés, friture ou espadon, des calamars frits ou à la plancha, et parfois des brochettes. Nous nous rabattons sur les pâtisseries orientales et surtout sur le thé à la menthe...


Rentré à Paris, je me rattraperai en cuisinant un porc au caramel et des escargots aux courgettes et aux oignons avec un bouillon dashi. La photo ci-dessus est une plongée du Reducto où nous dînons de temps en temps, mais seul le Riad Blanco redonnera le sourire à nos estomacs. Pendant l'Aïd seuls les hôtels nous épargneront de mourir de faim. J'emprunte à Phildar le panoramique qu'il y fit avec Linda jouant un troll suédois derrière une colonne.


Nina m'évite de faire un selfie sur la terrasse du Reducto où le vent du soir nous requinque après la chaleur de la journée. La médina s'étend sur la pente derrière et autour de moi, mais les commerces sont en bas de la colline. Ils sont en général regroupés par corporations. C'est pratique pour les comparaisons, à condition de localiser ce qu'on cherche ! Nous aurons peu l'occasion de faire des emplettes. Je me suis rapporté seulement deux paires de babouches qui remplaceront les chaussons élimés achetés à Quimper il y a quelques années.


Après notre arrivée à Tanger qui nous permit de nous rafraîchir dans la piscine de l'Hôtel Chellah et l'immersion dans la foule de Tétouan accaparée par les préparatifs de l'Aïd et la visite du Roi Mohammed VI, nous allons descendre dans le Rif pour quelques jours de vraies vacances, que ce soit dans la bleue Chefchaouen ou dans les cascades d'Akchour, car franchement rien ne vaut la nature, même lorsqu'elle est domestiquée, ce qui est hélas le cas sur presque tout le globe.